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Notes de lecture

Carmen Alén Garabato et Henri Boyer, Le marché et la langue occitane au vingt-et-unième siècle : microactes glottopolitiques contre substitution

Éditions Lambert-Lucas, 2020, 144 p.
Marielle Rispail
Référence(s) :

Carmen Alén Garabato et Henri Boyer, Le marché et la langue occitane au vingt-et-unième siècle : microactes glottopolitiques contre substitution, Éditions Lambert-Lucas, 2020, 144 p.

Texte intégral

1Le confinement a ses bienfaits : il aura permis à certaines pensées de se rassembler et prendre forme. Ainsi en va-t-il de l’ouvrage de Alén Garabato et Boyer, paru il y a 6 mois chez Lambert-Lucas, mais qu’on voyait mûrir chez ses auteurs depuis quelque temps, à travers articles et textes de conférences jusque‑là épars. C’est ainsi que l’ouvrage (140 pages, 5 parties, 34 illustrations efficaces, des notes parfois longuement documentées et 2 beaux documents d’enquêtes placés en annexes) propose une réflexion théoriquement articulée et abondamment illustrée sur les avatars de la langue occitane, qu’on voit paradoxalement disparaitre dans les usages quotidiens et interactionnels, mais dont la présence fait signe de plus en plus fréquemment dans les dénominations de produits commerciaux, bref dans le paysage scriptural urbain. Paradoxe de (sur)vie ou étape d’une mort annoncée ? Promotion ou folklorisation (p. 9) ?

2Les auteur-e-s nous mènent, depuis un système conceptuel soigneusement conçu (partie 1), dont les éléments se font écho (patrimonialisation, identité, glottopolitique, conflits de langues et représentations) et que quelques rappels sociolinguistiques et historiques (partie 2) viennent conforter (entre autres celui des « politiques linguistiques de par en haut et de par en bas ») vers des hypothèses finales (partie 5) qui sont autant de questions stimulantes pour l’avenir (irait‑on vers une « patrimonialisation dynamique » ? (p. 93). Ils se gardent bien de conclure (cf. « Le mot de la fin ? », p. 105‑106), préférant laisser la parole à un-e de leurs enquêté-e-s : « Les braises sont là / il faut souffler dessus / il faut les réactiver ».

3L’entreprise scientifique se pare alors des couleurs de l’engagement : il n’est pas neutre de partir recueillir sur les marchés et dans nos villes les noms de « marchandises » ou d’établissements commerciaux, qui utilisent sciemment des mots occitans dans la dénomination du produit proposé au public. Comment démarquer la simple recherche de clientèle d’une identité affirmée, même discrètement ? C’est par l’enquête sur les représentations et le recueil de discours que les chercheurs viennent dépasser la plaisante collecte de dénominations à « visibilité occitane ».

4Rejoignant les études d’autres chercheurs connus (James Costa par exemple) sur les langues minorées, les analyses font alors surgir une complexité de discours, de pratiques et d’attitudes face à la langue, qui dépasse largement les banales dichotomies locuteur/non locuteur, ou natif/non natif, ou locuteur d’origine/néo-locuteur. Elles mettent en valeur un éventail de comportements et de rapports à l’identité, où certes ont place la « tradition » ou le « terroir » ou l’opposition capitale/province, mais aussi des agencements identitaires plus affinés comme la réflexion sur ce que vivront les générations futures, notre responsabilité individuelle dans l’avancée commune, la diversité des esthétiques non normées, l’humour, le goût, le plaisir ou le désir comme lignes de vie.

5Les personnes interrogées dans les extraits d’enquêtes publiés montrent une conscience sociale personnelle qui interroge leur être-au-monde et justifie le sous-titre de l’ouvrage : c’est bien à des « microactes glottopolitiques » que l’on assiste dans ces choix dénominatifs et leurs commentaires, et pas seulement à des gestes mercantiles. Non, ce n’est pas impunément qu’on nomme un vin « Opi d’aqui » ou qu’on publie une liste de mariage en occitan, voire qu’on affiche en langue française « Café occitan » sur une devanture. On y décèle un panel d’affirmations, de mises en public, voire d’exhibitions (un « faisceau de motivations » p. 13, disent les auteurs), qui veut sortir la langue de la sphère familiale de l’intime pour la proclamer devant « l’estranger », qu’il soit parisien ou japonais. Ce faisant, on se crée une nouvelle solidarité autour du « pays » ou du « sud », peut-être fantasmés.

6Les recherches de terrain évoquées ne cachent pas les ambigüités du sujet, ni les incertitudes que masquent ces mots faciles : et la question des délimitations pointe rapidement à travers les analyses. Est‑on de Béziers, de ses alentours, du département, de la région, ou d’Occitanie ? Et dans ce dernier cas : que met‑on sous ce mot ?

7Il reste que ces descriptions éclairantes, sans complaisance, d’un phénomène sociolinguistique encore peu étudié, pourraient montrer que les langues régionales savent trouver leur place dans une économie de marché, et que société moderne ne rime pas obligatoirement avec langue unique et normée. La mondialisation peut trouver son compte dans les ancrages locaux, mais il serait dommage que les langues minorées s’en contentent. Heureusement, leurs usagers font montre d’une curiosité métalinguistique de bon aloi, même si elle est parfois à retardement (p. 73), d’une exigence scripturale qui les étonne eux‑mêmes, bref d’un refus de la facilité et des approximations qui pourraient faire d’eux les ferments d’une nouvelle économie (p. 87).

8Et si un des rôles de la science était de « souffler sur les braises » ?

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marielle Rispail, « Carmen Alén Garabato et Henri Boyer, Le marché et la langue occitane au vingt-et-unième siècle : microactes glottopolitiques contre substitution »Lidil [En ligne], 63 | 2021, mis en ligne le 30 avril 2021, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/9071 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.9071

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Auteur

Marielle Rispail

ECLLA, Université Jean Monnet Saint‑Étienne
DIPRALANG, Université Paul Valéry Montpellier 3
LISODIP, École normale supérieure, Alger

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