Catherine Frier, Sur le chemin des textes. Comment s’approprier l’écrit de l’enfance à l’âge adulte
Catherine Frier, Sur le chemin des textes. Comment s’approprier l’écrit de l’enfance à l’âge adulte, Presses universitaires du Mirail, coll. « Questions d’éducation », 2016, 231 p.
Full text
1Cet ouvrage rend compte de la trajectoire de chercheure de Catherine Frier (désormais CF), qui a travaillé la question de l’appropriation de l’écrit pour un ensemble de sujets du préscolaire à l’université.
2Dans le premier chapitre, l’importance de la notion de sujet, thématisée dans différentes sciences humaines et sociales, est soulignée pour la didactique de l’écrit : le sujet se construit par la narration et par l’interaction, il élabore son rapport à l’écrit intimement, culturellement et socialement, il devient « sujet lecteur-scripteur ». Les références de CF vont des sociologues aux psychologues, en passant par les spécialistes de la didactique du français et de la lecture-écriture, pour appuyer la figure de l’enseignant qu’elle promeut : celle de passeur et médiateur sur le chemin de la compétence de littéracie des sujets. Des « moments emblématiques de construction du sujet lecteur-scripteur » sont présentés sur un axe temporel.
3Le chapitre 2 traite des « sources du sujet lecteur-scripteur », explorant dans une enquête les rituels de « passage de lecture » et « manières de lire » en milieu familial. Cette enquête permet de corroborer de façon fine les analyses de Lahire par exemple, qui montrent que la présence de temps de « lecture partagée » en famille n’est pas à elle seule garante de l’établissement chez l’enfant d’un bon rapport ultérieur à la lecture. D’autres facteurs jouent avec la qualité de la relation entre le lecteur et l’enfant. Est bien montrée la variété des stratégies du parent-lecteur (véritable expert de la médiation qui s’ignore), repérable aux « marques du lecteur » qui émaillent les interactions.
4Il est ensuite question des premiers apprentissages scolaires et de la lecture en maternelle, comme un lieu précoce de la lutte contre les inégalités sociales. CF pose la médiation au livre dans le scolaire comme « un geste professionnel à part entière » (p. 78) et elle rappelle l’intérêt des travaux qui ont analysé la complexité dudit geste.
5L’observation de la construction du sujet lecteur-scripteur se poursuit par l’analyse des pratiques au cycle 2, dans un moment où l’écrit change de statut. CF constate que, du côté des élèves, les projets d’entrée dans l’écrit sont différents, les dispositions sont inégalement réparties. Du côté des pratiques pédagogiques, l’orientation est encore plutôt « instrumentale », avec trop peu de place pour le lien lecture-écriture, pour des pratiques d’acculturation à l’écrit plus libres. La compréhension est évaluée plus souvent qu’enseignée (p. 97) et supplante en tout cas l’interprétation et le plaisir de lire. Cette tendance renvoie à des conceptions « étapistes » de la compétence de lecture, lesquelles renvoient à des nécessités de formation pour les enseignants. Du côté des apprenants, elle montre que « l’accès au code écrit pèse peu à côté des aspects culturels et identitaires du rapport à la lecture du sujet » (p. 101).
6CF constate ainsi que l’institution du sujet-lecteur doit encore être rendue plus concrète en classe, avec l’enseignant qui investirait vraiment la figure de « passeur de lecture » (il lirait lui-même et serait ainsi un modèle crédible), les lieux de lecture qui seraient encore mieux identifiés, avec des temps dédiés à la lecture personnelle, aux lectures partagées maitre/élèves et entre pairs, à la compréhension explicite des textes…
7CF fait état d’une ample recherche en cours portant sur les pratiques acculturantes des maitres dont les premiers résultats (données quantitatives et catégorisations) donneront lieu à d’autres recherches qualitatives… tout en questionnant l’idée même de complètement mettre en « grilles » le rapport subjectif et différentié à l’écrit.
8Le chapitre 4 aborde les années collège, rendant compte d’abord d’une recherche menée entre 2006 et 2010. Il en ressort que « écrit » et « école » sont très superposés dans les représentations des élèves. L’écriture sert d’abord à réussir son « métier d’élève », un peu « à réussir dans la vie », tandis que sa fonction épistémique n’est que peu perçue. On relèvera la posture souvent investie de « technicien de surface » du texte (p. 125). Elle donne lieu à des productions correctes du point de vue de la forme et reflète la fierté de bien écrire, mais elle renvoie elle aussi à une vision instrumentale du langage.
9Quant à la lecture, CF pose la question de savoir comment se continue l’apprentissage à ce niveau, les collégiens se situant souvent « au bord de la lecture », plus souvent rebutés par les lectures proposées à l’école qu’engagés. CF est allée enquêter ethnographiquement dans une classe de 3e où l’enseignante met en place un dispositif de « passeuse » pour la lecture littéraire. L’observation qualitative de ce dispositif et l’enquête approfondie confirme qu’au niveau collège la médiation scolaire est encore très importante.
10De quoi laisser du travail pour une étape ultérieure : l’Université. Le chapitre 5 revient sur un dispositif expérimenté à l’Université Grenoble Alpes, qui est parti justement du constat d’inachèvement des compétences en matière d’écrit des néo-bacheliers, alors même qu’est répandue l’idée que tous les problèmes de maitrise de l’écrit seraient réglés bien avant. Cette fois-ci c’est du « métier d’étudiant » qu’il s’agit. L’équipe de Grenoble-LIDILEM dont CF fait partie a investi ce sujet pour contribuer à la mise en place des « conditions d’une subjectivation des savoirs à l’Université », prenant au sérieux « les questions de formation à l’écrit en aidant les étudiants à construire et à assumer une posture de lecteur scripteur engagé » (p. 181). Dans cette optique, la didactique commence depuis les années 2000, à mobiliser les notions d’« heuristique narrative » en lien avec la connaissance scientifique, rapprochant émotion et cognition. CF et ses collègues se sont approprié ces orientations en mettant en place un dispositif qui prévoit l’écriture d’une fiction scientifique, qui mettra en scène un discours afin de « distraire et d’instruire » (p. 190). Réintroduction de la créativité donc dans un processus d’appropriation de contenus scientifiques, pour réagencer les savoirs, construire un savoir commun, laisser une place au libre arbitre, permettre la visibilisation de savoirs ignorés, favoriser la coopération et l’acculturation aux littéracies universitaires. Cette dernière partie est tout à fait passionnante !
11Dans ce cheminement auquel est invité le lecteur, la continuité du processus d’appropriation de la lecture-écriture est opportunément montrée et la nécessité d’une didactique de la lecture-écriture continuée est réaffirmée.
References
Electronic reference
Chantal Dompmartin-Normand, “Catherine Frier, Sur le chemin des textes. Comment s’approprier l’écrit de l’enfance à l’âge adulte”, Lidil [Online], 55 | 2017, Online since 02 May 2017, connection on 04 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/4247; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.4247
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