1La motivation est un thème qui suscite l’intérêt des chercheurs en sciences humaines depuis de nombreuses années. La recherche actuelle sur la motivation en psychologie cognitive tente de comprendre la façon dont les connaissances se construisent en interaction avec les croyances et les affects des apprenants. Les didacticiens des langues, quant à eux, s’intéressent non seulement au processus d’apprentissage d’une langue mais aussi aux raisons qui poussent les apprenants à s’investir (ou pas) dans cet apprentissage en situation académique (scolaire, universitaire ou autre). Ils cherchent également à connaitre les facteurs qui ralentissent le désir d’apprendre et les efforts des apprenants (Raby & Narcy-Combes, 2009). Par ailleurs, Danvers (1994) souligne l’absence de données sur les conditions qui président à l’élaboration d’une motivation, autrement dit sur les paramètres qui activent les mécanismes motivationnels chez l’apprenant.
- 1 Le projet AIPBA a été financé par l’Agglomération Côte Basque Adour (ACBA) et l’Office public de la (...)
2Le projet Apprentissage d’initiative personnelle du basque par les adultes (désormais AIPBA) dont il est question dans cet article se propose de répondre, de par ses objectifs, aux interrogations émises dans le champ de la motivation et de la didactique des langues. En effet, le but principal de l’étude, mise en place à la demande des pouvoirs publics locaux1, vise à obtenir une meilleure connaissance des motivations des adultes francophones pour apprendre le basque, une langue actuellement en déclin sur le territoire français. Il s’agit aussi de mettre en relief les facteurs qui favorisent ou, au contraire, qui freinent le processus d’apprentissage afin d’éclairer la politique publique relative à la langue basque, et, d’autre part, d’aider les centres de formation à adapter et à améliorer leur offre.
3Avant d’exposer notre méthodologie dans cette recherche, nous allons revenir plus amplement sur ce qu’est la motivation et ses diverses approches dans la littérature.
4S’il existe un consensus sur l’importance accordée à la motivation dans l’apprentissage d’une langue (Cheng & Dörnyei, 2007), des divergences demeurent quant à la définition et à la nature exacte de ce concept. Pour Vallerand (1993), la motivation peut être définie comme « un construit hypothétique utilisé pour décrire les forces intérieures et/ou extérieures qui engendrent l’initiation, la direction, l’intensité et la persistance du comportement » (p. 18). L’« initiation » correspond au passage de l’inactivité à l’exécution du comportement ; la « direction » renvoie au but fixé ; l’« intensité » traduit la manifestation observable de la motivation et la « persistance » représente l’engagement dans la durée. À ces éléments s’ajoute la notion de fluctuation que l’on retrouve chez Vallerand et Blanchard (1998), Vallerand et Miquelon (2008) ou encore chez Raby (2008, 2009). Ces auteurs soulignent que la motivation n’est jamais la même au cours de l’apprentissage d’une langue et qu’elle serait soumise à des variations en fonction de facteurs individuels ou environnementaux.
5Initialement, il existerait deux types de motivation : la motivation à fonction instrumentale et celle à fonction intégrative (Gardner & Lambert, 1959, 1972). Dans le premier cas, l’individu apprend une langue pour obtenir une reconnaissance sociale, un emploi ou des avantages économiques : on peut donc parler d’apprentissage dans un intérêt pragmatique tandis que dans le second cas, le but est de s’intégrer dans une communauté, ce qui sous-entend un besoin d’appartenance sociale, c’est-à-dire la nécessité, pour chaque individu, d’être intégré dans un groupe social et de se sentir exister à travers les relations qu’il peut avoir avec ses semblables (Maslow, 1943). Cette conception sociopsychologique est toujours utilisée pour l’élaboration de questionnaires sur la motivation et constitue une base solide et fiable de conceptualisation de la motivation (El Euch, 2010). Parmi la centaine de théories motivationnelles existantes (Fenouillet, 2003, 2009), la théorie de l’auto-détermination de Deci et Ryan (1985, 2002) occupe également une place importante dans les travaux en didactique des langues. Les auteurs distinguent d’une part, la motivation intrinsèque qui suppose le plaisir et la satisfaction des besoins internes d’autonomie (c’est-à-dire le désir d’être à l’origine de son propre comportement), de compétence (correspondant au désir d’interagir efficacement avec l’environnement) et de proximité sociale (soit le désir d’être connecté socialement avec des personnes de la communauté) et, d’autre part, la motivation extrinsèque selon laquelle l’individu agit en vue d’une promotion ou sous la pression sociale. Les formes de motivation les plus autodéterminées (intrinsèques) aboutiraient à des comportements éducatifs positifs comme l’attention, la persistance dans l’apprentissage et des performances élevées et seraient, en ce sens, plus efficaces que les motifs extrinsèques. La même idée avait été avancée concernant la motivation à fonction intégrative, qui serait plus opérante que la motivation à fonction instrumentale. En somme, les facteurs internes auraient un impact plus positif que les facteurs externes.
6Pourtant, comme cela a été signalé plus haut, cette proposition doit être nuancée en raison de l’influence d’autres facteurs, de type individuels et/ou environnementaux. À titre d’exemple, Gardner (2001) considère que les attitudes des apprenants envers la langue-cible et le groupe parlant cette langue influencent grandement le niveau de compétence dans cette même langue. La perception plus ou moins positive de la langue se forge à travers l’entourage familial, amical, éducatif, médiatique et aussi par l’expérience personnelle (Lasagabaster, 2006).
7Un autre paramètre d’importance est le rôle joué par les émotions (Raby & Narcy-Combes, 2009 ; Puozzo Capron & Piccardo, 2013). La peur, l’anxiété, le stress peuvent affecter le niveau de motivation et nuire au bon déroulement de l’apprentissage. L’apprenant qui ressent une pression de la part d’un professeur verra sa motivation diminuer. En revanche, si l’apprenant est accueilli avec ses difficultés, s’il se sent reconnu, valorisé, alors il y a de fortes chances que sa motivation perdure. Le rôle de l’enseignant est ici primordial de par sa personnalité, sa pédagogie mais aussi par rapport au matériel utilisé en cours, qui peut être plus ou moins ludique. Selon Vallerand et Mattioli (2005), le type d’activités effectuées par la personne est à prendre en compte, car il suscite plus ou moins d’intérêt. Les activités ludiques seraient susceptibles d’augmenter la motivation de l’apprenant contrairement aux exercices structuraux qui conduiraient à la tendance inverse.
- 2 La théorie du sentiment d’auto-efficacité est la croyance de l’apprenant en ses capacités de réussi (...)
8Inspiré par les diverses théories motivationnelles, Dörnyei (2005) propose une approche de la motivation basée sur sept composants qui sont : 1) l’intégrativité, 2) l’instrumentalité, 3) les attitudes envers les locuteurs L2 et la communauté : ces trois notions dérivent de la théorie de Gardner et Lambert (1959, 1972) ; 4) la vitalité de la communauté L2 : il s’agit de la dynamique communautaire au niveau institutionnel, démographique et institutionnel (Giles & Byrne, 1982 ; Landry, Allard, Deveau & Bourgeois, 2005) ; 5) les intérêts culturels : les films, les vidéos, les programmes télévisuels, la musique, les livres en tant que produits culturels contribueraient à familiariser les apprenants avec la communauté L2 ; 6) la confiance en soi langagière en écho à la théorie de l’auto-efficacité de Bandura (2009)2 et 7) le milieu, qui réfère à l’environnement immédiat, c’est-à-dire la famille, les amis, les collègues de travail, l’enseignant ou encore le groupe d’apprenants. Dörnyei (2007) insiste sur l’importance du contexte éducatif, du climat dans lequel se déroule l’apprentissage.
9Selon nous, il existerait un autre paramètre susceptible d’avoir un impact sur la motivation pour l’apprentissage d’une langue : il s’agit du caractère patrimonial de la langue. D’après Valdés (2005), l’expression « langue patrimoniale ou langue héritée » est généralement utilisée pour référer aux langues non sociétales et non majoritaires parlées par des groupes linguistiques minoritaires. De telles minorités incluent les indigènes d’une région particulière, les locuteurs des langues régionales en France (les bascophones dans notre cas), ou encore des populations qui ont émigré vers des aires autres que leurs régions ou États d’origine (Fishman, 2001 ; Valdés, 2005). Selon Reynolds, Howard et Deák (2009), le patrimoine serait un facteur motivationnel assez répandu pour choisir d’apprendre une langue. Ce constat est confirmé par l’étude de Damron et Forsyth (2010) qui met en avant les motifs des étudiants pour apprendre le coréen. Ces derniers fondent leur décision sur trois points : 1) l’importance de la langue, 2) les bénéfices pour la carrière future et 3) le patrimoine coréen. La langue coréenne apparait donc comme un héritage linguistique à sauvegarder. Enfin, pour Ambrosio (2011), il est nécessaire de différencier les apprenants nouvellement exposés et ceux qui reçoivent la langue comme héritage. Ces derniers ont un souci de maintien d’une langue sujette à attrition ou érosion ou bien d’enrichissement de la langue grâce à un emploi régulier. En d’autres termes, dans le premier cas, il s’agit de promouvoir la découverte d’une langue et d’une culture tandis que dans le second, la volonté est de combler un besoin de protection de l’identité. La motivation des apprenants d’une langue héritée serait différente de celle d’apprenants d’une langue étrangère parce que ces derniers ne possèdent pas de lien historique et personnel avec la langue à acquérir. Cette notion apparait particulièrement importante dans le cas du basque, qui est une langue minoritaire sur le territoire français.
10Au final, les différents aspects évoqués tout au long de cette section (l’intégrativité et l’instrumentalité de la langue, les attitudes, l’environnement, l’exposition à la langue et à la culture, le caractère patrimonial) fournissent le cadre conceptuel interprétatif de notre recherche.
11La méthodologie de notre recherche conjugue deux types d’étude : une étude quantitative réalisée par le biais d’un sondage et une étude qualitative reposant sur des entretiens semi-directifs. L’objectif premier de la phase quantitative est de connaitre les différentes motivations des adultes pour apprendre le basque, mais aussi les raisons qui poussent à l’abandon de la formation. S’agissant de la phase qualitative, le but est de déterminer les facteurs qui conditionnent le passage à l’acte, autrement dit l’inscription aux cours de basque. Cette question de recherche s’appuie non seulement sur la définition de Vallerand (1993), initialement évoquée, qui présente la motivation comme un ensemble de forces internes et externes déclenchant la prise de décision, mais aussi sur le constat établi par Danvers (1994) à propos du manque de connaissance des mécanismes motivationnels.
- 3 L’enquête par sondage a été financée par l’ACBA et l’OPLB cités précédemment.
- 4 Alfabetatze Euskalduntze Koordinazioa (Coordination pour l’alphabétisation et la basquisation des a (...)
12L’enquête quantitative a été menée par l’institut de sondage CODHA3 qui a utilisé un fichier d’appels fournis par l’organisme de formation associatif AEK4. Ce fichier contient les coordonnées des apprenants depuis 2008, constituant ainsi une base de 5 105 contacts. L’objectif était ensuite d’administrer 500 questionnaires. Des quotas ont été établis sur trois variables (sexe, âge et lieu d’habitation) afin d’obtenir un échantillon représentatif des apprenants.
13Notre travail de collaboration se situe en amont, dans la phase de construction du questionnaire utilisé par CODHA pour la réalisation des enquêtes téléphoniques. Le questionnaire comporte au total 68 questions, ordonnées en huit rubriques. Le nombre de questions tient compte de la contrainte temporelle imposée pour chaque appel (environ 13 minutes). La rubrique no 1 vise à recueillir les données personnelles avec diverses variables (âge, niveau d’études, profession, lieu d’habitation). Dans la rubrique no 2, la personne est interrogée sur ses compétences linguistiques en compréhension et en production écrite/orale avant la formation ; l’hypothèse étant que la possession de connaissances pré-requises pourrait faciliter l’apprentissage de la langue. L’autre point utile — en lien avec la notion de langue patrimoniale — est de savoir si le basque fait partie ou a fait partie de l’entourage familial de l’enquêté. Le but est de voir si les personnes découvrent la langue ou, au contraire, s’il s’agit d’une langue héritée qui aurait été éventuellement transmise durant l’enfance. Cette distinction permet de classer les individus en deux catégories conformément à la proposition d’Ambrosio (2011). Dans la rubrique no 3, on pose une question ouverte sur les raisons qui poussent à s’inscrire. La personne répond librement et l’enquêteur coche parmi les dix items d’une liste pré-codée. Cette liste se base sur les théories exposées précédemment et notamment les sept composants de Dörnyei (2005) énoncés plus haut. La même question est reposée en approche assistée : cette fois, on propose quelques réponses et la personne donne son appréciation (oui beaucoup, oui un peu, non pas du tout). Les rubriques nos 4, 5 et 6 concernent davantage l’organisme de formation aux cours de basque (l’association AEK) et l’opinion des apprenants vis-à-vis de la formation. Dans la rubrique no 7, on cherche à connaitre les raisons qui ont poussé la personne à abandonner la formation. Comme précédemment, on l’interroge de manière libre puis on lui propose une série de motifs possibles. Et enfin, on lui demande dans quelles conditions elle serait prête à reprendre les cours de basque. La dernière rubrique (no 8) a pour but de recueillir l’auto-évaluation de la personne sur son niveau actuel de basque et ses usages au quotidien. Pour conclure le questionnaire, on demande à la personne si elle serait d’accord pour participer à une étude plus poussée dans le cadre d’un travail de recherche.
14La méthode qualitative employée dans notre étude est basée sur des entretiens semi-directifs. Dans les lignes qui suivent, il sera question de notre démarche pour composer un échantillon représentatif des apprenants ainsi que de la présentation du matériel utilisé lors des entretiens.
- 5 Cette distribution respecte les résultats de l’étude quantitative qui montrent, sur la base de 370 (...)
15L’échantillon de l’étude qualitative est constitué de 35 personnes (20 femmes et 15 hommes)5 âgées de 27 à 74 ans. Ces personnes ont été choisies parmi les 370 personnes ayant accepté de participer à l’étude qualitative. Les critères de sélection tiennent compte de huit facteurs : la catégorie socio-professionnelle, le niveau d’études, le fait d’avoir des enfants ou pas, le lieu d’habitation, la durée de vie au Pays Basque, l’entourage bascophone ou pas, le niveau de maitrise de la langue basque avant la formation et enfin, les motivations de la personne pour apprendre le basque catégorisées comme suit : 1) comprendre et parler en basque avec l’entourage (familial, amical ou professionnel) ; 2) mieux appréhender la culture basque ; 3) retrouver ses racines dans le cas des personnes natives du Pays basque ; 4) apprendre à l’écrire ou à le lire ; 5) par intérêt pour les langues en général ; 6) parce qu’il s’agit d’une proposition de l’employeur et que la formation est prise en charge.
16À partir du questionnaire d’enquête réalisée en Alsace (Bothorel-Witz & Huck, 1995) et en Carélie (Viaut & Moskvitcheva, 2013), nous avons conçu un guide d’entretien permettant d’approfondir certaines questions posées lors de l’étude quantitative. Ce guide est divisé en quatre rubriques principales qui sont : 1) le parcours personnel de la personne et notamment ses liens (ou pas) avec le Pays basque et avec la langue basque ; 2) l’apprentissage d’autres langues et leur représentation ; 3) l’apprentissage du basque et en particulier les motivations, le vécu de la formation et l’opinion personnelle ; 4) les usages actuels du basque dans la vie quotidienne (pratique orale, écrite, lecture…). L’entretien se déroule en français et sa durée peut varier entre 1 heure et 1 heure 30 selon les enquêtés. Les données sont enregistrées pour les besoins de la transcription.
17La première étape a consisté à retranscrire intégralement les 35 enregistrements. Ensuite, nous avons procédé au découpage de chaque entretien en sous-parties en respectant, d’une part, des critères généraux comme les données biographiques, les motivations ou encore les causes d’abandon et, d’autre part, des critères plus spécifiques tournant autour des facteurs déclencheurs. Puis, nous avons réuni ces sous-parties sous le même ensemble de manière à former un corpus unique relatif au même thème (ex. : Corpus « Causes d’abandon de la formation ») et faciliter ainsi la comparaison des textes discursifs à propos d’un même sujet. Notre méthode d’analyse s’est fondée sur l’étude lexicale et syntaxique de chaque entretien, suivie de la mise en relation des idées et de l’interprétation des inférences (c’est-à-dire de ce qui n’est pas dit explicitement par l’enquêté).
- 6 L’enquête quantitative a fait l’objet d’un rapport de synthèse intitulé « Processus d’apprentissage (...)
18S’agissant du profil des répondants, on observe une majorité de femmes (58 %) par rapport aux hommes (42 %). La plupart des apprenants ont entre 30 et 59 ans (67 %) ; 13 % ont moins de 30 ans et 20 % ont plus de 60 ans. Pour rappel, les objectifs de ce sondage sont de connaitre les différentes motivations qui poussent les adultes à apprendre le basque mais aussi de cerner les causes d’abandon en cours de formation. À partir des données issues du rapport de synthèse CODHA (2014)6, on retiendra tout d’abord que la motivation principale qui pousse à s’inscrire à la formation est le besoin de s’exprimer en basque avec l’entourage (90 %), suivi d’un besoin d’insertion dans le territoire (82 %) ou la nécessité d’aider son enfant qui apprend le basque (77 %). La motivation à but instrumental est également un élément moteur puisque 48 % des personnes souhaitent exercer une activité professionnelle grâce au basque. Ce taux monte jusqu’à 69 % parmi les moins de 30 ans et jusqu’à 60 % chez les 30-39 ans. Pour ce qui des abandons en cours de formation, le taux représente 28 % des enquêtés, soit 138 apprenants. Ces abandons s’expliquent par un manque de temps pour 64 % des cas, un évènement personnel (39 %) ou des cours jugés trop intenses, trop soutenus (15 %). Enfin, l’étude quantitative a permis de fournir une base de données de 370 personnes (sur les 500 enquêtés) qui ont accepté de poursuivre leur participation à l’étude qualitative.
- 7 À la fin du xixe siècle, l’interdiction de parler la langue régionale à l’école — et plus largement (...)
19L’analyse du corpus discursif permet d’observer tout d’abord, la combinaison de plusieurs motivations qui incitent les enquêtés à apprendre le basque. Les enquêtés expriment au minimum deux motifs comme, par exemple, la volonté de renouer avec les racines basques qui, à un moment donné, ont été rompues7 et celle d’aider ou de pouvoir suivre l’enfant scolarisé dans une école basque (1) :
(1) Pour moi c’était vraiment ça, c’était cette frustration de pas l’avoir appris mais de pouvoir parler dans une langue, j’ai l’impression que c’est une partie de moi-même qu’on m’a pas transmis. C’est bizarre à expliquer et du coup, j’ai l’impression de ne pas avoir été livrée avec tout.
Mon fils, à partir du CP, il commençait à avoir des devoirs, des consignes en basque et les consignes ne sont qu’en basque dans les cahiers et ça m’a donné envie de m’y remettre, non seulement pour faire de la surveillance de devoirs mais aussi pour comprendre ce qu’il fait et puis interagir avec lui.
20Ou encore le caractère instrumental et intégratif de la langue (2) :
(2) Quand je suis arrivée, j’ai cherché du travail, j’en ai trouvé rapidement et ça m’a vite semblé une évidence d’apprendre le basque déjà pour mon travail qui est en lien avec la langue basque. Ça me paraissait indispensable de l’apprendre. C’est aussi par curiosité personnelle parce que, en fait, en arrivant ici, je me suis aperçue que beaucoup de gens parlaient basque, ce dont on n’avait pas tellement l’impression à l’extérieur.
21À l’autre extrémité, nous avons relevé au maximum cinq raisons d’apprendre le basque :
(3) J’ai voulu parler le basque parce que c’est une langue qui m’intriguait, parce que c’était la langue de mes parents, parce que je voulais pouvoir échanger avec des gens qui parlent basque, parce que je chante dans une chorale en basque, parce que je vis au pays basque.
L’exemple (3) démontre bien que la motivation est caractérisée par l’assemblage de divers éléments à la fois individuels et sociaux.
22Par ailleurs, en ce qui concerne l’identification des facteurs qui déclenchent l’inscription aux cours de basque — question principale de cet article —, on relève que le souhait d’apprendre le basque est présent depuis longtemps, comme le formulent certaines personnes :
(4) J’ai toujours voulu apprendre le basque.
(5) L’envie de connaitre ma culture c’est une chose que j’éprouvais de manière assez lointaine durant toute ma jeunesse, que je côtoyais, que je sentais, que j’effleurais mais où j’étais pas du tout active.
(6) L’envie était là, la frustration de pas pouvoir le parler avec plein d’amis qui le parlent, dans les milieux qu’on fréquentait.
(7) J’ai toujours voulu le parler couramment. C’est pas un truc comme ça, je me suis pas réveillé un matin, tiens je vais apprendre le basque.
23La question de savoir pourquoi la personne décide de passer à l’acte à ce moment précis prend alors tout son sens : si l’envie de maitriser le basque existait depuis longtemps, pourquoi ne s’est-elle pas inscrite aux cours plus tôt ? L’analyse approfondie des données révèle, de manière inédite, que la prise de décision serait due à la conjonction d’au moins trois facteurs qui sont : un évènement déclencheur, une personne-relai et le facteur temps. Nous observons ce schéma de façon systématique dans les 35 entretiens effectués. Pour illustrer notre propos, nous nous appuyons sur les entretiens effectués auprès de quatre individus (Michel, Anne, Marie et Jean). Les deux premiers ont des origines basques, et la langue basque fait partie de leur patrimoine familial tandis que les deux autres enquêtés n’ont aucun lien avec le Pays basque.
24Premièrement, on remarque, dans chaque discours, la présence d’un évènement significatif sur le plan personnel comme le décès d’un proche, la naissance d’un enfant, une rupture sentimentale, un changement professionnel et/ou de lieu de vie.
Michel (39 ans) : Mon père aujourd’hui est décédé donc il a été enterré ici. Du coup c’est au décès de mon père que je me suis dit voilà c’est trop dommage d’être passé pendant tant d’années à côté. Mes parents n’ont pas pu le faire. Si j’ai l’opportunité voilà. C’était vraiment au décès de mon père. J’ai eu ce déclic.
Anne (59 ans) : Quand je suis mère, peu à peu, je développe peut-être une conscience de mes origines basques. Et quand arrive mon enfant, moi-même je m’inscris à AEK. Je suis enceinte et je m’inscris à AEK.
Marie (32 ans) : À l’époque je me séparais avec mon copain, peut-être que ça a fait que j’avais besoin de me trouver une activité. Oui voilà c’est ça.
Jean (53 ans) : À un petit peu moins de 50 ans, on a essayé de changer complètement d’optique au niveau professionnel pour nous stabiliser et ne plus bouger et ça m’a décidé à me mettre au basque.
25Deuxièmement, on note, dans l’entourage de l’enquêté, une ou plusieurs personnes qui font le lien avec le monde basque. Il peut s’agir d’un parent, d’un ami, du conjoint ou d’un autre personne à laquelle l’enquêté est attachée affectivement.
- 8 École immersive en langue basque.
Michel : Nos enfants, on les a mis directement à l’ikastola8 parce que c’était quelque chose qu’on voulait aussi pour nos enfants.
Anne : Cet été-là, j’assiste à ma première partie de pelote et je suis assise à côté d’un joueur de renom qui m’explique les règles. Lui-même est basque, militant. Cette rencontre a eu lieu en aout et je m’inscrivais en septembre à l’AEK.
Marie : J’avais une copine à ce moment-là. C’était la période où on sortait beaucoup avec ma copine. Elle aussi, elle était motivée, « Tiens si on apprenait ? » Et c’était plus simple de s’inscrire les deux, toutes les deux c’était plus motivant.
Jean : Je connaissais un prof de l’ikastola qui est devenu un ami et c’est lui qui m’avait dit, ben vois avec l’AEK.
26Enfin, le dernier paramètre important dans ce système est le facteur temps : la personne doit disposer de temps nécessaire pour suivre les cours. Cette disponibilité temporelle se traduit soit par la possibilité de s’organiser dans son planning personnel, soit par une période de congés (congés maternité ou vacances), soit au moment de la retraite.
Michel : On s’organisait. Avec deux enfants autonomes ça allait.
Anne : C’est la première fois que je suis enceinte avec un congé de maternité et que donc, j’ai des congés.
Marie : Les cours c’était le soir, deux fois par semaine. C’était jouable.
Jean : Je me sentais plus disponible à ce moment-là. J’ai attendu d’être libre intellectuellement.
27Soulignons encore une fois que ce système ternaire — évènement déclencheur / personne(s)-relai(s) / temps — apparait dans les récits des 35 enquêtés et qu’il semblerait donc que le concours de ces trois facteurs soit nécessaire pour déclencher la décision de s’inscrire aux cours de basque.
28Les résultats issus de l’étude quantitative vont dans le sens de l’hypothèse selon laquelle la motivation à orientation intégrative serait plus importante que celle à orientation instrumentale, même si celle-ci demeure non négligeable. De manière générale, ces données pointent le besoin communicationnel avec la communauté bascophone, une conclusion également corroborée par les données qualitatives. Cela étant, l’étude qualitative permet d’aller plus loin dans l’analyse dans le sens où la nature de la motivation ne se limite pas à une classification du type intégrative/instrumentale selon la théorie de Gardner et Lambert (1959, 1972) ou intrinsèque/extrinsèque (Deci & Ryan, 1985). En effet, la motivation constitue un ensemble composite qui repose sur plusieurs piliers. L’exemple (1), cité plus haut, montre cette pluralité des éléments constitutifs de la motivation. On y retrouve le motif culturel « Parce que je chante dans une chorale en basque », le motif patrimonial « Parce que c’est la langue de mes parents » — ce qui vient conforter l’hypothèse de Reynolds, Howard et Deák (2009) concernant l’importance du patrimoine dans la motivation —, le motif intégratif à la fois dans le territoire basque « Parce que je vis au Pays basque » et dans la communauté bascophone « Parce que je veux échanger avec des gens qui parlent basque », et enfin, la curiosité par rapport à une langue qui « intrigue ».
29En résumé, les raisons d’apprendre le basque peuvent être multiples et variées mais cela ne semble pas suffire pour expliquer la démarche de s’inscrire aux cours de basque. Un des points essentiels de cette étude qualitative est la mise en évidence des trois conditions préalables (évènement déclencheur / personne(s)-relai(s) / temps) qui induiraient l’inscription à la formation en basque ; la question étant maintenant de savoir quel est le poids relatif de chaque composant dans ce système. Un premier élément de réponse nous vient des discours des personnes ayant arrêté la formation. Les personnes interrogées expliquent l’abandon de la formation par un manque de temps dû à une vie professionnelle ou familiale bien remplie, qui laisse peu d’amplitude pour suivre les cours de basque :
(8) Je voulais continuer le basque et la rentrée scolaire a été très très dense en septembre. Je n’ai pas eu le courage, je me suis dit que je n’aurais jamais le temps.
(9) J’ai arrêté cette année parce que j’ai développé une nouvelle activité professionnelle et j’ai moins de temps.
(10) Je m’étais réinscrit en 1re année et j’ai eu une grosse période de boulot. J’étais très souvent à Paris à ce moment-là. Donc je n’ai pas pu continuer.
30Ainsi, le facteur temps tel que nous l’avons décrit plus haut, semble indispensable pour que le système ternaire fonctionne. Néanmoins, si l’on se réfère aux travaux en neuropsychologie qui démontrent le rôle des émotions dans les mécanismes décisionnels (Damasio, 1995), on peut supposer que l’état émotionnel généré par l’évènement déclencheur représente un paramètre essentiel dans l’activation du processus d’apprentissage du basque. On peut se demander également si cette charge émotionnelle est constante tout au long du processus d’apprentissage ou si elle s’amoindrit au fil du temps. La compréhension des mécanismes de régulation émotionnelle est probablement à prendre en compte ici.
31Dans cet article, nous avons rendu compte des résultats d’une recherche menée sur l’initiative personnelle des adultes francophones pour apprendre la langue basque. Outre l’apport de données statistiques, notamment dans la variété des motifs incitant les adultes à apprendre le basque, l’étude par sondage a également permis d’entrer en contact avec des personnes intéressées pour participer à des entretiens semi-directifs. L’analyse de ceux-ci a conduit à mettre en évidence certaines informations absentes de l’approche quantitative. Concrètement, s’agissant des conditions préalables à l’inscription aux cours de basque, l’analyse des entretiens semi-directifs a révélé la conjonction de trois facteurs (un évènement déclencheur, une ou plusieurs personne(s)-relai(s) et le sentiment de pouvoir disposer de temps pour suivre les cours) qui semblent nécessaires pour s’inscrire à la formation en langue basque.