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Outil d’analyse des actions et interactions didactiques d’enseignement de l’écriture au CP

A Tool to Analyze Didactical Actions and Micro Actions of Teaching to Spell Practices during the 1st Year of Primary School
Florence Mauroux, Claudine Garcia-Debanc and Karine Duvignau

Abstracts

The purpose of our study is to describe and to analyze the practices of teaching to spell and their effects on young students learning to understand them better. To this aim, we developed a grid to analyze the didactical actions and micro-actions implemented by teachers during sessions of teaching to spell. We applied it to the recordings of three sessions at three moments of the school year (beginning, middle and end of the year) in the classroom of two teachers of CP (first year of primary school in France), sessions that they consider as representative of their customary practices. Our contribution details the elaboration of this tool of analysis and specifies more particularly the determinants and level of granularity chosen to analyze the teaching discourse, in order to report the complexity, the variability or, on the contrary, the regularity of the teacher’s actions and interactions with the students to build the expected knowledges. The comparative analysis highlights the important variability of the practices of teaching to spell implemented in the first year of the learning of written language. The developed tool of analysis allows a better understanding of the observed practices of the teachers and the update of professional schemas that could possibly guide the initial and continuous training of teaching to spell in the first years of primary school.

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1. Introduction

1Notre société moderne accorde une place importante à l’écrit et sa maitrise conditionne l’insertion sociale d’un individu. Pour y parvenir, le rôle de l’école apparait déterminant. Dans ce cadre, notre étude s’intéresse à la mise en œuvre d’activités d’enseignement de l’écriture dans les premières années d’apprentissage de l’écrit à l’école élémentaire. Nous étudions plus particulièrement les actions de l’enseignant et ses interactions avec les élèves pour leur permettre de développer des compétences scripturales en première primaire (Cours préparatoire, désormais CP). Notre but est de décrire et d’analyser les pratiques d’enseignement de l’écriture et leurs effets sur les apprentissages des élèves en vue de mieux les comprendre.

2Parmi les différentes méthodologies disponibles pour étudier les pratiques d’enseignement, l’observation en classe constitue une voie privilégiée pour rendre compte de la complexité des situations d’enseignement (Bru, 2014). Ce choix amène à questionner la méthodologie à mettre en œuvre pour parvenir à cette analyse :

  • Quels outils méthodologiques permettent de déterminer les indicateurs de la pratique enseignante pour décrire et comprendre l’enseignement de l’écriture au CP ?

  • Comment définir le niveau de granularité de l’analyse et en conséquence le choix des unités d’analyse du discours de l’enseignant ?

3Pour répondre à cet ensemble de questions, nous analysons, dans un premier temps, les choix méthodologiques faits par des chercheurs français qui ont observé les pratiques d’enseignement au CP, en nous limitant plus particulièrement à quelques études centrées sur l’enseignement de la lecture/écriture. Ces outils méthodologiques ne peuvent cependant être transférés en l’état à l’observation de l’enseignement de l’écriture puisqu’élaborés pour répondre à des objectifs de recherche différents des nôtres. Aussi, en nous appuyant sur des outils existants (Goigoux, 2002 ; Bucheton & Soulé, 2009), nous avons construit une grille d’analyse des actions et micro-actions didactiques d’enseignement de l’écriture observées au CP dont nous détaillons l’élaboration dans un second temps.

4La méthodologie ainsi constituée fait l’objet d’une première mise à l’épreuve. Elle est utilisée pour analyser six séances d’enseignement de l’écriture mises en œuvre par deux enseignantes de CP, filmées en début, milieu et fin d’année scolaire, et entièrement retranscrites. Les principaux résultats de notre analyse sont présentés dans un troisième temps.

2. Les outils d’analyse des pratiques d’enseignement de l’écrit au CP

5Nous présentons successivement les outils méthodologiques d’étude des pratiques observées d’enseignement au CP de la lecture puis de l’écriture, sur lesquels s’appuie l’élaboration de notre propre grille d’analyse.

2.1. L’observation des pratiques d’enseignement de la lecture au CP

6Des travaux ont étudié la variabilité des pratique d’enseignement de la lecture au CP (Bru, 1991) en observant les enseignants de 200 classes de CP, dont la moitié enseignaient dans des classes à l’effectif réduit à une dizaine d’élèves puis, plus particulièrement, deux classes de CP observées en décembre, mars et juin de l’année scolaire (Clanet, 2005). La grille d’observation et gestion pédagogique (OGP : Altet, Bressoux, Bru & Lambert, 1994) a été adaptée pour analyser les interactions enseignant-élèves et la gestion pédagogique de ces séances. L’outil comprend un nombre très important de variables d’observation, centrées à la fois sur l’activité de l’enseignant et sur celle des élèves. Il permet d’étudier l’organisation pédagogique générale (organisation temporelle des activités, modalités de groupement des élèves, climat de classe), la gestion des situations et des relations en classe et enfin les interactions verbales.

7Toutefois, si l’outil renseigne précisément sur les pratiques pédagogiques observées dans les classes, il ne permet pas une analyse didactique précise des savoirs enseignés et n’évalue pas la dynamique de construction du savoir visé.

8Dans une approche plus ergonomique, une étude menée par Goigoux (2002) a pour but de décrire très finement la pratique d’enseignement de la lecture au CP. À cette fin, huit séances de découverte collective d’un texte de lecture, menées par une enseignante expérimentée, ont été filmées au cours de l’année de CP, dans une même classe.

9La grille d’analyse qui sert à coder les actions de l’enseignante observée se compose de déterminants pédagogiques, c’est-à-dire adaptables à toutes les situations de classe, et de déterminants didactiques, relatifs à l’objet enseigné, ici la lecture. Les éléments repérés sont recoupés avec ce qu’en dit l’enseignante en situation d’auto-confrontation.

10De cette double analyse découle un inventaire des actions de l’enseignante en situation d’enseignement de la lecture qui permet de caractériser et de dégager des schèmes professionnels (Vergnaud, 1987) d’enseignement de la lecture au CP.

11Plus récemment, l’étude Lire-Écrire au CP (2012-2016), menée par l’Institut français d’éducation (Goigoux, Jarlégan & Piquée, 2015), analyse les pratiques effectives d’enseignement de la lecture et de l’écriture au CP. Pour cela, 131 classes ont été observées durant une semaine en novembre, mars et mai de l’année de CP. La grille méthodologique élaborée pour analyser les séances filmées s’articule autour de variables pédagogiques et didactiques (Goigoux, 2014). Elle permet de mener l’étude quantitative du budget-temps (Goigoux, Jarlégan & Piquée, 2015) alloué à chaque enseignement du lire-écrire et de mieux comprendre la répartition des temps d’enseignement consacrés aux différentes dimensions de la lecture au CP.

12Dans l’attente des outils méthodologiques d’analyse qualitative des séances enregistrées dans le cadre de la recherche Lire-Écrire au CP, seul l’outil élaboré par Goigoux (2002) semble offrir un modèle d’analyse détaillée des actions didactiques d’enseignement de la lecture au CP proche de celui que nous souhaitons élaborer pour l’enseignement de l’écriture.

2.2. L’observation des pratiques d’enseignement de l’écriture au CP

13La plupart des recherches portant sur l’écriture autonome au CP s’intéressent aux élèves et à leurs processus d’acquisition. Nous avons cependant trouvé quelques travaux décrivant des pratiques d’enseignement de l’écriture autonome.

14Bucheton et Soulé (2009) analysent les interactions enseignant-élèves observées durant des ateliers d’écriture, filmés en octobre et décembre, dans deux classes de CP, et les croisent avec l’étude des commentaires produits par les enseignants en auto-confrontation.

15Les auteurs procèdent à une analyse du discours des séances transcrites. Ils pointent l’enchâssement des préoccupations de l’enseignant et la difficulté, pour le chercheur, de repérer et d’isoler, dans le discours enseignant, les traces de son action. Nous retenons de cet outil le découpage qu’il propose, en unités allant d’un à quelques mots, et qui semble pouvoir rendre compte assez fidèlement de ces préoccupations enchâssées.

16Bucheton et Soulé (2009) identifient ainsi cinq gestes professionnels des situations d’enseignement, dont le geste de « pilotage » qui correspond à la gestion générale de la séance. Les indicateurs de l’analyse de l’activité enseignante restent cependant très généraux et ne semblent pas suffire à caractériser finement l’action didactique de l’enseignant pour développer les compétences de scripteurs des élèves.

17De son côté, la recherche Lire-Écrire au CP établit une typologie des tâches d’écriture qui permet une analyse quantitative des temps d’enseignement effectif de l’écriture dans les 131 classes de CP observées. Les résultats de la recherche concernant l’écriture font état du temps très restreint consacré aux activités d’écriture autonome au CP (Pasa et coll., 2015). Il s’agit des activités au cours desquelles l’élève est amené à produire seul un écrit en gérant les différents niveaux d’élaboration du texte, incluant la mise en texte (anticipation, planification de l’énoncé à écrire, révision…) et la mise en mots, dont l’encodage et le traitement orthographique des mots font partie, et qui constitue notre objet d’étude. Comme pour la lecture, les outils d’analyse qualitative des interactions didactiques ne sont pas encore connus.

18Ce rapide exposé des outils méthodologiques élaborés dans le cadre de recherches d’observation des pratiques effectives d’enseignement du lire-écrire au CP alimente les choix méthodologiques que nous avons opérés pour constituer la grille d’analyse dont nous détaillons à présent l’élaboration.

3. Élaboration et ajustements d’un outil d’analyse des pratiques d’enseignement de l’écriture au CP

19Notre analyse se met en œuvre du niveau macroscopique (synopsis de l’ensemble de la séance) au niveau microscopique (analyse des actions de l’enseignant et des interactions). C’est cette dimension que nous détaillons plus particulièrement dans cette contribution.

20Comme le suggèrent plusieurs chercheurs (Goigoux, 2002 ; Tiberghien, 2012), nous avons mené une analyse à priori de la tâche d’écriture d’une phrase afin de dégager les caractéristiques didactiques de cette tâche, faisant apparaitre à la fois les contenus de savoir à enseigner et les activités cognitives sollicitées chez les élèves. Elle nous a conduites à construire un inventaire d’actions et de micro-actions susceptibles d’être mises en œuvre par l’enseignant pour permettre l’acquisition des compétences visées.

21Nous obtenons ainsi des catégories principales, organisées en déterminants pédagogiques et en déterminants didactiques (Goigoux, 2002) et leurs sous-catégories qui se rapportent à l’objet d’apprentissage, l’écriture, et portent sur les contenus qui lui sont spécifiques.

3.1. Les catégories d’analyse

22Les catégories reposant sur des déterminants pédagogiques regroupent les actions visant :

  • A – La construction du sens des apprentissages ;

  • B – La gestion du groupe ;

  • C – La prise en compte de l’individu dans le groupe et la différenciation ;

  • D – L’organisation et la gestion de la tâche.

23Les catégories suivantes rendent compte des aspects didactiques et linguistiques de la tâche d’écriture :

  • G – Le niveau de traitement linguistique retenu pour l’encodage ;

  • H – La révision de la production ;

  • J – La mise en jeu de régularités.

24Dans le but d’observer la gestion de l’entretien mené par l’enseignant pour recueillir les justifications des élèves sur leur trace écrite, nous avons inséré des catégories relevant de :

  • I – La gestion du débat ;

  • K – La mobilisation de stratégies et d’outils ;

  • L – La verbalisation de la procédure.

25Le détail des catégories principales en sous-catégories permet une approche qualitative des pratiques observées afin de mieux comprendre comment les différentes dimensions de la séance d’écriture sont gérées par l’enseignant. Nous en voyons un exemple avec la catégorie G « Niveau de traitement linguistique retenu pour l’écriture » composée de 4 sous-catégories, elles-mêmes détaillées en catégories de rang inférieur (non présentées ici) :

  • G1 – Marques idéographiques (blancs graphiques entre les mots, majuscules et points) ;

  • G2 – Encodage des mots ;

  • G3 – Écriture des mots connus ;

  • G4 – Notation des marques morphosyntaxiques.

3.2. Ajustements successifs des catégories élaborées

26Deux premières séances ont été analysées sur la base de cette typologie. Deux difficultés sont alors apparues. D’une part, nous avons constaté que des actions de l’une des enseignantes, trop nombreuses pour être considérées comme marginales, ne relevaient pas des déterminants didactiques retenus. Il s’agissait bien d’actions s’inscrivant dans la didactique de l’écriture, mais elles ne portaient pas directement sur l’enseignement de l’encodage et du traitement orthographique des mots sur lesquels nous nous centrons ici. On notait ainsi des actions visant l’élaboration de l’énoncé à écrire ou bien la lecture de phrases ou mots, lus soit pour être révisés, soit en prélude à la nouvelle phase d’écriture. Deux catégories et leurs sous-catégories ont ainsi été ajoutées afin de mesurer l’importance que ce type d’actions pouvait prendre au cours de chaque séance :

  • E – Élaboration de l’énoncé à écrire ;

  • F – Lecture-décodage.

27La grille ainsi revue a été mise à l’épreuve par une nouvelle analyse des deux premières séances puis des deux séances suivantes. L’ajout des déterminants didactiques liés à l’élaboration de l’énoncé à écrire et à la lecture-décodage s’est avéré judicieux.

28Toutefois, nous avons constaté un recoupement de certaines catégories qui nous a amenées à remanier la typologie. Ainsi, tout ce qui relevait d’une référence à la norme a été regroupé dans la catégorie « Mise en jeu de régularités » (J). De la même façon, il nous a semblé nécessaire de clarifier les conditions d’attribution d’un code pour certaines actions. Ainsi, la catégorie « Révision » (H) a été retenue uniquement dans les temps d’échanges individuels entre l’enseignant et un élève au moment du retour sur sa production, tandis que les propositions de révision faites en collectif se sont insérées dans la catégorie « Gestion du débat » (I).

29Nous obtenons finalement 8 actions principales relevant des déterminants didactiques, distinguant les actions didactiques « hors orthographe », c’est-à-dire visant l’élaboration et/ou la lecture des énoncés à produire, des actions didactiques « orthographe », directement liées à l’encodage et au traitement orthographique des mots. Ces actions se spécifient en sous-catégories, dont nous ne rendrons pas compte dans le cadre de cet article (pour la version complète de la grille, voir Mauroux, 2016).

3.3. Grain d’analyse retenu pour l’analyse des actions et micro-actions dans le discours de l’enseignant

30Alors que nous avions pensé catégoriser chaque tour de parole en lui faisant correspondre une ou deux actions, nous avons rapidement compris que plusieurs actions pouvaient coexister au sein d’un même énoncé. Afin de nous montrer le plus analytique possible, nous avons opté pour un découpage en unités pouvant aller de plusieurs énoncés à un seul mot, correspondant à une micro-action, suivant la proposition de découpage proposée par Bucheton et Soulé (2009). Examinons un exemple :

Extrait de la séance 2 (milieu CP) dans le premier groupe :

S2- 293Ens. : ça fait quoi quand il y a les 2 S ? - - Jeanne ? les 2 S E ils font quoi ?

L’enseignant questionne l’élève et induit une démarche réflexive, ce qui pourrait inciter à choisir le code correspondant, soit L (Verbalisation d’une procédure). On peut également considérer que sa question porte sur une norme, induisant ainsi le code J (Mise en jeu de régularités). Enfin, la question visant l’écriture d’un graphème, on peut également proposer le code G (Encodage des mots).

31Afin de résoudre ce problème, nous avons choisi, pour ce type d’énoncé très complexe, un codage multiple. L’exemple sera donc codé « L J G » qui signifie « questionne/sur la norme/des graphèmes ». Cela implique une démultiplication du nombre de micro-actions qui seront comptabilisées. Toutefois, nous espérons de cette façon perdre un minimum d’information sur la nature des pratiques mises en œuvre. Nous limitons d’ailleurs ce codage multiple aux seules catégories relevant du traitement linguistique (G). Ainsi, les catégories « Révision » (H), « Gestion du débat » (I), « Mise en jeu de régularités » (J), « Mobilisation de stratégies/outils » (K) et « Verbalisation de la procédure » (L) sont presque systématiquement associées à un niveau de traitement linguistique.

32Les six séances ont été entièrement reprises à la lumière de cette dernière typologie.

3.4. Synthèse sur la grille d’analyse d’observation de séances d’enseignement de l’écriture

33Les ajustements successifs nécessaires à l’élaboration de cet outil d’analyse des pratiques effectives d’enseignement de l’écriture illustrent la difficulté à considérer indépendamment ce qui relève du pédagogique et du didactique, la situation d’apprentissage liant intrinsèquement la gestion du groupe et de la tâche aux contenus visés. Conscientes de cette interdépendance, et pour échapper à la dichotomie pédagogique vs didactique, nous empruntons à Bucheton et Soulé (2009) le terme de « pilotage » de la séance pour désigner les actions destinées à l’organisation et à la gestion de la séance, de la tâche et du groupe. Dans le même souci, nous optons pour un codage alphabétique des catégories d’actions retenues, dont le tableau suivant (tableau 1) présente une synthèse.

Tableau 1. – Synthèse des catégories principales d’actions pour l’analyse de séances d’enseignement de l’écriture (Mauroux, 2016).

Actions « pilotage »

A – Construction du sens des apprentissages

B – Gestion du groupe

C – Prise en compte de l’individu dans le groupe et différenciation

D – Organisation et gestion de la tâche

Actions « hors orthographe »

E – Élaboration de l’énoncé à écrire

F – Lecture-décodage

Actions « orthographe »

G – Niveau de traitement linguistique retenu pour l’écriture

H – Révision

I – Gestion du débat

J – Mise en jeu de régularités

K – Mobilisation de stratégies ou utilisation d’outils

L –Verbalisation de la démarche et justification

4. Mise à l’épreuve de la méthodologie élaborée : contexte de l’étude et participants

34Deux classes de 23 élèves, issues de deux groupes scolaires du même quartier de la ville de Carcassonne (Aude, France), ont été suivies du milieu de la grande section (dernière année de maternelle, désormais GS) à la fin du CE1 (deuxième primaire). Ces écoles accueillent un public qui rencontre des difficultés sociales importantes. Durant l’année de CP, 6 séances d’enseignement de l’écriture, d’une heure environ, ont été enregistrées dans chaque classe. Elles se sont déroulées en début, milieu et fin d’année.

35Les deux enseignantes observées sont expérimentées dans ce niveau de classe : l’enseignante A a 10 ans d’ancienneté dont 5 ans en CP ; l’enseignante B a 12 ans d’ancienneté dont 4 en CP. Toutes deux utilisent le même matériel pédagogique de lecture (Chut… Je lis !, Vinot, David, De Oliveira & Thébault, 2009) et mènent une à deux séances d’écriture chaque semaine avec leurs élèves.

36Afin de rester dans le cadre d’une étude écologique, nous n’avons pas proposé d’ingénierie didactique aux enseignantes, qui étaient libres du choix des tâches et du déroulement des séances qu’elles considèrent comme représentatives de leurs pratiques habituelles d’enseignement de l’écriture. Dans la classe A, les séances d’écriture observées s’appuient sur un énoncé élaboré collectivement à partir d’une image (séance 1), de l’album lu en classe (séance 2) ou d’une situation vécue en classe (séance 3). Dans la classe B, l’enseignante B propose une tâche différente pour chaque séance : une dictée à l’adulte (séance 1), un légendage d’images (séance 2) et une révision de phrases (séance 3).

37En parallèle, afin d’évaluer le développement des compétences scripturales des élèves des deux groupes, ils ont été régulièrement soumis à trois tâches de dictée (phonèmes, syllabes, pseudo-mots) et une tâche de production autonome de phrases pour légender une image. Les évaluations se sont déroulées en mars de GS, puis en septembre, janvier et juin de l’année de CP et de l’année de CE1, soit 7 temps d’évaluation.

38Les résultats obtenus par les élèves des deux groupes tout au long de l’étude montrent un développement des compétences scripturales plus rapide et précoce pour les élèves de la classe A. Cela nous incite à mieux comprendre ce qui, dans la pratique d’enseignement de l’écriture mise en œuvre par ces deux enseignantes, est de nature à expliquer ces résultats. Dans ce but, notre outil méthodologique a été mis à l’épreuve pour analyser les 6 séances filmées.

5. Résultats

39Au-delà des différences relatives aux tâches d’écriture proposées dans chaque classe, notre analyse met à jour des pratiques contrastées d’enseignement de l’écriture mises en œuvre par les deux enseignantes observées.

5.1. Répartition des actions et micro-actions des enseignantes au cours des 3 séances observées dans chaque classe

40Des différences importantes apparaissent dans la répartition des actions « pilotage » de la séance, des actions « hors orthographe » (HO) et « orthographe » (O). Le graphique suivant (fig. 1) en propose une synthèse pour les 3 séances observées dans chaque classe.

Figure 1. – Répartition en pourcentage des actions des deux enseignantes de CP au cours des 3 séances observées dans chaque groupe pour les catégories d’actions principales « pilotage », « hors orthographe » et « orthographe ».

Figure 1. – Répartition en pourcentage des actions des deux enseignantes de CP au cours des 3 séances observées dans chaque groupe pour les catégories d’actions principales « pilotage », « hors orthographe » et « orthographe ».

41Le nombre d’actions de l’enseignante B consacrées au « pilotage » de la séance (environ 34 % des actions totales) est plus important que chez l’enseignante A (environ 14 %). Le fait que l’enseignante A propose un format de séance routinisé semble favoriser la centration sur les problèmes linguistiques à résoudre, dans un schéma où les élèves connaissent les objectifs d’apprentissage et les attentes de l’enseignante. De son côté, l’enseignante B propose des activités et des dispositifs dans lesquels les objectifs d’apprentissage ne sont pas toujours clairement explicités, ce qui ne facilite pas l’investissement des élèves et contribue à une gestion plus couteuse du groupe-classe.

42On remarque également une répartition contrastée des actions et micro-actions « Orthographe » et « Hors orthographe ». Ainsi, l’enseignante A centre ses séances d’écriture sur la résolution de problèmes linguistiques liés à l’encodage et au traitement orthographique des mots (84 % d’actions O). Elle réduit au minimum les interventions qui ne relèvent pas directement de l’activité d’écriture (moins de 2 % d’actions HO), pratique sans doute facilitée par le format récurrent des séances d’écriture.

43Le nombre d’actions de l’enseignante B dédiées à la gestion des tâches « hors orthographe » (environ 17 %) illustre l’importance accordée par cette enseignante aux activités d’élaboration de l’énoncé à écrire et au décodage dans l’enseignement-apprentissage du code écrit. Elle aborde indistinctement les différents processus rédactionnels, l’encodage et le traitement orthographique des mots étant étudiés de façon moins importante que dans la classe A (environ 49 % d’actions O).

44Ces actions et micro-actions didactiques illustrent les focalisations différentes des deux enseignantes dans la conduite d’une activité de production autonome de phrases.

45Pour en attester, nous détaillons plus précisément la répartition des différentes actions « Orthographe » qui renseigne sur les modes de gestion de l’enseignement des connaissances linguistiques et des processus d’écriture mis en œuvre par les deux enseignantes observées.

5.2. Répartition des actions « orthographe » relatives à l’encodage et au traitement orthographique des mots dans les deux classes de CP

46Au sein des actions « Orthographe », nous avons comptabilisé les micro-actions que chacune des enseignantes mettait en place pour construire ou consolider les différentes procédures d’écriture chez leurs élèves. En effet, pour écrire un mot, l’élève peut mobiliser, en général, trois procédures (David & Dappe, 2013) :

  • logographique (écrire le mot suivant un modèle présent ou disponible en mémoire) ;

  • phonographique (transcrire les sons de la parole à l’aide de lettres) ;

  • morphographique (écrire les marques dérivationnelles et/ou flexionnelles).

47À cela s’ajoute la procédure idéographique qui consiste à noter les blancs graphiques entre les mots, les majuscules et la ponctuation, nécessaires dans l’écriture d’une ou plusieurs phrases.

48S’agissant de la première année d’apprentissage systématique du principe alphabétique, priorité fixée au niveau CP, nous faisions l’hypothèse que le discours didactique des enseignantes inciterait à mobiliser principalement la procédure phonographique.

49Pourtant, nous avons déjà constaté une différence importante dans la place occupée par les actions « Orthographe » dans la totalité des actions mises en œuvre par chaque enseignante (enseignante A : 84 % ; enseignante B : 49 %). Notre analyse comparative met à jour la variété des procédures d’écriture sollicitées et/ou induites par leur discours didactique. La figure suivante (fig. 2) en présente une synthèse.

Figure 2. – Répartition en pourcentage des actions et micro-actions des deux enseignantes pour les actions « Orthographe » (durant les 3 séances observées).

Figure 2. – Répartition en pourcentage des actions et micro-actions des deux enseignantes pour les actions « Orthographe » (durant les 3 séances observées).

50La différence concernant la part relative des procédures d’écriture mises en jeu par chacune des enseignantes est marquée. Sur l’ensemble des séances, l’enseignante A agit principalement au plan phonographique (environ 54 % des micro-actions O). Elle mobilise également la dimension idéographique (environ 18 %) et le traitement morphographique (environ 17 %). Elle a également parfois recours à la dimension logographique du langage écrit (environ 10 %).

51De son côté, l’enseignante B mobilise les trois procédures dans des proportions presque identiques : procédures idéographiques (environ 31 % des micro-actions « Orthographe »), phonographiques (environ 33 %) et morphographiques (environ 30 %). La dimension logographique est abordée de façon plus marginale (environ 6 %). Cela tend à confirmer la gestion simultanée des différents niveaux d’élaboration de l’énoncé à écrire.

52L’étude longitudinale des 3 séances permet d’affiner cette analyse synthétique. Ainsi, la variabilité intra-individuelle des procédures privilégiées par les enseignantes tout au long de l’année scolaire permet d’inférer la progression adoptée pour aborder les notions linguistiques mobilisées et adapter leurs attentes au fil de l’année. La figure 3 rend compte de cette répartition.

Figure 3. – Nombre des micro-actions « Orthographe » relayant la procédure phonographique et morphographique pour chaque enseignante au cours des trois séances filmées.

Figure 3. – Nombre des micro-actions « Orthographe » relayant la procédure phonographique et morphographique pour chaque enseignante au cours des trois séances filmées.

53L’enseignante A a recours à un nombre important de micro-actions induisant la procédure phonographique. Cela montre une centration sur l’émergence du principe alphabétique et la compréhension de son fonctionnement. Sans être délaissée, la procédure phonographique laisse plus de place à l’aspect syntaxico-sémantique et au traitement orthographique de l’énoncé à écrire en milieu et surtout en fin d’année, où les séances d’écriture semblent accorder une place plus importante à la gestion des marques morphographiques.

54L’évolution se caractérise différemment chez l’enseignante B. Au fil de l’année, très peu de place est accordée à la procédure phonographique, qui est prise en charge par l’enseignante B au cours de la séance 1 (dictée à l’adulte) et semble être considérée comme acquise par les élèves en milieu et surtout fin d’année de CP. En effet, le discours didactique de l’enseignante B relaie peu de recours à cette procédure. En proportion, une place importante est accordée à la procédure morphographique dans les séances de début et de fin d’année. Enfin, la séance 2 révèle une focalisation sur l’élaboration de l’énoncé à écrire et, en conséquence, une part importante d’actions « Hors Orthographe ». Ainsi, la répartition des actions de l’enseignante B et le recours assez restreint à la procédure phonographique durant les séances d’écriture observées parait invalider notre hypothèse première d’une mobilisation privilégiée de cette procédure au tout début de l’apprentissage systématique du lire-écrire.

6. Discussion

55La grille d’analyse élaborée a permis de mener une étude comparative qui donne à voir des pratiques d’enseignement de l’écriture contrastées. Elle laisse apparaitre des représentations différentes de l’enseignement de l’écriture qui influent sur les choix didactiques opérés par les deux enseignantes, tant au plan des objectifs d’apprentissage que des dispositifs didactiques mis en œuvre pour les atteindre. Notre analyse met à jour une influence mutuelle des choix didactiques et de la gestion pédagogique des séances d’écriture. Ainsi, le format routinisé des séances d’écriture menées dans la classe A favorise une implication rapide des élèves dans une tâche dont ils connaissent la finalité d’apprentissage et maitrisent le déroulement. Le changement de format et de tâches dans les trois séances d’écriture observées dans la classe B ainsi que le manque d’explicitation des objectifs d’apprentissage amènent l’enseignante B à agir fréquemment pour gérer le groupe d’élèves et les enrôler dans l’activité proposée.

56L’analyse a montré que le discours didactique des deux enseignantes faisait référence à des procédures d’écriture variées. Elle permet cependant de poser des différences importantes dans la façon dont elles font vivre les savoirs et savoir-faire linguistiques pour développer les compétences visées chez leurs élèves.

57Ces éléments nous semblent de nature à expliquer les différences constatées dans le développement des compétences scripturales des élèves, notamment comment les élèves du groupe A parviennent plus tôt et plus fréquemment à procéder à un encodage phonographique et à écrire les marques morphographiques mobilisées dans les énoncés produits (Mauroux, 2016). Dans la mesure où un apprentissage systématique de la lecture-écriture est mis en œuvre depuis le début du CP et où les élèves participent régulièrement à des séances d’écriture dans les deux classes, il semble que certaines des différences de performance constatées soient imputables aux pratiques différentielles d’enseignement de l’écriture auxquelles ils sont soumis.

58Concernant l’enseignante A, notre analyse met à jour une récurrence d’actions que nous pouvons regrouper en 4 actions principales favorisant le développement des compétences de scripteurs des élèves :

  • Action 1 : Faciliter la segmentation de la phrase en mots et l’écriture des marques idéographiques ;

  • Action 2 : Faciliter l’encodage des mots et l’accès à la dimension phonographique de l’écriture ;

  • Action 3 : Faciliter l’identification et l’écriture des marques morphographiques ;

  • Action 4 : Faciliter l’explicitation du fonctionnement du plurisystème orthographique et des procédures d’écriture.

59Notre grille d’analyse permet ainsi de repérer des invariants opératoires de l’enseignante A.

60La pratique de l’enseignante B semble se caractériser par la variété des tâches et des modalités de travail proposées et par la gestion simultanée des différents niveaux d’élaboration du texte, abordant de façon indifférenciée les procédures pour y parvenir. L’observation des 3 séances d’enseignement de l’écriture ne nous a pas permis de repérer des invariants opératoires et on peut supposer qu’ils sont fonction du choix de la tâche et du matériau linguistique à écrire.

7. Conclusion

61L’objectif était d’élaborer et de mettre à l’épreuve un outil méthodologique permettant de rendre compte de façon très détaillée et, dans la mesure du possible, de caractériser les pratiques d’enseignement de l’écriture mises en œuvre au cours de séances observées au CP. En cela, notre grille d’analyse de la pratique d’enseignement de l’écriture apparait comme un apport important à la didactique de l’écriture.

62Notre dispositif méthodologique, qui croise l’analyse des séances observées en classe de CP et des résultats obtenus par les élèves au fil de l’étude longitudinale, permet d’inférer des liens entre les pratiques d’enseignement déployées et leurs effets sur les apprentissages des élèves. Pour les dimensions de l’écriture considérées dans le cadre de cette recherche, les micro-actions didactiques révélées dans la pratique de l’enseignante A peuvent être mises en regard des indicateurs d’un enseignement efficace (Cusset, 2011). Elles illustrent notamment la cohérence « activité-tâche-but » (Talbot, 2012) dans la pratique de l’enseignement de l’écriture mise en œuvre dans cette classe de CP.

63Les résultats de cette première mise à l’épreuve de notre outil d’analyse doivent cependant être regardés avec prudence. D’une part, la pratique d’un enseignement aussi complexe que celui de l’écriture ne peut se résumer à l’observation de trois séances réparties sur une année scolaire. D’autre part, concernant plus particulièrement les liens entre les pratiques et les résultats des élèves, rappelons que notre recherche n’intègre pas la dimension multifactorielle de l’apprentissage de l’écriture : les différences constatées ne peuvent être entièrement imputées aux pratiques d’enseignement de l’écriture observées. Pour ces différentes raisons, la grille d’analyse nécessite d’être mise à l’épreuve d’un échantillon plus large de séances de classe et d’élèves en contrôlant ces différents paramètres. Ce faisant, et moyennant certains aménagements, la grille des actions et micro-actions de l’enseignement de l’écriture pourrait être utilisée en formation des enseignants.

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Bibliography

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List of illustrations

Title Figure 1. – Répartition en pourcentage des actions des deux enseignantes de CP au cours des 3 séances observées dans chaque groupe pour les catégories d’actions principales « pilotage », « hors orthographe » et « orthographe ».
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/docannexe/image/4146/img-1.png
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Title Figure 2. – Répartition en pourcentage des actions et micro-actions des deux enseignantes pour les actions « Orthographe » (durant les 3 séances observées).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/docannexe/image/4146/img-2.png
File image/png, 40k
Title Figure 3. – Nombre des micro-actions « Orthographe » relayant la procédure phonographique et morphographique pour chaque enseignante au cours des trois séances filmées.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/docannexe/image/4146/img-3.png
File image/png, 707k
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References

Electronic reference

Florence Mauroux, Claudine Garcia-Debanc and Karine Duvignau, Outil d’analyse des actions et interactions didactiques d’enseignement de l’écriture au CPLidil [Online], 55 | 2017, Online since 02 May 2017, connection on 07 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/4146; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.4146

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About the authors

Florence Mauroux

Université Toulouse-Jean Jaurès, CLLE-ERSS

Claudine Garcia-Debanc

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Karine Duvignau

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