Études romanes de Brno, volume 1 (no 35.1) : Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Occident ; volume 2 (no 35.2) : Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Orient
Études romanes de Brno, volume 1 (no 35.1) : Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Occident (dossier thématique coordonné par Julie Sorba et Christophe Cusimano) ; volume 2 (no 35.2) : Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Orient (dossier thématique coordonné par Julie Sorba et Sylvain Brocquet), 2014
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1Le dossier présenté ci-dessous interroge, en deux phases, le phénomène « polysémie », théoriquement et dans ses usages, en Occident et dans l’Orient ancien.
Volume 1. Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Occident
2F. Douay ouvre, sous les apparences d’une perspective historique, le débat : à forme unique, acceptions plurielles, et signale l’avancée notable de Fontanier qui, décrivant un sens par extension, entre sens propre primitif et sens figuré, préfigure certains aspects du polysème contemporain.
3Ces repères posés, la réflexion se déploie théoriquement tout d’abord avec les doutes de F. Rastier sur la légitimité-validité du terme. Il invite à une reconfiguration dépassant les dualismes antique et ancien (l’initial pensée/langage et ceux qui en découlent) et les frontières du mot. C’est une lecture textuelle appuyée sur les désambigüisations offertes par la psycholinguistique (dans un contexte donné, les stimuli attendus sont d’abord perçus) et la linguistique de corpus (le défrichement qui met au jour cooccurrents et corrélats fait la preuve de la créativité sémantique — néosémie — en discours/du discours). F. Némo poursuit l’étayage théorique du dossier en passant à l’énoncé (plurisémie). L’analyse prend en compte la réalité empirique : les sens multiples des signes/séquences de signes co-existant, sans s’exclure ni entièrement ni systématiquement et la série des contraintes pesant sur l’interprétation. La description est en termes de strates et un schéma explicite la façon dont les contraintes interfèrent entre elles, réduisant ainsi de plus en plus précisément l’interprétation, ces éléments étant appuyés sur les signes comme accès et non comme symboles (P. Cadiot). La troisième pierre théorique est posée par A. Derradji avec l’apport de la forme schématique, issue de la Théorie des opérations énonciatives de A. Culioli, la description du phénomène « polysémie » se développe en montrant les intrications entre unités et co-textes grâce à la forme schématique, comme forme abstraite et métalinguistique. Enfin, l’article de K. Wolowska convoque les recherches de F. Cusimano dont les Traits sémiques d’application sont distingués des Traits potentiels dans une perspective résolument interprétative.
4Quatre articles donnent ensuite à lire des mises en œuvre aux telos divers : F. Baider et M. Constantinou examinent contrastivement colère, rage et fureur en grec moderne et français, et font la preuve de l’opératoire de l’analyse componentielle, en vue de la traduction et de l’activité lexicographique liée. R. Loriol, quant à lui, applique à la parole divinatoire l’idée de polysémie, considérant que la configuration — signe sous le signe — requiert la compétence herméneutique. Puis c’est à une relecture-découverte de Heidegger que convie G. Pégny qui en parcourt l’œuvre à l’aide du rateau polysémique du fameux Dasein. Enfin, C. Rittaud-Hutinet, quelque part à l’autre extrémité, liste catégories et effets de l’homonymie sous la forme d’homophonie dans l’oralité.
5Si l’on admet comme repère l’ouvrage de 2005, La polysémie (O. Soutet y publie un colloque tenu en 2000), on remarquera plusieurs orientations nettes : à côté de la possibilité « qu’on retienne pour unité le mot, la phrase ou le texte », il semble bien que ce soit le texte, c’est-à-dire le discours, sans préjuger d’une taille minimale ou maximale, qui emporte l’adhésion et, dans l’hésitation entre polysémie et homonymie, que ce soit le premier qui l’emporte, les sémanticiens contributeurs rivalisant d’adresse pour rendre compte de la manière la plus fidèle possible de la plasticité du matériau, indissolublement pensée-et-langage. On constatera également qu’il peut y avoir disparité entre la théorie et ses usages : F. Rastier revendique une sémantique discursive pour être cohérente, et chacun admet la sollicitation obligatoire des co-textes et contextes ; mais l’analyse sémique, restreinte au mot dans le cadre lexicographique et de la traduction, rend bien les services attendus. Ces avancées bénéficient à la didactique des langues en affinant la compréhension des apprentissages.
Volume 2. Sens multiples et polysémie, regards d’Orient
6L’article inaugural de G.-J. Pinault, bien que très précis et uniquement consacré aux textes védiques anciens, semble un écho synthétique de la réflexion du volume occidental, dans la description faite du premier traité de lexicographie qui contient « en plus des synonymes authentiques, […] des mots du védique ancien […] considérés comme équivalents par métaphore, association d’idées (corrélations mythologiques et rituelles), ressemblance phonétique superficielle, étymologie synchronique, rapprochements fortuits dans le texte des hymnes védiques ». Puis Julie Sorba explore méthodiquement et d’une manière convaincante le profil combinatoire lexico-syntaxique de la lexie samudra [flot, mer, océan, mais aussi oblation ou réceptacle de l’oblation de soma] et sa conclusion est également roborative : les superpositions sémantiques y sont lues comme la manifestation d’une résistance délibérée des poètes face à la rigidité des hymnes védiques. À sa suite, N. Balbir fait découvrir les jeux polysémiques de la proximité sanskrit/prakrits, langues littéraires populaires anciennes, partageant avec la première un certain nombre de mots et en différant phonétiquement en partie. Dans les cas décrits, il y a une exploitation stratégique des possibles polysémiques obtenus par compilation d’homophones et/ou du double sens. Y. Bronner nous emporte ensuite dans un train conduisant les voyageurs de la couchette du haut à l’endroit opposé à celui atteint par ceux du bas, train-métaphore de la slesa, art de la simultanéité cultivé de manière considérable du vie au xviie siècle en Asie du Sud, que cette simultanéité affecte des éléments, petits ou grands, lexiques ou narratifs. F. Grimal et S. L. P. Anjaneya Sarma en affinent l’exploration dans les distinctions entre variétés de slesa : sabdaślesa — figure de mots — et arthaslesa — figure de sens —, d’importants commentateurs sanskrits entre le viiie et le xiie siècle en ayant des approches différentes. La recherche est enrichie par l’attention portée au but poursuivi : s’agit-il pour la figure de slesa d’orner le mot ou le sens ? Supports de l’analyse de S. Brocquet, « l’ornement » concerne les épopées majeures du Ramayana et du Mahabharata, « tressées » dans l’un des plus fameux poèmes sanskrits : le Raghavapandaviya. Les quatre procédés « explicites de l’ambigüité » — on appréciera le paradoxe (inversion qualificatif/qualifié, comparant/comparé, double segmentation, jeu sur les polysèmes, avec spécialement les passages noms propres/noms communs) — font la preuve d’une manœuvre transparente au lecteur. Par ailleurs, ces possibilités, inconnues des langues occidentales, les constituent comme laboratoire pour tester la validité des modèles descriptifs. P. Estienne-Monod envisage les doubles sens, proches de la métaphore occidentale en raison de la structure : comparé/comparant/outil de comparaison/point commun. Ce type de slesa atteste de la visée panégyrique et de l’inscription textuelle des avatars. Quand E. Wilden rapproche l’ullurai de la poésie tamoule des doubles sens et la slesa sanskrite, J.-L. Chevillard examine les énoncés parallèles en tamoul ancien dans les hymnes du Tevaram, décrivant les procédés phonétiques, syntaxiques et en quelque façon lexicographiques utilisés. Enfin, C. Schmid met en lumière l’influence de l’iconographie shivaïte tamoule sculptée et la polysémie du terme vel, lance de Skanda-fils et devenu trident pour Siva-père.
7Outre le ravissement du voyage dans l’Asie méridionale védique, les contributions donnent à lire des résolutions utiles pour la question de la polysémie comme une manière d’intégration de co-textes et contextes dans l’activité lexicographique, certes rendue possible par des corpora de textes littéraires dont le nombre est clos. Cependant, les ressources modernes de l’informatique permettraient de neutraliser la limitation autrement indépassable du dictionnaire.
8Hors champ, le lecteur européen contemporain pourra sourire des usages du double sens, sublime et liturgique en Orient, et qu’il sait plutôt grotesque, déshonnête ou didactique en Occident.
Pour citer cet article
Référence papier
Carole Calistri, « Études romanes de Brno, volume 1 (no 35.1) : Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Occident ; volume 2 (no 35.2) : Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Orient », Lidil, 52 | 2015, 208-211.
Référence électronique
Carole Calistri, « Études romanes de Brno, volume 1 (no 35.1) : Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Occident ; volume 2 (no 35.2) : Sens multiple(s) et polysémie, regards d’Orient », Lidil [En ligne], 52 | 2015, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/3910 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.3910
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