- 1 Cet âge demeure variable puisque l’opacité de la langue de l’apprenant influence fortement son déve (...)
1L’acquisition de la morphographie est peu explicitée par les modèles développementaux (Gentry, 1982, 2000 ; Frith, 1985 ; Henderson, 1985 ; Ehri, 1986 ; Treiman & Cassar, 1997 ; Bear & Templeton, 1998). De plus, l’apprentissage de l’écriture du français a été moins étudié que celui de l’écriture en anglais. Dans la perspective du modèle à « fondation duale » que Philip Seymour développe depuis 1990, cette acquisition est condensée dans la mise en place du cadre morphologique qui apparaitrait progressivement chez l’élève à partir de 7 ans1, c’est-à-dire à l’amorce du cycle 3 de l’école primaire française (1997, 2008). Cependant, les voies de développement de ce cadre morphologique sont laissées dans l’ombre.
2D’autres travaux se sont plus particulièrement intéressés à l’acquisition de la morphologie flexionnelle du nombre. Ils tentent notamment d’expliquer comment la morphologie du nombre est progressivement acquise et mise en œuvre à l’écrit et concerne l’accord en nombre entre le syntagme nominal sujet (désormais SNS) et le prédicat et l’accord en nombre dans le syntagme nominal. Les modèles proposés suivent ainsi les étapes générales d’acquisition de l’orthographe, mais introduisent des stades spécifiques qui viennent enrichir la dernière ou les deux dernières étapes des modèles généraux. Ils cherchent à graduer les compétences des élèves scolarisés en cycle 3 de l’école primaire2 (Totereau, Thévenin & Fayol, 1997 ; Guyon, 1997, 2003).
3Un autre pas dans la compréhension des mécanismes d’acquisition de la morphographie serait de mieux connaitre les voies de raisonnement, les procédures cognitives, mises en œuvre par les élèves. Cogis (2005) a entrepris de questionner ces procédures après avoir constaté que « dans un même énoncé de CE2 tel que les étoiles sont doré [sic], le traitement peut être morphosyntaxique pour le pluriel, phonographique pour le genre et phono/logographique pour le verbe » (p. 141). Grâce à l’analyse d’un vaste corpus d’entretiens métagraphiques avec des élèves, l’auteure a pu isoler des régularités dans les justifications des élèves concernant leurs choix d’accord en genre et en nombre dans le groupe nominal. Ces régularités peuvent ensuite être interprétées comme les traces de procédures cognitives récurrentes. Elle a ainsi proposé trois grands types de procédures cognitives qui interviendraient notamment dans le cadre de l’accord en nombre au sein du groupe nominal : procédures phono/logographiques, morphosémantiques et morphosyntaxiques. Nous avons par la suite cherché à définir la dynamique d’acquisition de ces procédures morphosémantiques et morphosyntaxiques (Geoffre & Brissaud, 2012 ; Geoffre, 2013).
- 3 Elalouf et Péret (2009) font un constat équivalent à propos de l’enseignement grammatical, pointant (...)
4Parallèlement à ces travaux de description de l’acquisition de la morphographie, des propositions didactiques visant à en favoriser l’enseignement existent, mais c’est bien leur application sur le terrain qui semble en décalage, voire en retard3. Brissaud (2011, p. 217) en appelle d’ailleurs au développement de recherches de didactique expérimentale afin de mieux cerner les effets des pratiques associées et de concevoir, à partir des connaissances produites dans ces recherches, de nouveaux apports à la formation initiale ou continue des enseignants.
5Si la durée moyenne d’apprentissage de l’orthographe du français avoisine les dix ans, la croyance en la possibilité que cet apprentissage soit définitivement réglé à l’école élémentaire perdure. À tout le moins, le dernier cycle de la scolarité du premier degré pourrait-il permettre d’apporter aux élèves des outils d’analyse de la morphographie et de contrôle, notamment sur les notions prioritaires que sont les accords dans les chaines syntagmatiques impliquées dans le syntagme nominal et entre le SNS et le prédicat. À la suite de Canelas-Trevisi (2010) qui définit différents éléments constitutifs de tout objet d’enseignement « repérables en situation au travers de matériaux multiformes : exemples, outils métalangagiers, schémas, exercices, données de langue diverses… » (p. 3), nous nous intéressons ici à ces outils qui peuvent favoriser une approche réflexive du contrôle orthographique. Nous nous plaçons également dans la perspective de Plane et Schneuwly (2000) qui cherchent à définir le concept d’outil didactique et distinguent l’outil didactique pour l’enseignant de l’outil didactique pour l’élève. Ainsi,
[…] pour l’enseignant, les outils sont ceux qui lui permettent de créer — pour utiliser la terminologie de Brousseau (1988) — des milieux dans lesquels l’élève peut apprendre, ceux qui permettent d’agir sur les processus psychiques de l’élève pour les transformer — ces processus transformés étant l’objet créé, ayant une utilité […]. Pour l’élève, il s’agit d’outils lui permettant de transformer ses propres processus psychiques et qu’il doit s’approprier pour ce faire. (Plane & Schneuwly, 2000, p. 8)
Dans le même numéro de la revue Repères, Schneuwly (2000) affine ensuite cette distinction en concevant les outils pour l’élève comme « des aides pour mieux gérer son propre comportement, pour mieux réussir une tâche, pour capitaliser des acquis » alors que le travail de l’enseignant consiste « à transformer des modes de penser, de parler, de faire à l’aide d’outils sémiotiques » (p. 23).
6Cette contribution propose d’explorer l’expérimentation en classe de deux outils didactiques pour l’élève qui ont fait l’objet de propositions récentes. Ces deux outils concernent l’étude des chaines d’accord :
-
- 4 Voir l’explicitation de l’outil au point 2 de cet article.
les balles d’accord4 proposées par Cogis (2005, p. 196-199) ;
-
- 5 Voir l’explicitation de l’outil au point 3.1 de cet article.
l’analyse en termes d’apport et support d’information5 issue du référentiel à l’usage des enseignants développé par Van Raemdonck, Detaille et Meinertzhagen (2011).
Nous considèrerons ces outils comme des outils métalinguistiques puisqu’ils doivent servir de point d’appui à l’élève dans son analyse des chaines d’accord, donc l’aider à progresser d’une approche épilinguistique à une réflexion métalinguistique (Brossard & Lambelin, 1985).
- 6 Seuls quelques items de la dictée sont analysés : en l’occurrence 20 items qui relèvent tous de l’a (...)
- 7 La phrase donnée du jour est un outil où l’enseignant donne une phrase aux élèves et leur demande d (...)
7Dans le cadre du suivi longitudinal, pendant trois ans, d’une classe de cycle 3 (classe à trois niveaux : CE2 – CM1 – CM2, élèves de 8 à 11 ans), deux séquences expérimentales portant sur l’accord au sein du groupe nominal et l’accord sujet-verbe ont été proposées, intégrant l’utilisation des balles d’accord (première séquence, première année du suivi, février à avril) puis l’utilisation conjointe des balles d’accord et de l’analyse en termes d’apport et support d’information (deuxième séquence, deuxième année du suivi, mars à avril). Les traces écrites de 22 puis 23 élèves ont été recueillies lors de trois tests donnés chaque année (avant la séquence, après la séquence et deux mois plus tard). Nous avons donc recueilli 135 tests (66 pour l’année 1 ; 69 pour l’année 2) avec la possibilité d’un suivi d’une partie des élèves sur l’ensemble du recueil (les CE2-CM1 de la première année sont les CM1-CM2 de la deuxième). Ce recueil est complété d’une nouvelle passation du test initial en fin de deuxième année, soient 158 tests au total. Le test de la première séquence expérimentale porte sur une dictée ciblée6 et l’analyse de deux phrases données7 (Cogis, 2005, p. 268-279), ce qui constitue un recueil de l’utilisation des outils en situation de production (dictée) et d’analyse réflexive (phrases données). Le test de la deuxième séquence repose sur une nouvelle dictée ciblée et permet de vérifier l’éventuelle intégration de l’analyse apport-support aux stratégies de contrôle des élèves. La passation complémentaire du premier test autorise un autre retour en situation d’analyse réflexive.
8Il s’agit d’évaluer le processus de transposition didactique interne de ces propositions (Ronveaux & Schneuwly, 2007, p. 55-56) et de discuter la pertinence de chaque outil. Nous proposons une analyse progressive des deux séquences expérimentales en explicitant la formalisation des outils didactiques et en étudiant les travaux des élèves selon trois axes :
-
les élèves utilisent-ils les outils proposés ?
-
lorsque les élèves les utilisent, le font-ils à bon escient ?
-
peut-on mesurer un décalage entre l’outil enseigné (celui apporté par l’enseignant) et l’outil appris (celui lié à l’utilisation effective par l’élève) ?
9La première séquence expérimentale a été marquée par l’introduction des balles d’accord qui permettent de représenter les relations morphosyntaxiques à l’intérieur du groupe nominal, entre le verbe et son sujet ou entre l’attribut et son référent, sous la forme de signaux se déposant sous les différents mots comme sous l’impact d’une balle qui rebondit. Le signal initial est matérialisé par un point noir situé sous la marque grammaticale du premier mot de la chaine dans le sens de lecture. Les signaux suivants (ceux où la balle rebondit) sont matérialisés par des points blancs (fig. 1). Les référents du pluriel ou du féminin se retrouvent ainsi comme distribués d’un constituant à l’autre ou d’un groupe à l’autre, signalant que des marques spécifiques doivent également être distribuées. Avec cette méthodologie d’analyse,
[…] les élèves ne sont plus dans une relecture de surface ou un processus trop abstrait mais peuvent vraiment entrer dans le fonctionnement de la phrase en le matérialisant. Les élèves peuvent visualiser les phénomènes morphosyntaxiques sans avoir à recourir à une terminologie ou des critères linguistiques trop complexes. (Cogis, 2005, p. 196)
Et l’on voit que les balles d’accord doivent pouvoir rebondir correctement en faisant abstraction des éventuels rupteurs présents dans la chaine analysée (fig. 1).
Figure 1. – Exemple de balles d’accord (chaines GN et S-V).
10L’intérêt de cette approche est donc de rendre visible et concrétiser le lien entre les mots de la phrase. La limite semble devoir être dans le transfert ultérieur aux notions de mot donneur et mot receveur d’accord puisque le signal initial est le plus souvent placé sous le déterminant du SN qui n’est pas le donneur effectif de l’accord.
11Une première approche, en décembre, de l’activité de phrase dictée du jour (Cogis, 2005) nous a permis de proposer les balles d’accord, de sorte que la classe entre efficacement dans la séquence expérimentale, en février. Nous avons alors constaté la rapide adhésion des élèves à l’activité et à l’outil dans lequel ils semblaient voir une aide accessible. L’apport supplémentaire qui est apparu nécessaire, lors de cette introduction, a été de donner une chronologie dans la réalisation des balles d’accord et de leurs « rebonds ». En fait, le glissement vers une méthodologie d’analyse s’est imposé rapidement.
12Les élèves ont massivement recours aux balles d’accord pour l’analyse des phrases données (18 élèves sur 22 lors du post-test 1 puis 19 lors du post-test 2). En revanche, elles ne sont que peu exploitées lors de la dictée (huit élèves en avril, puis seulement deux lors du post-test 2). Ces résultats sont résumés dans le tableau 1. Il est à noter que ce sont surtout les CE2 qui utilisent initialement les balles d’accord, ils sont cinq sur huit. En juin, les deux seuls élèves sont des CM1.
13Même si les CE2 utilisent initialement l’outil dans une proportion importante pour le contrôle des dictées, cette fonction disparait lors du post-test de juin. L’essentiel des utilisations des balles d’accord demeure associé aux phrases données. Tout se passe donc comme si les balles d’accord étaient perçues comme un outil d’aide à l’analyse mais pas à la révision.
Tableau 1. – Nombre d’élèves ayant recours aux balles d’accord lors des post-tests (année 1, N = 22).
|
post-test 1 (avril 2009)
|
post-test 2 (juin 2009)
|
|
dictée
|
phrases données
|
dictée
|
phrases données
|
CE2 (/8)
|
5
|
5
|
0
|
5
|
CM1 (/8)
|
2
|
8
|
2
|
8
|
CM2 (/6)
|
1
|
5
|
0
|
6
|
classe (/22)
|
8
|
18
|
2
|
19
|
14Du point de vue de l’efficience de l’utilisation de l’outil, maintenant, nous tournons notre analyse vers la pertinence des liens syntaxiques transcrits par les élèves et nous illustrons notre propos avec deux exemples de réponses aux phrases données du post-test 1 (les travaux de Ludovic, exemple 1, et Mario, exemple 2), ainsi que trois dictées issues du même post-test 1 : celles de Pauline (exemple 3), Ruddy (exemple 4) et Léa (exemple 5).
15En contexte de phrases données, l’utilisation est très simple et fait apparaitre les rebonds à l’intérieur des SN soulignés (Ulysse et ses compagnons ; une ile abandonnée ; des monstres appelés). Par transfert, le lien sur les Lestrygons est souvent matérialisé (exemple 1).
Exemple 1. – Phrases données de Ludovic (année 1, CM2, post-test 1).
- 8 En classe, avec les élèves, le prédicat a été nommé « verbe conjugué » (désormais noté Vc) avec la (...)
16Ensuite, les relations SNS-prédicat8 sont représentées par une balle qui rebondit de compagnons vers arrivent, une autre entre Elle et est, cette dernière balle étant le plus souvent prolongée vers le participe habitée. Le lien entre Elle et habitée est plusieurs fois représenté directement, sans rebond sous le verbe (comme c’est le cas dans ce premier exemple) ; il s’agit de travaux d’élèves qui justifient par ailleurs l’orthographe de est par opposition à et, sans souci d’accord en personne et nombre.
17C’est le lien entre le SNS complexe Ulysse et ses compagnons et le verbe arrivent qui apporte quelques enseignements complémentaires sur l’utilisation des balles d’accord. En effet, seuls cinq élèves font ressortir le fait que c’est tout le groupe qui commande l’accord au pluriel du verbe et qu’il y a donc deux niveaux de balles d’accord (exemple 2). Tous les autres élèves marquent un accord entre ses compagnons et le verbe, c’est-à-dire entre strictes entités au pluriel (exemple 1), dans une logique d’accord de proximité.
Exemple 2. – Phrases données de Mario (année 1, CM1, post-test 1).
18Cette référence à la relation entre entités portant les mêmes marques apparait comme le principal risque des balles d’accord : n’est-il pas un marquage à postériori, simplement visuel, plutôt que le résultat d’une réflexion syntaxique sur la phrase entière ? L’analyse des marques utilisées dans les dictées confirme ce doute. Ainsi, dans l’exemple 3, il apparait que l’élève a lié Elles et montrent à facilement parce que cet adverbe porte, en apparence, un morphogramme de pluriel (entouré dans le texte). La confusion entre le morphogramme -nt et le morphonogramme -ent semble bien apparaitre ici. D’autant que le reste du travail de contrôle de cette dictée est excellent.
Exemple 3. – Dictée de Pauline (année 1, CE2, post-test 1).
19L’exemple 4 illustre, quant à lui, le travail d’un élève qui éprouve plus de difficultés lors de la révision de sa dictée :
Exemple 4. – Dictée de Ruddy (année 1, CE2, post-test 1).
20Les balles d’accord produites pourraient indiquer une recherche de liens entre finales identiques, sans discrimination entre morphogrammes et phonogrammes ou entre classes de mots (enfants, villages* et cours* ; gourmant* et ramassent ; retourent* et mangeront) ou bien des associations de mots porteurs de marques apparemment liées (cours* et promenadent* ; pommes et espèrent* ; biches et fasilement). L’absence visible d’ajout sur, au moins, les mots espérent et retourent* semble confirmer que les balles d’accord servent ici à valider les choix orthographiques initiaux et ne sont donc pas une aide réflexive à la révision.
21En fait, la distribution du pluriel au nom village ou entre pommes et espèrent fait émerger une difficulté avec les syntagmes ou la notion de phrase (pommes et espèrent sont séparés par un point). Mais tout n’est pas erroné dans cette dictée. Ce qui se dessine ici est plutôt le risque d’une distorsion de l’outil entre l’intention et la mise en œuvre qui confèrerait aux balles d’accord le rôle de justifier, tant bien que mal, ce qui a été écrit, sans remise en question de la logique de cet écrit, c’est-à-dire sans révision. Un risque que l’enseignant qui décide de les utiliser devra sans doute anticiper.
22Lorsque la signification et le fonctionnement des balles d’accord ne sont pas acquis, le résultat est très différent et conduit à l’exemple 5 d’où aucune logique particulière ne se dégage, bien que la dictée produite montre un certain contrôle orthographique.
Exemple 5. – Dictée de Léa (année 1, CE2, post-test 1).
23Cette première mise en place des balles d’accord comme outil didactique pour l’élève apporte plusieurs informations :
-
l’outil est rapidement utilisé par les élèves qui y voient une aide accessible ;
-
- 9 Notre corpus montre également que les balles d’accord ne sont pas utilisées en production écrite lo (...)
son utilisation est essentiellement circonscrite aux activités de phrases données et n’est pratiquement pas exploitée en situation de dictée comme une aide au contrôle orthographique9 ;
-
il est donc plutôt perçu comme un support de justification ;
-
dans ce contexte, un détournement de l’outil est perceptible, conduisant certains élèves à lier des mots pour des raisons de similitude morphologique, avec des confusions entre morphogrammes, phonogrammes et morphonogrammes, sans impact au final sur leur activité de révision.
24Cette distorsion de l’objectif initial des balles d’accord accompagne en fait des difficultés d’identification des mots ou des groupes de mots, ce qui ne permet pas à l’élève d’éviter des liens impossibles. Nous avons d’ailleurs pu le constater chez des élèves de niveaux différents. Pour l’enseignant, il y aurait donc nécessité à recentrer les élèves sur les classes de mots avant d’en venir aux balles d’accord. Pour le chercheur, l’enjeu est de penser le contexte didactique dans lequel l’outil pourra être un appui au contrôle orthographique. Ces deux axes ont orienté notre réflexion au moment de définir la deuxième séquence expérimentale.
25Il y aurait en effet nécessité de renforcer l’identification des classes grammaticales pour éviter des liens syntaxiques distribués de manière aléatoire ou forcée. Utiliser efficacement les balles d’accord présupposerait ainsi une maitrise des classes et fonctions de mots ou groupes qui, à la lecture des résultats des évaluations nationales, ressort justement comme un obstacle important pour une majorité d’élèves de cycle 3. L’outil ne semble favoriser le contrôle des accords que pour des élèves qui peuvent déjà délimiter les bonnes chaines d’accord.
26L’enjeu didactique serait alors d’apporter aux élèves une méthode d’analyse des phrases qui favoriserait l’identification des classes grammaticales des constituants de la phrase étudiée. Une fois les mots ou groupes de mots identifiés, les liens possibles entre eux pourraient être définis avant d’en venir aux accords eux-mêmes : poser les balles d’accord et contrôler l’ajout des morphogrammes adéquats.
27Parce qu’elles semblent être une entrée particulièrement intéressante pour intégrer la dimension sémantique dans les analyses grammaticales et donner du sens aux liens syntaxiques à l’intérieur de la phrase, entre mots et entre groupes, les propositions de Van Raemdonck et coll. nous ont paru à même de remplir ce rôle. Elles sont regroupées dans un référentiel de grammaire à destination des enseignants, mais que ces derniers doivent transposer pour les appliquer en classe.
- 10 Nous avons favorisé l’identification prioritaire du NdP, contrairement à ce qui est souvent proposé (...)
28La terminologie d’apport et support d’information a ainsi été introduite dans la classe lors de la deuxième année du suivi, complétée de la notion de Noyau de Phrase10 (désormais NdP) et de notre proposition initiale (et transitoire) que le syntagme verbal (désormais SV) inclut tout ce qui n’est pas dans le SNS, y compris les compléments de phrase. La silhouette de phrase est ainsi réduite à deux possibilités :
29Nous avons limité là nos emprunts car nous étions contraints par le cursus des élèves (le vocabulaire précédemment utilisé et les activités déjà menées), ainsi que par la nécessité de ne pas modifier totalement le vocabulaire et l’approche méthodologique, alors que les élèves retrouveraient les terminologies « classiques » à leur entrée au collège.
- 11 La méthodologie d’analyse, construite en classe et avec les élèves, prend ainsi le contrepied d’une (...)
- 12 Voir Geoffre et Brissaud (2012) pour une analyse de l’évolution des procédures cognitives des élève (...)
30Les modifications des voies d’analyse de la phrase sont cependant suffisantes pour modifier la démarche méthodologique. Considérer le nom noyau du SNS comme le Noyau de Phrase permet d’appuyer toute étude de phrase sur la recherche du nom qui supporte toutes les informations (celui dont on parle dans la phrase) et de distinguer les différentes complémentations du nom et l’apport du syntagme verbal11. L’analyse débute par la dimension sémantique et, en cela, respecte le processus habituel des élèves12. La recherche des apports d’information au NdP permet de dégager peu à peu les différents constituants de la phrase. Il est alors intéressant d’observer la relation duale entre le lien apport-support et le lien donneur-receveur d’accord qui peut se formaliser ainsi : le support reçoit l’information du mot ou groupe apport et, en « échange », lui transmet ses marques morphographiques. Inversement, l’apport apporte son information au support et, en « échange » reçoit les marques morphographiques adaptées (fig. 2).
Figure 2. – Échange apport/donneur et support/receveur.
31À partir de cette symétrie de relation, notre proposition a été d’exploiter l’aller-retour entre les couples [support d’information ; donneur d’accord] et [apport d’information ; receveur d’accord] pour, une fois l’analyse des relations apport/support effectuée sur une base sémantique et grammaticale, fonder l’analyse orthographique et expliciter les marques.
32A ainsi été introduite dans la classe une double analyse de la phrase : grammaticale et orthographique. La phrase est donc écrite deux fois. Sur la première occurrence, l’élève effectue l’analyse grammaticale en identifiant les échanges d’information entre apports et supports. Un codage a été élaboré avec une flèche simple, sous la phrase, indiquant une relation d’apport d’information dans le GN ou entre l’attribut et le sujet, et une flèche double, au-dessus de la phrase, pour matérialiser la relation d’apport d’information du verbe conjugué au NdP. Ce qui se dégage est un mouvement global de l’information vers ce NdP.
33Nous l’illustrons avec l’exemple de la phrase : Les ailes vertes du papillon brillent au soleil.
34La figure 3 montre le résultat d’une trace écrite d’élève. Tous les noms de la phrase sont systématiquement soulignés pour induire le travail d’analyse des syntagmes nominaux.
Figure 3. – Exemple d’analyse grammaticale apport-support.
35Le nom ailes est le noyau de phrase qui reçoit l’information de plusieurs apports : les, déterminant ; vertes, adjectif épithète ; du papillon, complément du nom et brillent, verbe conjugué. Enfin, le verbe conjugué reçoit l’information du groupe nominal au soleil. Ces apports sont matérialisés par les flèches qui montrent les liens entre les constituants de la phrase.
36L’intérêt est bien de partir d’une lecture sémantique pour aller vers les liens syntaxiques qui serviront de base aux distributions de marques morphographiques. On voit apparaitre, sur la figure 3, le mouvement de « remontée » globale des informations vers le noyau de phrase.
37Sur la deuxième écriture de la phrase, il s’agit de faire apparaitre les relations orthographiques qui vont conduire à l’ajout des marques appropriées. Nous avons ainsi réinvesti les balles d’accord. La limite, ici, est que les balles d’accord ne fonctionnent pas systématiquement comme la relation donneur/receveur puisque, dans le cas d’un groupe nominal, le mot signal est majoritairement le déterminant. Cependant, la symétrie des mouvements entre mots fonctionne dans le cas des relations syntaxiques dans le SN et entre le sujet et le verbe conjugué. De plus, il nous semblait intéressant d’exploiter deux formalismes différents pour les deux temps d’analyse plutôt que de nouvelles flèches (inverses) pour représenter la relation donneur/receveur qui auraient pu devenir source de confusion. Enfin, les élèves connaissaient déjà les balles d’accord. Le codage initial des balles d’accord a été conservé avec, en plus, une trajectoire double pour la balle qui rebondit au-dessus de la phrase et matérialise la distribution des marques morphographiques du NdP au verbe conjugué. L’analogie avec la flèche double de l’analyse grammaticale est ainsi complète. La double analyse de la phrase précédente conduit donc à une trace comme illustrée en figure 4 :
Figure 4. – Exemple de double analyse grammaticale et orthographique.
38La méthode globale d’analyse de phrase et de justification de l’orthographe grammaticale se fait ainsi en deux temps selon un protocole établi avec les élèves :
-
Recherche des apports d’information pour chaque mot : « À quel mot apporte-t-il son information ? » La relation particulière du verbe conjugué principal au Noyau de Phrase est matérialisée par une double flèche au-dessus de la phrase. Tous les autres apports sont matérialisés par des flèches simples en-dessous de la phrase. L’ordre d’identification des différents mots ou groupes est laissé à la discrétion des élèves, car nous pensons qu’il sera fonction de la phrase étudiée et de l’élève. Il y a donc identification du Noyau de Phrase (NdP), du ou des verbes conjugués, identification du groupe nominal sujet (GNS) et du groupe verbal (GV). Le GNS inclut forcément le NdP, il l’entoure.
-
Matérialisation des balles d’accord avec « balle double » au-dessus de la phrase entre le verbe conjugué principal et le Noyau de Phrase.
39L’adhésion des élèves à ce travail a été importante, une fois le vocabulaire nouveau (apport et support d’information) et les nouvelles stratégies intégrés. Dès lors, aussi, qu’il a été convenu de leur fournir systématiquement le support écrit avec les deux phrases espacées, sans passer par une copie (fastidieuse dans ce cas, et sans intérêt pédagogique). Sur le seul ressenti de la classe, nous pouvons dire que de nombreux élèves ont trouvé une aisance à adopter la notion de Noyau de Phrase qui est vraiment en prise directe avec la dimension sémantique de la langue. Mue par un raisonnement sémantique, l’identification du noyau de phrase a peu posé de problèmes (hormis, bien sûr, le cas d’une phrase complexe à comprendre). Globalement, ce sont le vocabulaire et le déroulement de l’étude de la phrase qui sont modifiés. Ainsi, le renouvèlement des commentaires-types (la phrase est désormais analysée en disant « X apporte son information à Y »…) crée une distanciation par rapport à la seule signification, pourtant à l’origine de l’analyse, favorisant l’entrée dans la dimension morphosyntaxique et l’analyse orthographique.
40Nous proposons maintenant une analyse des effets de ce nouvel outil sur les productions des élèves. Comme lors de la première séquence expérimentale, nous prenons comme variable d’analyse de l’effet de l’outil le nombre d’élèves montrant des traces de son utilisation dans leur travail, cette fois-ci lors des trois tests accompagnant la dictée de la deuxième séquence expérimentale et la pertinence de cette utilisation.
41Le tableau 2 présente le nombre d’élèves ayant eu recours aux outils mis en place (traces d’analyse apport-support ou balles d’accord) lors des trois tests de la deuxième séquence expérimentale. Le tableau 3 reprend ces résultats en détaillant les niveaux de scolarisation des élèves. Huit élèves ont utilisé les balles d’accord dès la dictée du pré-test de cette deuxième séquence expérimentale. Si l’on se souvient qu’ils étaient déjà huit à la sortie de la première séquence expérimentale mais seulement deux lors du post-test 2 (voir tableau 1), on constate une extension progressive de l’utilisation de l’outil. Cette analyse est renforcée par la montée à dix puis treize élèves exploitant les balles d’accord lors des post-tests 1 et 2.
Tableau 2. – Nombre d’élèves montrant une utilisation de la relation apport-support ou des balles d’accord lors de la dictée 2 (2e année du suivi, N = 23).
dictée 2
|
pré-test
|
post-test 1
|
post-test 2
|
apport-support
|
0
|
8
|
2
|
balles d’accord
|
8
|
10
|
13
|
42Concernant l’analyse des apports et supports d’information, huit élèves l’utilisent lors du post-test 1, ils ne sont plus que deux en juin. Il est à noter que ce sont deux élèves de CE2 qui l’utilisaient déjà en avril. En revanche, un seul élève de CM2 montre des traces en termes d’apport et support d’information, très à propos puisque pour mener à bien l’accord des chaines un groupe de chevaliers noirs se prépare et des touffes d’herbe.
43Une dernière remarque concerne l’étendue des traces d’utilisation des outils. Si les balles d’accord sont souvent utilisées sur l’ensemble du texte, l’analyse grammaticale n’est souvent appliquée qu’au début ou sur des items spécifiques : un autre élève de CM1 les utilise uniquement pour contrôler les accords du verbe antéposé s’échappe et du SN des touffes d’herbe. Cette utilisation ciblée apparait plutôt dans les travaux des élèves avancés qui pourraient n’utiliser cette démarche que pour les situations les plus complexes. Une autre interprétation, plus triviale, est que les traces d’analyse grammaticale cantonnées au début du texte semblent bien indiquer que les élèves ont manqué de temps pour aller plus loin. Il est vrai que le travail est long et que la gestion du temps devra être prise en compte dans une éventuelle exploitation de cet outil.
Tableau 3. – Répartition par niveau des élèves montrant une utilisation de la relation apport-support ou des balles d’accord lors de la dictée 2 (2e année du suivi).
dictée 2
(23 élèves)
|
pré-test
|
post-test 1
|
post-test 2
|
apport-support
|
0
|
3 CE2 – 4 CM1 – 1 CM2
|
2 CE2
|
balles d’accord
|
2 CE2 – 4 CM1 – 2 CM2
|
3 CE2 – 3 CM1 – 4 CM2
|
3 CE2 – 5 CM1 – 5 CM2
|
44L’analyse du tableau 3 permet de compléter ces premiers résultats :
-
peu de CE2 utilisent les balles d’accord alors que le nombre d’élèves de CM1 et CM2 augmente régulièrement, jusqu’à 10 élèves sur 15 lors du post-test 2 ;
-
à contrario, seuls deux CE2 continuent d’utiliser les traces d’apport-support lors du post-test 2 et les CM2 ne l’utilisent pratiquement pas (un seul élève lors du post-test 1).
45Comme les balles d’accord, lors de la première séquence expérimentale, le nouvel outil est peu utilisé. En revanche, le taux d’utilisation des balles d’accord est en nette progression lors de la deuxième séquence expérimentale, avec des effets globalement plus pertinents. On peut y lire le temps nécessaire aux apprentissages et à leur stabilisation, et se demander si ce n’est pas parce qu’ils maitrisent désormais mieux les balles d’accord que les élèves de Cours Moyen n’investissent pas plus l’analyse en termes d’apport-support. Les élèves de CE2 qui découvrent ensemble les deux outils ne montrent pas ce décalage.
46Un autre facteur va dans le sens du temps nécessaire aux apprentissages : ce sont les élèves les plus avancés qui s’emparent les premiers des nouveaux outils.
47Nous avons présenté un travail de didactique expérimentale rapportant la mise en œuvre de deux outils métalinguistiques pour l’élève, récemment proposés dans la littérature, dans la perspective de l’acquisition de la morphographie en cycle 3 de l’école primaire : les balles d’accord et la notion d’apport et support d’informations. Notre analyse s’appuyait sur la double problématique de la transposition de ces outils et de leur appropriation par les élèves. Plusieurs réflexions se dégagent des résultats présentés, dans la perspective de la pratique enseignante et de la formation des enseignants.
48Tout d’abord, cette étude nous semble mettre en relief la transposition interne des deux outils. Dans le cas des balles d’accord, il a été nécessaire de développer une méthodologie avec les élèves afin de les guider dans l’utilisation de l’outil, la proposition didactique ne se suffit donc pas à elle-même. Dans le deuxième cas, la transposition fait partie intégrante du Référentiel à l’usage des enseignants de Van Raemdonck et coll. Dans cette recherche, elle a été partielle et fonction du contexte de la classe observée. Là aussi, l’élaboration d’une méthodologie a été nécessaire afin de rendre l’outil exploitable par les élèves et guidant pour leur réflexion métalinguistique. Cet aspect du travail enseignant nous semble pouvoir être rattaché aux deux premières compétences professionnelles énoncées par Garcia-Debanc (2009) : guider pour la construction de la notion et aider à l’utilisation de manipulations syntaxiques.
49Ensuite, deux points critiques se dégagent dans la mise en œuvre des balles d’accord et de l’analyse apport-support qui peuvent également être liés à des compétences professionnelles :
-
la possible distorsion de l’outil (vue avec les balles d’accord) qui devient un obstacle aux progrès de l’élève et à la stabilisation des apprentissages (6e compétence professionnelle proposée par Garcia-Debanc) ;
-
le temps nécessaire à l’intégration de ces outils métalinguistiques et à leur réinvestissement, associé au décalage d’appropriation entre élèves de niveaux différents ; ce qui suppose d’ajuster et prendre en compte l’individu (5e compétence professionnelle proposée par Garcia-Debanc).
50Ces difficultés peuvent-elles expliquer la faible mise en œuvre des propositions didactiques sur le terrain ? Peut-être. Dans une perspective de formation, continue ou initiale, il est vraisemblable qu’un accompagnement à l’application de pratiques innovantes doit être pensé, notamment avec des protocoles et des résultats de recherches sur les effets de ces pratiques pour permettre à l’enseignant de franchir le pas, anticiper, et ne pas se sentir isolé.