Navigation – Plan du site

AccueilNuméros49Figures d’action et interprétatio...

Figures d’action et interprétation des dimensions didactiques de l’agir enseignant

Action Figures and Interpretation of Educational Aspects of Teacher’s Professional Activity
Ecaterina Bulea et Sylvie Jusseaume
p. 51-70

Résumés

Cet article aborde les modalités sous lesquelles les enseignants interprètent leur activité dans le cadre d’analyses de pratiques outillées, ainsi que la place que prennent, dans le cadre de cette interprétation, les dimensions didactiques de l’activité enseignante. Les analyses empiriques effectuées mettent d’abord en évidence les « figures d’action » construites par les enseignants, et surtout l’articulation fine entre figures « internes », portant sur l’agir propre, et figures « externes », portant sur l’agir des élèves. S’agissant de la saisie des dimensions didactiques, il en ressort que si le matériel pédagogique et les moyens d’enseignement peuvent faire l’objet d’une saisie indépendante des figures d’action, les gestes didactiques et les savoirs enseignés semblent quant à eux intimement liés au processus de morphogenèse de ces figures.

Haut de page

Texte intégral

1L’objectif de notre contribution est d’examiner dans quelle mesure et de quelle manière des dimensions didactiques de l’activité enseignante sont saisies, interprétées ou réinterprétées dans le cadre d’analyses de pratiques outillées, c’est-à-dire se déployant dans des dispositifs délibérément mis en place pour favoriser un retour réflexif des enseignants sur leur activité. Pour ce faire, nous rappellerons d’abord brièvement les principes généraux de l’analyse des pratiques et évoquerons les principaux dispositifs actuellement en vigueur en ce domaine (§ 1) ; nous préciserons ensuite le contexte de notre recherche, le type de données examinées et le cadre méthodologique de recueil et d’analyse de ces données (§ 2) ; nous décrirons les caractéristiques de l’interprétation que font les enseignants de leur activité, en mettant en évidence les propriétés des « figures d’action » qu’ils construisent dans leur discours (§ 3) ; enfin, nous réinterrogerons ces modalités de saisie de l’agir professionnel que sont les « figures d’action » sous l’angle de la place qu’elles accordent à l’interprétation d’aspects didactiques, en particulier : les savoirs à enseigner ou enseignés, les gestes didactiques, les moyens d’enseignement.

1. L’analyse des pratiques : principes et méthodes

  • 1 Appellation qui n’est évidemment pas sans lien avec l’approche du « praticien réflexif », développé (...)

2L’analyse des pratiques, du travail ou de l’activité, est souvent qualifiée de démarche de réflexion1, et sa caractéristique principale est d’être effectuée par les professionnels (ou les futurs professionnels) au sujet de leurs activités de travail, ou de leur pratique. Prenant plusieurs formes et se réalisant en divers dispositifs méthodologiques, l’analyse des pratiques vise essentiellement la compréhension de ces activités au travers d’un processus de prise de conscience de propriétés de celles-ci ; et, sur cette base, le développement des capacités d’agir des personnes concernées.

3De manière générale, l’analyse des pratiques se déploie dans trois perspectives, difficilement dissociables : 1) une perspective d’intervention, orientée plutôt vers les collectifs de travail, et dont l’enjeu majeur est d’aider ceux-ci à résoudre un problème, ou, plus largement, à améliorer leurs conditions de travail ; 2) une perspective de formation, orientée plutôt vers l’individu, et dont l’enjeu est de susciter chez ce dernier un processus d’apprentissage ou de développement, portant sur des savoirs professionnels ou sur des capacités d’action ; 3) une perspective de recherche, qui concerne non seulement la compréhension des pratiques par les chercheurs, mais également la formalisation de celles-ci, en vue soit de l’amélioration des dispositifs de formation existants, soit de la conception de nouveaux dispositifs.

4Mais en dépit de cette communauté de visées, « l’analyse des pratiques » ne désigne nullement une approche homogène. Diverses variantes peuvent être identifiées aujourd’hui, telles que la clinique de l’activité (Clot, 2001 ; Clot & Faïta, 2000), la psychodynamique du travail (Dejours, 1999), les démarches d’explicitation (Vermersch, 1994), les mises en récit autobiographique de l’expérience (Dominicé, 1990 ; Pineau, 1985), etc. ; les variantes intégrant ou s’inspirant de l’ergonomie (Daniellou, 1996), de la psychologie (Clot, 2001 ; Dejours, 1999), de la sociologie, ou encore de la sociolinguistique (voir les travaux du réseau « Langage & travail » : Borzeix & Fraenkel, 2001 ; Boutet, 1995 ; Grosjean & Lacoste, 1999) ; variantes enfin contrastées du point de vue des ancrages théoriques, ou des modalités de conceptualisation de l’activité, et au sein desquelles se sont progressivement développées un ensemble de méthodes et techniques d’analyse de l’activité, parmi lesquelles : l’entretien d’explicitation, les autoconfrontations simples et croisées, l’instruction au sosie, l’entretien de recherche « classique » mais utilisé à des fins d’analyse de l’activité, etc.

5Créé par Vermersch (1994), l’entretien d’explicitation est une méthode de « verbalisation de l’action » fondée sur la conception de la subjectivité issue de la phénoménologie husserlienne ainsi que sur l’approche piagétienne de la prise de conscience. L’objet de l’entretien d’explicitation est une action passée, singulière, réalisée et clairement délimitée, qui doit être ressaisie sous l’angle de son déroulement et telle qu’elle a été vécue par le sujet. Centrée sur la dimension procédurale de l’agir, cette démarche préconise le déplacement de l’objet-action du registre préréfléchi au registre réfléchi : transférée couche après couche du niveau inconscient au niveau conscient, l’action propre est ainsi progressivement élucidée.

6Ayant vu le jour dans le cadre de la clinique de l’activité de Clot (2001), la technique de l’autoconfrontation consiste à filmer des séquences de travail, puis à les présenter aux travailleurs concernés et à organiser un débat, au cours du visionnement du film, soit avec le chercheur (autoconfrontation simple), soit avec un pair (autoconfrontation croisée, voir Clot & Faïta, 2000), enfin à restituer certains éléments de ce débat au collectif de travail dans son ensemble. L’objet ici visé n’est pas le détail du déroulement vécu d’une action particulière, mais bien au contraire l’activité dans toute sa complexité ou « épaisseur », dans ses diverses modalités de conception et de réalisation par divers travailleurs, dans ses dimensions effectives aussi bien qu’empêchées, contrariées, non réalisées. L’autoconfrontation provoque ainsi une controverse autour des manières de réalisation du travail, qui, selon la perspective vygotskienne assumée, engendre une nouvelle expérience de l’activité, et la reconstruction de significations à propos de celle-ci, voire du métier.

7Inventée il y a trois décennies dans les usines Fiat de Turin (voir Oddone, Re & Briante, 1981), la technique de l’instruction au sosie a été reprise et transformée dans le cadre de la clinique de l’activité (Clot & Soubiran, 1999 ; Scheller, 2000). L’objet visé par cette technique est l’activité de travail, à la fois sous l’angle de l’expérience (les « ficelles du métier ») et dans ses menus détails ; et la reconstruction de significations à propos de l’activité a lieu sous une modalité de projection d’abord — c’est dans le cadre des instructions qu’il donne à un remplaçant fictif (ou « sosie ») que le travailleur (ou « modèle ») prend conscience de propriétés effectives ou possibles de son activité de travail —, et une modalité d’autoconfrontation ensuite, qui se réalise au travers de la production d’un commentaire (écrit) de la part du modèle ayant trait à ses propres dires pendant l’entretien d’instruction.

8Élaboré vers la fin de années 1920 dans le domaine de la psychologie sociale, mais dans un cadre qui a concerné de fait des problématiques de travail, l’entretien de recherche a été mis en œuvre dans les enquêtes conduites par Roethlisberger et Dickson à la Western Electric (voir Blanchet et coll., 1985), portant initialement sur les conditions matérielles de la productivité en entreprise, ensuite sur l’influence du « moral » des ouvriers sur cette même productivité. Chez ces auteurs, le dispositif d’entretien consiste en un recueil, dans des conditions de confidentialité et d’anonymat, des « pensées et sentiments » des ouvriers concernant le contexte de travail, les tâches et les relations au travail. Les définitions et les usages actuels de l’entretien de recherche sont multiples ; néanmoins, la plupart des auteurs soulignent : 1) la visée heuristique de l’entretien ; 2) son inscription dans un contexte de recherche ; 3) son aspect « objectivant » eu égard aux faits psychologiques et sociaux, dont il s’agit d’élaborer un savoir transmissible (Blanchet & Gotman, 1992).

9S’agissant spécifiquement du travail enseignant, on peut constater à postériori que l’analyse des pratiques ne s’est pas déployée dans une perspective didactique au sens strict du terme. Bien que l’activité réelle des enseignants ait toujours été au centre, les « verbalisations » suscitées chez ces derniers visaient plutôt la mise en évidence de l’expertise professionnelle de l’enseignant (Goigoux, 2002), ou encore de la dimension de « travail » de l’activité enseignante, conjointement à la contestation de ce que l’enseignement serait une « mission » ou un « don ». Dès lors, l’analyse des pratiques enseignantes a de fait surtout concerné la compréhension et la modélisation de gestes professionnels (Bucheton, 2009 ; Jaubert & Rebière, 2006), l’analyse des répertoires et des postures qui font la spécificité du travail enseignant en tant qu’interaction (Cicurel, 2011), ou encore l’analyse des dimensions ergonomiques de l’activité enseignante et du rapport de celle-ci à la prescription (Saujat, 2002).

10L’analyse et la conceptualisation des dimensions didactiques ont été, pour leur part, prises en charge par des recherches mobilisant, certes, des données recueillies in situ, en classe, la plupart du temps sous forme d’enregistrements vidéos (voir les recherches relatées dans Aeby-Daghé & Dolz, 2008 ; Canelas-Trevisi, 2009 ; Schneuwly & Dolz, 2009 ; Sensevy, 1998, entre autres), mais qui ne comportent pas pour autant de volet d’« analyse des pratiques » au sens propre du terme, car elles ne mobilisent pas de dispositifs sollicitant explicitement la réflexivité des enseignants, comme les dispositifs décrits plus haut ; autrement dit, dans ce cadre, si les données enregistrées en classe servent bien entendu, et de manière incontestablement éclairante, à l’analyse didactique, cette dernière est le produit du travail des chercheurs et non celui de l’interprétation de l’activité par des praticiens.

11Sans nullement remettre en question la pertinence intrinsèque de chacune des perspectives de recherche (trop) rapidement esquissées ci-dessus, c’est dans la direction d’une mise en interaction de celles-ci que notre contribution se propose (modestement, vu l’ampleur de la tâche…) de faire un pas : ainsi, nous examinerons dans ce qui suit, d’une part, les modalités d’interprétation de l’activité par les enseignants, attestables dans le cadre de dispositifs d’analyses de pratiques outillés ; d’autre part, les conditions d’émergence, dans ce cadre interprétatif, de dimensions didactiques de l’activité enseignante.

  • 2 La prise en compte de ce type d’ouvrages nous parait méthodologiquement intéressante, dans la mesur (...)

12Notons encore que pour le choix, l’identification et la définition de ces dimensions didactiques, nous prenons appui en particulier sur le second regroupement de recherches évoqué ci-dessous, ainsi que sur un ensemble de conceptualisations proposées dans la littérature, dans des ouvrages visant à fournir des éléments généraux de base pour la compréhension du domaine de l’enseignement du français2 (voir, par exemple, Chiss, David & Reuter, 2005 ; Simard, 1997 ; Simard, Dufays, Dolz & Garcia-Debanc, 2010). Ces ressources théoriques, ainsi que la teneur effective de nos données empiriques, nous ont conduites à nous centrer sur les dimensions didactiques suivantes : les savoirs à enseigner ou enseignés, produits de la transposition didactique, les moyens d’enseignement (manuels et divers autres outils utilisés en classe) et les gestes didactiques, en tant que processus praxéologiques qui contribuent à l’avènement de l’objet enseigné (voir Aeby-Daghé & Dolz, 2008 ; Schneuwly, 2009). Les classifications, les extensions et les dénominations de ces gestes sont différentes selon les auteurs et ce n’est pas le lieu ici de discuter ces différences. En nous en inspirant assez librement, on peut néanmoins mentionner : la mise en place de dispositifs didactiques, qui repose principalement sur la formulation des consignes et des tâches, la présentification, qui consiste à rendre l’objet présent, à le montrer en classe en utilisant des moyens adéquats, la décomposition, qui implique une hiérarchisation des dimensions de l’objet, le pointage, qui consiste à focaliser l’objet ou une de ses dimensions, la construction de la mémoire didactique, visant la recomposition de ce qui a été décomposé, la régulation, et l’institutionnalisation, qui permet la prise de conscience de ce que l’objet enseigné fait partie d’une culture disciplinaire, étant de ce fait transférable et exigible dans d’autres contextes.

2. Précisions méthodologiques

13Les données sur lesquelles nous travaillons concernent des professeurs de français langue étrangère (FLE), et ont été recueillies dans trois institutions différentes, qui se distinguent notamment par le type de public apprenant qui les fréquente (voir Jusseaume, 2012) : la première (désormais I1) accueille des apprenants venant du monde entier, en situation de précarité (chômage, statut de réfugié), d’un niveau de formation souvent équivalent au cycle primaire, peu acculturés à l’écrit, peu habitués au travail intellectuel. La deuxième institution (désormais I2) se caractérise par un public apprenant constitué de fonctionnaires européens, en situation privilégiée (emploi dans la fonction publique européenne), d’un niveau de formation universitaire, habitués à la réflexion et au travail intellectuel, mais centrés sur le monde du travail et le domaine européen. La troisième institution (désormais I3) accueille un public constitué d’étudiants d’universités du monde entier, plutôt jeunes et relativement privilégiés, d’un niveau d’éducation supérieure, appartenant encore au monde académique.

  • 3 Dans les extraits que nous allons proposer par la suite, ces formateurs seront identifiés par des i (...)

14Neuf formateurs, huit femmes et un homme, ont accepté de participer à cette recherche. Ces personnes ont été sollicitées en raison de leur appartenance institutionnelle (trois formateurs par institution), du type de public auquel ils enseignent, mais aussi de leur disponibilité et de leur intérêt pour la démarche mise en place3.

  • 4 Tous les exemples qui suivent sont extraits de nos données.
  • 5 « Censé » car il arrive bien entendu que l’interviewé ne puisse pas toujours tenir cette posture, e (...)

15S’agissant précisément de la démarche utilisée, celle-ci comporte une innovation méthodologique, en ce qu’elle relève d’un dispositif hybride, combinant « entretien de recherche » et « instruction au sosie » (voir supra). Concrètement, nos entretiens ont comporté deux parties : l’une, prenant la forme d’entretiens semi-directifs, et abordant, selon un canevas préétabli, des thèmes liés au parcours professionnel du formateur, à son expérience d’enseignement et aux caractéristiques du public auquel il s’adresse ; l’autre, prenant la forme d’instructions au sosie (plus exactement de la partie « entretien » de celle-ci) et abordant un agir particulier, délimité : l’enseignement du passé composé. En respectant la technique propre à l’instruction au sosie, cette partie a été introduite par la consigne « Suppose que demain je sois ton sosie et que je me trouve en situation de devoir te remplacer dans ton travail. Quelles sont les consignes que tu devrais me transmettre afin que personne ne remarque la substitution ? », et a demandé, de la part de l’interviewé, et par rapport à la partie précédente, un délicat exercice de décentration : le propre de l’instruction au sosie est de mettre en scène un agir hypothétique (celui du sosie remplaçant), mais dont la construction se fonde sur l’expérience passée de l’interviewé et sur son contexte professionnel réel (voir Bulea, 2010, pour une analyse). Au plan technique encore, l’intervieweur-sosie pose ses questions en « je » [Donc je termine la leçon / je leur dis quoi pour terminer ?4], alors que l’interviewé-modèle est invité, et censé toujours5, répondre en utilisant un pronom de deuxième personne, « tu » ou « vous » [Alors / déjà tu vas leur donner / un / du travail (…) dans le livre d’exercices 3 page 45 euh ensuite euh tu peux aussi également les faire écrire un petit texte… — entretien avec VH].

16Ces entretiens ont été conduits dans une perspective explicite d’analyse de l’activité. L’hybridation méthodologique à laquelle nous avons procédé, et dont on mesure à la fois les avantages et les limites, était motivée notamment par le souhait de se donner les moyens de comparer et de contraster la manière dont une seule et même personne saisit des éléments de son activité selon des formats discursifs et interactifs différents, afin d’examiner la possible influence de ces formats sur l’interprétation de l’agir produite.

17Quant à l’analyse des données, la méthodologie utilisée exploite le modèle de l’architecture textuelle élaboré dans le cadre de l’interactionnisme socio-discursif (voir Bronckart, 1997) et relève d’une approche résolument textuelle-discursive. Nous prenons comme point de départ le texte, en l’occurrence l’entretien dans sa totalité et sa dynamique, en tant qu’unité communicative englobante et articulée à la forme d’activité humaine que constitue la recherche ; texte dont il s’agit d’examiner les propriétés selon une perspective doublement « descendante » : d’une part en allant depuis les conditions de production du texte vers le texte comme produit, d’autre part en allant de l’unité texte vers les paliers inférieurs de structuration : segments thématiques et types de discours qui les organisent → relations prédicatives, mécanismes de connexion et de cohésion, mécanismes de prise en charge énonciative → unités minimales de l’ordre du mot (voir Bulea, 2007 et 2010, pour une présentation détaillée).

3. Les « figures d’action » dans le discours des enseignants

18Notre première analyse, dont certains résultats sont relatés ci-dessous, concerne l’interprétation de l’agir enseignant de manière générale, c’est-à-dire en amont d’un regard spécifiquement didactique, et réexploite pour ce faire la notion de « figures d’action » (Bulea, 2007, 2009, 2010 ; Bulea & Bronckart, 2010). Les « figures d’action » sont des configurations discursives, correspondant à autant de formes d’interprétation de l’agir, qui reposent notamment sur l’exploitation alternée, dans le cadre du même entretien, de différents types de discours (discours interactif, discours théorique et récit en particulier) et de différents axes temporels de référence (axe de la situation d’interaction, axe situé en amont ou en aval de cette situation, ou encore non borné), ainsi que sur la mobilisation différenciée de noms et pronoms codifiant les actants, ou encore de mécanismes énonciatifs, dont en particulier les modalisations et les prises en charge énonciatives. Au nombre de cinq, ces « figures d’action » présentent les caractéristiques générales qui suivent.

  • 6 Dans les instructions au sosie, le « je » est remplacé par « tu », ce changement étant requis par l (...)
  • 7 Dans les exemples de figures d’action, nous avons mis en italique les unités ou structures qui sont (...)

19La figure de l’action occurrence constitue une saisie de l’agir caractérisée par un très fort degré de contextualisation. Sa construction repose sur l’identification d’un ensemble d’ingrédients de l’agir saisis dans leurs dimensions particulières, spécifiques. Cette figure apparait quasi exclusivement dans des segments de discours interactif, avec un axe de référence temporelle qui est celui de la situation d’interaction ; néanmoins, des axes de référence locaux peuvent apparaitre, ces derniers constituant souvent des projections vers le moment (ou une phase particulière) de l’agir. De même, on remarque de nombreuses occurrences de discours rapporté. Du point de vue des marques d’agentivité, l’actant est désignée par des « je », ce qui signale sa forte implication, ou son statut d’acteur6. Enfin, cette figure se caractérise par un nombre important de relations prédicatives indirectes, notamment des modalisations pragmatiques7.

(1) Exemple de figure de l’action occurrence

… ben tu vas leur présenter les objectifs de façon extrêmement simple donc tu vas écrire au tableau aujourd’hui on va apprendre à parler au passé / parler d’hier ↑ / pour ça tu vas leur dire quelle date on est aujourd’huii’ vont te dire la date avec les chiffres [INT : hum hum] et après tu vas leur demander la date d’hier ↑ / juste pour les mettre en confiance et leur dire dans quel espace-temps on s’trouve [INT : d’accord] après ça et bien tu vas par exemple prendre des exemples de leur vie à eux.
(Entretien avec RV, I1)

20La figure de l’action évènement passé procède par délimitation et extraction du passé d’un évènement saillant et illustratif de l’activité. Elle apparait dans des segments de récit interactif, les actes évoqués étant saisis en référence à un axe temporel situé en amont de la situation d’entretien, et dont l’origine est marquée (par exemple, hier, il y a 15 ans, une fois, etc.). L’actant demeure impliqué dans l’évènement raconté, ce qui est marqué par la présence du pronom « je ». Cette figure se caractérise enfin par une structuration des faits racontés potentiellement proche du schéma narratif (situation initiale, complication, résolution, évaluation), qui confère à l’unité extraite son statut d’« évènement ».

(2) Exemple de figure de l’action évènement passé

… il m’est arrivé d’avoir des difficultés (…) quand t’as deux nationalités opposées :: / euh j’ai eu une fois un Palestinien et puis un :: / un Israélien / ben ils se sont levés / ils étaient prêts à se taper l’un sur l’autre / pis faut gérer ça quoi / [INT : xxx] j’tape sur la table / j’tape sur la table aussi hein / en disant que ça s’passe pas xxx même pas à l’intérieur de la classe.
(Entretien avec HT, I1)

21La figure de l’action expérience constitue une saisie de l’activité sous l’angle de la cristallisation personnelle de multiples occurrences d’activités vécues : elle propose une sorte de bilan de l’état actuel de l’expérience de l’actant, eu égard à la tâche concernée. Elle apparait principalement dans des segments de discours interactif, mais avec un axe de référence temporelle non borné, marqué par des adverbes à valeur généralisante (normalement, de toute façon, etc.). Son organisation discursive tend à reproduire l’ordre chronologique de l’activité, mais signale aussi des points de bifurcation de celle-ci, ainsi que des adaptations mises en place par l’actant (formulations en si… alors).

(3) Exemple de figure de l’action expérience

… par exemple pour les traducteurs si j’ai des traducteurs dans un groupe euh je travaille parfois un texte mais au lieu de faire seulement de la compréhension:: globale [INT : ouais] et de la discussion:: [INT : ouais] euh s’il y a des traducteurs dans le groupe je vais m’adapter et faire proposer parallèlement peut-être facultativement ils peuvent le faire à la maison un travail de vocabulaire ou dans les mots soulignés dans le texte ils doivent trouver des synonymes qui sont proposés dans :: / en annexe [INT : d’accord] donc je m’adapte un peu surtout pour les traducteurs.
(Entretien avec GL, I2)

22La figure de l’action canonique réside en une saisie de l’activité sous forme de construction théorique, et elle propose une logique de la tâche présentée comme a-contextualisée, à validité générale. De ce fait, elle rend compte surtout de la structure chronologique prototypique de l’agir, ainsi que des normes qui le régissent. Cette figure s’organise sous forme de discours théorique, ou de mixte théorique-interactif, qui organise une suite de verbes conjugués au présent générique, évoquant des actes dont l’ordre tend à reproduire la chronologie générale de l’agir. Cet ordre est en outre exprimé au travers d’une organisation phrastique canonique, du type sujet – verbe – complément, qui comporte souvent des modalisations déontiques (il faut, on doit, etc.) ainsi que des marques agentives (on, tu impersonnel) attestant d’une très faible, voire inexistante, actorialisation de l’enseignant.

(4a et 4b) Exemples de figure de l’action canonique

… on a un programme et / on a une liste de matériel à utiliser qu’on doit utiliser / la façon dont tu / on l’utilise n’a aucune importance mais / le matériel doit être utilisé [INT : xxx] exploité.
(Entretien avec VH, I2)

… à l’Ixxx (nom de l’institution) c’est différent (petit rire) /// [INT : de quelle façon / par exemple (voix très basse, sur le ton de la confidence)] euh j’veux dire tu suis la méthode / tu remets pas en question / les étudiants doivent suivre.
(Entretien avec HT, I1)

23La figure de l’action définition relève d’une saisie de l’activité en tant qu’objet de réflexion. Contrairement aux autres figures, elle ne thématise ni les actants, ni l’organisation chronologique de l’activité, mais rassemble des traits jugés pertinents, susceptibles de la circonscrire et de la différencier d’autres sortes d’activités. Elle est insérée dans des segments relevant du discours théorique, mais contrairement à l’action canonique, les formes verbales mobilisées ne portent que rarement sur des actes ou des gestes. La grande majorité des relations prédicatives est constituée de constructions impersonnelles en c’est et il y a.

(5) Exemple de figure de l’action définition

… je sais que je ne peux pas arriver non préparée à un cours par exemple c’est pas me remettre en question mais c’est c’est d’être toujours au moins au courant de tout ce qui se passe en Euro::pe au sujet des :: des :: / ben des réformes et des choses comme ça (…) donc euh oui c’est / c’est d’être toujours ouais sur le fil de l’actualité je dirais.
(Entretien avec VH, I2)

  • 8 Au plan théorique, la distinction entre figures d’action internes et externes ré-exploite et prolon (...)

24Conjointement à la production des cinq figures d’action qui viennent d’être décrites, on observe que les enseignants tendent à substituer à cette analyse de leur propre travail une description et un commentaire de l’agir de leurs élèves, ou étudiants. Nous pouvons dès lors différencier les figures d’action internes, dont le référent est l’agir spécifique de la personne interviewée (l’enseignant, comme dans les exemples ci-dessus), et les figures d’action externes, dont le référent est l’agir d’autres protagonistes de la situation de travail, en particulier les élèves8. Les propriétés linguistiques des figures d’action externes sont globalement les mêmes que celles des figures d’action internes correspondantes, mais il existe une différence dans le domaine de la cohésion nominale, dans la mesure où ces figures comportent des séries isotopiques dont l’origine est exprimée par une forme nominale codifiant les apprenants et les reprises anaphoriques sont constituées de pronoms à la troisième personne (il, elle, ils, etc.).

  • 9 Dans ces exemples, nous avons laissé les figures internes en caractères romains, et nous avons mis (...)

25En réalité, les entretiens réalisés avec les enseignants se caractérisent par un va-et-vient permanent, ou une alternance, ou encore une forme d’articulation, entre des figures d’action internes et externes ; et cette alternance — qui semble caractériser le discours des enseignants, et qui est quasi absente dans le cas d’autres métiers, comme celui d’infirmière ou d’opérateur en entreprise — est présente aussi bien dans la partie « entretien de recherche » que dans la partie « instruction au sosie ». En voici deux exemples, relevant de chacune de ces parties9 :

(6) Enchainement action occurrence interne et action occurrence externe

… donc ils voient euh déjà:: que quelque chose se passe mais ils savent pas quoi / eux ils parlent de leur semaine de travail [INT : d’accord] et c’est sous forme de discussion de tour de table / toi [INT : d’accord] tu notes [INT : d’accord] au fur et à mesure / et puis quand ils ont dit le maximum:: euh ou quand ton tableau est rempli [INT : ouais] hein euh tu dis et ben voilà en général voilà ce que vous faites pendant la semaine / donc en bleu toi par exemple tu reprends un peu ce que X ou Y a dit / toi tu dis tu travailles de telle heure à telle heure [INT : oui] hein / et cette semaine qui vient de se passer est-ce que tu as travaillé:: de telle heure à telle heure.
(Entretien avec GL, I2, partie « instruction au sosie »)

(7) Enchainement action définition externe et action définition interne

… oh à Fxxx (nom de l’institution) c’est [ne] pas savoir apprendre / c’est [ne] pas forcément avoir l’intérêt d’apprendre / préférer rester à la maison / en ayant leurs indemnités chômage / euh (2s) oui puis c’est peu de scolarité donc comment leur apprendre à :: à apprendre s’ils veulent le faire aussi / et puis c’est respecter leurs douleurs quand ils ont des douleurs etc. c’est pas facile aussi de devoir travailler en se disant ben il a pas la tête ici pour une raison ou une autre.
(Entretien avec HT, I1, partie « entretien de recherche »)

26Ce dédoublement de figures d’action nous parait être lié à trois facteurs au moins. Premièrement, cela montre que, dans le cadre de la profession enseignante, l’interprétation de l’agir propre est quasi indissociable de celle de l’agir des élèves, comme si une saisie exclusive du premier était inadéquate par rapport aux propriétés générales de l’activité ; et ce phénomène ne nous parait pas sans lien avec une des caractéristiques du « discours enseignant ambiant », mise en évidence par Bronckart et Machado (2005) : c’est que dans les textes institutionnels du domaine scolaire, les élèves en tant que bénéficiaires de l’agir enseignant et l’effet escompté de cet agir y sont systématiquement thématisés, et ce plus que l’actorialité même des enseignants.

27Deuxièmement, les figures d’action externes fournissent aux enseignants une possibilité d’interprétation des résultats de l’agir propre, sous une forme non pas déclarative, globalisante et statique, mais dynamique, potentiellement progressive, et située à l’intérieur même de l’activité collective. La construction des figures d’action externes est une occasion de prise de conscience, de la part des enseignants, de ce que leur faire produit comme agir, comme processualité chez les élèves, et non seulement comme état, ou nouveau stade, de maitrise des connaissances.

28Troisièmement, les figures d’action sont potentiellement des sources d’évaluation les unes pour les autres : ainsi, l’interprétation de ce que les élèves font (ou ne font pas, ou font difficilement, etc.) au travers de la construction des figures d’action externes peut conduire à une réévaluation de certaines dimensions de l’agir propre, saisies, elles, par les figures d’action internes, de manière rétrospective, prospective ou généralisante.

4. Les « figures d’action » : quelle place pour les dimensions didactiques de l’activité ?

29En réexaminant les figures d’action produites par les enseignants de notre recherche sous l’angle spécifique des dimensions didactiques qui y sont attestables, nous nous bornerons à formuler, pour clore, un ensemble d’observations organisées en quatre points.

301) La dimension la plus autonome, dont l’évocation semble indépendante de l’une ou l’autre des figures d’action, est celle du matériel pédagogique et des moyens d’enseignement. Cette dimension peut faire l’objet tantôt d’une thématisation générique, non incluse dans la construction de figures (exemple 8, infra), tantôt d’une saisie contextuelle, incluse dans le cadre de l’action occurrence (exemple 9), ou encore d’une saisie en rapport avec des normes de travail, à l’intérieur de l’action canonique (voir les exemples 4 a et b, supra).

(8) Thématisation du matériel hors figures d’action

… il y a effectivement / disons qu’au niveau du matériel on a beaucoup de / beaucoup de supports (rires) / de médias qu’on peut utiliser.
(Entretien avec MB, I1)

(9) Thématisation du matériel à l’intérieur de l’action occurrence

… si tu veux tu peux prendre des cartes [INT : oui] avec des verbes par exemple [INT : oui] ou avec des dessins [INT : oui] et puis leur demander soit ce qui s’est passé / soit euh:: / euh / si tu montres des dessins à / dans une situation qu’est-ce qui s’est passé avant ↑
(Entretien avec HT, I1)

312) La problématique de l’objet enseigné semble, quant à elle, apparaitre de manière préférentielle dans le cadre de la figure d’action occurrence, ce qui montre une certaine difficulté de saisir cette dimension didactique autrement que de manière contextualisée, et en relation avec certains gestes didactiques, notamment la présentification, la décomposition et le pointage. Ainsi, tous les extraits d’instruction au sosie comportent en fait de très longs passages où les enseignants déploient un vrai scénario didactique, comme il ressort de l’extrait ci-dessous (drastiquement abrégé néanmoins).

(10) Thématisation de l’objet et de gestes didactiques dans l’action occurrence

… après tu vas leur demander la date d’hier (…) après ça et bien tu vas par exemple prendre des exemples de leur vie à eux (…) après et ben tu vas leur expliquer comment ça marche / donc tu vas leur réexpliquer le verbe avoir qu’ils connaissent déjà (…) tu vas utiliser des fiches de couleur / tu vas écrire le verbe au tableau / tu vas enlever la fiche et et tu vas la remplacer par la fiche et tu recommences à chaque fois pour chaque exemple que tu fais (…) après tu vas l’faire à l’oral / tu vas donner des verbes qu’ils connaissent déjà / parler / danser / chanter / étudier / et leur demander de faire des phrases / ils vont inventer / qu’est-ce que tu as fait hier [INT : d’accord] et après on va les écrire…
(Entretien avec MB, I1)

323) Le geste d’institutionnalisation semble, quant à lui, faire l’objet d’une saisie tendanciellement à l’intérieur de l’action canonique et de l’action définition, intégrant de ce fait cette « logique générale » de l’agir que la première figure d’action construit.

(11) Institutionnalisation dans l’action canonique et définition interne

… et puis après on fait le transfert au livre à la grammaire progressive du français voyez c’est ça / les verbes réguliers c’est telle page / les verbes irréguliers // bon.
(Entretien avec GL, I2)

33De manière intéressante, ce geste est parfois dévolu aux élèves, les enseignants mettant en scène une forme de prise de conscience du statut du savoir par ceux-ci, au travers de la mobilisation du discours rapporté (maintenant je sais que ça c’est le passé composé), comme il ressort de l’extrait suivant, qui se situe en parfaite continuité du précédent.

(12) Institutionnalisation dans l’action canonique externe, projetée sur les étudiants

… ils aiment bien voir quand mê::me quelque chose pour fixer / [INT : d’accord] donc maintenant je sais que ça c’est le passé composé / je sais où ça se trouve dans ma grammaire et je peux / peut-être faire un exercice récapitulatif où il y a pas seulement les verbes réguliers.
(Entretien avec GL, I2)

344) Dans la mesure où l’action occurrence est la figure la plus permissive, comportant le plus de dimensions didactiques, le geste de mise en place de dispositifs didactiques y apparait régulièrement (voir l’exemple 1, supra) ; mais ce geste semble par ailleurs être au cœur et à l’origine des moments, dans l’instruction au sosie, où l’enseignant quitte le « tu » imposé par la consigne de cette technique pour « récupérer » l’agentivité exprimée à la première personne (« je »), conjointement à la possibilité de faire état de ses routines ou de ses préférences dans le choix des tâches et dans la conduite de l’activité. Ce passage du « tu » à « je » mobilise souvent des structures emphatiques, et correspond aussi au passage de l’action occurrence à l’action expérience, comme il ressort des extraits suivants.

(13a, 13b, 13c) Retour à la première personne et saisie de la mise en place du dispositif didactique

… si tu vois qu’il y a des difficultés tu peux éventuellement t’arrêter / discuter / c’que j’aime bien faire aussi c’est d’leur dire de s’aider mutuellement donc de faire souvent l’exercice à deux.
(Entretien avec MB, I1)

… tu les laisses parler et tu retranscris tout / que tu montres / ou ils le remarquent par eux-mêmes que / y a des participes passés qui changent / [INT : ouais] ensuite en général / je :: euh / j’efface tout / [INT : oui] j’leur fais une petite dictée puisque à Fxxx (nom de l’institution) euh on travaille beaucoup les dictées  / donc une dictée au passé composé.
(Entretien avec HT, I1)

… tu acceptes toutes les réponses même si elles sont incomplètes pour commencer euh avec des phrases un peu euh :: ben un peu branlantes c’est pas l’problème [S : donc je note les phrases] tu les répètes / moi je procède comme ça je les répète et ensuite au tableau je ne mets que des phrases correctes mais qui viennent d’eux.
(Entretien avec LH, I2)

5. En guise de conclusion

35Notre objectif était, d’une part, d’examiner les modalités sous lesquelles les enseignants interprétaient ou « se figuraient » leur activité dans le cadre d’analyses de pratiques outillées ; d’autre part, et tenant compte de ces configuration interprétatives, d’identifier les conditions et les modalités d’émergence, dans le discours, de dimensions proprement didactiques de l’activité enseignante. S’agissant du premier aspect, nos analyses ont mis en évidence l’existence de cinq « figures d’action », et surtout l’articulation fine et permanente de figures d’action « internes », portant sur l’agir propre, et « externes », portant sur l’agir des élèves ; ce dédoublement interprétatif témoignant, comme l’ont montré notamment certaines recherches en didactique comparée (voir Schubauer-Leoni, Leutenegger, Ligozat & Flückiger, 2007), de ce que la dimension collective, coopérative, est constitutive de l’activité enseignante et de la dynamique qui caractérise cette dernière. S’agissant du second aspect, nous avons pu montrer que si le matériel pédagogique et les moyens d’enseignement pouvaient faire l’objet d’analyses discursivement configurées indépendamment des figures d’action, les gestes didactiques et les savoirs enseignés semblent quant à eux intimement liés au processus de morphogenèse de ces figures, certains gestes étant de plus tendanciellement associés à certaines figures.

36Plusieurs questions mériteraient, bien entendu, d’être encore posées, qui concernent, d’une part, l’analyse plus fine encore, et conduite dans une perspective comparative (selon les parties du dispositif d’analyse de l’activité, les types de public, l’expérience des formateurs, etc.), de la manière dont les dimensions didactiques de l’activité enseignante sont thématisées à l’occasion de l’interprétation de l’activité ; d’autre part, l’exploitation que l’on peut faire de ce type de travaux dans le cadre de la formation des enseignants. Ces questions constituent autant de pistes pour la poursuite de ce travail, qui nous aura néanmoins permis de constater déjà que l’interprétation de l’agir enseignant repose, in fine, sur une réexploitation des ingrédients du triangle didactique « enseignant – élève – savoir » sous la forme « figures d’action internes – figures d’action externes – objet d’enseignement et gestes didactiques ». Et si la centration sur l’un ou l’autre de ces éléments est toujours possible et légitime, c’est bien entendu leur articulation qui constitue, à nos yeux, le gage d’une véritable « analyse des pratiques enseignantes ».

Haut de page

Bibliographie

Aeby-Daghé, Sandrine & Dolz, Joaquim. (2008). Des gestes didactiques fondateurs aux gestes spécifiques à l’enseignement-apprentissage du texte d’opinion. Dans D. Bucheton & O. Dezutter (dir.), Le développement des gestes professionnels dans l’enseignement du français (p. 83-105). Bruxelles : De Boeck Université.

Blanchet, Alain et coll. (1985). L’entretien dans les sciences sociales. Paris : Dunod.

Blanchet, Alain & Gotman, Anne. (1992). L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris : Nathan.

Borzeix, Anni & Fraenkel, Béatrice (dir.). (2001). Langage et travail. Communication, cognition, action. Paris : CNRS.

Boutet, Josiane (dir.). (1995). Paroles au travail. Paris : L’Harmattan.

Bronckart, Jean-Paul. (1997). Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionisme socio-discursif. Paris : Delachaux et Niestlé.

Bronckart, Jean-Paul. (2001). S’entendre pour agir et agir pour s’entendre. Dans J.-M. Baudouin & J. Friedrich (dir.), Théories de l’action et éducation (p. 133-154). Bruxelles : De Boeck.

Bronckart, Jean-Paul & Machado, Ana-Rachel. (2005). En quoi et comment les textes prescriptifs prescrivent-ils ? Analyse comparative de documents éducatifs brésiliens et genevois. Dans L. Filliettaz & J.-P. Bronckart (dir.), L’analyse des actions et des discours en situation de travail. Concepts, méthodes et applications (p. 221-240). Louvain-la-Neuve : Peeters.

Bucheton, Dominique (dir). (2009). L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés. Toulouse : Octarès.

Bulea, Ecaterina. (2007). Le rôle de l’activité langagière dans l’analyse des pratiques à visée formative (thèse de doctorat, Université de Genève).

Bulea, Ecaterina. (2009). Types de discours et interprétation de l’agir : le potentiel développemental des « figures d’action ». Estudos Linguísticos / Linguistics Studies, 3, 135-152.

Bulea, Ecaterina. (2010). Linguagem e efeitos desenvolvimentais da interpretação da atividade. Sao Paulo : Mercado de letras.

Bulea, Ecaterina & Bronckart, Jean-Paul. (2010). Les conditions d’exploitation de l’analyse des pratiques pour la formation des enseignants. Linguarum Arena. Revista do Programa Doutoral em Didáctica de Línguas da Universidade do Porto, 1(1), 43-60. Disponible en ligne sur <http://ler.letras.up.pt/site/default.aspx?qry=id04id1339id2317&sum=sim> (consulté le 27 janvier 2014).

Cicurel, Francine. (2011). Les interactions dans l’enseignement des langues. Agir professoral et pratiques de classe. Paris : Didier.

Canelas-Trevisi, Sandra. (2009). La grammaire enseignée en classe. Berne : Peter Lang.

Chiss, Jean-Louis, David, Jacques & Reuter, Yves (dir.). (2005). Didactique du français. Fondements d’une discipline. Bruxelles : De Boeck.

Clot, Yves. (2001). Clinique du travail et action sur soi. Dans J.-M. Baudouin & J. Friedrich (dir.), Théories de l’action et éducation (p. 255-277). Bruxelles : De Boeck.

Clot, Yves & Faïta, Daniel. (2000). Genres et styles en analyse du travail. Concepts et méthodes. Travailler, 4, 7-42.

Clot, Yves & Soubiran, Marc. (1999). « Prendre » la classe : une question de style ? Société française, 62-63, 78-88.

Daniellou, François. (1996). L’ergonomie en quête de ses principes. Toulouse : Octarès.

Dejours, Christophe. (1999). Le facteur humain. Paris : PUF.

Dominicé, Pierre. (1990). L’histoire de vie comme processus de formation. Paris : L’Harmattan.

Goigoux, Roland. (2002). Analyser l’activité d’enseignement de la lecture : une monographie. Revue française de pédagogie, 138, 125-134.

Grosjean, Michèle & Lacoste, Michèle. (1999). Communication et intelligence collective. Le travail à l’hôpital. Paris : PUF.

Jaubert, Martine & Rebière, Maryse. (2006). Gestes professionnels et apprentissage de la lecture en formation des maitres, étude de cas. Dans Actes du 9e colloque international de l’AIRDF « Le français, discipline singulière, plurielle ou transversale », Québec, août 2004.

Jusseaume, Sylvie. (2012). L’influence des caractéristiques du public sur la représentation de l’activité de formateurs en FLE. Une approche discursive (Mémoire de maîtrise, Université de Genève).

Oddone, Ivar, Re, Alessandra & Briante, Gianni. (1981). Redécouvrir l’expérience ouvrière. Vers une autre psychologie du travail ? Paris : Éditions sociales.

Pineau, Gaston. (1985). L’autoformation dans le cours de la vie : entre l’hétéro et l’écoformation. Éducation permanente, 78-79, 25-39.

Saujat, Frédéric. (2002). Ergonomie de l’activité enseignante et développement de l’expérience professionnelle : une approche clinique du travail du professeur (Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille I).

Scheller, Livia. (2000). L’élaboration de l’expérience au travail. La méthode des instructions au sosie dans le cadre d’une formation universitaire. Éducation permanente, 146, 161-174.

Schneuwly, Bernard. (2009). Le travail enseignant. Dans B. Schneuwly & J. Dolz (dir.), Des objets enseignés en classe de français (p. 29-43). Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Schneuwly, Bernard & Dolz, Joaquim (dir.). (2009). Des objets enseignés en classe de français. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Schön, Donald. (1994). Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Québec : Éditions Logiques. (Ouvrage original publié en 1983 sous le titre The Reflective Practioner. New York, NY : Basic Books).

Schubauer-Leoni, Maria-Luisa, Leutenegger, Francia, Ligozat, Florence & Flückiger, Annik. (2007). Un modèle de l’action conjointe professeurs-élèves : les phénomènes didactiques qu’il peut/doit traiter. Dans G. Sensevy & A. Mecier (dir.), Agir ensemble. L’action didactique conjointe du professeur et des élèves (p. 51-91). Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Sensevy, Gérard. (1998). Lecture, écriture et gestes professionnels. Repères, 18, 123-136.

Simard, Claude. (1997). Éléments de didactique du français langue première. Paris, Bruxelles : De Boeck Université.

Simard, Claude, Dufays, Jean-Louis, Dolz, Joaquim & Garcia-Debanc, Claudine. (2010). Didactique du français langue première. Bruxelles : De Boeck.

Vermersch, Pierre. (1994). L’entretien d’explicitation en formation initiale et en formation continue. Paris : ESF.

Haut de page

Notes

1 Appellation qui n’est évidemment pas sans lien avec l’approche du « praticien réflexif », développée dans les (et suite aux) travaux de Schön (1994).

2 La prise en compte de ce type d’ouvrages nous parait méthodologiquement intéressante, dans la mesure où, de par leur statut, ils sont susceptibles de rassembler des éléments (notions, concepts, principes, etc.) dont le statut didactique n’est pas/plus remis en question, bien qu’il n’y ait pas forcément consensus en ce qui concerne leurs définitions.

3 Dans les extraits que nous allons proposer par la suite, ces formateurs seront identifiés par des initiales fictives : HT, MB, RV, GS, VS, etc. L’institution d’appartenance sera mentionnée en utilisant les abréviations I1, I2 et I3. Relevons encore que la recherche dont ces données sont issues comporte plusieurs volets (un centré sur l’influence du type de public sur les représentations que les formateurs se font de leur métier [voir Jusseaume, 2012]), un autre centré sur l’influence du type de dispositif sur les modalités de saisie de l’agir, etc.) dont nous ne pourrons pas rendre compte ici.

4 Tous les exemples qui suivent sont extraits de nos données.

5 « Censé » car il arrive bien entendu que l’interviewé ne puisse pas toujours tenir cette posture, et revienne à des formulations en « je ». Nous y reviendrons dans nos analyses.

6 Dans les instructions au sosie, le « je » est remplacé par « tu », ce changement étant requis par la consigne et la technique mêmes. Il s’agit dans ce cas d’une actorialité déléguée, mais qui reste de l’ordre de l’actorialité, et qui contraste fortement avec les « tu » impersonnels, par exemple, qui sont proches de « on » et que l’on peut rencontrer dans d’autres figures d’action.

7 Dans les exemples de figures d’action, nous avons mis en italique les unités ou structures qui sont propres à la figure d’action concernée, ou qui la caractérisent. Les conventions de transcription sont les suivantes : / // /// : pauses de durée variable ; no:::n : allongements vocaliques ; deman- : unité inachevée ; xxx : segments inaudibles ; soulignements : chevauchements ; gras : prononciation appuyée ; ↑ : intonations montante et descendante ; [entre crochets] : brèves interventions d’un interlocuteur dans le tour de parole de l’autre ; (entre parenthèses) : commentaires du transcripteur. Le chercheur est noté INT.

8 Au plan théorique, la distinction entre figures d’action internes et externes ré-exploite et prolonge la distinction entre action interne et action externe proposée par Bronckart (2001) : l’action interne concerne les représentations et les évaluations qu’une personne se construit de son propre agir, de sa propre responsabilité dans l’activité collective, comportant ainsi des éléments (intentions, raisons, capacités, déterminations, résultats, etc.) auto-représentés ; tandis que l’action externe a trait aux représentations et évaluations de la responsabilité d’une personne telles qu’elles sont proposées par d’autres protagonistes de l’activité collective, venant donc « de l’extérieur », et comportant ainsi des éléments hétéro-représentés.

9 Dans ces exemples, nous avons laissé les figures internes en caractères romains, et nous avons mis en italique les figures externes.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Ecaterina Bulea et Sylvie Jusseaume, « Figures d’action et interprétation des dimensions didactiques de l’agir enseignant »Lidil, 49 | 2014, 51-70.

Référence électronique

Ecaterina Bulea et Sylvie Jusseaume, « Figures d’action et interprétation des dimensions didactiques de l’agir enseignant »Lidil [En ligne], 49 | 2014, mis en ligne le 25 novembre 2015, consulté le 11 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/3441 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.3441

Haut de page

Auteurs

Ecaterina Bulea

GRAFE et LAF, Université de Genève

Sylvie Jusseaume

IFAGE et Université de Genève

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search