Régine Delamotte et Mehmet-Ali Akinci (dir.), Récits d’enfants. Développement, genre, contexte
Régine Delamotte et Mehmet-Ali Akinci (dir.), Récits d’enfants. Développement, genre, contexte, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 380 p.
Texte intégral
1« Enfin un ouvrage consacré aux récits d’enfants produits à l’oral ! », pourrait-on dire, car comme l’annonce la quatrième de couverture, pour une fois, « récit » ne rime pas avec « écrit ». Or, comme le notent les auteurs dans la présentation, le récit oral est présent partout : dans les histoires qu’on raconte en famille au jeune enfant, dans les moments de langage à l’école maternelle, lorsqu’on lui demande d’évoquer ce qu’il a vécu la veille, et plus tard dans la conversation courante, où l’on se raconte ce qu’on a entendu, vu ou vécu au quotidien.
2L’ouvrage s’inscrit dans la lignée des travaux pionniers de Frédéric François et de son équipe sur le langage enfantin, et il en épouse les lignes de force : une grande ouverture analytique (absence d’un modèle dominant), un intérêt pour toutes les formes de réalisation narrative, et la mise en évidence de l’hétérogénéité des pratiques narratives enfantines. Qui dit « hétérogénéité » dit « variation ». Or justement, autre originalité de l’entreprise : il s’agit moins de fournir au lecteur une vision de ce que serait LE récit enfantin, que de lui montrer LES récits d’enfants, dans toute la palette de leur diversité. Cette hétérogénéité des formes de narration, le lecteur est appelé à la découvrir dans les trois dimensions qui donnent sa structure à l’ouvrage : le développement langagier (1re partie), le genre narratif (2e partie), les contextes de production (3e partie).
3Ainsi, dans la première partie, le lecteur a d’abord l’occasion de découvrir, grâce à la contribution de Aliyah Morgenstern, le récit enfantin en émergence, à travers les verbalisations d’un jeune enfant de deux à trois ans qui se raconte, au fil d’un dialogue largement étayé par l’adulte. Nathalie Salagnac (3e contribution) observe les conditions de transition du récité étayé et dialogué au récit monologué chez des enfants âgés de 4 à 6 ans. Le récit monologué fait l’objet des contributions de Mehmet-Ali Akinci d’une part, avec la question de la construction référentielle, et de Sophie Kern et Angélique Raffara d’autre part, qui étudient l’effet du support imagé sur les formes narratives. Enfin, grâce à la contribution de Stéphanie Gobet Jacob, on découvre le récit enfantin en langue signée.
4La deuxième partie de l’ouvrage débute avec deux contributions (celles de Régine Delamotte et de Frédéric François) qui interrogent le genre narratif à travers l’hétérogénéité des usages qu’on peut observer d’un enfant à l’autre ou chez le même enfant, et la diversité des interprétations qu’il est possible d’en tirer. Puis Inès Ben Rejeb (3e contribution) dévoile quelques aspects des récits de rêve d’enfants non voyants tandis que Amina Bensalah (4e contribution) observe la façon dont récit et description s’entremêlent lors du contact avec une œuvre picturale en classe de maternelle (moyenne et grande sections). Dans la 5e contribution, Fabienne Gippet s’intéresse à la clôture du récit chez des enfants de même âge qui racontent librement ou rappellent une histoire déjà entendue, puis Françoise Pouëch constate un effet du contact avec l’écrit, dans les narrations d’enfants suivis de la grande section jusqu’en fin de CP.
5La troisième partie rassemble des contributions qui traitent de récits collectés dans des contextes linguistiques et sociolinguistiques variés auprès de populations d’enfants d’origines diverses : enfants de 11 ans scolarisés à Addis-Abeba et rappelant en français des évènements vécus au cours de leurs vacances (Véronique Miguel Addisu) ; enfants de familles maghrébines et africaines scolarisés en maternelle dans la banlieue de Rouen et racontant en français des histoires ou des contes connus (Fabienne Lecomte) ; enfants bilingues âgés de 5 et 8 ans racontant des contes en basque L1 ou L2 (contribution de Ibon Manterola, Margareta Almgren et Itziar Idiazabal). Deux autres contributions intègrent la dimension visuelle de la communication et étudient comment le récit d’un adulte (en LSF dans le cas de Marion Blondel, en parole et gestes dans le cas de Mickaël Lenfant) est perçu et repris par de jeunes enfants sourds (dans le premier cas) et entendants (dans le second cas).
6Au final, c’est un ouvrage où il fait bon flâner d’un article à l’autre et glaner des informations, parce qu’il invite à réfléchir sur ce que signifie raconter et se voir raconter quelque chose lorsqu’on est enfant, sur ce qui est racontable et ce qui ne l’est pas, sur les relations qu’entretient le récit avec l’imagination et le rêve, sur la manière dont il se construit : narration fluide ou non, récit qui suit un fil initial ou bifurque et s’évade ailleurs. À chaque page, on est saisi par la complexité du langage qui sourd des récits eux-mêmes ou de leur analyse, qu’elle tienne à la proximité du raconter, de l’expliquer et du converser par exemple, ou aux supports sémiotiques (langues, signes gestuels, parole et gestualité coverbale) qui lui donnent forme. En outre, en dépit de références communes, on est surpris par la multiplicité des regards des analystes, et ce bel ouvrage est aussi une invitation à prolonger certaines observations en investiguant de nouvelles variables et en affinant la méthodologie. Décidément, l’étude du récit enfantin en développement est encore loin d’être épuisée !
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Marc Colletta, « Régine Delamotte et Mehmet-Ali Akinci (dir.), Récits d’enfants. Développement, genre, contexte », Lidil, 48 | 2013, 217-219.
Référence électronique
Jean-Marc Colletta, « Régine Delamotte et Mehmet-Ali Akinci (dir.), Récits d’enfants. Développement, genre, contexte », Lidil [En ligne], 48 | 2013, mis en ligne le 01 mai 2015, consulté le 03 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/3346 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.3346
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