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Comprendre un texte en langue étrangère : une question d’émotions…

Sophie Roch-Veiras
p. 97-114

Abstracts

After a brief review of some research we conducted over several years about the process of understanding a foreign language and the emotions, we propose, in this paper, a “model” to understand the literary narratives by the way of emotions, that we have developed for the classroom, which combines a joint approach of cognition, metacognition and emotions.

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Full text

1En didactique des langues, à la problématique de la compréhension de texte s’est ajoutée celle des émotions dans l’apprentissage, à savoir la façon dont les apprenants font face à leur anxiété lorsqu’ils s’engagent dans un processus de compréhension en langue étrangère (dorénavant LE) (Bandura, 2003) et au plaisir que ces derniers peuvent éprouver lorsqu’ils lisent un texte dans une LE (Poslaniec, 1990 ; Gervais, 1996). La problématique des émotions s’est enrichie ensuite d’une autre dimension, à savoir celle liée aux émotions que les éléments d’un texte suscitent et au rôle que ces dernières peuvent jouer dans la compréhension (Blanc, 2006). À l’origine des recherches sur les émotions suscitées par les éléments d’une narration littéraire, se pose la question de l’apprentissage de la compréhension. À partir des années 1990, de nombreux travaux en psychologie cognitive (Rémond, 2003 ; Bianco, Lima & Sylvestre, 2004) soulignent en effet la nécessité pour le lecteur d’acquérir un comportement de lecteur actif et régulé (Rémond, 2003 ; Bianco, Lima & Sylvestre, 2004) et la possibilité de mettre en œuvre un enseignement spécifique.

2Des recherches effectuées en psychologie cognitive et notamment celles de Blanc (2006), mais également d’autres travaux en neurosciences, psychothérapie, psychologie sociale, sciences du langage et didactique de la littérature fournissent un éclairage pluridisciplinaire à la réflexion sur les émotions dans la classe et donnent la possibilité de répondre à un questionnement relevant de la didactique.

3Si les émotions constituent un élément non négligeable de l’apprentissage et que celles suscitées par les éléments du texte interviennent dans le processus de compréhension, quels liens faut-il établir entre les émotions liées à l’apprentissage et celles déclenchées par les éléments du texte dans une activité de compréhension ? Comment envisager une « interpénétration entre émotion et cognition » (Favre, 2011, p. 18) dans un cours de compréhension de textes en LE et faire en sorte que les aspects cognitif, métacognitif et affectif ne soient pas séparés (Tardif, 1992) ?

4L’hypothèse devient alors qu’une approche basée sur les émotions déclenchées à partir des éléments du texte permettrait à l’enseignant d’associer une réflexion sur les émotions dans l’apprentissage et de conjuguer simultanément cognition, émotion et métacognition.

5Dans un premier temps, nous définirons les liens entre cognition, émotion et métacognition et nous montrerons que les émotions suscitées par les éléments d’un texte ont un rôle essentiel à jouer. Dans un deuxième temps, nous justifierons notre intérêt pour la narration littéraire et présenterons la « grille » d’une approche par les émotions que nous avons élaborée et qui se situe dans une démarche cognitive, métacognitive et émotionnelle. Enfin, nous donnerons des précisions sur les conditions de la mise en place de cette approche dans le cadre de deux cours de compréhension de textes pour des apprenants de FLE d’un niveau B2 (utilisateur indépendant) d’après le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL, 2001). En nous appuyant sur les recherches en cours effectuées sur les émotions et la compréhension de textes, nous analyserons et commenterons les résultats à l’aide d’exemples produits par les étudiants.

Revue de littérature

Des liens entre émotion, cognition et métacognition

6Il convient au préalable de préciser les relations entre cognition et métacognition en compréhension de textes. De prime abord, l’activité de compréhension est une activité qui requiert que le lecteur se donne les moyens de construire en mémoire un modèle de la situation évoquée. Cette tâche nécessite de « savoir faire preuve de flexibilité » (Blanc & Brouillet, 2005, p. 142) pour s’adapter au contexte situationnel décrit. Elle implique aussi de pouvoir « sélectionner les informations » (Blanc & Brouillet, 2005, p. 30) les plus appropriées.

7Ainsi, comprendre un texte, c’est faire appel à un ensemble de processus cognitifs complexes, comme le traitement de l’information, les processus d’intégration et d’élaboration et la métacognition (Giasson, 1996, 2005 ; Rémond, 2003 ; Bianco, Lima & Sylvestre, 2004). À propos de la métacognition en lecture, elle « se traduit par des comportements comme être conscient de ce que l’on fait lorsqu’on lit, savoir quoi faire lorsqu’on est face à des difficultés, savoir quelles stratégies choisir pour atteindre ses objectifs » (Pressley, 2002, cité par Giasson, 2005, p. 220).

8Pour ce qui est des liens entre émotion et cognition, nous mentionnerons que dès l’Antiquité, on s’est interrogé sur les émotions (Channouf & Rouan, 2002), le sujet de l’« âme » ou de la « raison » n’ayant pas laissé insensibles les philosophes. Descartes avançait l’idée que « les émotions nous renseignaient sur ce qui était important pour notre esprit » (Syssau, 2006, p. 52). À partir de Darwin (1872), une dimension biologique des émotions est aussi prise en compte.

9Néanmoins, les concepts d’émotion et de cognition ont souvent été mis en opposition ou bien ont fait l’objet d’études séparées. Il faut attendre les années 1990 pour que ceux-ci soient enfin associés et qu’il soit démontré que « sans émotions, il n’est pas de rationalité pratique » (Damasio, 1995, cité par Livet, 2002, p. 43).

10Parmi les nombreuses définitions proposées, nous retiendrons que l’émotion, dans son acception large et en lien avec la cognition, est « un état psychologique multidimensionnel dans lequel un individu peut se trouver en réaction ou en réponse à un évènement externe ou interne (cognition), et lui permettant de gérer ses objectifs par rapport à la situation confrontée » (Masmoudi, 2010, p. 66).

11Quant aux liens entre émotion et métacognition, ils interviennent sur le plan de la régulation des émotions qui « recouvre l’ensemble des processus par lesquels un individu va modifier son émotion » (Mikolajczak & Desseilles, 2012, p. 23). La régulation émotionnelle étant d’autant plus efficace que l’individu a une conscience émotionnelle élevée de ses émotions et qu’il est capable de les identifier (Nélis, 2009), elle exige que ce dernier puisse adopter un comportement métacognitif.

12À l’instar de Favre (2010), nous sommes persuadée que « la compréhension se manifeste en chacun [de nous] d’abord par une émotion et par une satisfaction qui peuvent guider le raisonnement et la prise de décision » (p. 245). Nous estimons aussi que l’activité de compréhension ne peut accéder à sa pleine dimension que si l’enseignant parvient à susciter chez l’apprenant une émotion de plaisir conséquence d’un besoin affectif ou intellectuel (Larivey, 2002) ; un plaisir, qui, comme nous le montrerons plus bas, doit être suscité chez l’apprenant dès le départ, avant même que ce dernier ne soit confronté au texte, lorsque l’enseignant « fait pressentir le livre comme [une] source de plaisir accessible » (Gervais, 1996, p. 48).

Émotions suscitées par le texte

  • 1 Deux enquêtes que nous avons effectuées respectivement en 2008 et 2009, la première, auprès d’une q (...)

13Si le paragraphe précédent était consacré en général aux émotions des apprenants dans leur apprentissage, les travaux entrepris par Blanc (2006), à partir desquels nous avons mené deux enquêtes1 (Roch-Veiras, 2009), aident désormais à mieux cerner les rapports de dépendance entre les émotions et l’activité langagière de compréhension de texte.

14Précisons d’abord que les émotions apparaissent au fur et à mesure que le lecteur progresse dans la lecture, mais c’est dès le début du texte que le lecteur, de façon automatique, s’engage dans la représentation des états émotionnels du protagoniste du récit en se basant sur ses connaissances émotionnelles intrinsèques ou issues de sa mémoire sémantique (Gernsbacher et coll., 1992, 1998, cités par Blanc, 2006). Par ailleurs, si les évènements décrits sont en adéquation avec cet état émotionnel, la représentation devient plus accessible, si elle l’est moins, une nouvelle émotion est activée (Blanc, 2006). Du fait de leur rôle de sélection, les émotions indiquent au lecteur ce qui est important et oriente le contenu de la représentation (Miall, 1990, cité par Blanc, 2006).

15On peut en distinguer deux types, les émotions artéfacts, qui interviennent plutôt en début et en fin de lecture et qui sont liées aux caractéristiques stylistiques, syntaxiques ou sémantiques du texte (Kneepkens & Zwaan, 1994, cités par Blanc, 2006), et les émotions fictives, transmises par les personnages présents dans le récit et par les évènements, et davantage ressenties lorsque le lecteur est plongé dans la lecture du récit. Les émotions peuvent également être « véhiculées par le lecteur lui-même qui va réagir à sa manière à la situation exposée » (Blanc, 2006, p. 123).

16Précisons enfin que l’une des fonctions des émotions soulignée par Blanc (2006) serait celle de pouvoir « remplacer les processus cognitifs » (p. 184). Il semble en effet probable que les émotions puissent jouer ce rôle notamment chez un lecteur moyen pour qui il n’est pas encore possible de sélectionner l’information importante de façon efficace et sans peine.

17Donc si l’émotion était prise comme un « indice qui nous permet de comprendre comment l’œuvre signifie » (Jouve, 2010, p. 123), elle pourrait peut-être se « réconcilier » (Favre, 2010, p. 18) avec la cognition. Cela nous permettrait de proposer une panoplie d’activités de compréhension de textes où les émotions suscitées par les éléments du texte interviendraient chez l’apprenant, à la fois, directement sur le contenu même du texte, sur le processus de compréhension et sur la gestion par l’apprenant de ladite compréhension.

La compréhension des narrations littéraires par les émotions

18Le choix que nous avons fait de la narration littéraire par rapport à d’autres types de textes, n’est pas fortuit ; pourquoi la littérature ? D’abord car cette dernière, en plus de sa dimension esthétique, nous donne précisément la possibilité de ressentir des émotions, de découvrir des dimensions inconnues et de nous aider à vivre (Todorov, 2007) ; la narration littéraire ensuite, parce que c’est « un récit qui met en scène des personnages qui se rapportent à des évènements vécus (ou anthropomorphes) et qui génère, par son action et son discours internes au récit, de multiples passions qui permettent au lecteur d’éprouver des sentiments ou des émotions » (Bremond, 1966, cité par Adam, 2011, p. 102). D’après De Bonis (1996) d’ailleurs, « les narrations littéraires constituent de précieux modèles dans la mesure où elles nous aident à comprendre la cohérence du monde de nos émotions » (p. 183).

19En ce qui concerne la compréhension écrite, nous ajouterons aussi que « comprendre un récit, ce n’est pas seulement suivre le dévidement de l’histoire, c’est aussi y reconnaitre des étages, projeter les enchainements horizontaux du fil narratif sur un axe implicitement vertical ; lire un récit, ce n’est pas seulement passer d’un mot à l’autre, c’est aussi passer d’un niveau à l’autre » (Barthes, 1966, p. 5).

Conditions de mise en place et présentation de la grille

20Même si la grille que nous avons essayé d’élaborer présente des limites, elle se propose néanmoins comme un outil qui permettra à l’apprenant de langue d’appréhender la compréhension du texte à partir des émotions.

21Puisque les exercices qui semblent susciter le plus de motivation sont ceux durant lesquels les apprenants sont les plus actifs (Naceur, 2011), nous avons tenu à ce que les questions de la grille soient fabriquées de telle sorte que les apprenants soient engagés dans une activité de résolution de problèmes. Par ailleurs, il nous parait essentiel de noter que cette grille ne peut présenter un réel intérêt que si les étudiants sont amenés à l’exploiter de manière collaborative.

22La grille a été proposée à deux groupes d’une vingtaine d’étudiants étrangers d’un niveau B2 (utilisateur indépendant), la première fois lors d’un stage intensif en septembre 2012, la seconde, à plusieurs reprises, dans le cadre d’un cours de compétences écrites, intitulé « émotions et mémoire », durant le semestre de printemps 2012-2013. Elle a aussi été expérimentée par des étudiants du Master 1 (FLE, cultures et médias, promotion 2012-2013) de l’Université catholique de l’Ouest (UCO), selon les mêmes procédés (voir plus bas), avec des trinômes d’apprenants (B2/C1) toute nationalité confondue.

23Avant toute exploitation de la grille elle-même par les étudiants, et plus particulièrement lors des secondes expérimentations, nous avons travaillé avec eux sur le lexique des émotions primaires et secondaires ainsi que sur des expressions s’y rapportant, et sur les inférences émotionnelles. Par la suite, nous avons ajouté un tableau avec du vocabulaire lié aux sensations corporelles.

24Si « l’on dispose [en effet] d’un vocabulaire émotionnel riche et complexe, comme le fait remarquer Nélis (2009), on sera en mesure de discriminer finement entre une multitude d’états émotionnels distincts » (p. 44). Déjà dans sa propre langue, posséder un lexique émotionnel suffisamment riche et varié est déjà compliqué, alors, à plus forte raison dans une LE.

  • 2 Voir aussi le Petit cahier d’exercices d’intelligence émotionnelle (2011).

25Plusieurs modèles dont celui de Plutchik (1980) et celui de Feldman-Barret et Russel (1998) peuvent aider l’enseignant à prendre conscience de la différence entre des états émotionnels proches pour nommer l’émotion ressentie et évaluer son intensité. L’ouvrage de Larivey (2002), intitulé La Puissance des émotions, est un outil de consultation assez complet sur la classification et la définition des émotions. Exploitable dans la classe à partir d’un niveau B2, le tableau du lexique associé aux émotions de base (Kotsou, 2009, 2011)2 constitue également une liste de mots, certes sèche et sans contexte mais qui associe à quelques émotions de base d’autres émotions.

26Quant aux inférences émotionnelles, elles ont fait l’objet d’activités préalables menées dans la classe. Après avoir distribué aux étudiants un corpus fabriqué d’une trentaine de phrases, nous leur avons demandé d’indiquer, à propos de chacune d’elles, si l’émotion était nommée ou inférée et de définir les émotions que chacun d’entre nous pourrait ressentir si elles nous étaient destinées.

27Précisons que les émotions entrent en jeu déjà en amont, au moment où l’enseignant sélectionne les contenus. Nous avons opté pour des nouvelles courtes, d’auteurs contemporains, certaines ayant une fin heureuse (les étudiants américains s’étant plaints par exemple que les fins de romans français soient souvent tristes), comme « La dent » ou « Falaises » (Saumont, 2012), « Cet homme et cette femme » ou « Happy meal » (Gavalda, 1999, 2000), « Une rencontre dans un supermarché » (Halter, 2010), « Il ne se passe jamais rien ici » (Desarthe, 2010), « L’inconnu du 15 août » (Abécassis, 2010), « Lucien » (Bourgeyx, 1984), « Quand Angèle fut seule » (Mérigeau, 1983), etc.

28Les apprenants ont dit avoir éprouvé du plaisir à lire lorsqu’ils pouvaient choisir eux-mêmes le texte ainsi que le moment et le lieu de lecture. Aussi, ont-ils pu lire les nouvelles à leur rythme et dans un cadre extérieur à la classe, et n’en sélectionner qu’une, celle qui leur convenait.

29À partir du texte choisi, par trinômes ou binômes (sauf lors de l’examen final), ils répondent à la grille (ou une partie de la grille) de compréhension des narrations littéraires par les émotions présentée ci-dessous.

« Grille » de la compréhension des narrations littéraires par les émotions


1. Votre état émotionnel

Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? Au moment où vous avez lu le texte quel a été votre état émotionnel avant de commencer la lecture ? Positif ou négatif ? Avez-vous ressenti des émotions ? Lesquelles ? Et maintenant ?


2. Votre anticipation par rapport au texte

Votre anticipation par rapport à la situation de lecture de ce texte a-t-elle induit chez vous des émotions positives ou négatives ? Lesquelles ? Pourquoi ?


3. Votre impression émotionnelle par rapport au début du texte

Après avoir lu le titre (et/ou le début du texte), quelles impressions ressentez-vous ? Quels éléments du texte vous donnent cette impression ? Les lieux, les moments, la description des personnages, le style du texte, la syntaxe, le vocabulaire… Notez tous les indices.


4. À propos de vos émotions suscitées par les personnages principaux

Ressentez-vous des émotions par rapport aux personnages principaux ? Lesquelles ? Ce sont les informations écrites dans le texte qui vous ont permis de comprendre les émotions que vous avez ressenties par rapport aux personnages du texte ? Ce sont des indices trouvés dans le texte, qui ont fait que vous ayez vous-même construit vos émotions sur les personnages ? Ce sont des réponses que vous avez su construire dans votre tête, grâce à des connaissances que vous aviez déjà sur l’histoire (ou le thème de l’histoire) ou des connaissances liées à vos expériences personnelles ou culturelles, qui ont fait que vous avez ressenti ces émotions-là par rapport aux personnages ? Relevez tous les éléments du texte qui ont suscité chez vous ces émotions. Vos émotions par rapport aux personnages ont-elles évolué ? Pourquoi ? Relevez tous les éléments du texte, relatifs aux personnages qui montrent que ces émotions ont évolué. Vous êtes-vous identifié au protagoniste ou êtes-vous resté témoin de la situation ?


5. Vos émotions suscitées par les lieux

Ressentez-vous des émotions par rapport aux lieux nommés ou évoqués dans le texte ? Citez les endroits, nommez les lieux (explicites ou implicites) et expliquez pourquoi vous ressentez ce type d’émotions. Dites si vous connaissez ces endroits ou ces lieux, et si vous les avez déjà rencontrés. Dites si ces lieux vous en rappellent d’autres… que vous avez aimés ou détestés. Quelles émotions évoquent-ils chez vous ?


6. Vos émotions suscitées par les moments

Ressentez-vous des émotions par rapport aux moments nommés ou évoqués dans le texte ? Lesquelles ? Cherchez des indices de ces moments-là dans le texte. Ces moments ont-ils quelque chose de particulier pour que vous ayez ressenti des émotions ?


7. Vos émotions suscitées par l’histoire

Vous avez ressenti des émotions par rapport à l’histoire. Lesquelles ? Ces émotions se sont-elles intensifiées ? À quels moments ? Ont-elles évolué ou se sont-elles transformées ? Pour quelles raisons ? Quelles émotions avez-vous ressenties à la fin de l’histoire ?


8. Les émotions et votre vitesse de lecture

Au cours de votre lecture, avez-vous « ralenti » ou « accéléré » votre vitesse ? À quels moments ? Pourquoi ? Est-ce parce que vous avez plus aimé ou détesté certains passages que d’autres ? Est-ce parce que ces derniers ont été plus excitants ou plus ennuyants ?


9. Vos émotions liées à l’écriture du texte

Avez-vous apprécié ou non, le style de l’auteur (texte raconté à la première personne ou à la troisième, ponctuation, syntaxe et vocabulaire utilisés…) ? Expliquez ce que vous avez apprécié ou détesté. Pourquoi ? Relevez les éléments qui vous ont particulièrement plu ou déplu.


10. Les émotions et votre regard sur le monde

Pourquoi avoir choisi ce texte ? Cette narration vous a-t-elle rappelé une expérience personnelle ? Si oui, laquelle ? Pour des raisons d’ordre culturel ou personnel, vous êtes-vous senti plutôt proche ou carrément étranger à la situation évoquée dans le texte ?


11. L’évaluation de vos émotions

Après avoir fini la lecture du texte, parmi les émotions suivantes (plaisir, satisfaction, fierté, tristesse, frustration, colère…) lesquelles ressentez-vous ? Êtes-vous satisfait de la façon dont vous avez ressenti vos émotions par rapport au texte ? Avez-vous éprouvé des difficultés à ressentir certaines émotions liées à l’histoire, aux personnages, etc. ? Avez-vous eu des difficultés à ressentir des émotions stylistiques, syntaxiques (la façon dont les phrases sont construites) ou sémantiques (par rapport au vocabulaire) du texte ? Avez-vous eu une perte de vos émotions ? À quels moments ? Avez-vous compris les raisons de cette perte ? Était-ce lié à vous-même ou au texte lui-même ? Ressentez-vous des émotions positives ou négatives par rapport à la compréhension de textes en général ? Lesquelles ? Pourquoi ? Le partage des émotions sur le texte, avec vos pairs, a-t-il été bénéfique pour vous ?

Analyse de la grille et résultats

30Les premières questions concernent l’état émotionnel de l’étudiant avant de commencer la lecture du texte, l’état émotionnel faisant référence à une situation éphémère, et limitée à un contexte spécifique (Naceur, 2011).

31La question de cet état émotionnel du lecteur n’est pas sans intérêt et conséquence sur la compréhension du texte, car au moment de le lire, les émotions peuvent déjà être présentes en amont et sont alors représentatives de l’état dans lequel se trouve le lecteur avant même le début du texte. Blanc et Tapiero (2000) ont montré que l’état dans lequel se trouve le lecteur avant la lecture, l’oriente dans sa sélection des informations, au niveau de la compréhension des inférences notamment, puisqu’il l’amène à privilégier certaines informations au détriment d’autres (Blanc, 2006).

32De même, Mikolajczak et Quoidbach (2009) ont conclu que « d’une manière générale, les émotions provoquent des biais de congruence, de sorte que nous tendons à percevoir prioritairement les stimuli positifs lorsque nous sommes heureux et les stimuli négatifs lorsque nous sommes malheureux » (p. 236).

33Par ailleurs, nous avons noté que les états émotionnels ont souvent comme point de départ une sensation et qu’ils sont étroitement liés au contexte environnant : « Je me sens d’attaque aujourd’hui du fait que je me suis couchée tôt, mais aussi un peu triste à cause de la fin du semestre », fait remarquer Séverine, une étudiante chinoise. À l’inverse, Amanda (Américaine) écrit : « Mon état émotionnel est plutôt négatif ; c’est samedi, 9 heures et il fait soleil pour la première fois depuis longtemps, donc, je suis ici, mais mes pensées sont ailleurs. »

34Quant aux émotions d’anticipation qui relèvent de la deuxième question, « elles reflètent le résultat d’un processus de décision et servent à préparer le sujet pour de nouvelles informations » (Naceur, 2010, p. 275). L’exemple qui suit explique bien ce type d’émotion ressenti par Steven, un étudiant américain au moment où il décide de choisir la nouvelle : « Au début du deuxième texte, ce dont je vais parler, j’étais assez inquiet car je n’aimais pas du tout le premier et j’ai voulu que le deuxième me plaise. Puisque j’ai voulu que le deuxième me plaise, je pense que mon anticipation me donnait des émotions positives envers ce texte. » Noelia (Brésilienne) a fait son choix grâce au titre de la nouvelle « qui m’a tout de suite fait penser à une histoire d’amour. J’étais donc contente, enthousiaste et disposée à la lire ».

35Les troisièmes questions, relatives à l’impression émotionnelle qui se dégage du texte, ont aussi leur intérêt comme nous le montre cette remarque de Heng (Chinois) :

Après avoir lu le début du texte, écrit-il, je me rends compte que cette histoire a lieu sur des falaises. Nous découvrons des indices tels que le caban de toile, le slip de bain rouge, la chemise jaune et un tee-shirt bariolé, ce qui nous permet de montrer des éléments estivaux de la mer. J’ai donc plein de joie et de bonheur. J’aime la mer. Malheureusement, dès le premier regard au titre « Falaises », de la tristesse vient en premier à l’esprit car je me doute que le personnage principal va se suicider en sautant les falaises à cause du désespoir.

36Aidant le lecteur à décider quelles informations sont pertinentes pour la situation, surtout au début du texte (Blanc, 2006), l’impression émotionnelle dirige l’attention du lecteur. C’est aussi cette même impression qui lui donne la possibilité d’exercer un contrôle sur le processus de lecture quand il y a peu d’indices par rapport au texte ou que le thème est encore vague (Spiro, 1982 ; van Dijk & Kintsch, 1983 ; Miall, 1988, cités par Blanc, 2006).

37Les émotions suscitées par les personnages principaux, évoquées dans la quatrième rubrique de questions correspondent aux émotions fictives. Dès le début du texte, le lecteur s’engage en effet automatiquement dans la représentation des états émotionnels du protagoniste du récit en se basant sur ses propres connaissances. Ensuite, au fur et à mesure qu’il progresse dans sa lecture, les émotions fictives deviennent de plus en plus nombreuses (Gernsbacher et coll., 1992, 1998, cités par Blanc, 2006). Elles ont pour rôle de l’inciter à concentrer son attention sur les informations les plus émouvantes du texte et participent à la construction du récit puisqu’elles aident l’apprenant dans l’orientation du contenu et dans le traitement plus élaboré de sa représentation (Meijsing 1980 ; Miall, 1990, cités par Blanc, 2006).

38En ce qui concerne l’empathie, il a été prouvé que le lecteur peut rester témoin privilégié de la situation sans avoir besoin aucunement de s’identifier au protagoniste (Tan & Schneider, cités par Blanc, 2006). Toutefois, il se montrera plus ou moins sensible selon l’empathie qu’il éprouvera pour ce dernier (Jose & Brewer, 1984 ; Tannenbaum & Gaer, 1965, cités par Blanc, 2006).

39Pour ce qui est des personnages, Devon, un étudiant canadien décrit dans le texte, ressent une forte empathie, voire même de la sympathie, pour la femme au détriment du mari :

Je n’aime pas du tout cet homme, dit-il. Il est difficile d’avoir beaucoup d’amitié pour l’homme. Il n’est pas fidèle à sa femme, et quand il est fidèle, c’est seulement pour l’argent… Je prends pitié pour la femme, la pauvre et donc en lisant, je me sens misérable moi-même. Mes émotions par rapport à l’histoire de ce texte sont liées à celles de la femme, en particulier son renoncement de la vie. Elles sont plutôt négatives.

Parfois, cette empathie va jusqu’à l’identification, comme chez Caitlin (Américaine) qui explique que l’un des personnages principaux lui fait penser à sa mère : « Quand j’ai lu le texte, j’ai imaginé que j’étais la fille et que ma mère était le père. »

40Si l’émotion, par rapport aux personnages, est nommée explicitement dans le texte, elle y est alors écrite. Si elle l’est implicitement, l’inférence émotionnelle que le lecteur génère pendant la lecture et qui représente l’information non explicite, le sera, grâce aux indices présents dans le texte et aux connaissances antérieures de ce dernier.

41Par rapport aux lieux et aux moments qui font l’objet des cinquièmes et sixièmes questions, si aucune référence à un champ lexical relatif aux émotions n’est faite, ce sont « des normes, des valeurs, des croyances implicites qui sous-tendent les raisons qui suscitent des émotions » (Amossy, 2010, p. 168). Le texte contient alors une « topique », associée à des lieux ou à des moments, qui dans telle culture ou chez tel individu justifient telle émotion (et dans une autre culture ou chez un autre individu, une autre émotion).

42En présence du texte, Chao, un étudiant chinois souligne qu’il a eu des émotions contradictoires par rapport au lieu, « le lieu, la maison de campagne, écrit-il, me fait sentir cette émotion. À mon avis, une maison de campagne convient bien aux couples très amoureux et très harmonieux, donc pour un couple dont le mari trompe la femme, ce lieu de vacances ne m’a pas convenu ». Zhang Liu par rapport au même texte a particulièrement retenu le fait que la ferme évoquée se situait aux alentours d’Angers (où se situe le centre où elle apprend le français). Quand le mot « Angers » est apparu dans le texte, souligne-t-elle, son émotion a changé sur son visage, ses yeux sont devenus plus grands ; elle a regardé ce mot qu’elle connaissait très bien et cela lui a fait plaisir.

43Par rapport à un autre texte, Amanda, évoquant les lieux et les moments, écrit :

Je me suis sentie à l’aise. J’ai réfléchi aux souvenirs d’enfance ; quand j’étais enfant, j’ai visité l’État d’Oregon où on trouve des falaises immenses juste à côté de l’océan Pacifique. Par rapport aux moments, je n’ai pas ressenti grand-chose ; je lis les mots et je les comprends, mais mon imagination a pris le lieu et est partie sur un chemin différent.

44La septième question, relative à l’intrigue, est liée au suspense présent tout au long du récit. Plus ce dernier sera imprévisible, plus son intensité augmentera (Wied, 1991, cité par Blanc, 2006). Itsuka explique que même si la fin de l’histoire a été « choquante », elle n’en restera pas moins « inoubliable » et source de plaisir aussi, car surprenante et inattendue. Amanda explique qu’elle a été déçue et plutôt insatisfaite par la façon dont l’auteur a fini son histoire. Zhu Lei nous dit avoir l’impression qu’il va se passer des choses horribles : « Je ne me sens pas bien », dit-elle, « puis je me suis sentie triste ».

45Précisons, comme le résume Blanc (2006) que la sensibilité au suspense est liée à la consigne de lecture et au degré de difficulté du texte qui a un effet négatif sur le ressenti du suspense.

46Pour ce qui est des huitièmes questions, qui traitent de la vitesse de lecture, il a été prouvé que les émotions exerçaient une influence sur cette dernière. Sur ce sujet, les recherches ont mis en évidence que la cadence, liée à l’intensité des émotions (Nell, 1988 ; Just & Carpenter, 1987 ; Schank, 1977, cités par Blanc, 2006), pourrait augmenter, par exemple, comme l’a montré Blanc (2006), selon que le lecteur est pressé de connaitre la suite du texte. Or, pour la quasi-totalité des apprenants de LE, les traitements étant plus couteux dans la LE, la vitesse de lecture est moins rapide. Ainsi, chez les lecteurs en transition, notamment, mais aussi chez beaucoup d’autres, nous avons pu vérifier que la cadence de lecture se trouvait souvent freinée par un manque de compétences dans la LE. Malgré cela, et paradoxalement, nous avons aussi pu observer, de notre étude, que cette cadence s’accélérait ou ralentissait, à un niveau B1 également, selon les émotions ressenties au cours de la lecture.

47Ainsi, Angela, étudiante argentine, a-t-elle ralenti sa vitesse de lecture lorsque dans le texte, elle a lu « Buenos Aires ». Michelle affirme qu’elle l’a accélérée pendant les descriptions pour lire plus vite les dialogues qu’elle adore ou parce qu’excitée, elle a été en attente de la suite : « Quand ils sont sortis du McDo, écrit-elle également, j’ai lu plus vite aussi pour voir si elle allait tenir sa main ou non. » Garrett a ralenti sa lecture pour « essayer de capturer les émotions que le personnage a ressenties pendant sa période de récupération après l’accident. Là, on ressent extrêmement de tristesse car on sait que sa vie ne sera jamais la même. Il y a une émotion de frustration et de colère. Ce n’est pas juste tout cela ».

48Les émotions liées à l’écriture du texte (neuvièmes questions) relèvent des émotions artéfacts. Elles sont suscitées par la structure de surface du texte : « La présence d’émotions artéfacts favoriserait la mémoire de la surface du texte, parce que le lecteur se rappelle non seulement les émotions ressenties mais également l’objet de ces émotions » (Blanc, 2006, p. 141). Elles interviennent plutôt au début de la lecture et une fois la lecture terminée, lorsque le lecteur a pris de la distance par rapport au texte lu. Ces émotions augmentent également selon le niveau d’expertise en littérature du lecteur et dans la LE.

49Devon fait remarquer que quand il lit une histoire, ce n’est pas l’histoire nécessairement qui lui donne des émotions, mais la manière dont l’auteur écrit. Séverine, étudiante chinoise, note que le fait que l’auteur ait utilisé la première personne pour raconter son histoire a rendu cette dernière « plus véritable », « c’est très proche de ma vie et cela suscite chez moi de la sympathie ». Elle souligne aussi le fait qu’elle a apprécié la structure du texte : « Généralement, on écrit seulement une histoire selon un ordre, mais ici l’auteur mélange deux évènements ensemble, l’un de faire des achats dans une grande surface, l’autre, c’est une rencontre avec une femme. » Vanessa nous explique que le texte qu’elle a choisi a été le plus long et aussi le plus difficile en termes de vocabulaire. En effet, indique-t-elle, « je n’ai pas compris tous les mots, mais ce sont les émotions que le texte m’a apporté qui a attiré mon attention. Il est léger ». Pour Amanda, l’histoire était si détaillée qu’il était impossible de ne pas ressentir les émotions de l’auteur. Zhu Lei a le sentiment que l’auteur décrit les pièces de la ferme avec les adjectifs exacts. « J’apprécie beaucoup ce style, écrit-elle, une cuisine très moderne, des torchons damassés…. Je n’aime pas un texte qui utilise une grammaire compliquée, je préfère que l’auteur utilise de beaux adjectifs pour décrire l’objet. »

50Grâce aux progrès dans les neurosciences affectives et la psychologie des émotions, de plus en plus de chercheurs (Bower, 1992, 2000 ; Schacter, 1999, 2001, 2003) s’accordent sur le fait qu’émotion et mémoire sont intimement liées. La mémoire autobiographique représentant « l’histoire de notre vie » (Fohn, 2013, p. 64), les individus par exemple sont davantage capables de se souvenir d’expériences émotionnelles que non émotionnelles (Kensinger, 2009, cité par Fohn, 2013). Néanmoins, le souvenir a « comme point de départ le stimulus présent » (Brouillet, 2006, p. 119) : « C’est [donc] l’expérience actuelle qui provoque le souvenir et non le souvenir qui provoque l’expérience actuelle » (Brouillet, 2006, p. 119). Ce qui amène Brouillet (2006) à affirmer que c’est la mémoire du présent qui « fabrique » celle du passé (p. 119). Ainsi, les questions de la rubrique dix renvoient au souvenir et à sa remémoration, aux liens que l’apprenant établit entre le texte et son expérience émotionnelle et culturelle, le texte littéraire, vécu « comme un espace d’apprentissage privilégié de l’altérité et suggérant des interrogations et des hypothèses » (Abdallah-Pretceille, 2010, p. 147) devenant dès lors aussi un catalyseur.

51De cette façon, Angela (Paraguayenne) écrit :

J’ai élu ce texte parce qu’il m’a fait souvenir, dit-elle, d’une conversation que j’ai eue les jours précédents avec une amie… À ce moment-là, nous étions en train de penser à nos amies mariées qui se sont plantées dans leur vie de famille. Le texte m’a fait penser à cette soirée où nous réfléchissions sur la vie et la possibilité de se marier.

52Enfin, les dernières questions s’achèvent sur les connaissances que les étudiants possèdent sur le processus de compréhension de leurs émotions au fur et à mesure que la lecture avance, sur la reconnaissance de la perte de leurs émotions et des stratégies éventuelles mises en place pour remédier aux difficultés. Elles font référence à la métacognition et métacompréhension, ou encore à la métaémotion, qui, selon Pons, Doudin, Harris et de Rosnay (2002, cités par Lafortune, 2010) « renvoie à la compréhension que le sujet a de la nature, des causes et des possibilités de contrôle des émotions mais aussi à la capacité du sujet à réguler l’expression d’une émotion et son ressenti émotionnel de façon plus ou moins consciente et implicite » (p. 109).

53Liu est totalement satisfaite de la façon dont elle a ressenti ses émotions par rapport au texte. Comme d’autres étudiants, Steven, lui, a ressenti une certaine frustration, inhérente au récit lorsque le texte s’est terminé de façon ambigüe. Liée à elle-même ou à l’intention de l’auteur, Noelia a ressenti une perte d’émotion lorsqu’elle s’est demandé ce qu’a pu ressentir la femme. Peut-être n’a-t-elle pas su inférer les émotions de cette dernière… Quant à Séverine, elle écrit : « Quand je suis bloquée par les mots, j’ai une perte de mes émotions. Je lis le texte avec mes propres hypothèses et quand elles sont différentes à ce que le texte dit ou quand j’ai mal compris le texte, je me sens perdue. »

54Enfin, le partage social des émotions, comme l’a observé Rimé (2010), n’est pas un phénomène lié à une culture donnée puisqu’il a été observé à des taux similaires dans les différents pays d’Asie, d’Amérique du Nord ou d’Europe où la question a été étudiée. Il a par ailleurs été prouvé que ce partage social, bien qu’il n’ait pas d’effets directs sur la diminution de l’émotion, a toutefois de nombreux bénéfices indirects. Il permet en effet à l’individu « d’être valorisé, augmente la probabilité d’être rassuré, contribue à restaurer le lien social et le sentiment d’appartenance, procure une assistance à la modification de la situation, aide à la réévaluation cognitive […] » (Rimé, 2010, p. 191) ; tous ces points ont été confirmés par les réponses des étudiants.

55D’après les réponses des étudiants, il apparait que ce partage des émotions est primordial pour ces derniers, car il nécessite qu’ils soient capables d’identifier les émotions du texte et de les comprendre. Cela exige aussi d’eux qu’ils les expriment ensuite aux autres étudiants du groupe, qu’ils les justifient et qu’ils comprennent celles des autres. Comme le fait remarquer Noelia, « c’est toujours bénéfique de partager les émotions. C’est là qu’on apprend, on compare celles des autres et des fois on se dit, oui, c’est vrai, je n’avais pas pensé comme ça ».

56Des évaluations des étudiants, il ressort que la grille est « un choix réussi et intelligent qui permet de provoquer des éléments variés et aussi émotionnels », qu’elle est source de motivation puisqu’elle permet de travailler des textes au choix sans s’ennuyer, qu’elle donne la possibilité aux apprenants d’améliorer leur vocabulaire, d’organiser leur pensée et de repérer les émotions qu’on peut ressentir en lisant un texte ainsi que d’observer les émotions des autres.

En guise de conclusion…

57Lors de l’élaboration de cette grille, nous avions comme souhait d’associer émotion, cognition et métacognition dans le cours de compréhension écrite. Il nous semble que cet objectif a été atteint, le point de convergence entre les trois se situant déjà tout à fait au début, lorsque l’apprenant choisit le texte à étudier, au moment où « l’émotion colore [son] choix » (Naceur, 2010, p. 266), au moment de « l’implication de [ses] émotions dans la prise de décision » (Naceur, 2010, p. 266). Nous avons observé que pour certains ce sont les émotions que les éléments suscitent qui les motivent dans le choix du texte. Pour d’autres, c’est d’abord le fait de pouvoir comprendre le texte, qui les motive à la fois dans le choix du texte et dans le fait de pouvoir l’apprécier, les deux étant fortement liés.

58Nous avons également constaté que les étudiants, en menant un travail si approfondi sur « les différences dans la manière dont ils identifient, expriment, comprennent, utilisent et régulent leurs émotions et celles d’autrui » (Mikolajczak & Bausseron, 2013, p. 135), progressent également dans le développement de leurs compétences émotionnelles.

59Finalement, nous terminerons avec cette réflexion assez parlante de Chao, un étudiant chinois, pour qui « les émotions sont l’esprit des textes narratifs » et qui écrit : « Quand je lis un texte et que je ne peux pas ressentir d’émotions, c’est comme si je mangeais un plat fade dans un grand restaurant. Le texte est comme un bon filet de bœuf, les émotions en sont la sauce et le sel. »

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Bibliography

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Notes

1 Deux enquêtes que nous avons effectuées respectivement en 2008 et 2009, la première, auprès d’une quarantaine d’étudiants de FLE ou d’étudiants français apprenant une LE, de niveau A2/B1 (utilisateur élémentaire/expérimenté) et B2/C1 (utilisateur indépendant/expérimenté) et la seconde, dans le cadre d’un cours de compréhension écrite (20 étudiants de FLE, de niveau B2, utilisateur indépendant) nous ont permis d’approfondir le lien entre émotion et compréhension de texte.

2 Voir aussi le Petit cahier d’exercices d’intelligence émotionnelle (2011).

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References

Bibliographical reference

Sophie Roch-Veiras, Comprendre un texte en langue étrangère : une question d’émotions…Lidil, 48 | 2013, 97-114.

Electronic reference

Sophie Roch-Veiras, Comprendre un texte en langue étrangère : une question d’émotions…Lidil [Online], 48 | 2013, Online since 01 May 2015, connection on 05 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/3319; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.3319

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Sophie Roch-Veiras

LICIA, Université catholique de l’Ouest, Angers (France)

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