« Dans les Écritures, il est écrit : “Au commencement était le Verbe.”
Non ! Au commencement était l’émotion.
Le Verbe est venu ensuite pour remplacer l’émotion. »
Louis-Ferdinand Céline vous parle, 1957.
- 1 23-26 juin 2011 : « Cognition, émotion et communication », Université de Chypre (Chypre).
30-31 mai (...)
1Les récents colloques ou workshops1 sur les émotions dans l’apprentissage des langues affichent un intérêt actuel pour ce concept transdisciplinaire. L’apprentissage n’est plus uniquement analysé d’un point de vue cognitif, mais dans une perspective plus élargie où l’émotion a une influence non négligeable et qui mérite donc de mettre en œuvre des recherches empiriques dans le contexte de la classe de langue.
2À l’école, l’une des finalités est l’acquisition progressive d’une autonomie cognitive qui permet à l’élève d’autoréguler ses apprentissages dans les différentes disciplines. Le substrat de ces apprentissages peut aussi être l’émotion qu’il faut apprendre progressivement à gérer. L’autonomie émotionnelle, dans le sens d’être capable de s’autoréguler émotionnellement, est une finalité transversale souvent perdue de vue au profit des contenus disciplinaires. Pourtant, cette gestion des émotions influence la réussite scolaire (Bandura, 1997/2003, 2006) et l’enseignant professionnel essaie de construire une motivation hédoniste chez ses élèves lorsqu’il conçoit et met en œuvre des situations d’enseignement/apprentissage favorables à « éviter [des] émotions désagréables » (Berthoz & Krauth-Gruber, 2011, p. 74). Comme le rappelle Arnold (2006), cette vision ne signifie pas réduire l’importance de la dimension cognitive dans l’apprentissage, mais l’envisager dans une perspective plus ouverte. L’anxiété dans l’apprentissage des langues (Oxford, 2000) a été largement démontrée et a permis de faire avancer les recherches sur l’autorégulation émotionnelle, offrant ainsi des pistes d’actions concrètes aux enseignants pour la réduire (Arnold, 2006 ; Rinvolucri, 2000). L’autorégulation émotionnelle est fortement en lien avec la motivation à apprendre (cf. article de Brewer dans ce numéro) et le développement du sentiment d’être capable d’apprendre et de maitriser une langue grâce à l’environnement de la classe (Puozzo Capron, 2012).
3Cependant, le concept d’émotion peut être observé sous un autre angle. Si les nombreuses catégories d’émotions (Belzung, 2010 ; Damasio, 1999 ; Niedenthal, 2010) nous permettent d’être précis dans la distinction entre les émotions primaires (joie, peur, tristesse, surprise, etc.), secondaires (honte, jalousie, la culpabilité, etc.) et d’arrière-plan (bien-être, malaise, calme, tension) et de déterminer où se trouve le curseur de la valence (agréable ou désagréable), elles n’offrent pas la possibilité au chercheur-didacticien de creuser la corrélation entre cognition et émotion dans l’apprentissage d’une langue. C’est précisément cette question que nous proposons d’aborder ici.
- 2 Afin que nos propos ne soient pas sur-interprétés, nous précisons que la dimension de la gestion de (...)
4Selon Lazarus (1999), c’est un article du psychologue Zajonc en 1980 dans la revue American Psychologist qui a ouvert la voie aux travaux abordant ces questions. Il obtint un prix pour cet article dans lequel il démontrait : 1) l’interdépendance entre l’émotion et la cognition ; 2) que l’émotion précédait la pensée. Cet article aurait ainsi déclenché un intérêt nouveau pour ce sujet dans le domaine de la psychologie. L’analyse de cette corrélation implique dès lors de mener des recherches qui considèrent l’émotion comme une variable dépendante de la cognition (Parrott & Hertel, 1999). Cependant, le lien qui se construit progressivement entre l’objet d’apprentissage (une règle de grammaire, un genre textuel, etc.) et l’émotion que l’élève ressent en apprenant, ouvre un champ de recherche fertile et délicat qui donne lieu à deux phénomènes différents selon que l’on se focalise sur les dynamiques de gestion de classe ou sur les aspects neuroscientifiques du lien entre cognition et émotion. Dans le premier, l’attention se portera sur le climat que l’enseignant crée. Ceci implique souvent une tendance à voir dans un climat positif le signe d’une émotion positive2 (Hooper Hansen, 2000), ce qui entraine le risque que les véritables enjeux soient esquivés, voire cachés. Or, ce climat (collaboratif, valorisant, etc.) n’exclut en rien des émotions négatives face à l’apprentissage d’une règle de grammaire plus complexe ou d’activités langagières de production écrite ou orale. Le deuxième phénomène, quant à lui, explique l’intérêt croissant vers les instruments utilisés en neurosciences et qui permettent justement d’accéder à des informations présentes dans le cerveau que l’élève n’arrive souvent même pas à verbaliser (Parrott & Hertel, 1999). En effet, si les recherches sur les émotions remontent à l’antiquité grecque (Belzung, 2010 ; Lyons, 1999) et ont été menées dans de nombreuses disciplines aussi bien en sciences dures, notamment en biologie, qu’en sciences humaines (Cosnier, 2006) (en philosophie, en psychologie), les découvertes des années 1990 en neurosciences (Damasio, 1999) ont permis de relancer le débat. Elles ont notamment permis de porter un regard différent sur les situations d’enseignement/apprentissage qui sont dès lors analysées dans une perspective plus holistique (Arnold, 2006 ; Piccardo, ce numéro). Toutefois, ces procédures d’investigation sont souvent perçues par les enseignants ou les parents comme invasives et sont, par conséquent, peu utilisées dans les enquêtes menées dans les salles de classe. Par ailleurs, la divulgation des travaux en neurosciences soulève des problèmes d’interprétation si les didacticiens ne sont pas accompagnés par des spécialistes de cette science. C’est ce qui produit des « neuromythes » (Tardif & Doudin, 2011, p. 96) : sur la base de fondements neuroscientifiques superficiels ou invalides, des choix didactiques extrêmes comme celui d’un enseignement conçu exclusivement sur des profils auditifs ou visuels (Tardif & Doudin, 2011) ou axé « cerveau droit » ou « cerveau gauche » sont conçus. Notre volonté de didacticien(ne)s de comprendre pour agir de manière efficace ne doit pas nous faire perdre de vue la prudence. Les recherches sur les émotions nécessitent de se référer à une pluralité de disciplines scientifiques comme la psychologie ou les neurosciences qui induisent une collaboration incontournable avec les experts de ces dernières.
5Venons-en maintenant à la question épineuse, et pourtant nécessaire dans le cadre d’une recherche scientifique, de la mesure des émotions. Plusieurs méthodes sont possibles : 1) « l’auto-évaluation » ; 2) l’analyse d’« indices comportementaux et cognitifs » ; 3) « psychophysiologiques »3 (Parrott & Hertel, 1999, p. 72-74). Ces trois méthodes présentent toutes leurs limites. L’émotion peut certes se manifester à travers le discours de l’élève (production écrite ou orale), mais la question de la conscientisation des émotions se pose, ainsi que celle des différentes variables, comme par exemple la norme sociale qui peut potentiellement empêcher, dans certaines cultures, cette verbalisation de l’émotion, même si le sujet en est conscient (Parrott & Hertel, 1999). Le sujet peut aussi inférer l’émotion attendue par le chercheur, introduisant alors un biais dans la recherche. L’observation faciale de l’émotion, quant à elle, varie en expression et en intensité en fonction des cultures (Ekman, 1999). Face à une classe hétérogène, une telle démarche présente rapidement des limites. Si l’enseignant peut inférer l’activité cognitive de l’élève à partir des traces qu’il produit, pour ce qui est de l’émotion, cette inférence est beaucoup plus complexe et difficile, voire impossible. Le biais peut se réduire si ces indices sont complétés par des manifestations physiologiques comme « la peau qui pâlit en réaction à de mauvaises nouvelles ou qui rougit face à une situation embarrassante » (Damasio, 1999, p. 67) pour autant que la caméra se trouve au bon moment sur la bonne personne.
6Les limites ou les obstacles constituent-ils une raison suffisante pour renoncer à ces recherches ? Bien sûr que non ! Au contraire, le défi devient d’autant plus grand.
7Dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (2001) (désormais CECR), l’occurrence du substantif « émotion » apparait deux fois et l’adjectif « émotif » trois fois, ce qui montre un intérêt plutôt marginal. Il figure au niveau B2 dans l’activité langagière de la conversation : « Peut transmettre différents degrés d’émotion et souligner ce qui est important pour lui/elle dans un évènement ou une expérience » (p. 62). L’élève doit ainsi comprendre le rapport entre émotion et manifestation de cette dernière dans la culture de la langue apprise et être ensuite capable de reproduire différents types d’émotions. Une telle séquence d’apprentissage ne pourra pas faire abstraction, dans le processus de compréhension de la manifestation émotionnelle dans la langue, d’une dimension clé, celle de l’empathie (Aden, 2010).
8L’occurrence du terme émotion se trouve également, dans la description de la tâche de la correspondance du même niveau : « Peut écrire des lettres exprimant différents degrés d’émotion […] » (p. 69). Néanmoins, la difficulté est ici d’autant plus grande puisque le locuteur ne peut pas compter, dans l’expression, sur le non-verbal lié aux gestes corporels ou à la modification du ton de la voix. Le choix des mots devient précieux, ainsi que la mise en mots et en forme du texte qui doivent être réfléchies pour exprimer l’émotion désirée.
9Le terme d’affect est plus récurrent (8 occurrences). Alors qu’il est le plus souvent lié à la question des stratégies affectives (Cyr, 1998), le terme affectif apparait dans les deux activités langagières nommées précédemment au niveau C1 en tant que registre de langue, et dans les facteurs affectifs en tant que variable intrapersonnelle constituant un potentiel frein ou levier à la réalisation de la tâche. En effet, le CECR (2001) décrit les facteurs affectifs comme constitués de quatre composantes : 1) la confiance en soi ; 2) la motivation ; 3) l’état général ; 4) l’attitude (p. 123-124). Seul l’état général renvoie à l’idée que « la performance est influencée par la condition physique et émotive de l’apprenant » (p. 124). La dimension affective se lit plutôt en filigrane dans le CECR à travers le savoir-être (Arnold, 2006 ; Piccardo, ce numéro).
10L’enseignement des langues est une discipline très propice à l’émergence d’émotions par le biais des contenus mobilisés et des méthodes choisies. Les méthodes humanistes des années 1970 et les recherches menées par Dulay, Burt et Krashen (1982) (citées par Stevick, 2000) sur le filtre affectif prouvent un intérêt, certes plutôt marginalisé, sur la dimension affective pour trouver des solutions qui réduisent le filtre affectif inhibiteur d’apprentissage de la langue (Arnold, 2000). Les méthodes d’enseignement ont un impact sur les états émotionnels et leur manifestation. Par exemple, selon Arnold (2000), la méthode grammaire-traduction réduit fortement l’anxiété dans l’apprentissage des langues alors que l’approche communicative, au contraire, accroit l’anxiété puisque l’investissement personnel y est beaucoup plus grand. L’approche actionnelle requiert quant à elle un degré supplémentaire d’investissement et ne peut qu’être porteuse d’émotions encore plus grandes. Prenons l’une des tâches proposées par Bourguignon (2010) : « Ta classe part en voyage scolaire à Londres pendant une semaine. Tu es chargé d’organiser la seule journée libre du séjour » (p. 19). La responsabilité d’une telle mission est lourde pour l’apprenant. Sachant que les émotions ont un impact sur la mémoire (Isen, 1999) et que l’on a tendance à oublier ce qui est lié à un souvenir négatif et à se remémorer plus facilement les souvenirs agréables, les tâches élaborées dans la perspective de l’approche actionnelle participent, en positif comme en négatif, à la construction de ces souvenirs. Le stockage des évènements chargés émotionnellement est différent de ceux plus neutres (Christianson & Engelberg, 1999) et les émotions positives ont une influence significative sur de nombreuses variables comme la mémoire ou l’apprentissage, même si chaque situation présente des variantes qui peuvent être plus ou moins significatives (Isen, 1999) et qui rendent difficile la généralisation de certains phénomènes dans le cadre de recherches sur les émotions. Chaque situation est à interroger et à questionner. Par exemple, les émotions sont-elles les mêmes lorsque l’on apprend le français ou l’allemand ? Quelle est l’influence du public d’apprenants dans l’émergence et la gestion des émotions ? Etc. D’où l’importance du contexte et de la prise en considération d’un maximum de variables possibles.
11De plus, ce lien intrinsèque qui se soude entre l’objet d’apprentissage et l’émotion, provoqué de manière plus ou moins volontaire par l’enseignant et qui concourt à l’élaboration d’un souvenir chaud (Brewer, 2010 ; Teasdale, 1999) peut être réactivé beaucoup plus facilement grâce aux émotions positives qui lui sont rattachées (Isen, 1999). Dans sa théorie des émotions, Vygotsky (1984/1998) soutient le rapport étroit entre le contenu d’une idée et la dimension affective à laquelle il est rattaché. D’autres recherches ont considérablement approfondi ce lien entre émotion et concept. Selon Lubart (2010), lorsqu’une expérience émotionnelle est rattachée à un concept, les deux éléments se retrouvent associés l’un à l’autre et deviennent un « endocept » : « À chaque concept ou représentation en mémoire sont associés des traces correspondant aux expériences émotionnelles vécues par l’individu » (p. 59). Le « mécanisme automatique de résonance émotionnelle » (Lubart, 2010, p. 59) se déclenche lorsque le concept est réactivé dans un apprentissage ultérieur. L’impact des émotions constitue l’une des variables permettant l’ancrage de l’apprentissage sur le long terme. Il ne s’agit pas uniquement de restituer l’objet d’apprentissage appris, mais d’être capable de le mobiliser dans des contextes variés pour l’approfondir. En effet, cette réactivation du concept lié aux émotions positives n’a pas pour but de voir cet évènement avec « des lunettes roses4 », comme le dit Isen (1999, p. 528), mais bien au contraire de permettre à l’apprenant d’aller plus loin dans sa réflexion, d’être capable d’une véritable appropriation et d’être ainsi peut-être plus créatif.
12L’intérêt grandissant pour ce concept transversal dans la didactique du plurilinguisme nécessitait que l’on s’interroge sur la question des émotions dans l’apprentissage des langues. Ce numéro de la revue scientifique Lidil apporte donc une contribution interdisciplinaire à la recherche dans le domaine de l’analyse du lien entre cognition/émotion et sur l’autorégulation émotionnelle. Il offre aussi des pistes concrètes aux enseignants pour élaborer des tâches ou construire des environnements propices à l’émergence d’émotions favorables à l’apprentissage.
13L’exposé de position d’Enrica Piccardo ouvre ce numéro en posant clairement les définitions d’affect, d’émotion et de sentiment à la lumière des différentes théories d’apprentissage en sciences de l’éducation (du béhaviorisme au socioconstructivisme et socioculturel) et en didactique des langues (de la méthode communicative à l’approche actionnelle) à travers les concepts de cognition, communication et socialisation. Par cette analyse de la dimension émotionnelle, elle tisse le lien avec le savoir-être en mettant en évidence le potentiel, mais aussi les dérives possibles de ce concept.
14Françoise Armand, Marie-Paule Lory et Cécile Rousseau ouvrent l’axe principal du numéro consacré aux approches qui favorisent le développement des compétences langagières tout en canalisant les émotions parasites. Les auteurs présentent une recherche menée à Montréal au Québec dans le cadre d’ateliers plurilingues d’expression théâtrale pour des élèves nouvellement arrivés. La démarche proposée a permis de construire, pour ces apprenants allophones, un environnement au climat sécurisant et respectueux, propice à l’expression et à l’émergence d’émotions positives chez des élèves qui apprennent à comprendre l’autre, tout en découvrant alors des divergences et des convergences autour de parcours de vie marqués par la violence et la douleur.
15L’article de Françoise Berdal-Masuy et Marion Botella cherche à analyser la nature et les conséquences des émotions suscitées durant la mise en œuvre d’un projet. Elles illustrent une enquête menée auprès d’une centaine d’étudiants, toutes disciplines confondues, de l’Institut des langues vivantes de Louvain-la-Neuve en Belgique. Les auteurs les ont interrogés sur les émotions positives et négatives avant et après le projet, le stress perçu et le soutien social du professeur. L’analyse comparative des données entre trois groupes d’étudiants (deux groupes témoins ayant conçu deux projets et un groupe de contrôle) fait ressortir la nécessité d’observer les différentes variables, citées précédemment, en contexte et à partir du profil initial des apprenants. Cet article soulève effectivement toute la complexité de la réflexion : l’émotion, frein ou levier à l’apprentissage ? La réponse ne peut être que nuancée.
16Joséphine Rémon développe la mise en œuvre de l’humour comme élément motivateur dans la prise de risque langagière poursuivant ainsi un double objectif : celui de réduire des émotions inhibitrices de la prise de parole en classe de langue et celui de susciter l’envie d’apprendre. Elle offre au lecteur plusieurs pistes concrètes pour mettre en place des situations d’enseignement/apprentissage autour du concept de l’humour tout en décrivant aussi les conditions nécessaires pour permettre la prise de risque langagière.
17L’article de Sophie Roch-Veiras rapporte une enquête, élaborée auprès d’étudiants de français langue étrangère dans un centre de langues en France, durant laquelle la chercheuse a conçu, mis en œuvre et analysé une « grille de la compréhension des narrations littéraires par les émotions ». Cet article présente donc l’originalité de proposer un outil, élaboré à partir du croisement de différentes théories, pour permettre aux apprenants de comprendre le texte par l’analyse des émotions artéfacts et fictives et de tisser un lien entre cognition, émotion et métacognition.
18L’article de Catherine Pinon présente la situation actuelle de l’apprentissage de l’arabe littéral moderne dans le cadre de l’Enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) en France et détermine les différentes variables (historiques, émotionnelles, sociales et individuelles) qui amènent souvent les élèves à abandonner le cours ou à refuser de s’y investir. Ce constat amer soulève l’enjeu sociétal et éducatif d’investir les classes ELCO pour tenter d’apporter des solutions. À partir d’une recherche qualitative en cours, l’auteur montre la nécessité d’interroger et d’analyser les processus émotionnels dans de tels contextes pour chercher des solutions qui permettraient à ces élèves de basculer de la valence négative à la valence positive.
19L’article de José Ignacio Aguilar-Río ouvre la perspective linguistique de ce numéro. Il analyse les réactions émotionnelles observées par le biais d’entretiens semi-directifs et d’autoconfrontation durant le cours en classe d’une enseignante de langue étrangère en milieu universitaire. Il s’intéresse donc au point de vue de l’enseignant et il ouvre ainsi des pistes pour mettre en valeur l’importance d’une réflexion à mener dans la formation des enseignants sur le rôle des émotions dans l’apprentissage.
20L’article d’Emmanuelle Maître de Pembroke se centre, en revanche, sur les productions d’adultes. Elle analyse des entretiens menés auprès d’adultes en situation professionnelle d’expatriation qui apprennent le français par le biais de cours intensifs. L’objectif de ces entretiens était de faire émerger des situations d’interaction générant une émotion chez l’apprenant. L’auteur cherche à dégager les composantes émotionnelles, fortement en rapport avec les codes culturels, pour mieux saisir le lien entre l’interaction, notamment la prosodie, et l’émotion afin de souligner toute la complexité de l’échange et de la rencontre avec l’autre, parfois si différent de soi.
21Emmanuelle Carette, Carlos Meléndez Quero et Éric Thiébaut nous entrainent sur un autre terrain. Dans un centre d’apprentissage des langues, les apprenants de la filière d’anglais peuvent bénéficier d’un entretien de conseil qui leur permet notamment une démarche méta-réflexive. Lors de ces entretiens, chaque apprenant, en interaction avec un conseiller, planifie son parcours didactique en termes d’objectifs, de tâches et de gestion des activités. Les auteurs ont saisi l’occasion pour mener une enquête sur les émotions qui émergent durant ces entretiens à travers l’analyse des traces verbales.
22Stephen Scott Brewer clôt ce numéro par un article de fond dans lequel il démontre le lien étroit entre l’émotion, le contrôle de soi et la motivation à apprendre une langue. Dans une perspective sociocogniviste, l’émotion est conçue comme un facteur individuel, influencé et qui influence de manière interdépendante et réciproque l’environnement et le comportement même de l’individu. À travers une revue de littérature détaillée, il met en évidence le rôle fondamental de l’autorégulation dans le degré d’investissement de l’élève par rapport à sa volonté d’apprendre une langue. Par la mise en perspective du déterminisme réciproque, cet article montre que l’émotion est constamment une variable active qui agit sur les facteurs internes, le comportement de l’individu et, par conséquent, sur les facteurs externes du contexte, mais qui se modifie également sous l’influence de ces derniers. L’enseignant, en tant que facteur environnemental, a donc un rôle fondamental sur la variable émotionnelle de ses élèves.