- 1 Le programme Définition et Sélection des Compétences ou DéSéCo est lancé en 1997 par l’OCDE « dans (...)
1Au sein du vaste ensemble de la formation des adultes, soit dans le cadre de la formation professionnelle et de la formation continue, soit dans le cadre de l’éducation populaire, sociale et culturelle, le domaine de la formation de base regroupe l’ensemble des dispositifs s’adressant aux personnes faiblement qualifiées et inscrites dans un parcours d’insertion sociale et/ou professionnelle. « À la croisée de la lutte contre l’exclusion sociale et culturelle, du combat contre les inégalités et de l’accompagnement des mutations industrielles » (Leclercq, 1999 : 21), ces formations visent principalement l’acquisition de savoirs dits « de base » et le développement de compétences dites « de base » (OCDE, 2005)1, requalifiées en « compétences clés » (direction générale de l’Éducation et de la Culture de la Commission européenne, 2004 ; Parlement européen, 2006) : lire, écrire, compter, raisonner, se repérer, savoir utiliser l’écrit dans la vie quotidienne… Elles concernent des publics hétérogènes du point de vue de la maitrise de la langue : alphabétisation, illettrisme, français langue seconde ou étrangère, maitrise des écrits en situation professionnelle, etc.
2À l’image de ce domaine complexe et aux nombreuses ramifications, les recherches qui l’explorent s’intéressent, selon le champ dans lequel elles s’inscrivent, soit aux politiques mises en œuvre dans le cadre de la formation professionnelle ou de la formation des migrants (Leclercq, 2007 ; Adami, 2009), soit aux dispositifs de formation dans une perspective ingénierique (Bretegnier, 2011), soit aux compétences linguistiques des adultes apprenants selon une approche psychologique (Besse et al., 2003), sociologique (Robine, 1984 ; Lahire, 1993), socio-anthropologique (Johannot, 1994). En revanche, l’approche didactique est moins développée et on connait moins les pratiques réelles de formation concernant les compétences linguistiques et les habiletés littératiques en direction de ces personnes mises en œuvre dans les organismes de formation, les associations, les cellules d’insertion, etc.
3Au cœur des questionnements didactiques se trouve la transmission des savoirs (Chevallard, 1985) et la définition des contenus à enseigner et enseignés (Reuter, 2010 : 69). C’est ce point particulier des études didactiques que nous souhaitons questionner dans cet article : quels sont les contenus linguistiques et langagiers à enseigner ou enseignés dans les formations « savoirs de base » proposées aux adultes en difficultés avec l’écrit ? Comment sont-ils déterminés et définis ? Quelles conceptions linguistiques et didactiques en constituent les fondements ? Pour répondre à ces questions, nous analysons deux types de discours : d’une part des référentiels, d’autre part des descriptions par des formateurs de leurs pratiques pédagogiques. Ces discours ont en commun d’indiquer les contenus linguistiques et langagiers, savoirs et savoir-faire, compétences et habiletés, à enseigner ou à faire acquérir. Toutefois, ils se distinguent par le fait que les premiers, élaborés par des institutions et des organismes agréés, ont pour objet de prescrire l’action pédagogique et d’établir les curricula de formation, c’est-à-dire les degrés de réalisation et de maitrise de la compétence langagière ; alors que les seconds définissent les choix didactiques, donc en partie les contenus, et établissent ce qu’il y a à enseigner ou à faire acquérir à partir de la description de l’action pédagogique. Ainsi au-delà de cette différence, ces deux types de discours poursuivent bien la même visée : établir les contenus appropriés ou spécifiques des formations linguistiques de base. Notre étude analyse quelles conceptions et quelles notions linguistiques et didactiques fondent ces discours prescriptifs et descriptifs.
4Si les contenus linguistiques de l’enseignement scolaire sont définis dans des programmes élaborés par l’institution et dans des volumes relativement restreints, dans le domaine de la formation des adultes ces contenus sont consignés dans des référentiels nombreux et divers, édités par des instances différentes et qui constituent une sorte de catalogue des savoirs à enseigner (Chauvigné et Lenoir, 2010 ; Leclercq, 2007). Il ne s’agit pas ici d’en dresser l’inventaire, mais simplement à partir de quelques exemples de mettre en évidence les types de savoirs linguistiques et langagiers privilégiés et les conceptions linguistiques et didactiques à l’œuvre. Dans ce vaste ensemble nous avons sélectionné quatre référentiels :
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Référentiel de formation linguistique de base, (Cueep, Fas, Dafco, 1990 et 1996) ;
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Former des publics peu qualifiés. Référentiel des savoirs de base et démarche référentielle de repérage des compétences,(Dartois et Thiry, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, 2000) ;
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Les compétences clés pour l’apprentissage tout au long de la vie – Cadre européen de référence, dans le cadre de la mise en œuvre du programme de travail « éducation et formation 2010 », (direction générale de l’Éducation et de la Culture de la Commission européenne, 2004) ;
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Référentiel des compétences clés en situation professionnelle, (Agence nationale de Lutte contre l’Illettrisme, mars 2009).
5Nous avons choisi ces quatre référentiels dans le but de constituer un corpus représentatif de ce type de discours programmatique. Ils couvrent en effet presque deux décennies et rendent donc compte des évolutions marquantes du domaine de la formation des adultes peu qualifiés et/ou peu scolarisés : passage de la notion de savoir de base à celle de compétence, construction progressive de l’articulation entre maitrise linguistique et intégration sociale et professionnelle, et conséquemment de la prégnance du contexte de travail. De plus, ces quatre référentiels ont été élaborés par des « instances » différentes : formateurs et experts du champ de la formation linguistique des adultes faiblement qualifiés et/ou des migrants, instances gouvernementales nationales ou supranationales (Europe). Après une présentation générale de chacun de ces référentiels, nous indiquerons les conceptions linguistiques et didactiques qui les fondent.
6Ce référentiel a été réalisé à la demande du Fonds d’Action Sociale (FAS) pour les travailleurs immigrés et leurs familles, et du conseil régional Nord-Pas-de-Calais, en 1990 puis repris en 1996. Il est le résultat d’un travail commun entre différents organismes de formation intervenant dans les formations linguistiques de base et a pour visée essentielle de « décrire les objectifs de la formation linguistique de base dans les domaines de la compréhension orale, l’expression orale, la compréhension écrite et l’expression écrite » (livret no 1, p. 7). Stricto sensu, il ne décrit donc pas les savoirs linguistiques et les compétences langagières et discursives, même si l’on peut considérer que ces objectifs formulent les savoirs et les compétences à maitriser. Effectivement, le livret no 2, qui présente une démarche de positionnement des personnes afin de les orienter dans la formation adéquate indique que « les capacités évaluées correspondent aux capacités visées dans chacune des quatre étapes du référentiel » (livret no 2, p. 61). Les auteurs précisent que ce référentiel est consacré à l’objectif « majeur et central » de la formation de base à savoir « le développement d’une compétence de communication orale et écrite » (livret no 3, p. 5) et que les autres aspects ont été « intégrés à l’objectif général de communication » (livret no 3, p. 5). Cette compétence de communication est définie comme « la capacité globale à comprendre et à construire des phrases correctes, mais aussi à utiliser ces phrases de manière appropriée pour accomplir une intention communicative particulière » (livret no 3, p. 7). Les objectifs précis relatifs à chacune des composantes de la compétence de communication, décomposée en compréhension orale, expression orale, compréhension écrite, expression écrite, sont répartis en quatre étapes correspondant au profil linguistique de l’apprenant : analphabète, situation d’illettrisme, FLE. Chaque objectif est décrit avec précision et en fonction des étapes, est décomposé en objectifs opérationnels et rapporté à des contenus à développer dans les situations d’apprentissage.
7Rédigé par Colette Dartois pour la partie sur les savoirs de base et par Claude Thiry pour la partie sur la démarche référentielle, ce référentiel a été publié par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité en 2000. Son objet est de « proposer un cadre de référence permettant d’objectiver et de formaliser ce qu’un individu maitrisant ces savoirs [de base] doit être capable de faire » (p. 11). Selon les auteurs, les savoirs de base ne sont pas des savoirs ou connaissances factuels. Ils ne sont pas déclaratifs ni « relatifs à des contenus de type informationnel » (p. 13). Ils sont construits et non pas appris. Il s’agit de savoirs « instrumentaux ou procéduraux » (p. 12) qui permettent (1) d’entrer en relation avec soi-même, autrui, le monde, d’appréhender et de comprendre les choses et les événements, (2) d’agir sur et avec soi-même, autrui, le monde, (3) de se développer, de progresser et d’apprendre. Les savoirs de base constituent « un ensemble cohérent et complexe, dans lequel chaque « savoir » identifiable inclut lui-même divers savoirs élémentaires, intermédiaires, qui se combinent de façons différentes en fonction des exigences de chaque situation, de chaque action » (p. 13). Le référentiel « présente […] par domaine de savoir de base, et pour chacun de ceux-ci par sous domaine, un descriptif analytique de ses composantes, décliné en une progression formalisée en quatre phases » (p. 11). Les savoirs de base sont répartis en huit domaines regroupés en deux champs :
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le champ de la communication : (1) écouter – comprendre, (2) écrire – se faire comprendre, (3) lire – comprendre, (4) parler – se faire comprendre ;
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le champ du raisonnement et de l’appréhension du réel : (5) raisonner – opérer intellectuellement, (6) calculer – opérer sur les quantités et les grandeurs, (7) appréhender le temps, (8) appréhender l’espace.
8 Chaque savoir de base est défini et chacun des items composant cette définition est décliné selon quatre degrés d’appropriation : maitrise de base, exploration, initiation, progression. Ainsi le savoir de base « lire – comprendre » est défini par les items suivants : comprendre – faire du sens au moyen de la lecture, dans des perspectives diverses, en lien avec des intérêts, besoins ou préoccupations divers, des énoncés écrits de différentes natures, ayant des buts divers, émis par des sources diverses, portant sur divers types de sujets.
9Ce référentiel concerne les compétences clés et est publié en 2004 par la direction générale de l’Éducation et de la Culture de la Commission européenne. C’est dans le cadre de la mise en œuvre du programme de travail « éducation et formation 2010 » prévu par le Conseil européen de Lisbonne (mars 2000), que le groupe de travail chargé de définir « les compétences clés pour l’apprentissage tout au long de la vie » édite ce référentiel en 2004. Sont définis huit domaines de « compétences clés » qui doivent être mises en œuvre dans les programmes d’enseignement et de formation tout au long de la vie et en particulier dans les programmes de formation d’adultes, d’enseignement compensatoire,de formation professionnelle et pour les catégories menacées par l’exclusion sociale (p. 6). Parmi les huit domaines de compétences clés, le groupe de travail a défini une compétence « Communication dans la langue maternelle » décrite ainsi :
Faculté d’exprimer et d’interpréter des pensées, sentiments et faits sous forme à la fois orale et écrite (écouter, parler, lire et écrire) et d’interagir adéquatement par le langage dans toutes les situations de la vie sociale et culturelle – pendant l’éducation et la formation, au travail, dans la vie privée, pendant les loisirs.
10Cette compétence comprend des éléments de connaissances linguistiques (vocabulaire, grammaire fonctionnelle, style, types d’interaction verbale, types de textes littéraires, etc.) ; des aptitudes (communiquer sous forme écrite ou orale, lire et comprendre différents textes en adoptant des stratégies adaptées, écrire différents types de textes répondant à différents besoins, etc.) ; des attitudes.
11Ce référentiel présente les compétences en trois pôles : réalisation, interaction, initiative, dans chacun desquels sont définies deux catégories de savoirs : des savoirs généraux et des savoirs appliqués. Ainsi concernant les « savoirs généraux », ce référentiel identifie trois degrés de compétences orales réparties selon deux types de réalisation :
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le premier « exécuter une tâche » comprend les items : (1) écouter, répéter des consignes, (2) répondre à une question fermée, (3) répondre à une question ouverte ;
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le second « comprendre et justifier » comprend les items : (1) utiliser les mots du lexique professionnel, (2) nommer des causes et des effets, (3) raisonner par analogie.
Pour la compétence écrite,
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le premier type de réalisation « exécuter une tâche » comprend les items : (1) identifier des signes graphiques, (2) identifier la fonction d’un document, (3) utiliser des documents (mode d’emploi, bon de commande, etc.) ;
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le second type de réalisation « comprendre et justifier » comprend les items : (1) déchiffrer une consigne et en tenir compte, (2) déchiffrer et écrire des textes simples, (3) reformuler ou commenter un texte simple.
L’analyse de ces quatre référentiels permet d’établir des similitudes, mais aussi des divergences notoires dans la définition et la conception des contenus linguistiques et discursifs.
12D’une manière générale, on note l’évolution de la définition des contenus linguistiques d’enseignement désignés d’abord « savoirs de bases » dans SB, puis « compétences de bases », puis « compétences clés » dans CCATLV et dans CCSP. Ceci est à mettre en rapport avec d’une part le développement de la notion de compétence, d’autre part l’impact des textes européens à partir des travaux commandés par l’OCDE (à partir de 1997) et du Conseil de Lisbonne en mars 2000. Depuis cette période, les textes européens font référence. Ainsi la notion de compétence fait-elle en quelque sorte loi et les contenus linguistiques sont-ils déclinés en compétences. Ces trois référentiels se distinguent donc du FLB élaboré en 1996 et qui n’utilise pas ces termes, et donc ces notions de « savoirs de base », de « compétences de base » et de « compétences clés ». Toutefois le terme « base » est déjà bien présent dans son titre et ses descriptions. Ces notions font aujourd’hui consensus et elles s’apparentent fortement à la notion de Socle commun de connaissances et de compétences, disposition majeure de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005 (décret du 11 juillet 2006) qui préside à la définition des contenus scolaires. Toutefois d’un point de vue didactique, on peut s’interroger sur les notions même de « base » ou « clés ». La métaphore de la « base » suggère que la compétence linguistique et langagière se construirait de manière pyramidale. Comme on bâtit une maison des fondations à la toiture selon les principes du génie civil, on pourrait construire un individu locuteur, lecteur et scripteur expert en prenant appui sur des savoirs dits « de base » parfaitement maitrisés et empilés selon les processus logiques et linéaires du génie pédagogique et didactique. La métaphore de la clé suggère, elle, que ces compétence dites « clés » ouvrent à d’autres savoirs et à d’autres compétences et donc que leur non maitrise enferme dans un espace social et/ou professionnel restreint et réduit le développement intellectuel et psychologique. Bien que légèrement différentes ces deux métaphores développent une conception de l’apprentissage linguistique comme un empilement ou une succession de savoirs et de compétences mis en œuvre selon une progression logique et linéaire. Cette conception s’apparente à une fausse évidence. L’adulte qui apprend à lire et à écrire, tout comme l’enfant d’ailleurs, n’est pas un terrain vierge sur lequel on implante une construction, l’apprentissage ne suit pas des processus linéaires, les connaissances et les compétences ne sont pas des moellons que l’on empile pour construire des murs qui représenteraient le su, le compris, le réussi. En effet, s’il a été démontré que pour apprendre à lire et à écrire, il est nécessaire d’avoir développé des habiletés linguistiques et langagières (conscience phonologique, lexique, syntaxe) et cognitives (segmentation, recomposition, identification, etc.) (Fayol et al., 1992 ; Morais, 1999), on sait aussi que ces savoirs et ces compétences de base ne font pas le tout de la maitrise linguistique et de l’écrit et que celle-ci mobilise des habiletés littératiques, la compétence pragmatique, la métacognition, l’investissement psychique du sujet, etc. Ainsi en tant qu’activités intellectuelles et psychologiques, sociales et culturelles, sémiotiques et symboliques, lire, écrire, écouter, parler engagent l’ensemble du sujet et sont déjà l’objet d’une certaine maitrise par celui qui les réalise et parce qu’il les réalise. La question de leur apprentissage ne se résout donc pas dans cet empilement de la base à l’expertise, mais doit être davantage conçue selon cette dynamique complexe et constitutive du locuteur-lecteur-scripteur.
13L’analyse de ces quatre référentiels met en évidence trois conceptions de l’activité langagière, qui se développent plus ou moins largement dans chacun de ces référentiels.
14Les trois référentiels FLB–SB–CCATLV définissent les contenus linguistiques à maitriser comme une compétence communicative qu’ils décrivent en croisant les deux ordres oral et scriptural proposés par Peytard (1970) d’une part, les activités de production et de réception d’autre part, pour aboutir à la description académique des modalités de réalisation de la parole en quatre actions : écouter, parler, lire, écrire. Si cette description peut apparaitre efficace pour élaborer un référentiel, on ne peut toutefois ignorer la réduction qu’elle construit de la théorie originale et donc la conception restrictive de la compétence langagière et particulièrement de la compétence communicative qui la sous-tend. Dans nos sociétés où l’écrit domine et fait loi, le sujet langagier se développe conjointement dans ces deux ordres de l’oral et du scriptural et non successivement ou parallèlement. Maitriser la langue et la communication consiste donc à articuler les deux ordres et à passer de l’un à l’autre.
15Toutefois chacun de ces trois référentiels développe une approche spécifique. Ainsi SB ajoute à chacune de ces actions le terme « comprendre » : en réception, écouter et lire sont ainsi définis comme « comprendre », et en production, parler et écrire comme « se faire comprendre ». Si ces ajouts précisent la visée communicative de ces quatre actions, en même temps ils la réduisent à l’intercompréhension et en gomment les aspects pragmatiques, culturels, sociaux, etc. Ces ajouts peuvent également suggérer que, concernant les personnes inscrites dans les formations « savoirs de base », la visée de la communication doit être essentiellement constituée par ce binôme comprendre/se faire comprendre. Cette conception revient, encore une fois, soit à réduire les compétences réelles construites par ces personnes tout au long de leur histoire de sujet langagier, soit à méconnaitre que ces compétences se construisent d’emblée dans leur complexité, comme le montrent les études psycholinguistiques sur l’acquisition du langage (Kail et Fayol, 2000). De son côté CCATLV donne une définition un peu plus complète et plus complexe de la compétence communicative en y adjoignant la faculté d’interpréter. Quelles que soient ces différences, ces trois référentiels développent une conception commune de l’activité langagière comme une activité de communication et inscrivent sa réalisation dans des situations spécifiques et selon des enjeux particuliers (apprendre, se former, travailler, etc.).
16Les aspects littératiques de l’activité langagière sont également mentionnés dans les référentiels, mais là aussi selon des conceptions différentes. Ainsi FLB mentionne essentiellement des aspects psychologiques autour des notions de motivation et de développement de l’assurance et de la confiance en soi dans les activités de production langagière ou encore de représentations sur l’écrit et de comportement de lecteur. Ce référentiel accorde ainsi peu de place à la description de ces aspects, même s’il indique explicitement qu’ils constituent une composante de la maitrise de la langue. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’à la date d’élaboration de ce référentiel en 1990 et encore en 1996, la notion de littératie n’était pas encore bien connue en France. De la même manière, ces aspects littératiques sont présents dans SB mais également dans une moindre mesure. Ils sont mentionnés dans les phases dites d’exploration de chaque « savoir de base » et sont davantage conçus, soit comme une auto-observation par l’apprenant de son activité et/ou de sa compétence, soit comme un apport encyclopédique. Ainsi pour « savoir écrire – se faire comprendre », ce référentiel propose de présenter l’histoire de l’écriture et ses différents types et de faire prendre conscience aux apprenants de leurs pratiques d’écriture et de leurs savoirs sur les textes et les discours. En revanche, ces aspects littératiques de l’activité linguistique et langagière sont particulièrement développés dans CCATLV qui définit les attitudes et les comportements à construire, comme par exemple : manifester une sensibilité positive vis-à-vis de sa langue maternelle, être enclin à accueillir les opinions et les arguments des autres, faire preuve d’assurance lors de la prise de parole en public, avoir la volonté de rechercher une qualité esthétique de l’expression, développer un amour de la littérature, faire preuve d’une attitude positive vis-à-vis de la communication interculturelle, etc. Ainsi CCATLV est le référentiel qui en propose la description la plus complète et qui de ce fait développe la conception la plus complexe du sujet langagier.
17Enfin, ces référentiels décrivent l’activité langagière également en termes d’action ou d’un faire langagier. Ces formulations relèvent d’une approche actionnelle ou praxéologique du langage. Ainsi dans FLB, les actions langagières sont décrites de deux façons. Premièrement, sous forme d’objectifs d’apprentissage ou opérationnels (par exemple : reconnaitre les principaux écrits de la vie quotidienne, livret no 4, p. 26) qui soit permettent la réalisation des apprentissages (par exemple : nommer les indices utilisés pour différencier les documents, livret no 4, p. 30), soit manifestent l’acquisition d’un savoir ou d’un savoir-faire ou d’une compétence (par exemple : associer un document à une situation donnée à partir de documents authentiques, livret no 4, p. 30). Deuxièmement, sous forme d’activités langagières plus complexes : lire et comprendre une consigne, un énoncé court, un texte. Dans ce référentiel, les actions orientées vers l’apprentissage linguistique sont majoritaires, en lien certainement avec le choix d’une pédagogie constructiviste, si bien qu’il est difficile de distinguer dans l’ensemble de ces actions formulées par un verbe à l’infinitif celles qui auraient une nature ou fonction autre que didactique. On retrouve à peu près la même chose dans le référentiel SB, à la différence seulement que les actions langagières plus complexes sont plus nombreuses, explicitement contextualisées et nettement distinguées des actions à visée d’apprentissage. Ces deux référentiels FLB et SB sont donc assez proches l’un de l’autre.
18De son côté, le référentiel CCATLV décrit la dimension actionnelle/praxéologique de l’activité langagière à travers la notion d’aptitude. Ne sont mentionnées que des actions complexes : communiquer, parler, lire, comprendre, écrire, chercher et recueillir de l’information, etc., qui mobilisent de nombreux savoirs et savoir-faire, reliés aux attitudes et comportements qui composent la conception psychosociale et littératique.
19En revanche, le référentiel CCSP s’en distingue nettement. Il définit les contenus à enseigner et/ou à maitriser presque exclusivement sous la forme de tâches ou d’activités d’expression écrite et/ou orale à réaliser et de ce fait il développe essentiellement une conception actionnelle et/ou praxéologique de l’activité langagière. Ceci explique que nous ne l’ayons pas mentionné à propos des conceptions communicative et psychosociale. Trois types d’action sont mentionnées :
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des actions langagières : « écouter, répéter des consignes » (oral degré 1), « déchiffrer et écrire des textes simples » (écrit degré 2), « reformuler ou commenter un texte simple » (écrit degré 3) ;
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des actions langagières en lien avec la situation professionnelle : « utiliser les mots du lexique professionnel » (oral degré 1), « écrire des recommandations sur un cahier de liaison » (oral degré 2), « annoter un document technique » (écrit degré 3) ;
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des actions qui, même si elles mobilisent le langage, ne sont pas strictement langagières : « apprendre par cœur » (oral degré 1), « recourir à des démarches empiriques » (oral degré 2), « raisonner par analogie » (oral degré 3), « alimenter une boite à idées » (écrit degré 2).
20Conformément à son propos de travailler les « compétences clés en situation professionnelle », ce référentiel développe une conception essentiellement praxéologique et très élargie des activités langagières et qui plus est en rapport avec leur mise en œuvre dans un cadre professionnel.
21Les quatre référentiels développent des conceptions de l’activité langagière nombreuses et imbriquées. Toutefois il est possible pour chaque référentiel d’en identifier la tendance principale : FLB et SB privilégient les conceptions communicative et praxéologique en lien avec les conceptions dominantes dans l’enseignement des langues dans les années 1990 et le choix d’une pédagogie constructiviste ; CCSP privilégie une conception actionnelle de l’activité langagière dont la définition est large, voire déborde le linguistique et le discursif, en rapport avec l’ancrage professionnel ; CCATLV construit un équilibre entre les trois conceptions et de ce fait développe la conception la plus complète et la plus complexe de l’activité langagière et du sujet langagier.
22On remarque que FLB et CCATLV associent la maitrise de la compétence communicative à des savoirs linguistiques et discursifs et recomposent ainsi un ensemble qui réunit savoirs et savoir-faire et dans lequel sont articulées connaissances linguistiques et activités langagière et discursive. Ainsi dans le domaine de l’expression orale, FLB définit le premier objectif de l’étape 1 (livret no 3, p. 25) : « reproduire des énoncés entendus » et le décline en deux objectifs opérationnels : reproduire correctement des sons entendus produits dans des mots et reproduire la ligne mélodique des énoncés, auxquels sont associés les contenus suivants : aspects concernant les éléments phoniques (sons et phonèmes utilisés pour produire un message oral), aspects concernant la prosodie (l’accent, le ton, l’intonation, le rythme). Ou encore, dans le domaine de la compréhension écrite, FLB définit le deuxième objectif de l’étape 3 (livret no 4, p. 47-48) « repérer le contexte des principaux écrits » et le décline en objectifs opérationnels relevant des stratégies de lecture, de la maitrise du code écrit et du comportement du lecteur et auxquels sont associés des contenus tels que par exemple les indices sémantiques, typographiques, topographiques, la nature et la fonction des écrits, etc.
23 Les connaissances identifiées dans ces deux référentiels concernent soit les fonctionnements des textes et des discours oraux et écrits (par exemple : éléments phoniques, prosodie), soit les processus à l’œuvre dans les activités de communication orale et écrite (par exemple : repérer le contexte des principaux écrits). Plus spécifiquement encore, dans FLB ces descriptions linguistiques sont précises, catégorisées selon les domaines de la linguistique : phonologie, morphosyntaxe, lexique, et illustrées de phrases et/ou formules types (par exemple : je voudrais parler à / est-ce que je pourrais parler à / pourrais-je parler à, livret no 3, p. 43). Dans SB, si les savoirs linguistiques ne sont pas énoncés en tant que tels et ne sont pas constitués en contenus à maitriser, ce qui est conforme à la définition que donne ce référentiel des « savoirs de base » comme des processus et non des savoirs déclaratifs, ils sont toutefois explicitement mentionnés dans la description des activités langagières. Ainsi la déclinaison en quatre degrés de l’item « comprendre – faire du sens au moyen de la lecture » précise pour chacun d’eux les savoirs linguistiques qui les sous-tendent :
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au degré « maitrise de base » : (1) maitriser la correspondance signe, son, sens, (2) reconnaitre, décoder les formes de « mise en texte » de divers écrits courants ;
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au degré « exploration » : (1) repérer des sons à l’oral, les discriminer, combiner son et signification (prise de conscience phonétique), (2) appréhender la liaison son-signes, (3) identifier, distinguer, discriminer les signes graphiques ;
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au degré « initiation » : (1) discriminer les différences de graphies des sons voisins les plus fréquents, (2) maitriser la combinatoire des signes et des sons dans les mots les plus fréquents de la langue française, (3) identifier – comprendre les variations morphologiques usuelles (verbes conjugués aux temps de l’indicatif, marques du genre et du nombre) ;
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au degré « progression » : (1) comprendre des textes usuels en lecture silencieuse, (2) lire à haute voix de courts énoncés (récits, poèmes, informations), avec le ton approprié et une prononciation correcte.
24Enfin dans CCSP, les savoirs linguistiques ne sont pas spécifiés ni en tant que contenus ni dans la description des activités langagières, mais y sont intégrés de manière implicite. Ce référentiel n’établit donc pas d’articulation entre la construction de connaissances linguistiques et discursives et la construction des compétences langagières et des habiletés littératiques. Ceci pose la question de la construction par les apprenants d’un métalangage utile à la description de la langue et des discours et de la construction de la compétence métalinguistique.
25Les différentes conceptions que nous avons identifiées sont à mettre en rapport avec l’histoire de la formation des adultes peu/pas qualifiées et/ou peu/pas scolarisés, avec le développement des recherches sur l’appropriation du langage en situation didactique et en situation sociale, y compris professionnelle, et avec le développement des recherches en sciences de l’éducation et en didactique. Si la mise en évidence de ces dynamiques permet de construire des repères pour distinguer ces différents référentiels, il n’en demeure pas moins qu’ils sont conjointement à la disposition des praticiens et des formateurs (voir Leclercq et Vicher, dans ce numéro).
26Venons-en maintenant à ce que disent les formateurs de ce qu’ils font : quels contenus privilégient-ils ? Comment les définissent-ils ? Quelle conception linguistique développent-ils ? Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une enquête sous la forme d’entretiens semi-directifs auprès de dix formateurs intervenant dans les formations « savoirs de base » ou « compétences clés ». L’analyse de ces entretiens a permis d’identifier trois conceptions didactiques relatives à l’enseignement linguistique auprès des adultes en difficultés avec l’écrit. Chacune de ces conceptions apparait de manière majoritaire dans le discours du formateur qui la développe. De ce fait, on peut pratiquement considérer qu’à chacune de ces conceptions correspond un profil de formateur. Comme une partie de cette enquête a déjà été présentée ailleurs (Guernier, 2010), nous n’en présentons ici que les résultats principaux.
27Certains formateurs décrivent les contenus de formation en termes de savoirs linguistiques : notions et règles grammaticales, lexique, et en termes de compétences discursives. Les savoirs et savoir-faire qu’ils disent travailler sont formulés en référence aux sous-disciplines qui organisent l’enseignement des langues maternelles et étrangères : grammaire, vocabulaire, civilisation, compréhension et expression orale, compréhension et expression écrite. Ces formateurs considèrent que les savoirs linguistiques et compétences discursives construits en situation d’apprentissage pourront être mobilisés en situation réelle. Ces savoirs et compétences sont construits à partir d’exercices. Ainsi si ces activités ont bien, selon ces formateurs, pour fonction de répondre aux besoins personnels et/ou professionnels des personnes en formation, elles visent prioritairement à leur fournir des outils que ces personnes utiliseront en situation réelle. La situation d’apprentissage linguistique est donc conçue comme un artefact par le moyen duquel l’apprenant construit des savoirs et savoir-faire sur la langue et l’écrit qu’il pourra actualiser dans les situations qu’il rencontre dans la vie réelle. Nous avons appelé cette conception « didactique » dans la mesure où les objets d’apprentissage décrits dans le discours correspondent aux descriptions théoriques de la langue et où l’organisation de leur apprentissage est proche des conceptions didactiques scolaires et universitaires.
28Pour d’autres formateurs, l’essentiel de la formation linguistique doit consister en activités de communication et d’échanges dont le but est de favoriser la socialisation et le développement de la personne. Dans la construction de cette dynamique, apprendre l’écrit est secondaire et les formateurs ne définissent pas à proprement parler de contenus linguistiques à enseigner, mais ils proposent plutôt des thèmes à partir desquels les personnes en formation échangent, font des recherches, ou encore élaborent des documents ou des présentations, qui peuvent être artistiques pour certaines. Les savoirs identifiés sont plutôt des savoir-faire, des savoirs d’action, ou plus largement des habiletés littératiques : ainsi, si la personne se met à recourir régulièrement à internet pour effectuer ses démarches, alors le formateur considérera que cette personne développe des compétences communicationnelles et s’engage dans un usage autonome des TIC. Dans cette conception, les savoirs linguistiques sont davantage présentés comme des outils ou des indices du développement psychologique et social de la personne en formation que comme des objectifs à atteindre ou des objets à construire. Nous avons appelé cette conception « développementale » dans la mesure où la langue n’est pas envisagée comme un objectif d’apprentissage, mais davantage comme un instrument du développement de la personne.
29Enfin, un troisième groupe de formateurs définit les contenus linguistiques à partir des besoins pratiques formulés par les personnes en formation : remplir un document administratif, rédiger une lettre, élaborer un CV, remplir un chèque, etc., auxquels il est répondu durant la séance même de formation. Les apprentissages linguistiques ont pour objectif de rendre les personnes capables d’utiliser l’écrit dans leur quotidien dans des situations réelles et concrètes en rapport avec leurs activités domestiques, administratives, professionnelles, etc. Ces formateurs précisent qu’ils mettent directement en œuvre ces savoirs et savoir-faire et qu’ils répondent aux besoins formulés par les personnes durant la séance de formation selon le principe que c’est en faisant qu’on apprend. Par exemple, plusieurs séances peuvent être consacrées à l’élaboration du CV dont la personne a besoin dans sa recherche d’emploi, ou encore à remplir un document administratif ou des formulaires similaires. Ainsi situation d’écriture et situation d’apprentissage sont-elles confondues. Dans le discours de ces formateurs, les contenus linguistiques ne sont donc pas identifiés comme tels, et ne sont pas institués comme objets d’enseignement ou objectifs d’apprentissage/de formation. Dans cette perspective, réussir ou mener à son terme l’activité de lecture ou d’écriture est le signe/la preuve de son apprentissage. Nous avons appelé cette conception « pragmatique » dans la mesure où les apprentissages linguistiques sont censés se réaliser par l’action et où les situations d’activités langagières constituent les situations d’apprentissage elles-mêmes.
30Les référentiels et les discours des formateurs constituent deux descriptions des contenus linguistiques à enseigner et à faire acquérir dans les formations « savoirs de base » ou « compétences clés » proposées aux adultes en difficultés avec l’écrit. Leur analyse soulève de nombreuses questions didactiques. Dans le cadre de cet article, nous nous contenterons d’en aborder deux. La première concerne la question des références à partir desquelles sont définis et construits les contenus linguistiques, la seconde concerne la notion de besoin.
31On a pu mettre en évidence la diversité des conceptions qui président à la définition des contenus linguistiques, tant dans les référentiels que dans les discours des formateurs. Cette diversité engage à interroger les références qui sont au fondement de ces conceptions et donc des choix de contenus. On remarque ainsi que les contenus présentés dans les référentiels et dans les discours des enseignants ont pour références :
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des connaissances savantes issues des différents champs théoriques : la linguistique, les recherches sur la littératie, la didactique des langues et plus particulièrement les recherches sur l’enseignement – apprentissage du lire/écrire. C’est le cas explicitement pour les référentiels FLB et CCATLV et pour la conception que nous avons appelée « didactique » dans le discours des formateurs. C’est le cas également pour le référentiel SB, mais dans une moindre mesure, du fait que les contenus issus de ces connaissances savantes ne sont pas présentés comme des savoirs à construire. Ces référentiels et ces discours mettent en œuvre le processus de la transposition didactique tel que Chevallard (1985) l’a décrit.
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des pratiques sociales de référence (Martinand, 1989) concernant, soit les pratiques de communication et les usages sociaux de l’écrit, soit plus spécifiquement les pratiques langagières en situation professionnelle. C’est le cas majoritairement pour les référentiels SB et CCSP et pour les conceptions « développementale » et « pragmatique » développées dans les discours des formateurs. C’est le cas conjointement aux références « savantes » dans les référentiels FLB et CCATLV.
32On remarque ainsi la constitution de deux ensembles de références qui, s’ils ne sont pas convoqués de manière exclusive dans chaque référentiel ou dans chaque discours, font émerger deux conceptions didactiques distinctes en ce qui concerne la définition des objets d’enseignement linguistique. Le premier ensemble a tendance à construire une didactique de la langue et de l’écrit assez proche de la didactique scolaire, c’est-à-dire qui définit les contenus linguistiques à construire tels qu’ils sont référés dans les disciplines scolaires elles-mêmes référant à une description « savante » de la langue et des discours ; le second ensemble construit une didactique que l’on pourrait qualifier, en s’inspirant de la description de la cognition située (Suchman, 1987), de « située », c’est-à-dire qui définit les contenus linguistiques à construire en référant à leurs usages socialement situés et qui assimile la situation d’apprentissage et la situation d’usage, ou, pour le dire autrement, qui construit ces contenus dans la situation même d’usage. Si certaines situations d’apprentissage mises en œuvre dans les formations de base relèvent davantage d’un ensemble que de l’autre, de nombreuses situations ne relèvent pas de manière exclusive de l’un ou l’autre de ces deux ensembles, mais bien évidemment empruntent aux deux. Quoi qu’il en soit, on peut considérer qu’il existe une réelle tension entre ces deux pôles.
33Les deux ensembles de références identifiés dans le paragraphe précédent ne constituent pas les seules sources à partir desquelles sont définis les objets d’enseignement linguistiques. Dans leurs discours, les formateurs indiquent explicitement en effet qu’ils définissent les contenus de leur séance ou de leur session de formation à partir des besoins et des demandes des personnes. Cette modalité de choix des contenus est à mettre en lien avec une pédagogie centrée sur l’apprenant ou au service de l’apprenant, et est le fait plutôt des formateurs qui développent les conceptions « pragmatique » et « développementale » des apprentissages linguistiques. La mise en exergue de la notion de besoins dans les discours des formateurs est remarquable, d’une part parce qu’elle n’apparait pas dans les référentiels, d’autre part parce qu’elle en constitue une caractéristique, voire en rappelle le double ancrage dans la formation des adultes et dans la formation linguistique. La notion de besoin apparait en effet dans les années soixante au sein du Centre universitaire de coopération économique et sociale (CUCES) de Nancy sous la direction de Bertrand Schwartz (Laot, 1999), puis se développe dans les travaux des chercheurs dans le domaine de la formation des adultes et de la formation professionnelle (Barbier et Lesne, 1977). En ce sens, elle est caractéristique de ce domaine, et par exemple on ne la trouve pas dans les programmes de l’enseignement scolaire, y compris dans ceux de l’enseignement professionnel. La notion de besoin se développe également dans l’enseignement des langues étrangères en lien avec la mise en œuvre à partir des années 1970 de l’approche communicative fondée sur la satisfaction des besoins langagiers réels, soit exprimés par les apprenants, soit identifiés en fonction des situations réelles de communication dans lesquelles évoluent ou auront à évoluer les apprenants (Puren, 1988). Corollairement, se développent les notions de langue fonctionnelle ou de langue instrumentale ou encore de langue outil.
34Toutefois, dans les discours des formateurs que nous avons recueillis, les besoins en formation évoqués sont, d’une part ceux qui seraient exprimés par les personnes en formation, ou du moins ceux que les formateurs retiennent parmi les demandes exprimées, d’autre part les besoins ou les demandes relatives aux activités sociales et/ou professionnelles. Ainsi, dans les discours des formateurs, si la notion de « besoins » est prégnante, sa réduction à ceux en adéquation avec les demandes sociales et professionnelles, telles qu’elles seraient exprimées par les personnes en formation, conduit à une délimitation, voire à une restriction, des contenus d’enseignement langagiers oraux et écrits en rapport avec les activités domestiques, administratives et professionnelles. Cette réduction aboutit également à une définition de ces contenus d’enseignement à partir des usages sociaux et professionnels de la langue. Cette restriction peut s’expliquer bien évidemment par le fait que les formations « savoirs de base » et « compétences clés » sont mises en œuvre dans la perspective de l’insertion sociale et professionnelle des personnes. Il en résulte que finalement les besoins exprimés ou supposés être exprimés ou retenus dans une demande plus globale finissent par se confondre avec les demandes des entreprises, des pouvoirs publics et des administrations, et plus largement des instances de la société qui organisent les échanges langagiers. Il faut également remarquer que, dans ce cadre, l’identification des contenus linguistiques est en quelque sorte laissée à l’appréciation des formateurs et à leur perception/évaluation des compétences des personnes, mais également à leur perception des usages et donc des normes en vigueur. S’il n’est question de remettre en cause ni la légitimité de ces demandes/besoins ni la nécessité d’y répondre, il est également légitime de s’interroger sur les autres besoins/demandes qui ne deviennent pas objets d’enseignement, alors qu’ils sont tout autant nécessaires au développement du sujet langagier et du sujet tout court. Bien que cette problématique ne soit pas nouvelle et était par exemple déjà particulièrement bien développée par Michel Dabène et Louis Porcher en 1977 dans le numéro 36 de la revue Langue française, elle reste d’actualité et est même exacerbée depuis la mise en œuvre de politiques de formation linguistique qui font de la maitrise de la langue orale et écrite le sésame de l’insertion professionnelle et de l’intégration sociale.