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Abstracts

This article examines the issue concerning the vitality of Rhenish Franconian, spoken in Freyming-Merlebach, at the heart of the coal fields in Lorraine, France. We are particularly interested in the reasons behind the decline of this French regional language, and in order to find answers to our research questions, we had recourse to both quantitative and qualitative methods. The results show a marked decline of Franconian in the above-mentioned area. Furthermore, they reveal that the mother tongue of today’s young generation, is in most cases, French. The language policy of the French state played a major role in this language shift in the German-speaking area of Lorraine. Limiting our inquiry to the periode after the Second World War, we discovered that the general conditions for imposing French were not only favourable, but particularly successful in the educational domaine.

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Full text

1La Lorraine dite germanophone est une région française où l’on parle depuis plus de 1 000 ans le francique, un dialecte (ou langue, sur le plan sociolinguistique) moyen-allemand. Nos recherches sur la Lorraine germanophone se font dans le cadre d’une thèse de doctorat à l’université de Vienne (Autriche), université ayant participé au projet européen LINEE (Languages in a network of European Excellence 2006-2010). Ce réseau d’excellence scientifique avait pour but d'étudier la diversité linguistique en Europe d’une façon cohérente et interdisciplinaire. Nos recherches se concentrent sur le francique rhénan parlé à Freyming-Merlebach. Cette agglomération d’environ 14 500 habitants se trouve au centre du Bassin Houiller de Lorraine où, jusqu’en 2003, on a exploité le charbon. Freyming-Merlebach garde toujours son aspect de ville minière marquée par les chevalements et les cités. Nous avons voulu, dans cette recherche, mieux connaitre le dynamisme du francique, pensant que cette étude micro pourrait avoir une valeur généralisante pour l’aire francique de nationalité française.

Questions de recherche, mise en œuvre de l’étude et méthodes

2Concernant la situation linguistique en Lorraine germanophone, nos recherches s’orientent autour de deux interrogations : nous voudrions savoir quelle est la vitalité du francique et quelles sont les raisons de sa survie ou de son déclin. Afin de pouvoir répondre à ces questions, nous avons décidé de conjuguer méthodes quantitatives et qualitatives. En juillet 2007, nous avons effectué une enquête quantitative à l’aide d’un questionnaire envoyé à 700 Freyming-Merlebachois qui avaient été choisis au hasard, à l’aide de l’annuaire : 200 questionnaires ont été reçus. Les données ainsi relevées ont été analysées statistiquement au moyen de SPSS (Statistical Package for Social Sciences). Un deuxième séjour de recherche, en février 2008, a servi à recueillir des données qualitatives dans le cadre de 11 interviews narratives dont le contenu a été classé en catégories selon des critères qualitatifs. Dans cet article nous nous limiterons aux résultats de l’analyse du profil de la communauté et du questionnaire.

3L'établissement d'un profil de la communauté, en tant que méthode scientifique, a d’abord été utilisé afin d’analyser l’emploi de langues ainsi que les attitudes et réactions subjectives envers différentes langues (Wölck, 2004 : 169). Dans les années 1970 et 1980, on a commencé à se servir de cette méthode pour constituer un échantillon représentatif d’une population donnée (Wölck, 1976, 1985). De plus, le profil de la communauté facilite également la formulation d’hypothèses et l’élaboration de questionnaires (Labrie et Vandermeeren, 1996 : 765). Établir le profil d’une communauté passe par des recherches documentaires, par l’observation, mais on a aussi recours à des « témoins privilégiés » ; et cela se traduit par la description des facteurs – géographiques, démographiques, politiques, culturels, économiques, etc. – qui influencent ou déterminent le comportement langagier mais aussi le contexte du contact des langues, c’est-à-dire les conflits linguistiques, les attitudes langagières et l’identité linguistique entre autres. Certes, ces facteurs et éléments contextuels peuvent varier d’une communauté à l’autre en ce qui concerne leur importance relative (Labrie et Vandermeeren, 1996 : 764, 769).

4Le but de l’analyse des profils de la communauté est par conséquent de découvrir les principales distinctions sociales ou divisions structurales dans une communauté et d’identifier un sous-ensemble de la population qui est représentatif de ces divisions et de ces traits dans ses propres caractéristiques, dans l’attente de trouver éventuellement les divisions et les traits sociaux qui pourront être mis en parallèle ou corrélés avec des traits linguistiques ou avec des différences dans les usages linguistiques. (Labrie et Vandermeeren, 1996 : 767).

5Nous adoptons ici l’approche de Jeroen Darquennes (2005 : 47-64) qui structure le processus d’élaboration du profil d’une communauté en quatre étapes afin de regrouper les nombreux éléments déjà existants dans le discours scientifique concernant cette méthode. Ces étapes sont les suivantes : étude de la littérature, enquête (élaboration et réalisation), analyse et interprétation, voire discussion.

6L’analyse du profil de la communauté représente une approche surtout inductive de la matière à étudier : le chercheur se rend d’abord « à l’intérieur » de la communauté à étudier et c’est seulement ensuite qu’il formule ses hypothèses. Certes, il n’ira pas sur le terrain sans avoir en tête des questions de recherche préalables. Par contre, le choix définitif des concepts théoriques à appliquer se fera ultérieurement à l’élaboration du profil et à la formulation des hypothèses.

Hypothèses

7Le profil de la communauté nous a permis de formuler des hypothèses générales pour chacune de nos questions de recherche. Le prochain pas consiste à choisir les concepts théoriques aptes à la vérification ou falsification des hypothèses formulées. Concernant la première question de recherche (Quelle est la vitalité du francique ?), nous supposons que le francique est en voie de disparition et que la langue maternelle des jeunes générations est désormais le français. Quant à la deuxième question de recherche (Quelles sont les raisons de la vitalité ou du déclin du francique ?), nous partons de l’hypothèse qu’une des raisons principales est à trouver dans la politique linguistique de l’État français, notamment depuis 1945.

Concepts théoriques

8Les deux principales orientations théoriques à appliquer concerneront donc la vitalité d’une langue d’une part, et la politique linguistique d’autre part.

9Dans les années 1970, Howard Giles, Richard Bourhis et Donald Taylor ont essayé de déterminer les facteurs qui influencent la vitalité d’une communauté et de la langue (des langues) qu’elle utilise. Selon eux, la « vitalité ethno-linguistique » est liée au statut (aussi de la langue), à la démographie et au soutien institutionnel (Giles, Bourhis et Taylor, 1977 : 309). Joshua Fishman, lui, étudie les raisons de la faible vitalité de certaines langues (Fishman, 1991 : 55-65). Il les trouve dans la « dislocation » physique, démographique, sociale et culturelle d’une communauté. Quant à la vitalité d’une langue, elle ne peut être garantie que lorsque la langue est transmise aux générations suivantes (Fishman, 1991 : 113).

10Afin d’analyser la politique linguistique, nous nous inspirons des « huit questions » de Robert Cooper (1989 : 98) citées par Normand Labrie (1996 : 831) :

1. Quels acteurs 2. cherchent à influencer quels comportements 3. de quelles personnes 4. dans quels buts 5. dans quelles conditions 6. par quels moyens 7. au truchement de quels processus décisionnels 8. avec quel effet ?

11Nous ne nous attarderons pas à reproduire ici les discours riches et variés sur les différentes notions comme « politique linguistique » ou bien « aménagement linguistique ». Nous sommes d’avis que les questions de Robert Cooper représentent un moyen adéquat pour décrire les éléments agissant dans le processus qu’est la politique linguistique en Lorraine germanophone. Par politique linguistique, nous entendons toute activité implicite et/ou explicite qui sert à maintenir ou à changer une certaine situation sociale, en particulier linguistique (Rindler et Vetter, 2003). Le facteur « pouvoir » se trouve au centre de cette approche critique, ce qui veut dire qu’à travers la politique linguistique, une langue devient le symbole du pouvoir, et qu'en tant que tel, elle est instrumentalisée afin de maintenir ou de changer certaines situations sociales.

Quelques résultats

Résultats de l’analyse du profil de la communauté

12Comment sommes-nous arrivée à établir le profil de la communauté ? Après avoir consulté les ouvrages scientifiques ayant déjà été rédigés sur la Lorraine germanophone, nous avons effectué plusieurs séjours de recherche en Lorraine germanophone, depuis 2002, pendant lesquels nous avons visité les archives locales et parlé avec des témoins privilégiés tels que des enseignant-e-s, militant-e-s, auteur-e-s, hommes / femmes politiques, journalistes, etc.

La Lorraine germanophone

13La Lorraine germanophone est en fait une partie du départment de la Moselle – on parle d’ailleurs aussi de Moselle germanophone. Les départements de la Moselle, la Meuse, la Meurthe-et-Moselle et les Vosges forment la région lorraine qui se trouve à l’est de la France, aux frontières de l’Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg, ainsi que de l’Alsace. La langue autochtone de la Lorraine germanophone est le francique, une langue germanique issue du moyen-allemand. Dans la région, on le nomme le plus souvent « le platt » (à ne pas à confondre avec les dialectes allemands parlés dans le nord de l’Allemagne) mais on l’appelle également « le patois » ou « le dialecte », ou le « dialekt ». La dénomination la plus juste du point de vue linguistique – « francique » – n’est pas très répandue. Le francique en Lorraine germanophone présente trois grandes variantes : le francique luxembourgeois, le francique mosellan et le francique rhénan. Il faut préciser que la même variante du francique peut elle-même varier de ville en ville mais que, normalement, les populations se comprennent. Le francique luxembourgeois est en même temps la troisième langue nationale du Grand Duché du Luxembourg, avec l’allemand et le français.

14Le département de la Moselle est partagé par une frontière linguistique entre langues germaniques et langues romanes, frontière qui se déplace de plus en plus vers l’est. Maurice Toussaint a tenté de la dessiner en 1955 en comparant sa nouvelle ligne avec celles établies auparavant par d’autres chercheurs comme Hans Witte ou Constant This (Toussaint, 1955 : 40-58). Concernant la stabilité de la frontière linguistique il fait la remarque suivante :

Il ne saurait cependant faire de doute que nulle part, en Moselle, le français n’est en régression et qu’au profit de notre langue, l’allemand et les patois germaniques perdent et perdront de plus en plus de terrain. (Toussaint, 1955 : 58)

15À peu près la moitié des communes du département (au total 727) se trouve dans l’aire germanophone. Selon le dernier sondage officiel datant des années 1960, environ un tiers de la population de la Moselle, soit environ 300 000 personnes, était encore bilingue. Une enquête effectuée pour l’Institut national des études démographiques dans le cadre du recensement 1999 ne comptait plus que 78 000 locuteurs du francique (Philipp, 2003 : 55).

16Le francique rhénan parlé à Freyming-Merlebach était traditionnellement la langue du fond, la langue de la mine (Atamaniuk, 1998 : 76). Il faut ajouter que, pendant l’exploitation du charbon, de nombreux immigrés (surtout d’origine polonaise et italienne) sont venus travailler dans les mines. Cette immigration aurait pu contribuer au déclin de la langue régionale mais on remarque que les immigrés ont souvent été intégrés via le francique. Seul le domaine des cadres supérieurs des HBL (Houillères du Bassin Lorrain) était reservé au français.

17Une autre raison invoquée de cet affaiblissement de la vitalité du platt est le brassage de population, du fait de l’immigration étrangère ou francophone. Cependant, les plus anciens immigrés, en provenance des pays de l’Est (de Pologne notamment) avaient très rapidement adopté comme langue maternelle le platt, langue de la mine, du village et des premières cités minières (Rebaudières-Paty, 1985 : 19).

18Le département de la Moselle ainsi que ses habitants ont été ballottés entre la France et l’Allemagne au gré de plusieurs guerres. Au xxe siècle, les Mosellans ont changé trois fois de nationalité. Après chaque changement, il fallait prouver qu’on était un bon Français ou un bon Allemand. Après une période allemande de presque cinquante ans, la Moselle est retournée dans « le giron de la France » en 1918 après la Grande Guerre. Ce retour ne s’est pas déroulé sans heurts et c’est dans l’Entre-deux-Guerres que naissent les premiers mouvements autonomistes et régionalistes. La seconde guerre mondiale entraine un autre changement de nationalité et la Moselle fait désormais partie du Reich allemand. Cette guerre est à l’origine, chez les Mosellans, d’un traumatisme collectif qu’on appelle aujourd’hui le « malaise identitaire ». Ce malaise existe toujours, bien qu’il soit très enfoui dans la conscience collective. Cela explique notamment la difficulté des Mosellans germanophones à se référer à leurs racines germaniques.

Vitalité du francique

19Pour la question concernant la vitalité du francique, nous formulons donc l’hypothèse suivante : le francique est en voie de disparition et la langue maternelle des jeunes générations est désormais le français.

20Au regard des chiffres de locuteurs du francique que nous avons à notre disposition (cités ci-dessus), on constate en effet que la langue régionale de la Lorraine germanophone est en train de régresser. Cornelia Stroh a découvert dans son étude sociolinguistique que les fonctions du francique en tant que moyen de communication en général sont fortement réduites (Stroh, 1993 : 153,171). Dans le domaine public, le français domine. Radios et télévisions sont diffusées entièrement en français (cela ne vaut, certes, pas pour les chaines allemandes et luxembourgoises qu’on peut capter en Lorraine germanophone) et le dernier journal en langue allemande a disparu en 1989. À cette occasion, le Républicain Lorrain, journal régional français, titre en couverture « Mission accomplie ». Le francique, c’est donc surtout la langue des grands-parents, la langue qu’on parle à la maison ; et avec la fermeture des mines de charbon, le dernier lieu de travail « plattophone » n’existe plus. Quant à la transmission du francique aux générations suivantes, l’enquête de Stéphanie Hughes (menée parmi les « frontaliers », c’est-à-dire les Mosellans travaillant en Allemagne ou au Luxembourg) montre que la plupart des parents parlent français avec leurs enfants et que la jeune génération grandit en n’apprenant qu’une langue (le français), même si la génération des parents est encore bilingue (Hughes, 2005 : 146, 147). Pour le francique, il n’y a d’ailleurs pratiquement pas de soutien institutionnel – dans le domaine éducatif par exemple, il ne joue qu’un rôle marginal. Dans le Bassin Houiller il y a pourtant une association pour la promotion et la défense de la langue et de la culture régionales en Moselle francique qui s’appelle « Bei uns dahem ». Elle a son siège à Freyming-Merlebach et fait partie de la Fédération pour le Lothringer Platt qui regroupe toutes les associations luttant pour la sauvegarde du francique en Moselle germanophone.

21Si on regarde la situation dans le Bassin Houiller, le francique y est premièrement considéré comme un moyen d’expression orale, comme un dialecte ou un patois. Il ne jouit donc pas du statut d’une langue écrite. Il y a pourtant des textes, de la littérature et des sites internet en francique. Le GERIPA (Groupe d’études et de recherches interdisciplinaires sur le plurilinguisme en Alsace et en Europe) a élaboré une charte de la graphie harmonisée des parlers franciques en 2004 afin de regrouper les différentes variantes (GERIPA, 2004). Mais il ne s’agit que d’un premier pas vers la standardisation du francique rhénan utilisé dans le Bassin Houiller. Le francique luxembourgeois (parlé dans le nord du département de la Moselle) présente, quant à lui, l’avantage d’être langue nationale au Luxembourg et il est donc standardisé.

  • 1 Comme le montre Marielle Rispail dans son ouvrage cité en biliographie, il en va peut-être autremen (...)

22Pour résumer nos propos, nous pouvons constater que le francique parlé dans le Bassin Houiller est, peut-être, en voie de disparition : la transmission de la langue régionale aux plus jeunes générations n’est plus garantie, il n’y a pratiquement pas de soutien institutionnel pour le francique, le nombre de personnes l’ayant comme langue maternelle diminue de plus en plus et le francique du Bassin Houiller n’a qu’un statut très limité1.

Politique linguistique en Lorraine germanophone

23Pour la question des raisons du déclin du francique, il faut se tourner vers la politique linguistique de l’État français, notamment depuis 1945.

24Comme exposé plus haut, on peut, selon Joshua Fishman, trouver des raisons à la faible vitalité de certaines langues dans la « dislocation » physique, démographique, sociale et culturelle d’une communauté. Dans le cas de la Lorraine germanophone, nous supposons que cette « dislocation » est aussi due à la politique linguistique exercée notamment par l’État francais. Dans ce qui suit, nous tenterons de montrer comment cette politique a contribué à une « dislocation », au sein de la communauté germanophone en Lorraine. Nous nous servirons du questionnement proposé par Robert Cooper et nous nous limiterons à une certaine période, l’après-guerre, la seconde guerre mondiale étant décisive pour la forme de la politique linguistique depuis 1945.

25Quant à la « dislocation » physique et démographique, le fait que l’aire germanophone ne représente qu’une partie du département de la Moselle et que le centre administratif, la préfecture de Metz, soit une ville francophone, complique tout lancement de mesures favorables à la langue régionale. La communauté germanophone ne dispose par conséquent pas de région géographique clairement délimitée, à laquelle elle pourait se référer afin de construire son identité. En plus, la Lorraine se trouve à la périphérie de la France, loin du centre décisionnel, et les zones périphériques peuvent très souvent être qualifiées de zones souffrant de « manques » (Geiger-Jaillet, 1995 : 316).

26Dans le cas de la Lorraine germanophone, ce sont surtout les conflits français-allemands qui ont nui à la région, en la déstabilisant politiquement mais aussi en contribuant à sa « dislocation » culturelle et sociale. Depuis la Révolution française, la langue française est devenue le symbole d’une nation une et indivisible – rendant suspecte toute personne française qui parle une autre langue. On se voit donc confronté à une francisation visant premièrement les périphéries, les régions susceptibles de mettre la stabilité de la nation en danger. Comme le français représente aussi la langue garantissant la promotion sociale dans l’Hexagone, parler une langue régionale devient par conséquent de moins en moins gratifiant. En Lorraine germanophone, il faut de plus compter avec la spécificité du traumatisme collectif infligé par la seconde guerre mondiale, facteur qui favorise lui aussi la francisation. Pourquoi ? Au début de la guerre, toute la population « devant » la Ligne Maginot est evacuée « à l’intérieur » de la France où les Mosellans se voient traités de « Boches » à cause de la langue régionale qu’ils parlent. Après leur retour en Moselle, les jeunes Lorrains sont incorporés de force dans l’armée allemande. Refus ou désertions ont eu de graves conséquences pour eux et leur famille. Ces hommes sont appelés les « Malgré-Nous ». Pendant la guerre, la région fait l’objet d’une germanisation rigoureuse. En 1945, une page se tourne : la Lorraine revient à la France et la langue régionale devient la langue de l’ennemi. La politique linguistique d’après-guerre visant à la francisation se réalise alors sur un sol fertile : ayant subi les horreurs des Nazis, les Mosellans sont prêts à devenir de bons Français.

27Le domaine d’intervention le plus important est l’école. Juste après la guerre on ne pensait par exemple absolument pas à l’enseignement de l’allemand. Afin d’accélerer la francisation de la population, on faisait venir des enseignants francophones et, jusque dans les années 1980, il y avait une heure de français par semaine de plus pour les élèves en Moselle. Le francique était systématiquement interdit à l’école.

28La « Loi Deixonne » du 11 janvier 1951 ne parle pas du francique ; l’option « Langue et Culture Régionales » au baccalauréat, qui a été créée avec la « Circulaire Savary » en 1982, n’est introduite en Lorraine germanophone qu’en 1986. La « Circulaire rectorale langue et culture régionales : Voie spécifique mosellane » du 10 septembre 1990 est le premier texte s’occupant exclusivement du rôle du francique dans l’enseignement en Lorraine germanophone. Ce texte est au début d’une nouvelle forme de politique linguistique que les associations commme Bei uns dahem appellent la « politique du tout allemand ».

Les dialectes mosellans, dans leurs multiples variantes, sont l’expression d’une culture régionale. […] Ces dialectes sont aussi un tremplin naturel vers l’allemand, leur langue de référence qui est donc pour les dialectophones une véritable langue régionale. (Circulaire rectorale langue et culture régionales, 1990)

  • 2 Certains chercheurs nomment ainsi les moments de la vie scolaire qui ne sont pas des moments de cla (...)

29Du côté officiel, ce n'est donc pas le francique qui est considéré comme la vraie langue régionale de la Moselle gemanophone mais l’allemand standard. Ce dernier est, par conséquent, retenu comme objet d’enseignement lorsqu’il s’agit d’enseigner la langue régionale (Bulletin Officiel, 2003). Cette argumentation officielle fait que l’on favorise l’enseignement de l’allemand standard (s’appuyant surtout sur l’argument que celui-ci est la langue du voisin) pendant que le francique disparait des écoles, même dans les espaces intersticiels2. Dans un arrêté du 25 juillet 2007 sur les programmes de langues régionales pour l’école primaire, les dialectes mosellans/dialectes franciques ne sont même plus mentionnés.

Article 1 – Les programmes de langues régionales pour l’école primaire sont fixés par les annexes jointes au présent arrêté en ce qui concerne le basque, le breton, le catalan, le corse et l’occitan langue d’oc. (Bulletin Officiel, 2007)

30Cet arrêté a entrainé la protestation de la Fédération pour le Lothringer Platt qui a revendiqué la ré-introduction de la langue régionale de la Moselle germanophone, en utilisant l’appellation « francique luxembourgeois, mosellan et rhénan ». Les responsables ont alors modifié l’arrêté mais gardé l’expression « langue régionale d’Alsace et des pays mosellans ».

31En résumé, nous pouvons dire que les acteurs de la politique linguistique de l’État français depuis 1945 font surtout partie du système éducatif. C'est avant tout dans ce domaine qu'il est possible d’influencer le comportement langagier des plus jeunes. Ainsi, la génération née après la seconde guerre mondiale, ayant encore le francique comme langue maternelle, a été francisée via l’école. Ce n’est que très rarement que ces personnes-là ont transmis le francique à leurs enfants. Vu l’amitié franco-allemande, le but de la politique linguistique n’est depuis longtemps plus de contourner l’allemand : la promotion de l’allemand standard en tant que langue du voisin et aussi langue européenne est centrale dans la conception de l’enseignement des langues étrangères en Moselle. La langue régionale, elle, y figure beaucoup moins clairement, risquant continuellement de disparaitre des programmes. Ce fait peut s’expliquer par les conditions dans lesquelles la politique linguistique se déroule. Bien que nous vivions aujourd’hui dans une Europe unie et pacifique qui respecte la diversité linguistique, il semble difficile d’effacer le passé. Dans le cas de la Lorraine germanophone, la seconde guerre mondiale est à l’origine d’une politique linguistique d’après-guerre hostile à tout ce qui était allemand. Ce conflit atroce a d’ailleurs provoqué un traumatisme collectif mosellan qui peut expliquer la passivité des Mosellans germanophones face à la francisation.

32Dans de telles conditions, tout moyen de politique linguistique sera décisif. Après des années de non-existence du francique dans le domaine éducatif, il s’avère très difficile de le ré-introduire dans les écoles d’autant plus que sa vitalité est faible et que les élèves n’ont plus les compétences nécessaires. Quant aux processus décisionnels en marche derrière la politique linguistique actuelle en Lorraine germanophone, le choix de la langue à promouvoir est d’une grande importance. Le choix de l’allemand standard comme objet d’enseignement dans les cours de langue régionale est justifié par les arguments suivants : l’allemand standard représente la “langue-toit” du francique, c’est la langue du voisin et c’est une langue qui facilite les échanges transfrontaliers, il est standardisé, on « peut » donc l’enseigner, c’est-à-dire que les manuels, les programmes, les enseignants, etc. sont disponibles. L’effet de cette politique linguistique depuis 1945 se voit à travers le déclin actuel du francique en Lorraine germanophone. Le but initial, la francisation de la population, semble désormais atteint.

Résultats de l’enquête quantitative

  • 3 Le terme « variétés linguistiques locales » à côté de « langues » a été choisi afin de permettre au (...)

33Les résultats de l’enquête quantitative à l’aide d’un questionnaire confirment les résultats relevés au moyen du profil de la communauté. L’analyse de la première question du questionnaire (« Veuillez indiquer les langues et variétés linguistiques locales3 que vous connaissez. ») montre que le multilinguisme et la diversité linguistique dans le Bassin Houiller Lorrain sont un fait : seuls 10 % des personnes interrogées déclarent ne connaitre qu’une seule langue et plus de 80 % indiquent connaitre une variété linguistique locale. Parmi ces 163 personnes, 146 se réfèrent de manière explicite à la langue régionale du Bassin Houiller, le francique rhénan.

34Comme la vitalité d’une langue ne peut être garantie que lorsque la langue est transmise aux générations suivantes (voir Fishman, 1991 : 113), nous avons aussi analysé l’usage des langues dans le domaine familial, entre parents et enfants. Statistiquement, il n’y pas de différence significative quant à l’usage des langues avec les enfants en ce qui concerne le sexe des personnes interrogées. Le tableau statistique en question est cependant important car il nous donne des informations sur la vitalité du francique rhénan via son usage en contact avec des enfants. Le tableau montre qu’au total seuls 17 hommes et 9 femmes utilisent le francique rhénan avec leurs enfants. Pour la vitalité d’une langue, les langues qu’utilise la mère jouent un rôle central dans la mesure où c’est avant tout elle – d’après certains chercheurs, mais tous ne sont pas d’accord – qui garantit leur transmission à la génération suivante. Le fait que, dans tout l’échantillon, seulement 9 femmes parlent le francique rhénan avec leurs enfants confirmerait que sa vitalité est faible et qu’elle risque d’être en déclin. Mais il ne faut pas oublier, bien sûr, qu’il s’agit d’une enquête déclarative et non pas d’une constatation de pratiques.

35La question se pose ensuite de savoir si les personnes qui ont elles-mêmes été socialisées en francique rhénan renoncent ou pas à faire la même chose avec leurs propres enfants. À ce sujet, l’analyse fournit un résultat significatif : plus de personnes que prévu ayant parlé le francique rhénan avec leurs parents le parlent aussi avec leurs propres enfants. Il est par ailleurs normal que plus de personnes que prévu n’ayant pas parlé le francique rhénan avec leurs parents ne le parlent pas non plus avec leurs propres enfants. Le chiffre total des gens parlant le francique rhénan avec leurs enfants actuellement est intéressant : il ne s’élève qu’à 26. Pourtant, parmi les mêmes gens (au total 145), 82 ont utilisé/utilisent le francique rhénan avec leurs propres parents.

Conclusion

36Nous avons essayé d’examiner la vitalité de la langue régionale en Lorraine germanophone, plus précisement dans le Bassin Houiller Lorrain. Le déclin du francique dans cette région est particulièrement marqué, la langue maternelle des jeunes générations étant aujourd’hui, dans la plupart des cas, le français. La transmission de la langue régionale aux plus jeunes générations n’est plus garantie. Par conséquent, le nombre de personnes l’ayant comme langue maternelle dans le Bassin Houiller lorrain semble diminuer de plus en plus. Nous avons ensuite analysé le rôle que la politique linguistique de l’État français a sans doute joué dans ce déclin du francique en Lorraine germanophone. Nous limitant à la période de l’après-guerre, nous avons pu constater que les conditions générales étaient favorables à la francisation et que les interventions étaient particulièrement efficaces dans le domaine éducatif. L’effet de la politique linguistique depuis 1945 se voit à travers le déclin du francique ; et son but initial, la francisation de la population, est dans le Bassin Houiller désormais atteint – jusqu’à nouvel ordre. Reste à espérer que le francique continue à être parlé dans d’autres zones du département de la Moselle. Nous pouvons donc conclure que la politique linguistique a joué (et joue encore) un rôle décisif quant à la perte de vitalité du francique en Lorraine.

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Notes

1 Comme le montre Marielle Rispail dans son ouvrage cité en biliographie, il en va peut-être autrement dans d’autres régions franciques de France, entre autre dans l’aire luxembourgeophone.

2 Certains chercheurs nomment ainsi les moments de la vie scolaire qui ne sont pas des moments de classe (cour de récréation, etc.).

3 Le terme « variétés linguistiques locales » à côté de « langues » a été choisi afin de permettre aux gens de mentionner vraiment toute forme d’expression langagière. Nous avons craint que le seul usage du terme « langues » empêche l’indication du francique rhénan qui est très souvent classé en tant que « patois ».

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References

Bibliographical reference

Daniela Dorner, “Vitalité du francique en Lorraine germanophone ?”Lidil, 44 | 2011, 27-42.

Electronic reference

Daniela Dorner, “Vitalité du francique en Lorraine germanophone ?”Lidil [Online], 44 | 2011, Online since 15 June 2013, connection on 08 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/3135; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.3135

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Daniela Dorner

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