Notre réflexion s’appuie sur le projet LexALP, un projet européen de terminologie juridique qui a comme particularité de concerner un territoire limité, les Alpes, et de regrouper huit États et quatre langues (allemand, français, italien, slovène). Le projet s’inscrit dans un cadre juridique précis, la Convention alpine, qui est un accord de droit international visant la sauvegarde de l’écosystème naturel et la promotion du développement durable des Alpes. Le but ultime de ce projet, outre l’élaboration d’un vaste ensemble de ressources linguistiques en ligne, est l’harmonisation quadrilingue de la terminologie juridique utilisée dans la Convention alpine et ses protocoles, ou susceptible de s’y intégrer. Près de mille concepts ont été traités dans ce projet, l’objectif étant de les définir de manière exhaustive pour tous les systèmes juridiques applicables à l’arc alpin. Chaque terme a donc donné lieu à un traitement à quatre niveaux : le niveau de la Convention alpine, point de départ du projet, le niveau international (qui prend en compte d’autres textes internationaux), le niveau européen, et les différents niveaux nationaux (Italie, France, Allemagne, Slovénie). Même s’il n’a pas été possible – ni obligatoirement utile – de traiter chacun des termes sur l’ensemble des niveaux, ce travail a été effectué pour la majorité des termes figurant dans la banque terminologique. Les participants ont ainsi disposé d’une base de discussion extrêmement riche pour l’harmonisation.
1Dans cet article, nous souhaitons analyser, à partir des difficultés rencontrées, deux aspects différents du traitement terminologique de la langue juridique. Nous reviendrons en premier lieu sur les unités terminologiques extraites en nous efforçant de préciser leur statut linguistique et leur statut juridique. Nous montrerons ensuite l’intérêt du traitement multilingue et de la procédure d’harmonisation pour résoudre quelques-unes des difficultés évoquées dans la première partie.
La Convention alpine, de statut international, s’est donné pour objectif d’assurer une politique globale de coopération transfrontalière pour la protection des Alpes. La procédure de signature a été ouverte le 7 novembre 1991 à Salzbourg (Autriche) ; tous les pays de l’espace alpin ont depuis lors signé et ratifié la Convention, l’Union européenne y étant également associée. En plus de la Convention cadre ont été adoptés neuf protocoles traitant chacun d’un aspect spécifique : l’aménagement du territoire et le développement durable, l’agriculture de montagne, la protection de la nature et l’entretien des paysages, les forêts de montagne, le tourisme, la protection des sols, l’énergie, les transports, le règlement des différends. Le texte de la Convention et ceux des protocoles ont été établis en allemand, en français, en italien et en slovène. Le projet LexALP1 répond donc à ce pari initial du multilinguisme en mettant en œuvre une procédure d’harmonisation rigoureuse et indispensable, étant donné que chaque État doit intégrer dans sa propre législation les décisions prises au niveau de la Convention.
- 2 La terminologie scientifique d’une discipline particulière est elle-même fréquemment le résultat d (...)
Georges Legault (1979 : 19) rappelait déjà que le terme de langage juridique est trompeur car il masque à la fois la diversité des statuts juridiques (lois, arrêtés, règlements, etc.) et la diversité des genres discursifs. Dans le cas qui nous intéresse, les textes ont aussi cette particularité d’appartenir à la langue technique ou scientifique, puisque les domaines sur lesquels ils portent relèvent de domaines d’expertise tels que l’environnement, l’écologie ou l’aménagement du territoire2. Il s’agit là d’une caractéristique que l’on retrouve dans de nombreux secteurs du droit international et du droit européen. Ainsi, comme le remarque Pascale Berteloot (2008 : 12), le droit communautaire est « un droit essentiellement technique », qui « comprend certes un certain nombre de termes juridiques assez généraux ou adaptés à partir des droits nationaux qui ont exercé une grande influence sur le droit communautaire à ses débuts, surtout du droit français ». Cependant, « ces termes juridiques sont peu nombreux par rapport au vocabulaire des différents domaines techniques que la Communauté du charbon et de l’acier et la Communauté économique se sont appliquées à règlementer en vue de mettre en place le marché unique. Il suffit de penser aux pièces mentionnées dans la législation sur la sécurité automobile ou aux espèces horticoles visées par l’organisation commune des marchés ». On retrouve la même situation dans la Convention alpine. La conjonction entre cette dimension scientifique ou technique et l’expression juridique pose des problèmes spécifiques tant pour les rédacteurs que pour les usagers. La difficulté, pour le profane, est qu’il est confronté à une langue doublement spécialisée, puisqu’elle ajoute à la relative technicité du langage juridique les dénominations et les précisions que requiert le langage scientifique du domaine de référence (sur ce thème voir, par exemple, Delhoste, 2002). Nous pouvons sans doute ajouter, en ce qui concerne la Convention alpine, une troisième « couche » terminologique : la langue administrative, qui agglomère les langues technique et juridique mais présente également ses propres caractéristiques. Pour le terminologue, la difficulté réside ici d’abord dans la sélection des termes. Confrontés à la nécessité d’analyser la terminologie juridique dans le corpus de base (la Convention alpine et ses protocoles), nous nous sommes posé des problèmes certes classiques, mais néanmoins souvent difficiles à résoudre faute de critères suffisamment explicites.
Une typologie des unités terminologiques analysées au cours du projet permet de revenir sur quelques-uns des problèmes rencontrés, liés à la nature même des unités terminologiques. Nous proposerons deux critères : le premier lié à la spécialité, le second au fonctionnement linguistique.
Dans l’approche classique, logiciste et « wüsterienne » de la terminologie, les termes incarnent les notions auxquelles ils correspondent naturellement ; il n’y a donc qu’à retrouver – ou à définir – les notions spécifiques du domaine considéré pour aboutir aux termes. Cependant, cette conception est aujourd’hui souvent remise en cause, en raison, comme le souligne Monique Slodzian (2000 : 69), des limites de l’action de normalisation, de la variabilité terminologique rencontrée dans les termes, ou encore de l’intrication des domaines auxquels est confronté le terminologue à l’intérieur d’un même texte, ou ensemble de textes. On a parfois tenté d’opposer (cf. Pearson, 1998, cité par Slodzian, 2000), les termes spécifiques au sujet, les termes non spécifiques et les mots de la langue générale. Une telle conception aboutirait en ce qui nous concerne à distinguer entre termes juridiques stricto sensu, termes spécialisés (scientifiques, techniques ou « administratifs ») et termes généraux ; cependant, il faut admettre qu’une séparation trop stricte entre la langue juridique et la langue non juridique n’est pas pertinente, étant donné la nature des textes à traiter. De la même façon, comme nous allons le voir, des mots qui semblent relever de la langue générale ont souvent, dans notre contexte, des implications juridiques. Un terme aussi banal que montagne par exemple, peut poser problème, lorsqu’il s’agit de se mettre d’accord sur ce que l’on appelle une zone de montagne (voir Randier, 2008 : 100, et ci-dessous, dans la section « Découpage juridique différent selon les législations »).
2La classification proposée ci-dessous se veut donc essentiellement empirique : elle a pour fonction de mieux cibler les problèmes à traiter.
3Il s’agit de termes relevant sans conteste ni équivoque du domaine juridique parce qu’ils correspondent à des concepts de droit, désignant explicitement des principes ou règles de droit international ou national. Ils sont en général présents dans les traités, manuels et dictionnaires de droit : on peut citer, par exemple, principe de précaution, principe du pollueur-payeur, ou encore possession (de spécimens), détention (de spécimens). La possession, liée à l’affirmation d’un droit de propriété, se distingue juridiquement de la détention qui a un caractère seulement transitoire, voire accidentel mais est tout aussi illégale en ce qui concerne, dans notre domaine, les espèces protégées. Nous verrons plus loin que la procédure d’harmonisation multilingue peut révéler une autre façon d’appréhender certaines de ces notions juridiques. De tels termes sont relativement peu nombreux dans la banque LexALP, mais il est nécessaire de recourir pour eux à des sources juridiques fiables et de comparer les définitions aux différents niveaux de législation.
4Ces termes ne sont pas directement juridiques et concernent d’autres domaines (écologie, agriculture, économie, etc.). Ils sont cependant définis dans le cadre d’accords de droit international, par exemple : sources d’énergie renouvelables dans la directive 2001/77, art. 2, ou diversité biologique dans la Convention de Rio sur la diversité biologique, 1992, et même écosystème qui a une définition (parmi beaucoup d’autres) directement issue de la Convention de Rio et reprise dans la directive 93/626. Ces termes ne désignent pas les principes ou les règles du droit mais les objets sur lesquels porte le droit, donc délimitent son application. Ainsi définis dans certains textes juridiques, ils prennent une valeur de référence et doivent être présents dans un glossaire sur le sujet car tout texte postérieur devrait soit reprendre ces définitions soit se positionner par rapport à elles.
5On trouve dans le corpus LexALP un grand nombre de termes complexes, fabriqués à partir de noms d’entités administratives ou correspondant à un découpage spatial nommé conventionnellement dans une administration donnée. Ainsi zone et aire sont particulièrement productifs dans le corpus ; en voici quelques exemples lorsqu’on prend zone comme nom-tête : zone à circulation limitée, zone de montagne, zone déclarée non aménageable, zone à risque, zone de protection des paysages, zone de tranquillité. Ces dénominations variant évidemment d’une entité administrative à une autre, ainsi que d’une langue à l’autre, le choix des termes mais aussi les définitions supposent un délicat travail d’harmonisation, comme le montre l’exemple d’espace transfrontalier bien analysé par Céline Randier (2008). Fallait-il comprendre espace transfrontalier comme un espace protégé partagé par des pays voisins, ou bien le terme pouvait-il également concerner des frontières régionales, au sein d’un même pays, comme pouvaient le défendre certaines régions italiennes ? C’est finalement la première interprétation qui a prévalu, sans doute en raison des connotations fortes du terme français, qui le lient au concept de frontière nationale, et sous une certaines pression des représentants des entités ministérielles du projet, même si le sens régional aurait pu être tout aussi intéressant du point de vue de la protection juridique de l’espace alpin.
6Certains termes du lexique général doivent figurer comme termes de base d’un domaine : si un texte règlemente le pâturage dans les forêts de montagne afin de préserver la fonction protectrice de la forêt, il semble nécessaire, afin de rendre l’application de la réglementation possible, de définir le terme forêt de montagne, voire le terme de base forêt, mais aussi fonction protectrice de la forêt de montagne. Cela peut aussi impliquer de définir quelles sont les autres fonctions de la forêt de montagne… De même, à partir du protocole sur le tourisme qui vise à favoriser un développement durable du tourisme dans les Alpes, il est nécessaire de définir touriste, apparemment un mot de la langue générale : or le terme défini par l’Organisation mondiale du tourisme et repris dans la décision 35/1999 est bien plus précis que le mot de la langue courante, puisqu’il définit un touriste comme un « visiteur qui passe au moins une nuit dans un établissement d’hébergement collectif ou privé du pays/lieu visité », ce qui conduit d’une part à assimiler à des touristes des personnes qui viennent pour des raisons autres que touristiques, par exemple professionnelles, et à exclure des personnes qui viendraient dans des buts touristiques, mais ne passeraient pas au moins une nuit sur place (c’est le terme visiteur qui doit s’employer dans ces cas-là). Tous ces concepts ne sont pas juridiques en eux-mêmes, mais ils sont nécessaires pour cadrer l’application du droit.
L’idée souvent admise que le lexique analysé peut se répartir sur un continuum allant du plus spécialisé, les termes, au moins spécialisé, les mots, n’est guère opérationnelle dans notre cas, puisque seul un examen au cas par cas peut permettre de décider si l’on a affaire à un terme, qu’il appartienne ou non au lexique général. Les termes, en particulier dans les textes appartenant aux genres juridiques, ne se caractérisent pas par leur apparente technicité, mais par le fait qu’ils nécessitent une définition spécifique, différente de celle qu’ils prennent dans la langue courante ou dans d’autres domaines de spécialité. Nous avons fait une distinction, sur une base linguistique cette fois, entre les termes au sens strict et les phraséologismes.
Deux critères principaux sont habituellement requis :
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l’unité conceptuelle et le pouvoir référentiel : il s’agit là d’un principe très classique en terminologie. Le terme (qu’il soit simple ou complexe) correspond à une seule unité conceptuelle, même s’il comporte plusieurs composantes sémantiques ; cette qualité lui permet de jouer son rôle de désignation et le distingue du phraséologisme sur lequel nous revenons infra. Par exemple, abandon des zones de montagnes, bien que figurant sur la liste obtenue après l’extraction, n’a pas été traité comme un terme ; si l’on observe le contexte fourni (le texte préconise de « limiter l’abandon des zones de montagne »), abandon est un simple complément de limiter, sans valeur désignative ; la comparaison entre les langues fournit également un appui précieux pour trancher les cas difficiles (voir notre deuxième partie) ;
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l’unité syntagmatique : le terme, simple ou complexe, est un signifiant continu, dans lequel ne peuvent s’intercaler d’autres éléments, sauf à fabriquer d’autres termes : ainsi zone à circulation limitée et zone à faible circulation sont deux termes bien distincts, tous deux traités comme tels dans la base. Une des conséquences de ce principe est le fait que chaque terme trouve en principe sa place dans un système conceptuel, dans lequel il se définit par rapport à d’autres. Ainsi, état de conservation favorable, que l’on aurait pu, à première vue, classer comme phraséologisme, désigne un concept nettement défini au niveau des habitats et des espèces dans la directive 2004/35, art. 2, 4, et doit être traité comme un terme, qui peut ensuite être utilisé dans la définition d’un autre terme comme habitat détérioré (« habitat naturel dont l’état de conservation favorable a été affecté de manière significative »).
- 3 Défini comme un cadre caractérisé par la « beauté d'ensemble d'un lieu et [l’]harmonie de ses comp (...)
7Dans certains cas, nous avons dû nous résoudre à traiter comme des termes des unités terminologiques qui, bien qu’ayant une valeur désignative, ne répondaient pas au critère d’unité syntagmatique. Dans ces pseudo-termes, les variantes peuvent être importantes : il s’agit de désignations « floues », permettant parfois une formulation plus prudente, ou plus extensive, ou encore des ajouts de type adjectival qui conduisent à fabriquer un terme plus complexe. Ce deuxième cas de figure peut être illustré à travers l’exemple de cadre naturel attrayant et préservé :cette unité a été traitée comme un terme mais, en fait, elle fonctionne de manière parfaitement compositionnelle par rapport à cadre naturel, qui ne figure pas dans notre baseet cadre naturel attrayant3traité par ailleurs. Si l’on voulait être cohérent, il faudrait plutôt traiter comme un terme cadre naturel préservé mais l’exemple n’a pas été rencontré dans le corpus. Le recensement et le traitement systématique de ces pseudo-termes peuvent permettre de reconstruire plus logiquement le système des désignations.
Il nous faut d’abord revenir sur le sens donné à phraséologisme, étant donné l’ambiguïté du terme. Rappelons pour commencer que dans une banque terminologique comme EURAUDICAUTOM (aujourd’hui IATE)4, « une des originalités […] est de traiter un éventail d’unités terminologiques assez extensibles qui va de l’uniterme à la phrase » (Goffin, 1997, cité par Slodzian, 2000 : 72). Cependant, comme le remarque Monique Slodzian, ce que l’on nomme ici phraséologie « n’est rien d’autre qu’un substitut du contexte, très limité, aléatoire et non problématisé ». L’extension syntagmatique de la notion de terme, parfois justifiée, traduit aussi souvent un aveu d’impuissance : si les termes sont extensibles en « phrasèmes » et autres « phraséologismes » supposés, c’est que le sens terminologique ne se laisse pas enfermer dans les bornes étroites de termes isolés, et doit prendre en compte le texte ou le discours. Daniel Gouadec (1994) distingue terme et phraséologisme en considérant que la fonction principale du terme est la désignation tandis que le phraséologisme se caractériserait principalement par sa fonction de « formulation », intégrant un terme comme élément principal. De fait, nous considérons que les phraséologismes peuvent être définis à trois niveaux :
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à travers leur fonction référentielle (c’est le critère principal de Daniel Gouadec) ; le phraséologisme, bien qu’intégrant un terme, dispose moins que lui de la capacité de désignation et inclut la description des caractéristiques d’une notion, c’est-à-dire implique un système relationnel ou prédicatif : ainsi programme pour la conservation de la nature est la dénomination descriptive d’une réglementation définie par la liste de ses constituants ;
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à travers leur caractère semi-figé : les phraséologismes ont en principe un certain degré de figement sémantique ou syntaxique ; ce critère n’est cependant pas toujours distinctif, dans la mesure où les termes eux-mêmes sont souvent des syntagmes figés ; c’est justement l’ambiguïté du terme phraséologisme en terminologie, qui peut être utilisé pour référer à des syntagmes longs, et en définitive plutôt moins figés que ne sont les termes à proprement parler ;
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à travers leur fonction d’usage : les phraséologismes sont des marqueurs stylistiques, qui signalent, par leur caractère stéréotypé, l’appartenance à un genre ou à un domaine de spécialité ; de ce fait, ils ont en principe une certaine récurrence – bien qu’il y ait souvent des variations lexicales ou syntagmatiques – ce qui justifie un traitement spécifique.
- 5 Pour des précisions sur le cadre institutionnel, on se reportera, dans ce numéro, à l’article de C (...)
- 6 Même si le terme figure déjà dans d’autres banques terminologiques (et dans les dictionnaires), il (...)
8Le pré-traitement effectué par l’équipe d’EURAC5(pilote du projet) pour établir les glossaires à partir desquels nous devions travailler comportait fréquemment des syntagmes auxquels il était difficile de conférer le statut de terme. Dans certains cas, les modifications étaient aisées, et consistaient simplement à retrouver le terme exact. Ainsi énergie à partir de combustibles fossiles est devenu tout simplement énergie fossile6 (le même type de transformation a été opéré dans les autres langues).
9Dans d’autres cas, le syntagme, qui pouvait apparaitre comme un phraséologisme, a finalement été traité comme un terme, parce qu’il renvoyait bien à une notion dont la définition était nécessaire : c’est le cas, par exemple, de interconnexion des systèmes énergétiques ; la forme courte, interconnexion énergétique, également retenue, n’a pas éliminé la forme longue, dans la mesure où système énergétique, déjà répertorié dans d’autres banques terminologiques comme IATE, est plus précis et signale bien le fait que l’interconnexion permet de relier des ensembles cohérents et structurés, relevant de tutelles différentes. Bien qu’on puisse segmenter le syntagme en deux termes – interconnexion et système énergétique –, l’expression complète permet d’éviter toute confusion, interconnexion étant utilisé également en télécommunication. À l’inverse, on a considéré qu’il n’y avait pas lieu de considérer qu’on avait affaire à un terme dans un cas comme celui de installation pour la production d’énergie répertorié dans la base mais qui n’a pas donné lieu à définition et a été considéré comme un phraséologisme, alors que installation énergétique a bien été défini comme terme. De même, si la langue administrative a besoin de répertorier les mesures prises, il est inutile de considérer comme termes toutes les expressions commençant par mesures et portant sur un certain domaine d’application. Cependant, mesures de contrôle, qui répond au critère d’unité conceptuelle, a bien été traité comme un terme, car il est défini, dans le texte de la Convention alpine, comme « mesures qui ont pour objet de vérifier que les interventions permises dans le cadre des dérogations à l’interdiction de prélèvement et de commerce d’espèces animales et végétales ne soient pas de nature à compromettre l’équilibre général des espèces concernées ». On voit bien dans ce cas l’importance d’une définition précise au plan juridique, et la manière dont elle se spécifie dans le domaine impliqué.
10Une conclusion s’impose donc au terme de cette première partie : même si les critères linguistiques sont importants pour l’intégration des termes dans la banque, d’autres considérations, plus pragmatiques, entrent également en ligne de compte pour le traitement terminologique. On peut citer en particulier le poids du corpus de base qui a conditionné l’extraction initiale, le traitement étant effectué à partir d’une liste de candidats-termes issus des textes de la Convention alpine et des protocoles. Cette procédure, qui a sans doute facilité la répartition du travail et l’harmonisation, a aussi son revers : elle a eu tendance à figer des dénominations qui n’ont qu’une valeur relative, ou à imposer à la réflexion des concepts qui n’en sont pas toujours. Cependant, l’approfondissement effectué à partir des différents niveaux a permis de relativiser certains des résultats obtenus. Par ailleurs, la comparaison inter-langues et le travail d’harmonisation ont permis une mise à plat intéressante sur laquelle nous revenons à présent.
L’objectif ultime du projet LexALP, l’harmonisation de la terminologie de la Convention alpine dans ses quatre langues, peut susciter d’emblée un certain nombre d’interrogations. Tout d’abord, comme précisé plus haut, la Convention et ses protocoles ont été établis en 1991 « en français, allemand, italien et slovène, les quatre textes faisant également foi », puis ratifiés par les huit États alpins et par la Communauté européenne. Leur contenu juridique est donc censé être accepté et interprété de façon identique par les locuteurs des quatre langues.
- 7 Arrêt du 12 novembre 1969, Stauder/Stadt Ulm (29-69, rec. p. 419) : « La nécessité d’une applicati (...)
11Ce principe de l’égalité des langues est également celui qui prévaut dans un grand nombre de textes internationaux signés en version bilingue ou multilingue (avec la formule d’usage « all texts being equally authentic »),et dans la législation communautaire. Depuis 19697, les critères d’interprétation des textes faisant foi en plusieurs langues ont été définis en prenant soin de considérer l’ensemble des versions (Gallas et Guggeis, 2005 : 494), de sorte que le texte de droit communautaire n’est pas vu comme « un texte de norme unique mais un système de [23] textes de norme visant à produire une norme unique » (Flückiger, 2005 : 357).
- 8 Leonhard Voltmer, chef de projet LexALP à Bolzano note qu’il n’y a que cinq définitions juridiques (...)
12Par ailleurs, dans le procès-verbal de la 6e Conférence alpine qui s’est réunie à Lucerne en octobre 2000, cette dernière « prend acte du rapport final sur l’harmonisation linguistique de tous les protocoles d’application convenus à ce jour et l’approuve. Elle constate que les protocoles […] ont été entièrement harmonisés sur les plans linguistiques et stylistiques, et ce, sans qu’aucune modification de fond n’ait été apportée [… et] décide d’accepter le résultat de l’harmonisation linguistique des protocoles susmentionnés » (cité par Chiocchetti et Voltmer, 2008 : 49). L’harmonisation, tant juridique que terminologique et stylistique, aurait donc déjà été menée à bien. On sait néanmoins que, même si le multilinguisme s’est imposé dans les travaux préparatoires à la Convention en respectant le principe de l’égalité des langues (Angelini et Church, 2008 : 38), les textes originaux ont généralement été rédigés dans la langue du président de séance, puis traduits, les langues et lieux des négociations variant selon les protocoles. Par exemple, la version française du protocole sur la protection des sols laisse transparaitre sa première version allemande dans certaines lourdeurs syntaxiques et certains termes inappropriés. L’extraction systématique des unités terminologiques dans les quatre versions parallèles a confirmé l’existence d’incohérences en partie dues à un manque d’harmonisation préalable et à de mauvaises traductions, mais aussi à un certain flou (Voltmer, 2008 : 71)8 qui, pour des raisons liées aux enjeux et aux difficultés des négociations, est caractéristique du droit international public (Flückiger, 2005 : 346). Cela a ainsi confirmé le besoin d’harmonisation tant des concepts que des termes.
À partir des équivalences extraites des quatre versions parallèles, les terminologues du projet LexALP ont commencé par rechercher ces termes, et si possible leurs définitions, dans le corpus constitué de textes juridiques internationaux, européens et nationaux, constituant ainsi un ensemble de fiches traitées à différents niveaux de droit. L’objectif était de préparer le travail du groupe d’harmonisation, constitué d’experts, linguistes et juristes, des différents domaines, langues, et système juridiques concernés.
13Pour ce dernier, l’harmonisation a d’abord consisté à s’assurer que les quatre termes parallèles désignaient bien un concept identique et à se mettre d’accord sur une définition harmonisée (cf. ISO 860:2007). Celle-ci a souvent été trouvée dans un texte communautaire ou international, parfois légèrement adaptée au contexte de la Convention alpine, mais il est aussi arrivé qu’elle soit proposée, soit par les terminologues ou juristes du projet, soit par l’une des instances nationales présentes (Délégation générale à la langue française et aux langues de France, ci-après DGLFLF, ou Section terminologie de la Chancellerie de la Confédération suisse, qui dispose de sa propre banque de termes, Termdat). Une négociation a eu lieu dans le cas de concepts se recouvrant partiellement ou présentant des différences notables, afin d’aboutir soit à une définition suffisamment large, « de compromis », souvent accompagnée de notes précisant d’éventuels caractères distinctifs selon les systèmes linguistiques ou juridiques, soit à un refus de l’harmonisation. À partir du concept harmonisé, les désignations dans les quatre langues ont été confirmées ou corrigées selon les cas, donnant lieu à des équivalences harmonisées, désormais recommandées pour les textes associés à la Convention alpine et à ses protocoles. Ce résultat n’a pas de véritable caractère normatif, l’application des recommandations dérivera de l’acceptabilité de la base LexALP en termes d’accessibilité, de lisibilité et d’ergonomie.
- 9 Voir notamment l’article de Louise Maguire Wellington « Bijuridisme canadien, méthodologie et term (...)
- 10 De très nombreux travaux sont, par exemple, menés pour le sixième programme-cadre de la Communauté (...)
- 11 Les outils principaux sont les outils de TAO à mémoires de traduction ainsi que LegisWrite, outil (...)
- 12 En mars 2008, on compte environ 4800 termes et définitions sur la base Franceterme mais le domaine (...)
14Même si, de plus en plus, le droit des États à communiquer dans leur propre langue est reconnu (et totalement appliqué à l’UE), il existe peu de cas d’harmonisation multilingue en terminologie juridique. Il semble en effet que l’harmonisation des concepts de droit, voire des systèmes de concepts, ou encore des procédures de rédaction législative, soit plus avancée que l’harmonisation des terminologies. Les pays de tradition bilingue ou multilingue, comme la Belgique, le Canada ou la Suisse, ont certes l’habitude de produire du droit en version multilingue, grâce à la corédaction ou à la traduction pratiquée par des experts, juristes linguistes ou jurilinguistes selon les continents. Le bijuridisme canadien (voir Gémar, 1995 : 150) a ainsi conduit à inventer une méthodologie de l’harmonisation pour les concepts de droit civil québecois et de common law fédérale9.Des organismes de droit comparé travaillent également à l’harmonisation des concepts en droit privé, notamment dans le cadre du droit des contrats10. Mais les ensembles d’équivalences juridiques multilingues sont rarement normalisés. En ce qui concerne le droit communautaire, produit en 23 langues faisant également foi, la base terminologique IATE n’impose pas de normalisation des désignations car il s’agit davantage d’un outil de partage des connaissances que d’un produit officiel visant à standardiser la terminologie européenne. Dans les institutions européennes, des notes des services juridiques précisent de temps à autre l’usage de certaines désignations, mais il n’existe pas encore de standardisation de la terminologie juridique communautaire (Berteloot, 2008 : 16). Celle-ci progresse néanmoins, mais de façon indirecte, grâce aux outils informatiques et aux guides de rédaction juridique publiés par les institutions communautaires à l’usage des rédacteurs et traducteurs de l’Union11. Des États dotés d’une politique linguistique énergique, comme la France, peuvent néanmoins se prévaloir d’une harmonisation terminologique « officielle » : la base Franceterme sur le site de la DGLFLF reprend les termes publiés au Journal officiel et devant être employés par les organismes publics. Chaque terme est donné avec son équivalent en anglais qui acquiert de ce fait un statut quasi officiel. Mais la spécificité de la base est l’enrichissement de la langue française par l’établissement d’une terminologie de référence (Madinier, 2008 : 104), qui suit l’apparition de nouveaux concepts sans effectuer un traitement exhaustif par domaine12.
15Concernant le multilinguisme en droit international, après des débuts difficiles et controversés (n’a-t-on pas accusé la mauvaise qualité linguistique des traductions d’être à l’origine du rejet populaire de certains traités européens ?), une tendance actuelle est de valoriser l’apport du multilinguisme au droit, en soulignant que l’existence de versions linguistiques différentes permet de repérer plus facilement les erreurs rédactionnelles du texte de départ, d’aboutir à une révision plus approfondie de l’ensemble des textes et d’enrichir l’interprétation par la comparaisons des versions (Flückiger, 2005 : 355).
Ces avantages ont été perceptibles lors du travail terminologique multilingue dans le cadre du projet LexALP. La mise à plat des désignations a souvent conduit à une précision dans la délimitation conceptuelle que n’aurait pas autorisée le seul traitement monolingue. Tout comme pour la sélection des termes, ce sont autant des difficultés linguistiques que des difficultés juridiques qui ont été rencontrées. En effet, il est rappelé qu’il est plus facile d’établir des équivalences lorsque le domaine du droit concerné par l’harmonisation est un domaine commun aux langues et cultures juridiques en question, comme c’est le cas de la législation européenne (Peruginelli, 2008 : 25). Or la plupart des concepts juridiques traités dans la Convention alpine font partie de domaines transversaux relativement récents, comme le droit de l’environnement, moins marqué par les systèmes culturels nationaux que des domaines comme le droit de la famille ou de la propriété. En revanche, il est particulièrement ambitieux de vouloir harmoniser des équivalences en quatre langues, dont deux romanes, une germanique et une slave, qui n’ont évidemment pas le même découpage conceptuel ni le même fonctionnement syntaxique et qui peuvent être parlées dans des États différents (l’allemand en Allemagne, en Autriche ou en Suisse ; le français en France et en Suisse), ces différences linguistiques s’ajoutant aux différences entre les législations nationales, voire régionales (par exemple, entre la Suisse, l’Italie et les provinces autonomes italiennes).
16L’expérience de LexALP fournit ainsi des données intéressantes, et nous donnerons ci-dessous quelques exemples des difficultés rencontrées et des stratégies appliquées pour parvenir à l’harmonisation. Il faut néanmoins souligner que la perspective pragmatique du projet a conduit à une stratégie globale privilégiant la recherche d’équivalences fonctionnelles (Harvey, 2002 ; Gémar, 1995), en gardant toujours à l’esprit l’application de réglementations en conformité avec les objectifs de la Convention alpine.
C’est évidemment le premier cas de figure qui vient à l’esprit : un concept juridique existe dans un système et pas dans l’autre ou les autres. Compte tenu de la remarque ci-dessus, il a été extrêmement rare. L’exemple le plus net a été celui de la Verbandsklage allemande qui évoque une sorte d’action collective proche de la class action américaine. Le terme apparait en annexe du protocole sur la protection de la nature et l’entretien des paysages, dans une liste des inventaires permettant d’établir un état de la protection de la nature et des ressources, y compris juridiques, disponibles à cette fin. La liste a été conçue de façon extensive pour couvrir l’existant dans tous les pays signataires, incluant ainsi des réalités présentes dans certains États et pas d’autres. La Verbandsklage est définie dans le droit allemand et autrichien mais ce type d’action n’est encore entré ni dans le droit français, ni dans le droit italien. Dans de tels cas, plusieurs stratégies sont envisageables, de l’emprunt (qui serait allé à l’encontre du principe de multilinguisme du projet) à l’équivalence fonctionnelle, en passant par le néologisme ou la paraphrase. La traduction française du protocole utilise l’expression « droit pour une association d’ester en justice », qui explicite ce concept allemand. Suite à une recherche infructueuse dans le système français, c’est finalement une traduction plus littérale mais relativement fonctionnelle qui a été harmonisée, doublée d’une note explicative : action en justice d’une association et azione legale intentata da un’associazione. Il est intéressant de noter que, pour traduire class action, procédure souvent citée en France en parlant des États-Unis même si elle n’existe pas encore en droit français, le Journal officiel a depuis publié le terme action de groupe, plus générique, afin de recouvrir un ensemble de réalités étrangères de ce type.
17De même, la comunità montana est une entité administrative exclusivement italienne, que le groupe d’harmonisation a traduite par une équivalence fonctionnelle communauté de communes de montagne, basée sur la réalité française des communautés de communes.
Plutôt que des lacunes juridiques, on constate souvent un découpage différent des concepts juridiques selon les langues et les systèmes. Malgré une certaine unification apportée par la législation communautaire, des différences subsistent entre les niveaux nationaux. Ainsi, dans le cadre de la protection de l’eau, les catégories eau potable et eau destinée à la consommation humaine sont données comme équivalentes dans le droit communautaire (directive 98/83, art. 2) et le droit international (Protocole de Londres, 1999, art. 2, 2a), exigeant une qualité d’eau potable pour l’eau utilisée par les entreprises agro-alimentaires dans la préparation de produits destinés à la consommation humaine. La législation française reprend le décret européen, mais la législation allemande différencie dans eau destinée à la consommation humaine deux catégories avec des règlements distincts : eau potable (Trinkwasser) et eau destinée à l’industrie alimentaire (Wasser für Lebensmittelbetriebe). Dans un tel cas, c’est la définition large du Protocole de Londres qui a été adoptée pour l’harmonisation au niveau de la Convention alpine. Mais la fiche établie au niveau allemand fait état de ce découpage différent.
18La définition de zone de montagne, cruciale pour l’allocation d’aides à l’agriculture, est également variable selon les législations. En droit international, le Programme des Nations Unies pour l’environnement définit les zones de montagne en fonction de l’altitude et de la pente, alors que le droit communautaire prend également en compte d’autres critères comme le fort contraste du relief (certaines zones côtières) ou la latitude (certaines zones nordiques). Dans les Alpes, les législations diffèrent (zone au-dessus de 600 m en Italie du Nord, 700 m en Allemagne, de 600 à 800 m en France). La définition harmonisée est une définition extensive, « de compromis » (Randier, 2008 : 101), fondée sur un règlement européen (règlement 1257/1999, art. 18, 1) qui met en avant le handicap fonctionnel résultant d’une liste de facteurs liés au climat, à l’altitude et à la pente. Mais une note spécifie que la délimitation des zones de montagne (notamment en termes d’altitude) relève de la compétence des États.
19Dans l’exemple donné plus haut sur la protection des espèces protégées, le protocole sur la protectionde la nature et l’entretien des paysages rappelle qu’il est interdit de détenir des spécimens d’espèces protégées, ce qui est pertinent en droit français et italien où les concepts de propriété, de possession et de détention sont clairement distingués. En revanche en droit allemand et autrichien, les concepts sont moins nets et une spécificité culturelle tend à protéger aussi bien le détenteur d’un bien que son propriétaire (Voltmer, 2008 : 71). Une note a donc dû expliquer pourquoi le terme Besitz von Exemplaren est indifféremment employé pour la détention ou la possession de spécimens.
Les problèmes les plus fréquents n’ont pas été posés par les concepts juridiques mais par le fait que le découpage conceptuel varie selon les langues. Dans ce cas, le travail multilingue met au jour une polysémie pas toujours évidente pour le locuteur d’une seule langue. Ainsi gestion des déchets ne semblait pas poser de problème en français, mais c’est la difficulté de choisir en allemand entre deux désignations distinctes Abfallwirtschaft ou Abfallbewirtschaftung qui a permis de distinguer deux concepts : l’activité en tant que telle, définie in extenso par les différentes opérations de collecte, transport, traitement, valorisation, etc. (Abfallbewirtschaftung), mais aussi le secteur d’activité, voire la politique qui régule cette activité afin d’en diminuer l’impact négatif sur l’environnement (Abfallwirtschaft). À l’inverse, l’absence de désignation dans une langue, ou lacune linguistique, révèle également un découpage conceptuel différent. Dans le protocole sur les forêts de montagne, la protection des sols et des forêts implique la mise en œuvre de « procédés d’exploitation et de débardage » respectueux de l’environnement. Contrairement à l’allemand et au français, l’italien n’a pas de terme spécifique pour débardage et la traduction italienne n’utilise qu’un seul terme, prelievo, qui recouvre aussi bien la coupe que le transport du bois du lieu de coupe au lieu d’enlèvement.
20La distinction entre terme général et terme spécialisé est apparue nettement avec le terme cadastre, tout en illustrant bien le caractère faussement multilingue de la rédaction des protocoles. Dans le protocole sur la protection de la nature et l’entretien des paysages, signé à Chambéry et vraisemblablement rédigé sous influence française, il est à plusieurs reprises question de préparer des listes, ou inventaires, des espèces, biotopes, espaces, protégés ou à protéger, etc., ces listes étant extensivement données dans l’annexe 1 de ce protocole. Dans le protocole sur la protection des sols, initialement rédigé en allemand, se trouve le terme Bodenkataster, qui reprend la même idée de liste permettant de dresser un état des lieux de l’érosion et de la pollution de certains sols afin d’en assurer la protection. La version française fait état de cadastre des sols. Cette traduction calquée, équivalence purement formelle, introduit une confusion avec le terme cadastre qui désigne, en France, le registre ou plan foncier regroupant l’ensemble du territoire national divisé en parcelles de propriété sur une base communale (et qui correspondrait plutôt, en allemand, au terme Grundbuch). Après une longue discussion, le terme employé dans la version française du protocole (trois occurrences) a été rejeté et un nouvel équivalent a été proposé pour Bodenkataster, à savoir inventaire cartographié des sols.
Dans ce dernier exemple, il est intéressant de noter que le même problème qu’en français se posait en italien avec le terme catasto. Cependant, les membres italiens du groupe d’harmonisation ont accepté une stratégie différente : l’harmonisation du terme catasto dei suoli, accompagné d’une note expliquant l’ambiguïté de ce terme par rapport à la réalité administrative et juridique du catasto italien. Cette position, influencée par les juristes du groupe d’harmonisation, permettait de ne pas remettre en cause le texte même du protocole qui a été ratifié malgré cette erreur de traduction. C’est la présence d’une représentante de la DGLFLF qui a, dans de nombreux cas, incité les intervenants français à tenir une ligne moins juridique mais plus respectueuse du système conceptuel et linguistique du français. Dans une situation d’harmonisation multilingue, des conflits peuvent en effet surgir d’une part entre la position des linguistes et celle des juristes, et d’autre part entre une politique de défense d’une langue nationale et la volonté de parvenir à un consensus pour parachever l’harmonisation. La France étant de loin l’État ayant la politique linguistique la plus déterminée, il est arrivé que ce soit les définitions issues des commissions ministérielles de terminologie, issues d’un travail de fond particulièrement solide, qui soient finalement retenues pour l’harmonisation, notamment dans le domaine des transports.
21Le cas du slovène est également à souligner. En tant que membre récent de l’Union, cet État vient de procéder à la traduction de l’acquis communautaire, ce qui l’a conduit à inventer un grand nombre de termes juridiques et techniques pour désigner les concepts européens. Dans le cas de LexALP, il est souvent arrivé que les interlocuteurs slovènes soient pris de court devant des concepts qu’ils ne savaient désigner en slovène ou des distinctions que la langue slovène, encore jeune en matière de droit de l’environnement et de l’aménagement du territoire, avait du mal à exprimer. Cette situation a compliqué le travail d’harmonisation pour les juristes et linguistes slovènes. Néanmoins, on peut affirmer que ce sont probablement les utilisateurs slovènes, qu’ils soient traducteurs, rédacteurs et juristes ou personnels administratifs, qui tireront le meilleur profit de la base LexALP car, en dehors de l’acquis communautaire, ils disposent d’un nombre limité de ressources en slovène dans le domaine du droit international.
22Le travail d’harmonisation a confirmé que la terminologie juridique ne pouvait se limiter aux termes exclusivement utilisés par les juristes et que l’application du droit nécessite de définir dans son optique de nombreux concepts appartenant à ses domaines d’application. La pluridisciplinarité et le multilinguisme ont été conjugués pour aider à construire une langue juridique dans un espace spécifique – géographique, écologique, social, institutionnel et juridique – qui exige de la part des acteurs concernés la capacité à dialoguer pour arriver à des compromis. Les arguments qui s’échangent au cours du processus d’harmonisation montrent bien comment l’édification d’une terminologie juridique commune ne s’appuie pas seulement sur une logique « scientifique », mais se fonde aussi sur la prise en compte de réalités très diverses (linguistiques certes, mais également sociales, politiques et institutionnelles) qui intègrent toutes une dimension pragmatique. Comme le souligne Jean-Claude Gémar (1995 : 150), les équivalences fonctionnelles qui résultent de la traduction et de l’harmonisation juridiques sont surtout « le produit d’une volonté (politique) consensuelle sur les termes d’une entente ». L’objectif était de parvenir à une meilleure communication entre les États alpins, confrontés à des difficultés communes et souhaitant renforcer l’efficacité de l’instrument juridique élaboré pour y répondre. La définition des concepts, l’harmonisation des termes et des phraséologismes dans les quatre langues permettront, nous l’espérons, une meilleure application de la Convention alpine et de ses protocoles. Les travaux collectifs ont également permis de nombreux échanges entre partenaires alpins et une meilleure connaissance commune des problématiques alpines et des législations existantes. Ce travail consensuel semé d’obstacles est à l’image de la construction de l’Europe et l’identité européenne de tous les participants s’en est trouvée renforcée.