- 1 Jacqueline Billiez, directrice du Laboratoire de Linguistique et Didactique des Langues Étrangères (...)
1Motivée par un questionnement sur les possibilités d’une meilleure prise en compte de la pluralité des ressources langagières et culturelles des élèves, une proposition de recherche-action-formation a été adressée en 2001 par la direction d’un lycée professionnel à la responsable du Lidilem1.
2En réponse à cette proposition, une convention de recherche a été élaborée, définissant trois axes principaux d’activités : l’étude des répertoires plurilectaux des élèves ; l’organisation de séminaires de formationen direction des enseignants de lettres/histoire et de lettres/anglais ; la conception et l’expérimentation d’activités scolaires et de ressources pédagogiques. Cette recherche s’est déroulée pendant près de quatre ans et a comporté diverses productions de données, l’élaboration et la mise en œuvre de séquences pédagogiques en cours de français et d’anglais, ainsi que des actions de formation. La forte représentation d’élèves potentiellement plurilingues dans l’établissement, les jugements dépréciatifs à l’égard de la « façon de parler » de certains d’entre eux, ainsi que l’observation de phénomènes d’attributions négatives mutuelles, entre des groupes d’élèves et des enseignants, nous ont conduite à approfondir certaines des voies tracées par une didactique de la variation et du plurilinguisme (Billiez, 1998).
- 2 Dans le contexte étudié, la question de la pluralité linguistique et culturelle dépasse celle du pl (...)
3C’est dans ce cadre, et dans la continuité d’une série de travaux grenoblois sur les pratiques langagières de descendants de migrants, que j’ai consacré ma recherche doctorale à l’étude des répertoires plurilectaux2 des jeunes filles d’une classe de seconde professionnelle de bureautique (Lambert, 2005).
- 3 Les citations de propos d’enquêtés sont mises en italique et entre guillemets dans le texte. Il s’a (...)
4Ce groupe-classe est majoritairement composé de descendantes de migrants de milieu socio-économique défavorisé. Sur les 23 élèves (16 à 18 ans), 19 sont des jeunes filles, et à l’exception de l’une d’entre elles, toutes les adolescentes affirment vivre au contact régulier de plusieurs langues. Sans être exhaustive, la liste suivante de lectes déclarés3 par des sujets est à même de donner un aperçu de l’hétérogénéité constitutive de leurs répertoires : arabes maghrébins, arménien, « comorien », coratin, français, « français cassé », italien, kabyle, portugais, « remix », etc.
- 4 Si l’on considère que la notion de groupe de pairs se définit par : des interactions entre les memb (...)
5Tout au long de l’année scolaire, le réseau « classe » se caractérise par la construction de deux groupes de pairs féminins4, entendus comme deux mini-réseaux affinitaires que nous appellerons le groupe des 6 et le groupe des 13 sur la base du nombre de leurs membres respectifs.
- 5 Les désignations qui suivent ont été relevées dans des propos d’élèves (EL) et/ou d’enseignants (EN (...)
6Des différenciations entre ces groupes d’élèves se manifestent d’abord dans la manière dont le réseau relationnel de la classe est décrit par les différents acteurs – élèves et enseignants. Les deux groupes reçoivent en effet un ensemble de désignations qui opèrent une focalisation variable sur des traits scolaires, sociaux, personnels, ethniques et langagiers5 : « sages/sauvages » (ELs) « françaises/algériennes » (ELs) « françaises/ratonnes » (ELs) « calmes/méchantes » (ENS) « élèves sérieux/groupe perturbateur »(ENS)… Ces couples de désignations – ainsi que de nombreux syntagmes non mentionnés ici – traduisent clairement une bi-polarisation des élèves au sein du groupe-classe et une dynamique relationnelle conflictuelle entre les deux groupes, ainsi qu’entre les « 13 » et des enseignants.
- 6 Locution spontanément actualisée dans de nombreux discours d’enquêté(e)s.
7Sur le plan langagier, les différenciations entre les groupes d’élèves se manifestent dans la manière dont les sujets se représentent les langues, les normes, leur apprentissage, ainsi que dans des styles communicatifs (Kallmeyer, 2004) qui leur sont respectivement attribués. En effet, parmi les faisceaux de traits présentés tour à tour par les différents sujets comme caractéristiques des comportements, des normes et des attitudes des membres de chacun des groupes, la référence à des « façons de parler »6 distinctes leur permet d’associer des ensembles de pratiques langagières et interactionnelles à leur groupe, et au groupe par rapport auquel ils/elles se positionnent.
8Parmi les catégories vernaculaires les plus largement partagées par ces élèves pour décrire leur environnement sociolangagier, le « parler raton » est actualisé de manière récurrente. Si cette désignation axiologique n’est jamais utilisée par les jeunes filles pour qualifier leurs propres pratiques en français, elle sert néanmoins de pôle de référence commun aux élèves de la classe, qui l’actualisent afin de se situer, notamment au cours de nos entretiens.
- 7 Sonia, membre leader des « 6 ».
9Comme la majorité des filles des deux groupes de la classe, Sonia et Angela, membres du groupe des 6, désignent Lamia, leader du groupe des 13, comme locutrice exemplaire du style communicatif qui caractérise, de leur point de vue, les comportements langagiers de la majorité des filles de l’autre groupe.
- 8 Dans les transcriptions : notation entre ( ) de phonèmes ou segments non réalisés et dont la réalis (...)
1.
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Sonia
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ben j(e) sais pas c’est une langue bizarre quoi j(e) sais pas quand j(e) parle moi / et quand par exemple Lamia va vous parler / d(é)jà vous allez sentir : la différence8
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2.
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Angela
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mais non pa(r)ce que elle elle agresse les gens / quand elle parle
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3.
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Enq
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donc toi tu trouves que c’est agressif
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4.
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Angela
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ouais / c’est plus agressif le raton // pour moi / par exemple Sonia elle est posée par exemple vous emmenez L+ [= Lamia] elle va vite s’énerver […] e(ll)e va vite s’énerver // quand [t]+ /// puis les ratons c’est c’est quelqu’un qui veut pas s(e) faire laisser marcher sur les pieds […]
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5.
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Sonia
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elle a une façon d(e) parler différente à nous […] peut-être par rapport à son quartier
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6.
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Angela
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Voilà […]
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7.
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Sonia
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mais en fait si vous voulez / nous on a l’impression tu vois / pour elles c’est j(e) sais pas c’est un peu ratonnes / et puis françaises /// j’ai l’impression qu(e) ça fait ça […] ouais voilà / en plus / y a j’ai l’impression qu(e) ça faisait clan ratons et puis clan français
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8.
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Enq
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et donc vous vous étiez mis dans le+<
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9.
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Angela
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camp des Français
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10.
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Enq
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le camp des Français
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11.
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Angela
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ben en fait si vous voulez moi je suis pas vraiment ratonne enfin je+ ok j(e) suis algérienne mais j(e) suis pas ratonne […]
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- 9 Elle-même probablement catégorisée comme française et adulte.
- 10 Le fait qu’elle préfère se faire appeler par son second prénom, « Sonia », plutôt que « Soraya », p (...)
10Les deux adolescentes accomplissent ici un effort de distinction qui les conduit à se différencier des pratiques communicatives qu’elles attribuent à Lamia et à son groupe (1 ; 5). Cette prise de distance s’accompagne d’une définition largement partagée dans la classe de la catégorie stigmatisée des « ratonnes ». La schématisation discursive de présentation du style de parole « raton » en direction de l’enquêtrice9 repose ainsi sur l’identification d’une fonction identitaire réactive, agressive et défensive (2 ; 4) liée à des modes de socialisation de « quartier » (5). On devine par ailleurs à partir de cet extrait que les rapports d’inclusion/exclusion aux groupes reposent fréquemment sur l’actualisation de catégories ethniques (tours 7 et 9) qui renvoient à des différences sociales et à des postures divergentes vis-à-vis de l’institution et du travail scolaires. En effet, les processus qui conduisent à la formation de deux groupes ethnicisés opèrent moins sur la base d’origines familiales étrangères que sur celle de comportements langagiers associés à des perspectives sociales et scolaires. C’est ce dont témoigne la déclaration de Sonia, en clôture de séquence : « ok j(e) suis algérienne mais j(e) suis pas ratonne » (11). Fille de primo-migrants algériens, Sonia ne semble en effet n’avoir ici d’autre choix que cette forme de concession apparemment ambigüe, mais en réalité parfaitement cohérente avec la stratégie identitaire d’assimilation au majoritaire (Leonetti-Taboada, 1991) qui se manifeste dans la plupart de ses comportements10, y compris langagiers.
- 11 Lamia, membre leader des « 13 ».
11Nombre de discours – dont certains circulent largement dans les sphères médiatiques, politiques, scientifiques et éducatives – attribuent à des descendants de migrants maghrébins de milieux économiquement défavorisés un répertoire verbal incomplet, lacunaire, renvoyant ces jeunes locuteurs à une identité de monostyles, doublée de celle de semilingues.
12Des injonctions normatives visant à prévenir ou contrecarrer des comportements contre-normés sont parfois au principe de stratégies d’assimilation au majoritaire telle que celle visiblement adoptée par Sonia. Mais elles peuvent également favoriser des stratégies de surenchère identitaire (Leonetti-Taboada, 1991). Des processus interactifs de pratiques-assignations-intériorisations sont d’ailleurs sans doute à même d’éclairer l’essentialisation monostyle d’élèves telles que Lamia et d’autres membres du groupe des 13. Cette focalisation sur le déviant est tout aussi susceptible de masquer l’étendue de leurs ressources langagières.
- 12 En présence du chercheur mais également de sa meilleure amie Sana.
13Généralement caractérisée par les membres du groupe des « 6 » comme représentante emblématique de la « ratonne », Lamia exprime dans l’extrait d’entretien suivant12 son refus d’être assignée et réduite à cette identité stigmatisée.
1.
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Lamia
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[…] mais ouais mais main(te)nant mais pour la moindre chose ça y est j(e) suis une ratonne / j(e) vais dire « la vie d(e) ma mère » ça y est <j(e) suis/c’est> une ratonne / d(e) toute façon j(e) vais dire « ma parole c’est vrai » et hop / pour pas jurer j(e) vais dire « ma parole » i(l) va quand même dire que j(e) suis une ratonne / la moindre ch+ et lui i(l) veut+ attends i(l) faut pas abuser / j(e) vais pas parler aussi du soutenu aussi / « oh excusE-moi / tu peux mE passer lE verre s’il tE plaît car j’en ai besoin pour boire un v+ un coup » (imite un style ‘soutenu’ : débit plus lent, voix légèrement plus aigüe, moins de « e » muets, lexique) faut pas abuser aussi hein
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2.
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Enq
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pourquoi pourquoi tu tu voudrais pas parler comme ça
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3.
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Lamia
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j(e) vais pas parler le langage soutenu j(e) parle normalement / euh correct / normal / pas b(e)soin de+ j(e) vais pas dire « OH / donne-moi ça sinon j(e) vais t(e) marave » (imitation contretype de ‘soutenu’ : « e » muets, cri contenu, lexique) (rires) /// j(e) parle normalement :: ouais : et lui : <à> la moindre chose i(l) dit ben voilà « une ratonne »
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14En cherchant à ne pas se laisser enfermer dans des logiques d’allégeance dichotomiques (« ou… ou »… « ni… ni »), Lamia met ici en œuvre une stratégie linguistique et identitaire « sur le fil du rasoir » (Woods, 1990). Tout en soulignant un rejet de la pression normative exercée par un de ses frères, elle propose une description de ce qu’elle entend par « normal », « soutenu » et « ratonne », en rapportant cette description à des situations familiales qui relèvent de la sphère privée. Dans cette activité de catégorisation de styles, c’est principalement l’imitation qui lui sert de procédé différentiel pour construire deux contretypes langagiers (« soutenu » et « ratonne ») et affirmer pour ce qui concerne sa propre façon de parler, un positionnement médian qu’elle qualifie de « normal ».
15Elle manifeste ainsi une compétence de variation stylistique (Labov, 1978 [1972]) dont la séquence interactionnelle suivante suggère une amplitude rarement perçue (et/ou perceptible ?) au sein de l’espace scolaire.
16Il s’agit d’un extrait d’une interview que Lamia réalise et enregistre sur un marché urbain, dans le cadre d’une activité scolaire en cours de français. Celle-ci consiste dans la réalisation, par les élèves, d’une enquête sur le plurilinguisme de l’agglomération grenobloise.
17La principale motivation didactique pour la conception et la mise en œuvre de cette activité « hors les murs » du lycée reposait sur la volonté de favoriser des possibilités de rencontres et d’échanges, en sortant de l’établissement scolaire, lieu d’assignations négatives mutuelles entre enseignants et élèves, et de postures anti-scolaires pour certains élèves.
18La séquence se déroule donc à l’extérieur du lycée, et Lamia aborde une inconnue d’une soixantaine d’années (L1 dans la transcription).
1.
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Lamia
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(minidisque visible dans les mains) excusez-moi madame
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2.
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L1
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oui […]
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3.
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Lamia
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(ralentissement du débit) on est dans le lycée André Gajart // et euh on f+ on pose des questions aux : clients aux gens qui travaillent dans ce marché
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4.
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L1
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oui
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5.
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Lamia
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et on voudrait savoir si on <pourrait/pouvait> vous poser des questions / ça s(e)rait po[ssible’
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6.
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L1
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euh oui / si vous voulez
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7.
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Lamia
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on voudrait savoir : combien d(e) langues vous utilisez dans votre vie / des langues
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8.
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L1
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combien d(e) langues’
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9.
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Lamia
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si le français l’italien ::
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10.
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L1
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oui français et : je utilise une langue que vous connaissez pas
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11.
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Lamia
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vous pouvez la dire s’i<l>-vous-plaît
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12.
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L1
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letton (≈[let]) […] ça c’est des Pays Baltes / qui est au nord […]
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13.
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Lamia
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et : cette langue quand+ vous vous+ / euh attendez excusez-moi / vous connaissez beaucoup de gens qui la parlent’
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14.
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L1
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euh : il y a quelques familles qui habitent ici qui parlent aussi /// notre langue […] qui parlent la langue lettone / nous sommes de Lettonie
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15.
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Lamia
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Lettonie
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16.
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L1
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oui / Riga / avec les la la la la / le+ la ville principale est Riga
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17.
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Lamia
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ah : c’est la ville :+ c’est la nationale en fait
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18.
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L1
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voilà
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19.
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Lamia
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c’est la : c’est la CApitale
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20.
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L1
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c’est la capitale
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21.
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Lamia
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voilà c’est la capitale
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22.
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L1
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eh oui
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23.
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Lamia
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eh ben merci bien madame / passez une très bonne journée / au r(e)voir
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24.
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L1
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oui / merci / au r(e)voir
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19Cette séquence interactionnelle met en évidence une capacité chez Lamia à jouer sur différents registres sociocommunicatifs et identitaires. Lamia porte en effet une forte attention à son discours, respecte les normes du genre interactionnel et discursif de l’interview (Gajo et Mondada, 2000), et manifeste un effort de convergence, d’ajustement et de co-énonciation avec la personne interviewée. Une comparaison avec la séquence précédente permet encore de souligner des variations importantes, notamment aux niveaux de la hauteur de voix, du rythme et du débit.
20Comme Lamia, d’autres élèves du groupe des 13 s’impliquent activement dans la réalisation de cette enquête sur le plurilinguisme urbain. Elles puisent largement dans leur répertoire et mettent en œuvre des stratégies communicatives qui leur donnent corps en tant que locutrices, actrices sociales, et apprenantes à part entière. Pour certaines d’entre elles – et c’est le cas de Lamia – leur implication et les capacités qu’elles manifestent lors de cette activité tranchent singulièrement avec leur image scolaire d’élèves déviantes et de locutrices incompétentes.
21Lors du bilan collectif de cette enquête en classe, plusieurs petites « réussites interactionnelles » donneront lieu à des manifestations d’une certaine fierté. Ces sentiments de réussites, collectifs et/ou individuels, apparaissent d’autant plus significatifs que les rencontres et les échanges qui les ont générés s’instituent, du fait de leur thématisation en classe, en objets de réflexion dans le cadre d’une activité scolaire.
22Sans apaiser l’ensemble des tensions qui caractérisent les relations au sein de la classe, le déroulement de cette séquence didactique contredit l’apparente fermeture identitaire des groupes et de leurs membres. Les brèches interculturelles ainsi entrouvertes semblent en effet propices à un processus de défigement de certaines postures, dont celle, habituellement plus normative, de l’enseignant.
23Dans le cadre de cette recherche-action, des sessions de formation visaient à engager une réflexion avec les enseignants qui permettrait de déboucher sur des pistes concrètes de prise en compte de la pluralité et de la variabilité linguistiques et culturelles.
24Or, la tonalité normative qui a prévalu lors des sessions de formation, ainsi que la prégnance de certains discours sur les « jeunes des banlieues », ont fait bien souvent écran au débat que l’on cherchait à instaurer. Dans ce contexte, des postures radicales se sont affirmées dans des échanges où transparaissaient de multiples rapports de force et où les problèmes étaient le plus souvent posés dans des termes empruntés à la rhétorique de « l’intégration » et du refus d’intégration de certains élèves. Deux tendances, l’une consistant à adopter une posture de « neutralité affective » vis-à-vis des différences linguistiques et culturelles (van Zanten, 2001, p. 333) et l’autre relevant d’une vision essentialiste des différences, ont sans doute représenté des freins puissants au travail entrepris dans ce volet de la coopération avec le lycée. Les résistances paraissaient s’ancrer dans des réalités subjectives très fortes dans l’espace scolaire, par exemple lorsque des enseignants évoquaient la « pauvreté » de langage de certains élèves, ou les « handicaps » générés par des conditions de socialisation familiale plurilingue.
- 13 Représentations sans doute d’autant plus stables qu’elles peuvent se voir confortées par les discou (...)
25Comme le soulignent Georges Lüdi et Bernard Py (2003 [1986]), l’une des plus grandes difficultés dans la formation des enseignants réside dans la stabilité de ce type de représentations13. Or, si l’on souhaite en faire des objets de réflexion en formation, il semble nécessaire de rechercher des voies qui permettent d’amorcer des déplacements de regard sur ces questions.
26Ces déplacements de regard supposent d’abord, selon nous, une intégration particulièrement marquée dans le paradigme des démarches dites « interculturelles ». La finalité des démarches ainsi nommées n’étant pas de reconnaître à des élèves des « langues-cultures » différentes, au risque de figer les différences et d’y enfermer les élèves, mais bien plutôt au contraire de travailler sur la diversité des identités sociales, y compris celles des professionnels de l’éducation, dans un processus d’élaboration de significations partagées, c’est-à-dire d’une culture langagière commune non figée et non fétichisée (Billiez et Lambert, 2008).
- 14 Le type de trajectoires sur lesquelles la plupart de ces enseignants plurilingues s’étaient engagés (...)
27Ce cadre implique qu’il faille aborder en formation des thèmes qui dérangent. Les blocages liés aux représentations des langues, de la communication verbale et des missions de l’institution scolaire en matière d’éducation linguistique, mais d’autres encore, de nature plus structurelle ou institutionnelle, ont souvent limité les effets de ces sessions de stages. Les bilans des formations et des expérimentations dans les classes ont même parfois eu tendance à susciter un sentiment d’échec. L’une des raisons est que nous n’avions sans doute pas saisi, de prime abord, que la pédagogie du « détour », fondamentale dans les démarches d’ouverture à la pluralité linguistique et culturelle destinées aux élèves, aurait dû davantage guider la conception des contenus de formation à l’intention d’enseignants eux-mêmes concernés personnellement par les questions de plurilinguisme et de migrations14.
28Ces quelques éléments esquissés plaident également, et tout particulièrement, en faveur d’une intégration accrue de contenus sociolinguistiques dans les formations initiales des enseignants (Dabène, 1994 ; Perregaux, 2007) ainsi que celle d’activités d’ouverture à la pluralité linguistique et culturelle (Billiez, 1997 et 2005 ; Allemann-Ghionda et al., 1999).
29Une reconnaissance de la pluralité et de la variabilité linguistiques, dans tous les volets du système éducatif, ne peut en effet advenir qu’à condition que la diversité soit réellement inscrite au cœur du projet éducatif (Coste, 2005, p. 401)…