Présentation
Texte intégral
1L’idée de la coordination de ce numéro est née de notre collaboration autour des questions liées à l’accompagnement et à l’évaluation de la rédaction de rapports de stage en Licence-parcours FLE. Notre objectif de départ était de questionner l’objet « rapport de stage » : outil d’évaluation et de formation très répandu dans les cursus universitaires et pourtant peu étudié en tant qu’objet de recherche. Interpellées à la réception de quelques contributions portant sur l’objet mémoire professionnel suite à notre appel à communication, nous avons constaté que certains auteurs rapprochaient spontanément ces deux genres, ce qui a fait émerger notre volonté d’étudier ensemble les deux types d’écrits dans le cadre de ce numéro.
2En effet, rapport de stage et mémoire professionnel sont des écrits longs universitaires qui s’inscrivent dans une logique de professionnalisation laquelle prend tout son sens dans les universités françaises avec la réforme du LMD. Les deux s’appuient sur une expérience vécue de terrain et se rapportent donc à deux univers de référence : le monde du savoir et le monde du travail. La finalité principale de ces écrits est, par l’analyse de la situation professionnelle et par la prise de distance nécessaire à la rédaction, d’impliquer l’étudiant dans un processus de maturation de la pensée.
3L’objectif de ce numéro est de tenter de définir les spécificités des écrits longs rapport de stage et mémoire professionnel et de s’interroger sur les pratiques des étudiants et leurs difficultés face à ces écrits. Les articles ici réunis visent à préciser dans quelles mesures ces écrits, tels qu’ils sont normalisés, utilisés et représentés, jouent un rôle dans la formation de l’étudiant. Nous avons choisi d’aborder ces objets selon deux axes différents mais étroitement liés : l’axe linguistique et l’axe didactique. À travers ces deux orientations, les contributions présentées couvrent les thématiques suivantes :
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définition du « genre » et normes langagières : Comment peut-on définir ces types d’écrit ? Comment les situer l’un par rapport à l’autre ? à quelles normes ces écrits spécifiques répondent-ils ?
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analyse des usages et démarche réflexive : En quoi les difficultés spécifiques à ce type de discours sont-elles révélatrices d’un problème au niveau de la démarche réflexive ? Comment étudiants et enseignants considèrent-ils ces écrits et leurs apports dans le processus de réflexion ?
4Les articles de ce numéro traitent la problématique à travers plusieurs champs disciplinaires : les Sciences du langage, les Sciences de l’éducation, la Didactique des langues et les Sciences de l’information et de la communication. La variété des approches, des situations et des objets traités apporte une richesse dans l’éclairage de ces écrits singuliers et néanmoins pluriels.
5Gilles Leclercq ouvre la réflexion par une contribution ancrée en Sciences de l’éducation qui propose d’inscrire Rapport de stage et Mémoire professionnel dans un genre plus général appelé Écrit professionnalisé long. Les entretiens qu’il a menés auprès d’enseignants intervenant dans trois dispositifs de formation distincts l’ont conduit au constat de l’impossibilité de définir ces écrits par un ensemble d’attributs normatifs. Chaque catégorie, dont la propriété essentielle n’est pas la fixité mais la plasticité, ne prendrait sens, en effet, qu’au sein d’une « sphère d’activité » singulière et située.
6Dans une visée proche, l’article d’Anne-Catherine Oudart et de Marie-Renée Vespieren cherche à confronter les normes explicites et implicites de ces catégories d’écrits à travers l’analyse de trois corpus complémentaires : des ouvrages pédagogiques, des rapports de stage d’ingénieurs et des commentaires d’évaluation de mémoires professionnels. Elles mettent ainsi en évidence les décalages existant entre préconisations et représentations qui contribuent à générer des zones de tensions dans l’écriture. En termes de pistes didactiques, elles proposent de se focaliser non pas seulement sur le produit fini mais surtout sur les compétences liées à l’activité d’écriture.
7Trois autres contributions envisagent la problématique sous un angle linguistique. Mirna Velcic-Canivez considère l’activité d’écriture de l’expérience vécue en tant qu’acte de langage et définit le rapport de stage comme un témoignage dont la particularité réside dans le croisement entre subjectivité autobiographique et objectivité du discours professionnel. En mettant l’accent sur la relation entre le rapporteur-stagiaire et son destinataire, elle propose d’examiner un des moyens linguistiques et textuels (emploi du pronom on en alternance avec le je autobiographique) qui permet à l’écrivant d’objectiver son expérience professionnelle, personnelle et subjective.
8L’étude de Guy Achard-Bayle explore et approfondit les aspects énonciatifs du mémoire professionnel universitaire. Son analyse pragmasémantique des marques personnelles met en exergue l’alternance, dans un même écrit, du je, nous singulier, nous pluriel qui révèle la posture délicate d’un (réd)acteur impliqué dans une formation à la fois universitaire et professionnelle. La description du mémoire professionnel en tant que récit autobiographique proposée par cet auteur rejoint la contribution précédente. Selon sa conception, en effet, l’identité professionnelle du stagiaire nommé aussi « sujet-actant » se construirait à travers la narration et la réflexion.
9L’article de Fanny Rinck couvre également le champ de l’énonciation : elle analyse la gestion de la polyphonie dans les parties théoriques de rapports de stage sous l’angle des dysfonctionnements observés. Elle s’interroge sur la façon dont les étudiants se réfèrent aux discours d’autrui et sur ce que cela révèle en termes de figure de l’auteur dans le texte. Pour remédier aux difficultés à se représenter et à se présenter comme auteur, elle propose, comme stratégie prioritaire, de travailler l’identification des voix en présence dans les textes. Ceci permettrait aux étudiants de se construire une posture énonciative autonome.
10Enfin, les trois articles qui closent ce numéro étudient les objets rapport de stage et mémoire professionnel en tant qu’outils de formation et, à ce titre, s’intéressent à la fonction heuristique du processus d’écriture. Christine Develotte présente une variante spécifique du rapport de stage, le journal d’étonnement, en le replaçant dans une généalogie de journaux utilisés en didactique des langues dans une visée de formation interculturelle. Elle montre comment, grâce à un travail d’écriture individuel (prises de notes des étonnements pendant le stage à l’étranger) et à une réflexion collective ultérieure de confrontation des représentations, les étudiants sont amenés à adopter une démarche d’objectivation de l’altérité. Cet outil professionnalisant permettrait ainsi de développer, chez les futurs enseignants de langue, une compétence réflexive sur l’identité culturelle.
11Renáta Varga s’applique à montrer les intérêts et les limites d’un dispositif numérique collaboratif pour accompagner la réflexion des étudiants pendant le stage et la rédaction du rapport. La confrontation des données issues de l’usage d’une plate-forme PostNuke et des représentations des étudiants, révèle des décalages entre intentions pédagogiques d’une part, et pratiques estudiantines, d’autre part. Ces résultats permettent d’envisager l’adaptation de la démarche pédagogique aux besoins réels avec la visée de modifier les modes d’accès aux savoirs.
12En dernier lieu, la contribution de Mireille Baurens s’intéresse aux vertus de l’étape mémoire professionnel de la formation initiale enseignante. Son étude est basée sur un corpus de mémoires portant sur la thématique de la mixité filles/garçons au sein des classes et sur des entretiens menés avec leurs auteurs plusieurs années après leur formation en IUFM. Elle souligne les capacités à franchir les obstacles didactiques, pédagogiques, rédactionnels et conceptuels que ce type d’exercice met en œuvre chez les enseignants-stagiaires. L’auteure met ainsi en évidence le rôle de cet outil dans la formation du futur enseignant à travers une dynamique qui s’initie dans l’élaboration du mémoire et se poursuit dans un après-coup, participant ainsi de sa transformation identitaire et professionnelle.
13Malgré une variété des dispositifs, des objets et des situations, il ressort de ces lectures une certaine permanence de dénominateurs et de questionnements communs.
14Les auteurs constatent que les normes existantes relatives à ces écrits sont peu opérantes et restent donc à repenser. D’ailleurs, la richesse des termes qui transparait des contributions pour les désigner : rapport de stage, rapport d’expérience, rapport d’apprentissage, rapport d’étude-conseil, journal d’étonnement, mémoire professionnel, mémoire professionnel universitaire, fait apparaitre que les catégories « rapport de stage » et « mémoire professionnel » ne sont pas fixes. En outre, les auteurs proposent de nouvelles conceptions de ces écrits qui les éclairent sous l’angle de vue non pas seulement du produit mais du processus d’élaboration en déplaçant la problématique. En effet, la question qui sous-tend ces réflexions n’est pas : qu’est-ce qu’un « rapport de stage » ? ou qu’est-ce qu’un « mémoire professionnel » ? mais comment écrire l’expérience vécue dans les formations universitaires ?
15Les enquêtes menées auprès d’étudiants et de formateurs mettent au jour des décalages entre préconisations et représentations (voire des injonctions paradoxales) révélant des zones de tension inhérentes aux contraintes de cet exercice d’écriture. Un exercice particulier lié au chevauchement de deux sphères d’activités universitaire et professionnelle qui génère une multiplicité de postures chez « l’auteur-acteur ». En témoigne le foisonnement de termes pour nommer « celui qui écrit » : étudiant, stagiaire, professionnel, rédacteur, narrateur, rapporteur, écrivant, sujet-parlant, sujet-actant, etc. Chacune de ces postures exigeant un regard différent sur l’expérience vécue d’où la difficulté, pour l’étudiant, à endosser, dans le même temps, des rôles différents. Or, tout l’intérêt de l’exercice, qui dépasse le cadre traditionnel d’une tâche rédactionnelle, réside précisément dans cette complexité qui rend possible la construction de compétences permettant à l’étudiant de passer d’un monde à l’autre. En cela, nous pourrions le considérer comme un « rite de passage ».
16Soulignons que la réflexion qui traverse ce numéro s’initie dans un questionnement sur le « produit » rapport de stage ou mémoire professionnel (normes, définitions des genres), dépasse ce cadre pour s’orienter vers un questionnement élargi au « processus » d’écriture et à la situation de communication, pour se focaliser finalement sur l’étudiant-stagiaire-scripteur. Partant de l’écrit, les auteurs centrent leur intérêt sur l’accompagnement à proposer à l’écrivant (et à inscrire dans les dispositifs de formation), afin de l’aider à mieux appréhender ce travail de réflexion-rédaction et à s’y engager pleinement. Ils apportent, chacun à sa manière, des éléments de réponses aux interrogations fondamentales suivantes :
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qu’est-ce que ces types d’écrits rapport de stage et mémoire professionnel « impulsent » chez l’étudiant en termes de démarche d’engagement personnel et professionnel ?
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comment le processus d’élaboration de ces écrits affecte-t-il et donc « transforme »-t-il intellectuellement, professionnellement et personnellement son auteur-acteur ?
Pour citer cet article
Référence électronique
Renáta Varga et Nathalie Blanc, « Présentation », Lidil [En ligne], 34 | 2006, mis en ligne le 25 mars 2009, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/2658 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.2658
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