- 1 Composé par les « partenaires » participant à la session/plateforme Galanet, provenant de pays rom (...)
1Dans le cadre d’une formation multimédia, axée sur l’intercompréhension romane et hybride − proposant un guidage en présentiel et à distance, avec une véritable complémentarité des principes méthodologiques et des ressources propres à chaque modalité − la mise en œuvre est complexe mais les potentialités apparaissent prometteuses (Pishva, 2005). Cette complexité est accrue par le fait que le scénario de formation comprend deux étapes successives se distinguant par les finalités de l’accompagnement pédagogique, les habiletés visées en priorité et les outils et choix méthodologiques privilégiés. En outre, la situation didactique revêt un caractère uniquement local durant la première phase alors qu’elle fait l’objet, dans la deuxième étape, d’une intégration dans un réseau international de groupes1 (voir présentation du dispositif dans la section suivante). Devant une telle imbrication multifactorielle, les perspectives ouvertes en termes de variété de cheminements acquisitionnels sont nombreuses, ainsi que les interrogations soulevées à propos de l’action pédagogique. D’un point de vue quantitatif, il a déjà été prouvé que la modalité d’encadrement a une nette influence sur le nombre de messages produits par les apprenants (ibid.). Il reste encore à déterminer, cependant, l’impact qualitatif de l’intervention des enseignants-tuteurs, et tout particulièrement sur l’acquisition de compétences d’intercompréhension (romane).
2D’une part, nos préoccupations concernent la démarche pédagogique à adopter. Un dispositif de formation comme celui qui nous occupe peut dérouter l’apprenant dans la mesure où il se voit proposer simultanément, à l’intérieur d’un dispositif mixte, plusieurs langues mais par compétences dissociées. Nous nous demandons si, face à une éventuelle destabilisation pouvant compromettre l’efficacité de la méthodologie d’enseignement mise en place, l’intégration d’une démarche réflexive (pro- et réactive) ne contribuerait pas à ce que l’apprenant prenne conscience de son potentiel et de ses pré-acquis mais également des capacités et compétences construites et/ou développées au fil de la formation (langagières, certes, mais également transversales, c’est-à-dire des savoir-apprendre-comprendre les langues). Acquisition consciente qui peut constituer un facteur puissant de motivation, d’autant plus pressant dans des circonstances d’enseignement/apprentissage aussi spécifiques que celles qui nous intéressent. C’est pourquoi nous avons accompagné nos apprenants dans un travail de « relecture » de leur expérience d’apprentissage/pratique de l’intercompréhension par le biais de l’introspection et de l’évocation. L’analyse des retombées de ce travail de (re-)découverte de ce qui est présent mais pas forcément conscientisé, nous aidera à appréhender dans quelles circonstances une formation plurilingue à distance peut se révéler efficace.
3D’autre part, notre expérience dans la conduite de ce type de formation nous a amenées à cerner l’importance de l’articulation entre séances en face à face et médiatisées. C’est ainsi que notre questionnement aborde des considérations logistico-organisationnelles : quel est l’impact des différents paramètres en jeu dans un guidage hybride ? Notamment, dans quelle mesure le rythme de l’alternance entre consignes « en synchronie » et « en asynchronie » détermine-t-il le degré de leur efficacité respective (entendue comme l’accomplissement des objectifs sous-jacents), ou encore, jusqu’à quel point infléchit-il la nature, le nombre et la fréquence des interactions générées en ligne ? Nous avançons l’hypothèse que l’organisation de cette alternance entre le guidage en local dans la salle multimédia et celui médiatisé par l’ordinateur et différé dans le temps et dans l’espace, joue un rôle prépondérant dans le (bon) déroulement de l’enseignement/apprentissage au centre de notre recherche.
4Pour traiter ces deux aspects de notre problématique nous avons constitué deux corpus distincts et spécifiques qui sont analysés séparément ci-après :
5– pour le premier, les données ont été principalement récoltées au fil du premier semestre de la formation considérée. Le principal objectif pédagogique consistait à mettre les étudiants en condition de produire, et de comprendre ultérieurement, des interactions en ligne en langues romanes. C’est dans cette perspective propédeutique que nous avons mis en place un accompagnement visant la prise de conscience et de confiance des sujets vis-à-vis de leurs potentialités en tant qu’apprenants-locuteurs d’une ou de plusieurs langues latines ;
6– pour le deuxième, les données ont été recueillies durant le deuxième semestre de la formation, au cours duquel la médiation humaine veillait surtout à ce que les apprenants interagissent effectivement par écrit avec d’autres étudiants romanophones à l’occasion de la session hébergée sur la plateforme Galanet.
7Nous allons à présent décrire, dans ses grandes lignes, la situation didactique dans laquelle s’est ancrée cette recherche.
La médiatisation amène les formateurs à déplacer et à redéfinir la médiation.
(Barbot, 2003 : 16)
8Depuis la triple perspective d’enseignant-concepteur-chercheur qui est la nôtre, le développement multimédia du dispositif didactique plurilingue intitulé « Intercompréhension romane » nous a offert la possibilité d’entrer dans une dialectique Recherche –> Action –> Recherche, avec l’enrichissement réciproque que cela entraine. En effet, après la période initiale d’investigation fondamentale et d’ingénierie éducative autour des projets Galatea et Galanet(Carrasco, 2006), l’intégration curriculaire des ressources résultantes, au sein d’une formation hybride, nous a ramenées vers la recherche. à travers cette phase appliquée intégrant les TICE, nous avons saisi la double occasionqu’offrent les technologies : d’une part, de repenser les démarches d’enseignement afin d’amplifier les pratiques (Barbot, 2003) et, d’autre part, de « viser, comprendre et soutenir des apprentissages plus complexes » (Peraya et Viens, 2003 : 8).
9La formation hybride considérée ici, proposée par le Département Lansad (LANgues pour des Spécialistes d’Autres Disciplines) de l’université Stendhal de Grenoble depuis l’année 2005-2006, a comme finalité la construction et/ou le développement de la compétence plurilingue d’intercompréhension romane. Et ce, sur la base d’un enseignement/apprentissage dit « répercuté », valorisant et optimisant les pré-acquis, notamment langagiers, de l’apprenant (Carrasco, 2002). Car nous partons du principe que dans la mesure où l’établissement de liens intersystémiques constitue un phénomène immanent à l’apprentissage d’une nouvelle langue, toute démarche pédagogique devrait tenir compte des acquis antérieurs des apprenants pour en faire un levier pédagogique. D’autant plus si, comme dans le cas qui nous occupe, la/les langue/s ciblée/s et celle/s de référence entretiennent des liens de parenté, condition dans laquelle les relations que les sujets établissent entre les différents systèmes sont non seulement plus nombreuses mais, par ailleurs, potentiellement plus productives. Car l’exploitation pertinente de traits typolinguistiques communs peut faciliter/accélérer l’apprentissage d’une langue voisine en particulier lorsque, comme dans le cadre de la compréhension réciproque, seules les compétences réceptives sont visées.
- 2 Notre formation se décline ainsi en deux cours distincts d’espagnol ou d’italien « langue dominant (...)
10Précisément, le répertoire verbal du public ciblé par notre formation comprend une 1re langue romane de référence (désormais 1re LRR) en tant qu’idiome néolatin le mieux connu/maitrisé (le français pour notre échantillon) mais également une 2e LRR (souvent en qualité de « langue étrangère »), l’espagnol ou l’italien, dans laquelle enseignant et apprenants interagissent (en cours/à distance et à l’oral/écrit) et que, de ce fait, nous avons qualifiée de « dominante2 ». Outre l’entrainement à l’intercompréhension romane, à travers notre enseignement nous avons ciblé un savoir-faire métalangagier, « apprendre à apprendre (les langues) », en amenant les étudiants à réfléchir sur les processus et résultats de leur apprentissage. L’objectif étant qu’à travers la conscientisation, et le sentiment de contrôlabilité qui pourrait en découler, les sujets deviennent à terme des « intercomprenants romans » à la fois responsables et stratégiques (car appliquant, en connaissance de cause, des actions qu’ils estiment efficaces pour la réalisation de tâches langagières données).
- 3 Pour plus de détails sur l’environnement d’apprentissage et le scénario d’une session Galanet, on (...)
11Comme noté plus haut, et illustré dans le schéma supra, notre formation hybride s’est subdivisée en deux phases, correspondant aux deux semestres de l’année universitaire et se différenciant d’emblée par le fait que la première visait la préparation des étudiants à participer efficacement à la deuxième (articulée et finalisée par la session Galanet)3. C’est pourquoi, durant la première étape d’« Intercompréhension romane », les étudiants ont été surtout entrainés à la compréhension de l’écrit alors qu’au deuxième semestre ils ont été incités à interagir en ligne, à l’écrit et en (a)synchronie, à l’intérieur d’un réseau de groupes. De même, si au premier semestre, la langue de communication enseignant-apprenant prédominante était l’idiome « dominant » (l’espagnol ou l’italien et ce en présentiel et à distance), au 2e, les étudiants devaient s’exprimer sur Galanet dans leur 1re LRR, en l’occurrence le français.
- 4 Esprit est un environnement de scénarisation pour l’apprentissage interactif à distance des langue (...)
12Mis à part une répartition horaire différente entre les séances en présentiel et à distance, les deux phases de la formation ont également divergé par les dispositifs multimédias les supportant. Ainsi, au 1er semestre c’est Esprit (voir sitographie)4 qui en constituait le fil rouge et qui, ponctuellement, donnait accès à d’autres outils comme le didacticiel plurilingue en ligne Itinéraires romans (visant à favoriser la reconnaissance des langues latines et les capacités d’intercompréhension) ou encore à des questionnaires à compléter à partir des cédéroms Galatea. En revanche, au 2e semestre c’est la plateforme Galanet, expressément conçue comme espace de pratique scénarisée et finalisée d’interactions plurilingues (entre locuteurs romanophones alloglottes) et base de ressources pour l’intercompréhension romane en autoformation (entre locuteurs romanophones alloglottes), qui en a été le principe organisateur et aux côtés de laquelle la plateforme Esprit a joué un rôle subsidiaire.
13Mais dans ce contexte didactique pluriel, à plusieurs niveaux, quel a été l’impact de la coloration métacognitive que nous avons choisi d’appliquer au guidage de la formation au 1er semestre ? Et celui de l’alternance entre médiation en présentiel et/ou à distance opérée durant la 2e moitié du dispositif ? C’est ce que nous allons analyser à présent.
- 5 Le codage de notre échantillon a été le suivant :
— « it » ou « esp » indiquent que le sujet a suiv (...)
Faire le point sur ses connaissances situe dans l’intercompréhension
(it P)5
14La compétence plurilingue d’intercompréhension (romane), telle qu’elle a été envisagée au sein des projets Galatea et Galanet, aspire à la fois à la mise à profit du potentiel cognitif de l’apprenant, par la sollicitation et mobilisation raisonnée de ses pré-acquis (apprentissage répercuté), et à l’exploitation pertinente de la similitude interlinguistique actualisée par le matériau verbal ciblé (Carrasco, 2002). Or nos travaux ont montré que le traitement de la proximité interlinguistique est, certes, tributaire de la distance typolinguistique qui « objectivement » éloigne ou rapproche les systèmes linguistiques retenus, mais surtout de l’image que le sujet s’en est faite. Car c’est le sujet qui, sous l’effet croisé de multiples variables, met en place les diasystèmes provisoires lui permettant le passage d’une langue à une autre. C’est pourquoi, dans des approches comme la nôtre fondées sur la transparence mutuelle (partielle) de langues apparentées, la construction de représentations adéquates des relations entre ces langues constitue une « véritable condition de réussite » (Lüdi, 2005). Si l’on prétend donc à l’optimisation des pré-acquis du sujet (langagiers et romans notamment), il faut que ce dernier prenne acte, primo, de l’existence d’un tel capital et, secundo, qu’il en expérimente l’opérationnalisation dans l’abord d’idiomes néolatins inconnus. En rentrant ainsi dans une dynamique d’apprentissage répercuté conscient, l’apprenant reconnait qu’il apprend et qu’il le fait en prenant appui sur ses acquis préalables, dont importe plus l’activation que le nombre.
15Mais nous partons de l’hypothèse selon laquelle, pour que l’apprenant arrive à faire ces constats, il faut qu’il soit accompagné dans son travail métacognitif. Ce qui comporte des retours réactifs d’un côté, sur son parcours langagier préalable, et proactifs de l’autre, en direction de son chemine-ment acquisitionnel d’intercompréhension en construction. L’important étant que l’individu perçoive l’articulation entre sa biographie langagière et ses opérations et stratégies acquisitionnelles. Nous avançons, corollairement, qu’un tel guidage a d’autant plus de chances d’aboutir qu’il prendra place dans une formation hybride sur support multimédia. Car, premièrement, le caractère hybride d’un dispositif d’enseignement, comme le montrent les résultats de la recherche en pédagogie, rend effectives plusieurs conditions d’un apprentissage en profondeur, favorables à forger et à accroitre un sentiment d’efficacité personnelle, et un meilleur ajustement aux caractéristiques individuelles des apprenants (ou « affordance », selon Charlier, Deschryver et Peraya, 2004), conditions toutes deux nécessaires à l’apprentissage « répercuté » sous-tendu par notre démarche didactique d’intercompréhension romane. Deuxièmement, le multimédia, avec ses (res)sources d’information, de communication et d’apprentissage multiples et variées, stimule chez l’apprenant la réflexion métacognitive et l’application de processus et stratégies. Alors que du côté du concepteur, et grâce à l’accès non linéaire de l’information qu’ils proposent, les nouveaux médias sont mieux adaptés à la cognition complexe et rendent possible l’introduction d’une réflexion méta sur l’apprentissage (Barbot, 2003).
16En vertu de ces prémisses et à partir d’une analyse qualitative, nous tenterons de mesurer l’incidence de notre encadrement métacognitif sur les représentations (au milieu et en fin de formation) des étudiants à propos de leur profil et itinéraire personnels dans la romanophonie, et du retentissement supposé de ce bagage (et de son émergence à la conscience) dans la compréhension de langues voisines.
17Notre échantillon est composé des 20 étudiants ayant suivi les cours « Intercompréhension romane » en 2005-2006, dans ses deux variantes espagnol/italien comme « langue dominante » (voir note 2). Au long de cette formation, et plus concrètement pendant le premier semestre durant lequel nos données ont été recueillies, les étudiants ont réalisé des tâches langagières d’entrainement à l’intercompréhension romane et d’autres de nature métacognitive dont le but était de faciliter/accélérer les processus et stratégies nécessaires à une nouvelle façon d’apprendre (répercutée) dans le cadre d’une approche plurilingue par compétences dissociées.
- 6 L’expression écrite représente une ressource essentielle dans le développement de la conscience de (...)
18à travers les activités réflexives proposées, les étudiants mettaient en mots (écrits dans la langue de leur choix) leur profil d’apprenant-usager plurilingue, leurs expériences interculturelles d’apprentissage, et leur style d’apprenant et de lecteur 6. Notre objectif était de faire émerger à la conscience de ces sujets leur profil langagier et leur vécu en tant que potentiel de départ prêt à être valorisé et renforcé au fil des apprentissages présents et à venir. De surcroit, en rédigeant ces « écrits pour penser », nos étudiants allaient pouvoir constater, incidemment, le caractère opératoire de leur bagage, dans la mesure où ils allaient répondre à des consignes rédigées non seulement en langue romane connue/« dominante » – espagnol ou italien – mais également inconnue (portugais et italien ou espagnol selon leur 2e LRR).
19Ce travail rétrospectif, auto-analytique et critique, a été complété par un bilan-évaluation, au milieu et en fin de formation, à partir duquel les étudiants ont, d’une part, inventorié les résultats de leur expérience d’apprentissage et, d’autre part, pondéré l’impact de notre action pédagogique en général et de sa dimension métacognitive en particulier. Ce sont les réponses récoltées à travers cette enquête qui ont constitué notre corpus.
20Le dépouillement de ces données nous amène à constater que le fait d’avoir fait verbaliser par les étudiants les savoir-faire qu’ils estimaient avoir acquis (aussi embryonnaires et partiels fussent-ils) leur a fait prendre acte de l’accessibilité des langues romanes, de la portée effective de leur potentiel cognitif et, par la même occasion, de la validité des efforts investis, engagement personnel qui a même été reconnu comme nécessaire :
avec de l’entrainement et ce qu’on sait déjà pas si difficile de comprendre les langues romanes (it L)
les langues romanes [sont] à la portée de tous si chacun y met du sien (it P).
21Cette opération de visibilité des performances accomplies (avant tout pour soi, mais accessoirement pour l’enseignant-enquêteur) nous semble avoir étayé le sentiment de compétence personnelle de ces sujets, perception qui, d’après Bandura, constitue le facteur principal guidant les actions et la motivation d’une personne (2004).
22Stimuler l’émergence à la conscience de ces « constats explicites de réussite » nous semble d’autant plus nécessaire que, comme le signalent Foulin et Toczeck (2006), c’est l’interprétation cognitive que l’individu fait de ses capacités (et non les compétences qu’il possède réellement) qui influence sa motivation et ses comportements. Le plus important est de remarquer que, comme le montrent les citations ci-dessus, en tirant un bilan positif de leur expérience d’apprentissage, nos informateurs ont fait une lecture confiante de leurs capacités en reconsidérant souvent, comme c’est le cas ci-après, l’image négative qu’apparemment ils en avaient au préalable :
j’ai plus de facilités que je ne le pensais pour apprendre les langues (it P).
23Une telle évolution s’est produite également dans la façon dont certains sujets ont vraisemblablement perçu les distances interlinguistiques et l’accessibilité à des langues « inconnues » :
[j’ai appris à] aborder avec moins d’appréhension les langues inconnues (it M) moins difficile de ce que je croyais (es 3).
24En quelque sorte il s’est opéré un déconditionnement convenable envers les langues en général
[j’ai découvert] que j’ai des capacités pour apprendre d’autres langues (it F).
25et les langues romanes et leur (inter-) compréhension en particulier. Mutation d’autant plus précieuse que, comme signalé plus haut, c’est la façon dont le sujet perçoit les liens interlinguistiques qui infléchit les stratégies et opérations acquisitionnelles qu’il met en œuvre.
26Par ailleurs, nombreux sont les informateurs à avoir intégré, d’après eux grâce à la rédaction de leur « biographie langagière », les principes de l’apprentissage répercuté dans la mesure où ils ont découvert qu’une langue étrangère n’est pas totalement inconnue ou qu’ils disposent pour sa compréhension/apprentissage d’une base composée de leur(s) LRR et provenant même, à leur grande surprise, de contacts extra-académiques :
c’est bien de s’entrainer à se servir des langues connues pour comprendre d’autres langues romanes (es 4).
j’ai découvert les compétences en langues que j’ignorais [avoir] même à travers les contacts culturels et gastronomiques (it P).
27Enfin, d’autres déclarations révèlent des progrès consciemment attestés par les sujets eux-mêmes et de nature translinguistique en matière de lecture des langues étrangères :
maintenant je sais mieux comment m’y prendre pour lire des langues autres que le français (it G).
28En somme, ces discours reflètent un changement pertinent de l’image d’efficacité personnelle et de la perception de la parenté interlinguistique chez les sujets étudiés. Cette évolution nous semble surtout redevable de notre travail de mise en adéquation des représentations des apprenants, tâche qui, de ce fait, apparait comme une condition sine qua non pour notre approche répercutée de l’intercompréhension romane. Car rappelons-le, aussi bien l’exploitation pertinente du capital cognitif de l’individu que celle du patrimoine plurilinguistique latin (par sa valorisation et à travers la stimulation de rapprochements bi- et plurilingues) constituent les fondations sur lesquelles a été bâtie notre approche d’enseignement/apprentissage des langues voisines. C’est pourquoi, forts de ces résultats et dans la situation didactique qui est la nôtre, nous concevons la régulation des croyances des apprenants, et des attitudes afférentes, à partir de « constats d’efficacité » à faire relever aux sujets et à travers lesquels ils se positionneraient à l’égard de la mobilisation de leur bagage et de leur traitement de la parenté romane.
29Dans le cadre des recherches axées sur la formation hybride (Valdés, 1996 ; Charlier et al., 2002 ; Charlier et Denis, 2002 ; Charlier, Deschryver et Peraya, 2004), notre analyse s’intéresse à la combinaison des deux modalités de guidage en jeu, en présentiel et à distance. Car nous entendons que l’efficacité d’un dispositif mixte repose aussi sur l’organisation et l’alternance de ces deux types d’encadrement.
30Plus particulièrement, nous voudrions vérifier dans quelle mesure l’alternance entre consignes en face à face et à distance (ou leur combinaison) incite les étudiants à s’impliquer dans les interactions exolingues en ligne nécessaires au bon déroulement de la deuxième étape de la formation « Intercompréhension romane » au fil de laquelle nous avons constitué notre corpus composé, par conséquent, de données relevées aussi bien sur la plateforme Galanet que pendant les cours en présentiel du deuxième semestre.
31—> Les premières ont été recueillies dans les espaces « forum » et « messagerie » de ladite plateforme et concernent :
- 7 Correspondant au thème « Culture a confronto » (« Comparaison entre les cultures »).
- 8 « Pour Ilaria, il est vrai qu’aujourd’hui l’argent est la valeur principale, mais il ne pourrait en (...)
– les consignes déposées par les enseignants chargés de la formation et incitant les étudiants, au fil des différentes phases du scénario pédagogique de la session, à participer aux débats du forum comme par exemple,
[…] La phase 2 “remue-méninges” ne dure que jusqu’au 22 mars ! Principes de la “tormenta de ideas” : dire beaucoup, s’inspirer des autres, ne pas s’auto-censurer, ne pas censurer (les modérateurs s’occupent des dérapages)…
– les messages exolingues afférents produits à l’écrit par les étudiants et toujours dans le forum de la plateforme tels que7:
Per Ilaria. È vero che oggi il valore principale è il denaro, ma non potrebbe essere altrimenti dato che senza sei tagliato fuori dal mondo e ti è negata anche un’esistenza dignitosa. Credo che questo sia un problema che riguarda un po’ tutti i paesi. (A)8
32—> Les deuxièmes, relevées par observation directe pendant les cours en présentiel, concernent aussi bien les consignes pédagogiques (récupérées à partir des fiches de préparation des cours) que les réactions et commentaires « à chaud » et à l’oral des étudiants (recueillis occasionnellement).
33En ce qui concerne notre analyse, nous avons commencé par déterminer le rythme des différentes modalités de guidage mises en place pendant la deuxième période de la formation. Après quoi nous avons tenté de mesurer l’efficacité présumée de chacune d’entre elles pour, dans un troisième temps, en décrire les fonctions respectives.
34Ainsi, nous avons commencé notre étude en identifiant les différents types d’encadrement pratiqués et nous y avons trouvé, non seulement ceux en présentiel (Pr) ou à distance (Di), mais en plus une modalité mixte résultant de leur combinaison et qui se décline en Pr-Di, lorsque la même consigne est passée d’abord en cours puis à distance et dans l’ordre inverse (Di-Pr).
35Ensuite, nous avons décrit le rythme d’application de ces différents guidages. Pour en dresser le profil avec précision, nous avons élaboré l’histogramme ci-dessous, en prenant comme indicateur la datation ou ancrage temporel de chacune des médiations. Dans ce graphique, nous trouvons le nombre de consignes relevant des différents types d’encadrement (Pr, Di, Pr-Di, Di-Pr) utilisés dans les périodes de formation observées.
Graphique 1 – Rythme des modalités de guidage.
36Sur le plan quantitatif, il ressort de ce graphique, que l’encadrement à distance (Di) a été utilisé 4 fois (2 en février et 2 en avril) ; le présentiel (Pr) 12 fois (2 en janvier, 2 en février, 4 en mars et 4 en avril) et les deux séquences combinées à 10 reprises (uniquement en février et mars et à raison de 6 fois pour Pr-Di et de 4 pour Di-Pr). Au niveau de la périodicité nous constatons qu’aucune des médiations n’a été utilisée de manière systématique ni avec une régularité préétablie. En effet, leur émergence a été contingente car probablement liée à la nécessité, jugée au fil de la formation par les enseignants, de communiquer avec les étudiants ou de les relancer afin qu’ils réalisent les tâches demandées. Seules les consignes en présentiel ont échappé à cette irrégularité, car elles ont suivi la périodicité hebdomadaire des cours dans lesquels elles s’inscrivaient.
37Lequel de nos différents guidages a, apparemment, généré le plus grand nombre d’échanges exolingues dans le forum de Galanet de la part de nos étudiants ? Pour essayer de mesurer la « productivité » de nos consignes, nous avons croisé leur émergence avec celle des messages déposés en ligne par notre échantillon.
Graphique 2 – Efficacité des modalités de guidage.
38Au vu de ce graphique, le plus faible taux d’interactions des apprenants (8 messages) découle des consignes communiquées par l’enseignant exclusivement à distance (Di) et visant à inciter les premiers à participer aux forums. À notre avis, ce déficit révèle les défaillances et les limites d’une utilisation exclusive de consignes en différé, notamment l’impossibilité de joindre tous les étudiants à temps et/ou de gérer des malentendus en face à face et qui apparemment compromettent la réalisation des tâches demandées et le respect des délais impartis pour leur réalisation.
39En revanche, c’est le guidage en présentiel qui entraine le taux le plus élevé de messages des apprenants qui apparemment en découlent (91 messages sur 140, soit 65 % du total). Cette efficacité pourrait s’expliquer par la régularité que suppose le rythme hebdomadaire des séances en présentiel et/ou une supposée plus grande rentabilité des échanges verbaux en direct s’y étant déroulés (entre les apprenants ; entre ces derniers et l’enseignant).
40Enfin, pour ce qui est des guidages « combinés » (Pi-Dr et Di-Pr), ils sont à l’origine de 41 messages d’étudiants (29,28 %) dont 26 de type Pi-Dr et 15 Di-Pr.
41Certes, différentes variables peuvent déterminer la participation des étudiants, comme par exemple les messages du responsable de la session ou des partenaires Galanetinternationaux (étudiants et tuteurs). Néanmoins, dans notre analyse, nous avons uniquement tenté de mesurer l’impact des consignes provenant des enseignants chargés de la formation locale. Et précisément, si les modalités de guidages combinées (en présentiel et à distance)et mixtes (Pr-Di, Di-Pr) se sont avérées efficaces tout en ayant été appliquées de manière aléatoire, nous présumons que leur efficacité s’accroitrait si elles étaient mises en place de manière régulière et planifiée. Une utilisation contrôlée de ces médiations pédagogiques (alternée et combinée), semble revêtir un potentiel didactique à exploiter sciemment dans l’intérêt de l’enseignant et de l’apprenant. Ce dernier peut, par exemple, voir se consolider le sentiment de « contrôlabilité » de l’organisation et du déroulement des activités scolaires (Viau, 1994), et/ou être stimulé à un engagement cognitif et à une persévérance (Foulin, Toczek, 2006) ; comportements tous deux souhaitables dans une formation demandant un engagement couteux en termes de quantité (participation à distance et en classe), de qualité et de diversité de travail (réflexion métacognitive, découverte et pratique de l’intercompréhension à partir des échanges exolingues en ligne en réseau de groupes (synchrones et asynchrones), utilisation des divers supports multimédias, etc.).
42À la suite de ces résultats sur le rythme et l’efficacité présumée des différents types de guidage, il nous a semblé pertinent de nous intéresser de près aux différentes fonctions de ces derniers. Suivant leur intentionnalité pragmatique, nous avons identifié deux types d’interventions de l’encadrement pédagogique : à caractère« injonctif » d’une part, et de nature purement pédagogique car communiquant une tâche à effectuer (par exemple, participer dans un forum) ; et « informatif » d’autre part, fournissant des renseignements d’ordre logistico-organisationnel (à propos du calendrier, des défaillances techniques de la plateforme, etc.) et que nous avons cherché à relever dans chacune des modalités de guidage mises en place (Pr, Di, ou combinés).
43Si nous observons les interventions en présentiel, recueillies par observation directe et à partir des fiches de préparation des cours, nous notons que leur fonction principale était d’expliquer les activités à réaliser en cours et de présenter les tâches à effectuer à distance, ainsi que de vérifier l’évolution de l’apprentissage (à travers des activités dont l’objectif était un rappel-synthèse des compétences langagières développées en autonomie, et des éventuelles difficultés techniques rencontrées). Cette catégorisation nous amène à penser que l’encadrement en présentiel a pu motiver les étudiants à participer ultérieurement à distance. De même grâce à la médiation technique et didactique et à une périodicité hebdomadaire qui l’a caractérisé, il a contribué à harmoniser, nous semble-t-il, l’articulation entre activités à distance et activités en présentiel.
44Le guidage exclusivement à distance, réalisé à travers le forum et la messagerie de Galanet, a été représenté par 21 consignes pédagogiques dont 11 communiquaient la tâche à effectuer et les 10 restantes étaient plutôt d’ordre logistico-technique. La fonction de ces derniers messages était (de même que lorsqu’ils étaient émis dans le cadre des séquences mixtes Di-Pr et Pr-Di) d’instaurer et de renforcer l’interaction entre les étudiants et de stimuler leur participation à distance sur Galanet. C’est pourquoi les apprenants devaient non seulement comprendre la consigne et réaliser la tâche demandée (en respectant par ailleurs le délai imparti), mais ils devaient également gérer et y adapter à bon escient leur rythme de travail et solliciter, le cas échéant, une « assistance » à distance (auprès de leurs pairs et/ou de l’enseignant-tuteur).
45Dans le cas du guidage mixte de type Pi-Dr, les interventions de l’enseignant à distance avaient comme fonction de rappeler des consignes données en classe, le but étantde relancer les étudiants et de les motiver à rendre le travail déjà sollicité au préalable. Dans la modalité combinée Di-Pr, le message pédagogique à distance introduisait une nouvelle consigne qui ultérieurement allait, encore, être répétée en présentiel. L’objectif de l’encadrement mixte était donc, et comme le guidage exclusivement à distance, de stimuler les étudiants à prendre en charge leur apprentissage au sein d’un espace virtuel de travail collaboratif en « apprenant à apprendre » par exemple, en sollicitant le cas échéant de l’aide didactique et/ou technique supplémentaire et individualisée.
46Nous appuyant sur ces analyses, et bien qu’il en résulte que c’est le guidage en présentiel qui s’avère le plus productif (car provoquant le plus grand nombre de messages chez les étudiants), nous avançons que la combinaison ou hybridation en face à face/à distance, constitue la médiation la plus adaptée aux objectifs multiples de notre démarche plurielle d’Intercompréhension romane. Et ce pour les raisons détaillées ci-après.
47Dans le cadre de la formation hybride en jeu, l’accompagnement métacognitif que nous avons mis en oeuvre semble se révéler un outil didactique pertinent dans la mesure où, d’après nos résultats, il a tiré parti des attributs d’un développement multimédia hybride, il a amplifié le potentiel acquisitionnel du dispositif « Intercompréhension romane » retenu et il s’est, enfin, accommodé aux individualités des apprenants (au niveau de leurs potentiels et besoins). En effet, en développant leur conscience de soi, à travers les activités réflexives proposées, les sujets observés semblent avoir revisité leur sentiment d’auto-efficacité et, par ricochet, transformé leur expérience d’apprentissage en connaissance sur soi (notamment en ce qui concerne leurs propres démarches intellectuelles).
48De même, notre étude a mis en exergue que la médiation humaine en présentiel a été ressentie comme un moment institutionnel fort de la part des étudiants observés, cependant nous concluons que c’est le guidage mixte qui apparait comme le plus adéquat pour la formation considérée car les atouts du présentiel et de la distance semblent y interagir en synergie : d’une part en raison des avantages de l’interaction directe inter-apprenants et enseignant-étudiants, avec la portée régulatrice et le sentiment de contrôlabilité des contenus et des outils qui apparemment en découlent, et d’autre part, grâce à la prise de distance et la flexibilité temporelle que procure le télétravail et qui nous semblent nécessaires au développement du sentiment d’« auto-détermination » et de « contrôlabilité » requis dans toute expérience d’apprentissage qui se veut efficace.
49Mais avant d’ériger ces conclusions en principes, il sera judicieux de conduire à l’avenir des études complémentaires dans le même cadre didactique, visant non seulement un échantillon plus consistant mais surtout l’analyse de la répercussion qu’aurait une médiation hybride à orientation métacognitive qui, en dépassant le rôle propédeutique considéré dans le présent article, accompagnerait le déroulement de la session Galanet, c’est-à-dire la production effective d’interactions plurilingues qui en découlent. Nous songeons par exemple à une mise à plat et à une révision expérimentale ultérieure des représentations des étudiants de « Intercompréhension romane » à propos de ce qu’est un interactant-apprenant « galanétéen » efficace et collaboratif ou un échange exolingue écrit en ligne porteur d’enseignement/apprentissage répercuté.