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Analyse contrastive des positionnements énonciatifs dans les écrits d’étudiants en sciences biomédicales et biologiques en anglais langue maternelle et langue étrangère

A Contrastive Analysis of Interpersonal Positioning in L1 and L2 Student English Biology and Biomedical Science Essays
Clive E. Hamilton et Paul White

Résumés

Cette étude vise à caractériser le positionnement énonciatif adopté par les étudiants de niveau licence rédigeant des essais en anglais, qu’il s’agisse de leur langue maternelle (corpus BAWE) ou d’une langue étrangère (corpus CarDiBioMed). L’accent est mis sur la position auctoriale des étudiants vis‑à‑vis du lecteur, du contenu et de la communauté universitaire. L’utilisation de ressources contractives d’engagement est observée comme un moyen de construire une voix assertive, tandis que l’emploi de ressources expansives et les références aux travaux externes signalent une ouverture à l’interprétation du lecteur et une reconnaissance des positions ou voix alternatives. Sur la base de l’analyse des catégories de la théorie de l’évaluation, les résultats révèlent que les écrits des étudiants en langue étrangère tendent à utiliser davantage la dénégation et la réfutation, souvent de manière superfétatoire, tandis que les textes du corpus BAWE montrent une intégration convenable et conventionnelle des voix externes, avec une fréquence d’utilisation plus élevée de catégories approbation et reconnaissance. Les implications pédagogiques soulignent l’importance d’enseigner les différentes fonctions d’engagement et l’intégration des voix externes pour développer une posture d’auteur équilibrée.

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Texte intégral

1. Introduction

1Explorer les concepts de positionnement énonciatif et d’identité auctoriale constitue un domaine émergent dans les études linguistiques, notamment en pragmatique, en analyse du discours et en didactique des langues (Englebretson, 2007 ; Hyland, 2017). Ces deux concepts sont considérés comme jouant des rôles cruciaux dans la construction des discours spécialisés, par exemple dans le discours scientifique, en façonnant la manière dont les auteurs transmettent leurs idées et interagissent avec les lecteurs. En examinant les fondements pratiques et théoriques associés à ces concepts, particulièrement dans des analyses pragmatiques, les travaux de Kumar et coll. (2024) et Chen et coll. (2024), par exemple, fournissent des perspectives éclairantes sur les dynamiques complexes à l’œuvre dans les discours naturels, par opposition aux textes générés par intelligence artificielle. En effet, des études ont permis de mettre en lumière la nature multifacette de ces deux concepts, indiquant une grande variabilité dans l’utilisation de caractéristiques linguistiques spécifiques, en ce qui concerne le contexte social, les conventions disciplinaires et culturelles ainsi que les genres discursifs (Fløttum et coll., 2006 ; Hartwell & Jacques, 2014).

2Notre étude examine ainsi ces deux concepts dans des écrits d’étudiants à la fois en anglais langue maternelle et langue étrangère dans deux disciplines comparables : à savoir en sciences biologiques et en sciences biomédicales. Au‑delà de l’aspect disciplinaire, nous nous intéressons aux différences culturelles mises en évidence dans la construction du positionnement énonciatif chez ces deux groupes d’étudiants. En effet, de nombreux travaux portant sur l’écriture en langue étrangère (dorénavant L2) montrent comment les scripteurs en contexte universitaire font usage de nouvelles ressources linguistiques pour créer du sens, parfois en les utilisant de manière appropriée et novatrice par rapport à leurs homologues en langue maternelle (dorénavant L1), mais aussi en les utilisant d’une manière qui ne s’aligne pas sur les conventions culturelles ou institutionnalisées de la L1. Les questions abordées dans notre étude vont au‑delà des conventions syntaxiques, lexicales et phraséologiques pour s’intéresser aux ressources rhétoriques plus subtiles qui permettent aux étudiants de se positionner de manière appropriée dans la construction de leur discours — que ce soit par rapport au lecteur, au texte (ou au contenu propositionnel) ou à la communauté d’experts universitaires du domaine.

2. Cadrage théorique

3La posture d’auteur renvoie à la position ou au positionnement d’un auteur sur un sujet particulier (Kiesling, 2020). Ce positionnement porte notamment sur le discours en lui‑même ainsi que sur le rapport entretenu entre l’auteur et son lecteur supposé. De plus, ce positionnement énonciatif implique la sélection stratégique de certains éléments linguistiques et des dispositifs rhétoriques pour transmettre cette position de manière efficace. L’identité auctoriale (cf. Bokobza-Kahan, 2009), quant à elle, englobe l’image ou la persona que les auteurs créent à travers leur écriture. Elle est étroitement liée au concept de posture d’auteur, car la manière dont les auteurs se positionnent par rapport à leurs arguments façonne leur identité. La construction de l’identité auctoriale implique de ce fait de naviguer dans les normes disciplinaires, d’établir une crédibilité et de cultiver une voix singulière.

4Plusieurs éléments linguistiques peuvent être utilisés pour réaliser cette prise de position. Ces éléments sont identifiables au niveau lexical, phraséologique ou même grammatical. L’utilisation de pronoms personnels, tels que « je » et « nous », permet aux auteurs d’établir une connexion personnelle et de revendiquer la paternité de leurs idées (Hamilton, 2024). Les marqueurs de positionnements énonciatifs, tels que les adverbes (clairement, indubitablement, malheureusement), les adjectifs évaluatifs (essentiel, innovant, important, controversé) ou les auxiliaires modaux (devoir, falloir, pouvoir), fournissent des signaux évaluatifs qui façonnent la perspective de l’auteur (Gardelle et coll., 2021 ; Rabatel, 2012 ; Tutin, 2010). Au‑delà des items lexicaux singuliers fonctionnant comme des marqueurs de prise de position, s’ajoutent des phrases ou routines discursives couramment utilisées telles que « je crois », « il est évident que » ou « l’étude suggère » (Bordet, 2019 ; Byrd & Coxhead, 2010 ; Hartwell & Jacques, 2014). L’auto‑mention, quant à elle, à savoir l’inclusion intentionnelle de l’auteur dans le texte — par exemple, à travers des renvois à des travaux personnels antérieurs — permet aux auteurs d’assoir la légitimité de leur propos et de se positionner dans la construction du discours savant.

5Cependant, malgré la popularité relative du positionnement énonciatif en tant qu’objet de recherche en pragmatique, en analyse du discours et en didactique des langues, le terme peut être considéré comme un terme générique, étant donné les nombreuses variations terminologiques observées dans la littérature. Cette variabilité du terme témoigne à la fois de l’émergence du sujet comme objet de recherche ainsi que la multiplicité des approches théoriques et disciplinaires utilisée pour étudier la thématique. Le concept en anglais, par exemple, est également étudié sous les noms suivants : stance ou stance-taking ; author distance, authorial stance, personalisation (Van Leeuwen, 1996 ; Coffin, 2005), synthetic personalisation (Fairclough, 2001), impersonnalisation (Van Leeuwen, 1996 ; Rundblad, 2007), et analysé dans le contexte de cadres théoriques concurrents, notamment le métadiscours (Hyland, 2017) et la théorie de l’évaluation (Martin & White, 2005 ; White, 2020).

6Certains auteurs suggèrent également de distinguer les différents niveaux d’analyse des positionnements énonciatifs en examinant trois sous‑catégories (cf. Martin & White, 2020 ; North, 2004). Ce dernier préconise les catégories suivantes : (i) personnalisation : le degré selon lequel la présence de l’auteur est explicitement représentée, obscurcie ou supprimée dans le texte ; (ii) posture d’auteur (stance) : l’expression explicite des attitudes ou des sentiments personnels envers le contenu d’une proposition — notamment l’utilisation de la modalité et des marqueurs d’attitude ; et (iii) positionnement (standing) : la sous‑catégorie de la persona de l’orateur/scripteur qui concerne la revendication de l’expertise ou de l’autorité.

2.1. La théorie de l’évaluation

  • 1 Tous les termes techniques relevant de la théorie de l’évaluation (Appraisal theory) sont cités en (...)

7Le cadre théorique utilisé pour l’analyse dans cette étude, la théorie de l’évaluation ou « Appraisal theory » en anglais (Martin & White, 2005), s’appuie sur la grammaire systémique fonctionnelle de Halliday et Matthiessen (2014), qui étudie le langage d’un point de vue socio-sémiotique. La théorie de l’évaluation s’inspire également de la théorie du dialogisme linguistique développée par Mikhail Bakhtine et Valentin Vološinov, selon laquelle chaque énoncé peut être interprété comme répondant à ou anticipant des énoncés précédents ou des réponses potentielles dans un espace dialogique particulier. Alors que la théorie de l’évaluation est construite à partir de trois systèmes principaux, « attitude1 », « engagement », « gradation », c’est le système d’engagement qui suscite le plus d’intérêt lors de l’étude du positionnement de la voix auctoriale par rapport à la construction du lecteur et des voix externes.

8La figure 1 fournit une représentation schématique des catégories principales du cadre conceptuel. La dichotomie principale dans le système se situe entre monoglossie, c’est-à-dire des assertions brutes qui ne contiennent aucun marqueur indiquant qu’elles font partie d’un contexte dialogique, et hétéroglossie, dans laquelle la voix auctoriale reconnait ou interagit d’une manière ou d’une autre avec des points de vue potentiels ou alternatifs. Les ressources hétéroglossiques peuvent être de deux sortes, celles qui élargissent ou contractent l’espace dialogique. Dans la catégorie expansion, les voix alternatives sont accueillies en créant un espace dialogique en envisageant des positions alternatives possibles ou en attribuant des propositions à des voix externes. Les modaux épistémiques et les ajouts, les modalisations et l’évidentialité (Halliday & Matthiessen, 2014 ; Chafe, 1986), qui ouvrent l’espace dialogique à diverses possibilités, sont identifiés comme potentialité. Cette sous‑catégorie englobe le potentiel important qu’aurait un espace dialogique s’il s’ouvrait à des positions/voix alternatives. Dans la sous-catégorie attribution, la reconnaissance se produit lorsque les rédacteurs reconnaissent explicitement d’autres sources, signalées par une sélection de verbes de parole (dire, déclarer), tandis que la distance crée une disjonction entre le rédacteur et les voix externes qui défendent des points de vue opposés en utilisant d’autres verbes de parole.

Figure 1. – Schématisation globale de la théorie de l’évaluation.

Figure 1. – Schématisation globale de la théorie de l’évaluation.

9Sous l’étiquette contraction, les alternatives dialogiques sont contestées, éclipsées ou autrement exclues par l’intervention auctoriale. La branche proclamation est subdivisée en annonce (on affirme que, en fait, en effet), approbation (le rapport démontre / montre / prouve que…), justification (parce que, puisque, la raison pour laquelle) et accord, ce qui implique de déclarer explicitement un accord avec une position supposée du lecteur grâce à affirmation (naturellement, bien sûr, évidemment) ou en cédant à la position du lecteur construite dans concession (certes, bien sûr). Les énoncés qui expriment explicitement des propositions auctoriales sont étiquetés annonce (En fait, on affirme que), tandis que ceux attribués à des sources externes mais jugés justifiables par la voix auctoriale sont étiquetés approbation (X démontre, montre, prouve). désengagement réduit l’espace pour considérer les alternatives dialogiques, y compris les marqueurs de réfutation (pourtant, bien que, étonnamment, mais) et dénégation (non, ne pas, ne jamais). réfutation se produit lorsque les rédacteurs remplacent et s’opposent à un autre point de vue par un contre‑argument, tandis que dénégation se produit lorsque les rédacteurs expriment un désaccord avec une position alternative.

2.2. Situer la recherche sur les positionnements énonciatifs en L2

10Lam et Crosthwaite (2018) ont constaté que les textes écrits par des étudiants en langue maternelle (L1) et en langue étrangère (L2) reposent davantage sur des ressources dites d’engagement que sur l’attitude ou la gradation. Plus spécifiquement, ils ont observé que les étudiants en L1 sont plus enclins à s’immiscer dans le discours en utilisant des éléments linguistiques d’annonce, tandis que les rédacteurs en L2 préfèrent utiliser des éléments de justification comme principale ressource de proclamation. Les scripteurs en L1 utilisent également une fréquence plus élevée de marqueurs de désengagement, ainsi que de potentialité pour ouvrir l’espace dialogique à des voix alternatives. L’étude de Loghmani et coll. (2020) portant sur des thèses de doctorats rédigés par des locuteurs natifs en anglais a révélé une aversion à l’utilisation de fonctions d’engagement contractif, pour éviter la possibilité d’être contesté ou rejeté par le lecteur. Cependant, en s’inspirant du concept de « establishing a niche » de Swales (1990), l’étude de Sun et Crosthwaite (2022), s’appuyant également sur des thèses de doctorat en sciences naturelles et en sciences humaines, a montré que les locuteurs natifs utilisent la fonction de « désalignement », inhérente à la catégorie de désengagement lorsqu’ils justifient la focalisation de leurs études.

11Notre contribution s’inscrit ainsi dans la lignée de ces travaux en s’intéressant à l’écrit en langue étrangère en contexte universitaire, d’une part, et en fournissant une analyse du discours scientifique anglais, rédigé par des étudiants locuteurs natifs et non natifs de l’anglais d’autre part. Les questions de recherche de la présente étude se concentrent principalement sur l’utilisation de différentes ressources d’engagement et sur l’utilisation des citations. Trois questions de recherche ont été formulées :

  • QR1 : Quelles différences y a‑t‑il dans l’utilisation des ressources dites d’engagement contractives et expansives dans les deux sous‑corpus étudiés : à savoir, le corpus CarDiBioMed, issu du projet intitulé « Caractérisation du discours scientifique dans le domaine biomédical » et le corpus « British Academic Written English » (BAWE) ?

  • QR2 : Quelles différences y a‑t‑il dans l’utilisation des citations et l’intégration de voix externes dans les corpus CarDiBioMed et BAWE ?

  • QR3 : Comment les différences identifiées dans ces domaines se rapportent‑elles au positionnement interpersonnel de l’auteur vis‑à‑vis du lecteur et de la communauté d’experts dans leurs domaines respectifs ?

3. Méthodologie

12Les données analysées dans cette étude proviennent de deux corpus différents : le corpus CarDiBioMed et le corpus BAWE. Le premier corpus est issu d’un projet éponyme, visant la caractérisation du discours scientifique dans le domaine biomédical (CarDiBioMed). Il intègre des textes scientifiques écrits en français et en anglais aussi bien par des spécialistes que par des étudiants inscrits en première année de licence jusqu’à la deuxième année du master à l’Université Paris Cité. Le corpus a été constitué auprès de deux Unités de formation et de recherches (UFR) de l’Université Paris Cité : l’UFR Sciences fondamentales et biomédicales et l’UFR Sciences du vivant, dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) et avec le protocole de recherche (à savoir collecte, tri et stockage des données) validé par le comité d’éthique de recherche de l’Université Paris Cité sous le no IRB : 00012022‑29.

13Les données du corpus ont été obtenues par le biais de Moodle et de la plateforme de dépôt NextCloud. Tous les étudiants des deux UFR ont été contactés dans le cadre du projet CarDiBioMed. Ceux qui ont consenti à l’utilisation de leurs travaux avaient deux moyens de participer au projet : soit nous envoyer des textes par le biais de notre plateforme de dépôt sécurisée et hébergée par l’université, soit nous autoriser à récupérer leurs travaux déposés sur la plateforme Moodle de l’université. L’ensemble des textes recueillis a été validé par les chercheurs du projet avant d’être intégré à la base de données. Les données finales retenues sont donc toutes sous format électronique, sans transcription nécessaire et toutes les rédactions ont été faites dans un contexte contrôlé ou soumis dans le cadre d’une évaluation auprès d’un enseignant de la discipline/matière concernée. Après l’étape de tri et de nettoyage du corpus, nous avons pu collecter 289 textes rédigés en anglais et 250 textes rédigés en français.

14Le deuxième corpus est bien connu dans le paysage linguistique britannique et a servi de modèle pour le projet CarDiBioMed. Il s’agit du corpus de British Academic Written English (BAWE). Ce corpus comprend des textes rédigés en anglais par des étudiants de plusieurs universités britanniques, dans plusieurs genres textuels et dans plusieurs domaines disciplinaires. De ce fait, dans un souci de comparabilité disciplinaire et de genre textuel, une sélection de textes issus des deux corpus a été utilisée : au niveau de la discipline, il s’agit des sciences dites biologiques (BAWE) et biomédicales (CarDiBioMed) tandis qu’au niveau du genre textuel, il s’agit d’essais.

15Le tableau 1 indique le nombre de textes par niveau avec la normalisation des données entre parenthèses. La normalisation des données s’effectue en calculant la proportion de chaque niveau dans le corpus total pour CarDiBioMed et BAWE. Cela permet de comparer les résultats sur la base de fréquences relatives plutôt que sur des nombres absolus. Ainsi, après normalisation, il est possible de comparer la proportion relative de textes de niveau 1 entre CarDiBioMed et BAWE : 38,1 % contre 9,1 %. Cette approche montre que, par rapport à leurs tailles totales, le niveau 1 est plus représenté dans CarDiBioMed que dans BAWE, tandis que le niveau 4 est plus représenté dans BAWE (54,5 %) que dans CarDiBioMed (2,28 %). Il est important de souligner que le sous‑corpus CarDiBioMed se compose de 42 essais d’étudiants, totalisant 16 493 mots, tandis que le sous‑corpus BAWE contient 11 essais, totalisant 27 026 mots. De toute évidence, les textes des étudiants anglophones dans le corpus BAWE sont considérablement plus longs que les textes des apprenants d’anglais langue étrangère dans le corpus CarDiBioMed.

Tableau 1. – Nombre de textes par niveau avec la normalisation des données.

 

CarDiBioMed  

BAWE  

Niveau 1

16 (0,381)

1 (0,091)

Niveau 2

14 (0,333)

3 (0,272)

Niveau 3

11 (0,261)

1 (0,091)

Niveau 4

1 (0,024)

6 (0,545)

Total (nombre de mots)  

42

11

16Pour garantir la comparabilité entre les données issues de CarDiBioMed et de BAWE malgré leurs tailles inégales, il est possible d’employer une gamme de stratégies statistiques et méthodologiques. Deux approches ont été envisagées dans la présente étude : la fréquence normalisée et l’analyse pondérée. La normalisation « par 1 000 mots » permet d’ajuster la fréquence absolue obtenue à partir des résultats des occurrences relevées dans les deux corpus, afin de garantir une comparabilité précise et impartiale. Pour rappel, la fréquence normalisée par 1 000 mots se calcule de la manière suivante :

17Lorsqu’on travaille avec des corpus de tailles différentes, l’analyse pondérée est quant à elle un outil qui permet à chaque élément (ou texte) du corpus le plus petit d’avoir un impact proportionnellement plus important dans les comparaisons statistiques. Elle est particulièrement utile lorsque l’on souhaite rendre les résultats plus comparables et s’assurer que chaque corpus contribue de manière égale à l’analyse, même si le nombre de textes diffère de manière substantielle. Le poids de chaque texte dans un corpus peut être calculé en déterminant l’inverse de la proportion du nombre total de textes dans le corpus le plus grand.

– Pour CarDiBioMed : [Poids par texte] = [1/42] ≈ 0,0238]

– Pour BAWE : [Poids par texte] = [1/11] ≈ 0,0909]

18Ici, chaque texte dans BAWE est presque quatre fois plus important que chaque texte dans CarDiBioMed, car BAWE est le corpus le plus petit. Cependant, étant donné que l’on ne s’intéresse pas aux textes individuellement, mais aux sous‑groupes par niveau ou à la totalité du corpus, la normalisation par 1 000 mots sera privilégiée tout au long de notre analyse. De plus, il convient de souligner que cette étude est à la fois qualitative et quantitative. Elle se veut néanmoins davantage qualitative, puisqu’elle s’intéresse foncièrement à la manière dont les ressources linguistiques sont utilisées.

19Le corpus d’étude (à savoir, la sélection issue des deux sous‑corpus) a été annoté manuellement à l’aide de l’UAM CorpusTool (O’Donnell, 2011) par les auteurs de cette contribution. Le choix d’une annotation manuelle est justifié par l’importance du co‑texte dans la sélection des éléments pouvant être annotés en tant que marqueurs et ceux qui ont été exclus.

4. Résultats

20Comme le montre la figure 2, la distribution proportionnelle des différentes sous‑catégories d’engagement est comparable entre les deux corpus. Les chiffres entre parenthèses renvoient à la fréquence normalisée par 1 000 mots. En ce qui concerne les différences d’emploi, dans le corpus CarDiBioMed, les apprenants d’anglais langue étrangère utilisent les fonctions contractives de dénégation et de réfutation plus fréquemment que les étudiants anglophones. Ces derniers, dans les textes issus du corpus BAWE, utilisent de manière plus fréquente la fonction approbation et utilisent reconnaissance légèrement plus que les étudiants L2.

Figure 2. – Distribution normalisée des ressources d’engagement dans les deux corpus.

Figure 2. – Distribution normalisée des ressources d’engagement dans les deux corpus.

21Il convient de souligner que les apprenants de l’anglais langue étrangère tendent à mobiliser les ressources d’engagement non seulement de manière distincte, mais également avec une fréquence accrue par rapport aux étudiants anglophones du corpus BAWE. En effet, dans 15 des 18 catégories d’engagement analysées, on observe un surinvestissement dans le corpus CarDiBioMed, ce qui suggère une prise de position de l’auteur nettement plus affirmée dans les textes rédigés en langue étrangère. Cette utilisation prononcée et inattendue fait l’objet d’un examen approfondi ci‑dessous (fig. 3).

Figure 3. – Distribution normalisée des ressources d’engagement par niveau d’étude.

Figure 3. – Distribution normalisée des ressources d’engagement par niveau d’étude.

22La figure 3 met en évidence trois observations qui méritent d’être soulignées. Tout d’abord, l’utilisation des fonctions contractives d’engagement dans les textes CarDiBioMed diminue entre la première année d’études et les années suivantes. Toutefois, l’emploi de dénégation reste plus élevé tout au long des trois années de licence. De plus, bien que l’utilisation d’approbation augmente également, son usage reste très limité à tous les niveaux du corpus CarDiBioMed. Ensuite, l’usage de réfutation et approbation augmente dans les textes BAWE entre la première année et les années suivantes, ce qui pourrait potentiellement indiquer une prise de conscience croissante de la nécessité de se créer un « espace de recherche » (Swales, 1990) dans le cas de réfutation, et d’intégrer des voix externes dans le texte dans le cas d’approbation. Enfin, bien que l’utilisation des citations passe de 0 à la première année à une légère augmentation par la suite, leur usage demeure très modeste à tous les niveaux dans les textes CarDiBioMed. Dans le corpus BAWE, leur fréquence augmente au cours des trois années de licence avant de diminuer légèrement au niveau du master.

23L’extrait (1) fournit un exemple de l’utilisation de fonctions contractives d’engagement par un étudiant n’ayant pas l’anglais comme L1 dans le corpus CarDiBioMed.

(1)
Exploiting the planet without restraint
isn’t [denegation] without consequences. Indeed [annonce], the greatest consequence is undoubtedly [accord:affirmation] global warming. We experience it [accord:affirmation] every year. The heat waves are more and more numerous and longer, the winter is less cold. However [refutation], hot countries are most at risk. Indeed [annonce], drought is a scourge in these countries where water is already lacking. (016a‑EN‑AS‑N3‑ESS)

24Dans l’extrait (1), la proposition qui est niée dans la première phrase, à savoir que « la planète peut être exploitée sans conséquences » (« planet can be exploited without consequences »), est peu susceptible d’être défendue par le lecteur. De même, la fonction réfutation de la phrase « Cependant, les pays chauds sont les plus menacés » (« However, hot countries are most at risk ») implique une position improbable du lecteur ignorant la répartition inégale des effets négatifs du réchauffement climatique, qui touchent plus sévèrement le Sud global. En plus de cette utilisation quelque peu inappropriée de la fonction de dénégation, quatre propositions renferment la posture de l’auteur dans une sorte subjectivité inattendue à travers l’utilisation de marqueurs de proclamation, comprenant deux annonces (indeed) et deux accords:affirmations (undoubtedly, We experience it). Swain (2010) fait référence à cela comme suit :

[…] an inappropriate use of contracting resources… [which] has the effect of immediately ‘crowding’ the context by anticipating and deflecting alternative views to the propositions which many readers would consider unproblematic. (Swain, 2010, p. 295)

25Ainsi, au lieu d’adopter un ton objectif caractéristique de l’écrit scientifique (voir Hyland, 2004), la voix de l’auteur intervient régulièrement dans l’extrait (1). Elle intervient à la fois pour donner des orientations correctives à travers des fonctions de dénégation qui peuvent être interprétées comme inutiles, ainsi que pour y inscrire des vérités généralement acceptées comme des déclarations personnelles grâce à la fonction d’annonce. Si nous comparons cela à l’utilisation de fonctions d’engagement similaires dans un texte d’étudiant anglophone dans (2), nous constatons que l’incorporation de voix externes dans le texte permet à la voix de l’auteur de se situer dans le réseau de voix d’experts, créant ainsi l’impression nécessaire d’être à la fois informé et objectif.

(2)
Predatory insects can be used in agriculture to provide natural biological control of other insect or plant species.
However [refutation], from a conservation point of view it is important [annonce] to investigate the full effects of introducing an alien species before it is carried out; for example Louda and O’Brien (2002) found [approbation] that the exotic weevil (Larinus planus) […]. (6014b)

26Dans l’extrait (2), la voix de l’auteur semble initialement occuper le premier plan discursif, avec l’utilisation de réfutation et d’annonce dans la phrase « Cependant, du point de vue de la conservation, il est important… » (« However, from a conservation point of view it is important… »). Cependant, ces indications d’une position d’auteur subjective sont immédiatement inversées par l’approbation d’une voix d’expert : « Louda et O’Brien (2002) ont constaté que » (« Louda and O’Brien (2002) found ») ; celle‑ci fournit des preuves concrètes pour la position de l’auteur en situant, ce faisant, la voix de l’étudiant anglophone natif dans le réseau de voix d’experts dans le domaine.

27Une différence marquée entre les textes d’étudiants dans les deux corpus a été mise en évidence dans l’utilisation des citations scientifiques, comme le montre la figure 4.

Figure 4. – Aperçu des fonctions d’engagement comprenant une citation.

Figure 4. – Aperçu des fonctions d’engagement comprenant une citation.

28La figure 4 montre l’utilisation de différentes fonctions d’engagement dans des phrases qui contiennent une référence ou une autre forme de reconnaissance de voix externes. On observe en effet une différence importante dans l’utilisation des références scientifiques entre les deux corpus. Au total, le corpus BAWE comprend 309 phrases complexes avec au moins une citation scientifique, contre seulement 12 pour le corpus CarDiBioMed. L’incorporation de citations dans l’élaboration de l’argumentation scientifique ne semble pas avoir été pleinement assimilée ou maitrisée au sein du corpus CarDiBioMed. Les citations y sont rares, et lorsqu’elles sont mobilisées, les étudiants non natifs semblent réticents à les associer à l’ensemble des ressources d’engagement disponibles, à l’inverse des étudiants du corpus BAWE. Ce constat suggère non seulement une compétence à acquérir en langue étrangère, mais également une pratique discursive à cultiver.

29Bien que cette différence puisse s’expliquer par des pratiques discursives liées à la fois au contexte institutionnel et culturel des deux langues des étudiants de notre corpus, l’inclusion de voix externes, qu’elles soient d’experts scientifiques ou autres, est indispensable pour le développement d’une voix d’auteur informée et équilibrée. Par ailleurs, il est également important de noter ici que les ressources monoglossiques constituent la plus grande sous‑catégorie unique des fonctions d’engagement intégrant des citations dans le corpus BAWE (4,83 par 1 000 mots). En effet, malgré le fait que Swales (2014) s’oppose à l’utilisation de citations en fin de clause après des affirmations sans preuve (bare assertions, en anglais) comme « parenthetical plonking » (Swales, 2014, p. 135), nous soutiendrons plus tard (en relation avec l’exemple (6)) que la prévalence de cette forme de renvoi aux voix externes dans le corpus BAWE pourrait constituer un trait caractéristique de l’écrit étudiant dans les sciences naturelles.

30En ce qui concerne l’intégration explicite de la voix externe, l’exemple (3) du corpus CarDiBioMed illustre l’alternance du discours contrôlé par la voix de l’auteur avec l’inclusion d’une voix externe grâce à l’utilisation de la fonction approbation.

(3)
We know, by the actual [sic] pandemic context [accord:affirmation], the big issue represented by the illness transferred by [sic] animals to human and also that a mutation can change everything in the approach of [sic] the fight against a disease. According to the [sic] Dr. Goldberg’s opinion [sic] [approbation]: “It falls into the category of things we should watch, but not fret about.” In fact [annonce] the bacteria is not [dénégation] actually [réfutation] a problem, but [refutation] if [potentialité] in the wild, other versions of this bacteria appears to be more dangerous or more contagious, this could [potentialité] become a problem. In my opinion [annonce/potentialité], we can’t [dénégation] really [potentialité] block the effect of [sic] mutation in the wild, every bacteria could [potentialité] become more dangerous each day, but [réfutation] we can prevent transmission to human [sic] by paying attention to food and personal hygiene, because [justification] it’s [sic] even more transmission factors we can avoid. (118f‑EN‑AS‑N2‑ESS)

31Comme dans l’extrait (1), la voix auctoriale dans (3) est immédiatement présente grâce à l’utilisation de formes contractives d’engagement à la fois avant et immédiatement après la reconnaissance de la voix externe dans « Selon l’avis du Dr Goldberg [sic] » (« According to the Dr. Goldberg’s opinion [sic] »). Cela inclut le recours aux fonctions discursives d’accord:affirmation dans « Nous savons, par le contexte actuel de la pandémie » (« We know, by the actual [sic] pandemic context »), ce qui permet d’envisager l’auteur et le lecteur comme étant alignés en ayant vécu l’expérience commune de la pandémie de COVID. L’intégration de la voix externe avec une citation est ensuite suivie d’un marqueur d’annonce par le biais de « En effet » (« In fact ») qui, avec deux marqueurs de désengagement par le biais de la fonction dénégation (‘not’) et réfutation (‘en réalité’ (‘actually’)), aligne l’auteur avec la voix externe experte. Ce mouvement est ensuite suivi d’une expression claire de la position auctoriale, commençant par le marqueur de réfutation et deux marqueurs de potentialité : « mais (‘but’) [réfutation] si (‘if’) [potentialité] dans la nature, d’autres versions de cette bactérie s’avèrent plus dangereuses ou plus contagieuses, ce pourrait (‘could’) [potentialité] devenir un problème. » Cette phrase de désengagement détourne le discours de la voix externe vers la posture de l’auteur. Ce désengagement est ensuite davantage souligné par l’utilisation d’un marqueur d’annonce, « À mon avis » (« In my opinion »), et de trois marqueurs mettant en avant le positionnement énonciatif de l’auteur, dont un de dénégation (‘ne peut pas’/‘can’t’), un de réfutation (‘mais’/‘but’) et un de justification (parce que’/‘because’). Malgré l’inclusion de trois marqueurs de potentialité (‘à mon avis’/‘in my opinion’, ‘vraiment’/‘really’, ‘pourrait’/‘could’), qui révèlent une sensibilité au fait que le lecteur peut ne pas partager les mêmes opinions, cette concentration de marqueurs de proclamation et de désengagement vise à mettre en avant la voix auctoriale dans le texte, présentant la voix externe comme remplissant un rôle d’une simple interjection dans le texte plutôt que comme co‑constructeur de l’argumentation présentée au lecteur.

32Les extraits (4) et (5) issus du corpus BAWE illustrent la convergence de la voix de l’auteur avec des voix d’experts externes. L’extrait (4) utilise une métaphore grammaticale associée à la voix passive (‘idée’/‘thought’ => ‘ont été pensés’/‘have been thought’) pour remplir la fonction de reconnaissance, tandis que l’extrait (5) place des citations à la fin de phrases complexes monoglossiques.

(4)
The initial
thought [reconnaissance] on the causes for vegetation changes since the last ice age was that it was largely due to climatic changes (Goudie 2006). More recently however [réfutation], the actions of humans during this prehistoric period have been thought [reconnaissance] to play a vital role (Behre 1986). The soils of any given area have proved to be very important for agricultural communities throughout history and pre‑history. The exploitation of the soils that has taken place has a huge effect upon the soils of Great Britain now and has throughout time (Thomas 1990). (6077c)

(5)
Reduced structural diversity under grazing, means less cover and limited food for herbivorous and insectivorous mammals (
Putman, 1986). Diversity of rodents within the woodlands, heathlands and grasslands of the New Forest is much smaller than equivalent areas outside (Putman et coll., 1989). Tawny owls highly predate on wood mice – become specialised, as voles inavailable [sic] in the forest. Buzzards rely heavily on small rodents as prey, and success of breeding is directly related to abundance of prey in an area (Tubbs, 1974). (6007b)

33Dans le cas de l’extrait (4), plusieurs éléments convergent pour construire la voix auctoriale, en positionnant le scripteur comme rapporteur de l’état de l’art du domaine. Citons, à titre d’exemple, les deux occurrences de reconnaissance (‘idée’/‘thought’), (‘ont été pensés’/‘have been thought’) et l’emploi de réfutation (‘cependant’/‘however’) qui peuvent être attribués à une voix externe citée « Behre (1986) », ainsi que trois citations et la phrase finale monoglossique. Autrement dit, bien que ce soit la voix auctoriale qui contrôle le discours, les propositions ne sont pas des déclarations auctoriales individuelles et subjectives, mais des rapports documentés et « objectifs » s’appuyant sur des conclusions d’experts. L’extrait (5) ne contient aucune indication explicite de l’intégration de voix externes à l’exception des trois citations placées à la fin de phrases monoglossiques. Le contenu propositionnel provient à fortiori de travaux d’experts, indiquant une approbation implicite des voix externes (Mori, 2017, p. 11).

34Cependant, étant donné que les auteurs sont des étudiants anglophones non experts, et que le public visé par ce texte est un enseignant/chercheur expert qui est censé connaitre les différentes publications citées, nous pouvons dire que (6) est l’exemple du niveau le plus accompli de fusion entre les voix auctoriale et externe, experte, dans lequel la position subjective et individuelle de l’auteur n’est plus discernable. Mori (2017) note que, dans des exemples de textes comme (6), l’utilisation de la monoglossie avec des citations « … crée une posture statique, établie… dont le principal ‘locuteur’ est la voix externe » (Mori, 2017, p. 13). Selon ce dernier, une convergence, voire une fusion de la voix auctoriale et des voix externes, est considérée comme moins efficace que l’utilisation de manière distincte des fonctions de reconnaissance et d’approbation, ou encore d’annonce. Ces emplois non amalgamés servent à rendre explicites les voix internes et externes, rendant ainsi le texte visible en tant que « discours ». Cependant, nous ne souhaitons pas tirer de conclusions définitives sur l’efficacité rhétorique de (6) dans la démonstration des connaissances des étudiants, en particulier dans le domaine des sciences naturelles, compte tenu de la prévalence de l’utilisation de ce type d’inclusion de la voix externe dans le corpus BAWE. De manière similaire à Hu et Wang (2014), nous soutenons que la convergence des voix auctoriale et externe dans (6) peut refléter l’approche épistémologique dans les sciences naturelles privilégiant les faits et la valeur de vérité sur la subjectivité des voix individuelles, qu’elles soient auctoriales ou externes.

5. Discussion

5.1. Le surinvestissement et les différences contrastives

35Notre première question de recherche ciblait les différences dans l’utilisation des ressources dites d’engagement contractives et expansives dans les deux sous‑corpus étudiés. La première tendance identifiée est la surutilisation d’engagement contractif dans les écrits des étudiants L2, en particulier dénégation et réfutation, qui peuvent parfois saturer l’espace discursif en détournant des positions que le lecteur est peu susceptible de soutenir (voir Swain, 2010). Nous avons vu que même lorsque les étudiants anglophones utilisent une densité similaire de marqueurs de désengagement, la provenance de ces détournements fait souvent référence à des voix externes, donnant ainsi une crédibilité à la nécessité de nier ou de réfuter des positions que le lecteur pourrait raisonnablement tenir.

36La deuxième question de recherche portait sur les différences dans l’utilisation des citations et de l’intégration de voix externes. Nous avons pu observer que les textes sélectionnés dans le corpus CarDiBioMed contiennent beaucoup moins de citations que le corpus BAWE. Même lorsque la voix externe est incluse dans un texte (CarDiBioMed), elle est immédiatement reléguée au second plan par l’assertivité de la voix auctoriale subjective. En revanche, on observe un nombre plus important de citations dans les textes issus du corpus BAWE, le plus souvent dans des phrases monoglossiques mais aussi dans toutes les fonctions d’engagement expansives et contractives.

37Enfin, en ce qui concerne la troisième question de recherche, portant sur le rapport des différences observées au positionnement interpersonnel de l’auteur vis‑à‑vis du lecteur et d’une communauté d’experts, nous avons observé dans les écrits des étudiants anglophones comment l’utilisation des ressources d’engagement se traduit à travers divers degrés d’intégration de la voix auctoriale avec des voix externes. Ce phénomène est particulièrement visible et évident dans l’utilisation des fonctions d’approbation et devient légèrement plus implicite dans l’utilisation de fonctions de reconnaissance. De plus, c’est dans l’utilisation de citations à la fin de propositions de types dénégation, réfutation ou monoglossique que la voix auctoriale et les voix externes se confondent le plus. Ce procédé signale une voix auctoriale peu assertive qui cherche non seulement à s’aligner mais aussi à s’intégrer dans le réseau de voix d’experts qui existent dans le domaine scientifique. En outre, l’inclusion de citations dans la dénégation et réfutation par les étudiants anglophones signale une préoccupation visant à limiter le potentiel de désalignement entre l’auteur et le lecteur en laissant entendre que la mécompréhension potentielle du lecteur est annulée ou contrée non pas par la voix auctoriale mais par une voix experte externe. Un tel recours à des voix externes pourrait être une caractéristique d’un bon texte d’étudiant dans les sciences naturelles où l’accent n’est pas mis sur l’identification du positionnement énonciatif clair. Bien que nous soyons d’accord avec l’observation de Mori (2017) selon laquelle le manque d’intégration de la voix externe à travers l’utilisation d’approbation ou de reconnaissance nuit au caractère dialogique du discours scientifique, nous ne plaidons pas pour l’intégration systématique de la voix externe comme sujet agentif d’une phrase contenant une citation ou une paraphrase dans le discours scientifique produit par des étudiants. Comme l’ont indiqué Hu et Wang (2014), dans les sciences naturelles, l’écrit étudiant pourrait légitimement utiliser des fonctions d’engagement contractives et des phrases complexes monoglossiques comprenant des citations afin de transmettre rapidement l’état de l’art et de démontrer que la voix auctoriale est informée et intégrée dans l’espace discursif expert à certains moments du développement de l’argumentation scientifique.

5.2. Les aspects didactiques

38Les implications pédagogiques des résultats présentés ici reposent sur deux compétences discursives : (i) celle de l’utilisation des différentes fonctions d’engagement, en particulier celles dites contractives, permettant à l’auteur de se positionner de manière appropriée vis‑à‑vis (du contenu) de son discours et (ii) celle permettant une intégration appropriée des voix externes dans les textes. Indépendamment des différents genres textuels relevant du discours scientifique, l’intégration d’autres voix est indispensable pour développer une posture d’auteur équilibrée et appropriée. Mori (2017) abonde dans ce sens et a montré dans son étude ethnographique que prendre en compte l’interaction avec la voix externe semble davantage aider un étudiant en langue étrangère que le fait d’examiner l’interaction entre de la voix auctoriale et celle du lecteur :

[…] rather than just looking at the interaction of the interaction of the authorial voice and reader (Hyland, 2005), considering the interaction with the external voice appeared to help Wes improve his writing. (Mori, 2017, p. 19)

39Ainsi, dans un cours de langue étrangère (à savoir, un cours de LANgues pour Spécialistes d’Autres Disciplines ou de spécialité), portant tout particulièrement sur le discours scientifique ou, de manière générale, sur le genre argumentatif, la sensibilisation à l’importance de la posture de l’auteur ne devrait pas être écartée au profit des aspects purement lexico-grammaticaux. Il nous parait important que les éléments linguistiques permettant d’actualiser un positionnement énonciatif typique du discours que l’on cherche à faire acquérir puissent être incorporés aux cours de langues, et ce, dès la première année de licence.

40Enfin, notre comparaison interculturelle a mis en lumière des influences culturelles inattendues qui ne peuvent être identifiées de manière satisfaisante que par le biais de ce type d’analyse contrastive basée sur corpus, ouvrant ainsi la voie à davantage de recherches sur la compréhension de l’origine de ces différences. Par exemple, cela soulève la question de savoir si les différences observées sont le résultat de pratiques d’enseignement explicites, ou, au contraire, de l’absence de telles pratiques, ainsi que de savoir si de telles différences coïncident avec la maitrise de la langue utilisée. Cela étant dit, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si les conclusions de cette étude sont généralisables à d’autres domaines disciplinaires, avec un corpus en L1 et L2 plus conséquent, tant dans les sciences humaines que dans les sciences naturelles, ainsi qu’à d’autres genres textuels et discursifs.

6. Conclusion

41L’analyse contrastive des corpus CarDiBioMed et BAWE, centrée sur l’utilisation des ressources d’engagement et l’intégration des voix externes, met en lumière des différences significatives dans les pratiques discursives des étudiants francophones et anglophones en contexte scientifique. D’une part, les étudiants francophones, évoluant dans une langue étrangère, tendent à surutiliser des ressources d’engagement contractif, marquant ainsi une forte affirmation de leur position énonciative. Cette tendance pourrait être attribuée à une insécurité linguistique ou à une interprétation erronée des normes scientifiques anglophones. D’autre part, les étudiants anglophones manifestent une plus grande intégration des voix expertes dans leurs écrits, notamment dans les sciences naturelles, où l’alignement entre la voix auctoriale et les voix externes est prépondérant.

42Ces résultats soulèvent des questions cruciales pour la didactique des langues de spécialité. Il devient impératif de développer des approches pédagogiques qui non seulement sensibilisent les étudiants aux nuances du positionnement énonciatif, mais aussi les guident dans l’intégration équilibrée des voix externes, en fonction des exigences discursives spécifiques de leurs disciplines. Les enseignants devraient encourager une utilisation réfléchie des ressources d’engagement, en aidant les étudiants à naviguer entre l’affirmation de leur voix et la reconnaissance des voix expertes, afin de produire des écrits scientifiques qui répondent aux standards internationaux tout en respectant les spécificités culturelles et linguistiques.

43En outre, les implications de cette étude vont au‑delà du cadre de l’enseignement des langues et touchent aux pratiques de recherche et de formation des futurs chercheurs. La compréhension des dynamiques interculturelles et interlinguistiques dans la construction du discours scientifique est essentielle pour préparer les étudiants à s’intégrer efficacement à la communauté scientifique internationale. Cette étude ouvre ainsi la voie à des recherches futures sur l’interaction entre les pratiques discursives, les cultures scientifiques et l’acquisition des compétences langagières en contexte multilingue.

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Notes

1 Tous les termes techniques relevant de la théorie de l’évaluation (Appraisal theory) sont cités en petites majuscules pour les distinguer de leur usage ordinaire. Notons également qu’ils constituent les étiquettes utilisées pour annoter le corpus d’étude.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. – Schématisation globale de la théorie de l’évaluation.
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Titre Figure 2. – Distribution normalisée des ressources d’engagement dans les deux corpus.
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Fichier image/jpeg, 186k
Titre Figure 3. – Distribution normalisée des ressources d’engagement par niveau d’étude.
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Titre Figure 4. – Aperçu des fonctions d’engagement comprenant une citation.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Clive E. Hamilton et Paul White, « Analyse contrastive des positionnements énonciatifs dans les écrits d’étudiants en sciences biomédicales et biologiques en anglais langue maternelle et langue étrangère »Lidil [En ligne], 70 | 2024, mis en ligne le 31 octobre 2024, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/13482 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12mlc

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Auteurs

Clive E. Hamilton

Université Paris Cité, CLILLAC-ARP
clive.hamilton@u-paris.fr

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Paul White

Université Sorbonne Nouvelle, LATTICE
paulbennettswhite@gmail.com

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