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Notes de lecture

Dominique Lagorgette, Pute. Histoire d’un mot et d’un stigmate

Paris, Éditions de la Découverte, 2024, 306 p.
Marta Saiz-Sánchez
Référence(s) :

Dominique Lagorgette, Pute. Histoire d’un mot et d’un stigmate, Paris, Éditions de la Découverte, 2024, 306 p.

Texte intégral

1L’ouvrage de Lagorgette, linguiste spécialiste de l’insulte et de la politesse historique, trace l’histoire du mot pute — et son corollaire putain — depuis ses origines latines jusqu’à nos jours, mais également celle de tant d’autres termes et expressions employés pour désigner spécifiquement les femmes avec une connotation sexuelle stigmatisante dans le but d’attaquer leurs mœurs ou les mœurs qu’on leur attribue. Le nombre de termes analysés ne cesse d’augmenter avec la lecture : salope, mérétrice, gigollette, ribaude, gonzesse, lorette, grue, pierreuse, paillarde, catin, etc. L’étude analyse également comment les institutions officielles, les collectivités défendant les travailleuses du sexe (depuis des positions différentes), et les travailleuses du sexe elles‑mêmes, se sont (ré-)approprié ces termes et concepts.

2Cet ouvrage est destiné à un public universitaire, étudiant ou enseignant, mais il est aussi tout à fait abordable par le grand public. En effet, les explications s’appuient sur un nombre important de travaux scientifiques de linguistes, sociologues, historiens ou juristes — entre autres —, sur des dictionnaires modernes et anciens, de la langue d’aujourd’hui et d’autrefois, et sur de nombreux documents administratifs, légaux, etc. Mais, en même temps, l’auteure éclaircit toutes les notions nécessaires au néophyte pour ne pas perdre le fil. Lagorgette adopte un ton plaisant, parfois ironique, en renvoyant à des éléments culturels contemporains, notamment à la musique ou aux « tribus urbaines » des xxe et xxie siècles. Dans les titres des différentes sous‑parties, le lecteur reconnaitra des expressions populaires ou proverbiales (On ne prête qu’aux riches) et des fragments littéraires ou poétiques (Jeanneton prend sa faucille). Le choix de ces titres insiste davantage sur l’omniprésence du lexique rattaché au terme pute dans la société et la culture actuelles.

3L’ouvrage est divisé en quatre parties et treize chapitres précédés d’une introduction qui établit le cadre de l’étude et définit les concepts essentiels comme stéréotype, insulte ou stigmate. La partie 1, consacrée spécifiquement aux termes pute et putain, compte trois chapitres où l’on explique leur étymologie reliée à la saleté et à l’ordure. L’auteure illustre ensuite le glissement sémantique vers la saleté morale et le lien avec la prostitution. Le troisième chapitre aborde les expressions renvoyant à la filiation rattachée à pute/putain (par exemple fils de pute).

4La deuxième et plus importante partie de l’ouvrage, Les mots du travail du sexe au fil du temps, compte cinq chapitres où est présenté un large éventail de termes « renvoyant aux travailleuses du sexe [et qui] peu[ven]t renvoyer à n’importe quelle femme, et inversement » (p. 79). On y trouve une brève réflexion sur ce qu’est la prostitution — abordée, notamment, sous l’angle de la classe sociale —, approfondie dans la troisième partie du livre. Sont explorées également toutes les expressions construites avec fille et femme (fillette, fille de vie, femme de petite vertu, femme légère, etc.) et tous les termes stéréotypés du champ lexical des animaux (poule, biche, castor, etc.) et des objets en rapport avec la prostitution et le sexe (trottin, chausson, etc.). À cela s’ajoutent les prénoms tels que Marguerite/Margot ou Jeanne/ton, qui peuvent s’employer aussi pour marquer « un jugement négatif sur le comportement sexuel » (p. 168), de même que les noms de personnages sacrés ou fictionnels comme amazone, nymphe, Dulcinée, etc. Dans cette partie, l’auteure présente le contexte d’apparition et d’usage de tous ces termes, en relevant les premières attestations et en corrigeant parfois les étymons attribués dans des travaux plus anciens, comme celui de gouine.

5La troisième partie compte trois chapitres et traite des différentes façons d’appréhender le termes pute/putain et prostituée, essentiellement, par différentes collectivités. Lagorgette montre comment les textes littéraires et juridiques, entre autres, ont censuré (ou non) ces mots tabous au cours de l’histoire. En plus d’analyser le caractère injurieux plus récent de ces termes, dans cette partie elle explique quels sont les enjeux linguistiques, sociaux et politiques du choix de personne prostituée face à prostituée. Les réflexions s’appuient sur les commentaires de dictionnaires et sur des textes de loi de différentes époques. Ici on trouve l’approfondissement de ce que différentes instances sociales entendent par prostitution. Le dernier chapitre de cette partie enquête sur la manière dont les travailleuses du sexe se désignent elles‑mêmes, en mettant en avant le procédé de retournement du stigmate qui leur permet d’assumer leur métier et de neutraliser la violence de l’insulte.

6La quatrième et dernière partie se divise en deux chapitres où l’on étudie des expressions figées associées aux travailleuses du sexe (langue de pute ou coup de pute). De nouveau, l’auteure analyse l’étymologie et les premières occurrences de ces expressions qui perpétuent le stéréotype de « femme criminelle » et « moralement déviante ». Cette partie finit avec une réflexion sur le caractère flexible de tous ces termes qui, dans certains contextes, peuvent être caressants ou servir d’insulte de solidarité. L’auteure analyse aussi le procédé de désémantisation qui permet l’emploi interjectif de putain et de putain de X.

7L’ouvrage se termine par une réflexion d’ordre linguistique sur l’usage que l’on fait (et que l’on a fait) du mot pute — et de toute sa famille lexicale — dans nos sociétés, ce qui permet de maintenir des stéréotypes stigmatisants envers les femmes. Les sources principales (dictionnaires, bases textuelles…) sont recensées dans les deux dernières pages du livre, en laissant la bibliographie spécialisée et la référence des œuvres littéraires dans les notes en bas de page au fil du texte.

8En définitive, Lagorgette dresse un panorama général et détaillé d’un champ lexical et sémantique extrêmement vaste d’une façon organisée, bien documentée, et qui permet une lecture fluide avec un enchainement d’idées naturel.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marta Saiz-Sánchez, « Dominique Lagorgette, Pute. Histoire d’un mot et d’un stigmate »Lidil [En ligne], 70 | 2024, mis en ligne le 31 octobre 2024, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/13220 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12lmk

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Auteur

Marta Saiz-Sánchez

Universidad Complutense de Madrid
marta.saiz@ucm.es

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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