Michèle Monte, La Parole du poème. Approche énonciative de la poésie de langue française (1900‑2020), avec une préface de Marc Dominicy
Michèle Monte, La Parole du poème. Approche énonciative de la poésie de langue française (19002020), avec une préface de Marc Dominicy, Paris, Classiques Garnier, coll. « Investigations stylistiques », 2022, 692 p.
Full text
1La Parole du poème propose une vaste étude de l’énonciation poétique, à partir d’un corpus de poèmes écrits en langue française depuis le début du xxe siècle jusqu’à nos jours. L’ouvrage intéressera aussi bien les linguistes qui travaillent sur des corpus poétiques que les stylisticiens et les littéraires. Si Monte place au cœur de son approche la question de l’énonciation, le livre aborde des aspects très divers de l’écriture poétique, avec la conviction que les configurations énonciatives s’articulent à toute une série de choix thématiques, syntaxiques, génériques, rythmiques.
2L’ouvrage est caractérisé par sa double assise théorique et empirique. Le cadre théorique est particulièrement explicite dans les deux premiers chapitres, qui posent des questions fondamentales parmi lesquelles la nature du lien entre l’organisation métrique, au sens large (incluant toutes les formes de parallélismes qu’on peut trouver dans le poème) et le sémantisme spécifique de la poésie. Ils s’interrogent également sur d’autres aspects très importants pour l’analyse des poèmes, comme la possibilité d’objectiver les processus d’interprétation de la poésie ; la place de celle‑ci dans l’ensemble des autres productions discursives ; l’importance à accorder, dans l’étude du poème, à ce qui relève de l’individuel et du collectif. Le livre articule les questions théoriques les plus larges avec des analyses de détail et des études de cas, une attention particulière étant accordée non pas seulement au texte, mais aussi au livre, auquel est consacré plus particulièrement le dernier chapitre. Les analyses sont l’occasion de citer abondamment les poèmes étudiés et ainsi de donner à lire de nombreux poètes, qui ne sont pas tous intégrés au canon et dont certains sont très contemporains. L’écriture de Monte, marquée par sa clarté et la ressaisie régulière des enjeux sous forme de synthèses conclusives, permet à son lecteur de suivre des analyses d’une grande précision, parfois ardues.
3L’une des originalités du travail de Monte est de reposer sur le désir d’aborder la poésie sous l’angle de l’effet qu’elle produit sur le lecteur, en se demandant ce que veut dire lire un texte comme un poème. L’introduction propose une définition au cœur de laquelle se trouvent le rapport à la langue et la place du lecteur : « peut être qualifiée de poétique une production qui met la mise en œuvre du langage à des fins esthétiques au cœur de son travail et qui attend du lecteur qu’il reconnaisse cette intention et y adapte sa lecture » (p. 22). C’est cette attention à la lecture qui amène Monte à défendre l’idée d’une gradualité de la poéticité et à proposer un modèle qui permet de situer les textes poétiques au sein de l’ensemble des productions textuelles, de « comparer des textes entre eux sous l’angle de l’effort interprétatif qui est demandé à leurs lecteurs » (p. 82). Ce modèle lui permet de renouveler les classifications des pratiques discursives, à la fois par la comparaison entre discours littéraires et non littéraires et par une redéfinition de la spécificité de la poésie au sein des autres productions verbales à finalité esthétique (roman, théâtre, etc.). La manière dont elle étudie l’éthos, comme effet du texte en lien avec la scénographie, est également centrée sur l’interaction avec le lecteur, par l’intermédiaire de la notion de contrat de communication et de pacte de lecture poétique.
4La poésie est abordée avec les outils de la linguistique énonciative, tout particulièrement dans l’ensemble que dessinent les chapitres 4 à 6, qui convainquent du bien‑fondé d’une approche énonciative de la poésie. Monte propose une modélisation de l’énonciation poétique, fondée sur la distinction entre sujet biographique, énonciateur textuel et locuteurs représentés, dont éventuellement le locuteur premier en je qu’on désigne souvent comme le « sujet lyrique ». La notion d’énonciateur textuel, qui fonctionne de manière analogue à celle de narrateur pour le récit, est la plus complexe à saisir, d’autant qu’elle se construit à l’échelle du livre et non du poème isolé, mais elle est très pertinente. Ces chapitres examinent le fonctionnement spécifique dans la poésie de certains marqueurs, comme les pronoms personnels, les temps verbaux et les déterminants, et comprennent des études très éclairantes sur le fonctionnement de l’apostrophe en poésie, ainsi que de l’interjection « ô », entre vocatif et exclamatif.
5Si l’approche énonciative n’a pas assez de place dans l’étude de la poésie, l’analyse de l’argumentation et du dialogisme en a encore moins, et les développements qui y sont consacrés, en particulier dans les chapitres 7 à 9, montrent l’intérêt que la stylistique de la poésie peut avoir à se saisir des outils élaborés dans les champs de l’étude de la représentation des discours autres et de l’analyse de discours. Monte affirme que « tout poème possède une dimension argumentative », s’inscrivant en faux « contre une conception du poème qui le réduirait à n’agir que sur notre émotion et notre sensibilité » (p. 389). Le chapitre dédié à l’étude de la confrontation des points de vue dans le poème est particulièrement stimulant, notamment lorsqu’est abordé le positionnement de l’énonciateur textuel face à ses personnages, qui peut s’effacer tout en adoptant une posture de sur ou de sous‑énonciation, qui peut entrer en consonnance ou dissonance avec les discours et points de vue représentés. L’analyse du dialogisme interdiscursif permet en outre d’aborder des questions centrales pour l’analyse stylistique de la poésie, comme celle de l’intertextualité, ou encore certaines figures, comme l’oxymore, des plans de texte, comme le sonnet, ou encore des registres, comme l’épidictique.
6On ressort ainsi de la lecture de La Parole du poème non seulement avec un nouveau regard sur les interactions discursives qui se jouent dans le poème, mais aussi avec des outils, un appareil d’analyse et une méthodologie mobilisables pour analyser d’autres poèmes de la période contemporaine.
References
Electronic reference
Pascale Roux, “Michèle Monte, La Parole du poème. Approche énonciative de la poésie de langue française (1900‑2020), avec une préface de Marc Dominicy”, Lidil [Online], 69 | 2024, Online since 01 May 2024, connection on 11 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/12549; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.12549
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