Chachou Ibtissem, Introduction à l’histoire des langues en Algérie
Chachou Ibtissem, Introduction à l’histoire des langues en Algérie, Éd. El‑Hibr, 2023, 180 p.
Full text
1Ibtissem Chachou n’en est pas à son coup d’essai avec son Introduction à l’histoire des langues en Algérie, mais c’est à coup sûr un coup de maitre — si on nous permet de parodier Corneille. Ses travaux, déjà fondateurs pour la sociolinguistique algérienne (cf. La situation sociolinguistique de l’Algérie, L’Harmattan, 2013 ; Sociolinguistique du Maghreb, Hibr Éditions, 2018 ; Pour un plurilinguisme algérien intégré (dir.), Riveneuve éd., 2016 ; Langues et dynamiques urbaines au Maghreb, Hibr Éditions, 2020.) sont guidés par deux exigences permanentes : aller plus loin dans la connaissance linguistique de son pays et diffuser au plus grand nombre les résultats de ses investigations, pour participer à la construction d’une « Algérie belle et plurielle » comme elle l’écrit dans la page « Dédicace » (p. 5) de son ouvrage.
2C’est donc dans un style clair et loin des jargons qu’elle fait part au lecteur de ses découvertes et des conclusions, toujours modestement présentées comme provisoires et incomplètes (p. 21), qu’elle tire. Son but est d’éclairer la situation linguistique actuelle de l’Algérie (et éventuellement des zones qui l’entourent) par une vision diachronique de ses langues, de leur installation sur le territoire et de leurs rencontres. Elle tente de construire une histoire, loin des mythes ou des récits souvent déformés par les intentions idéologiques, conscientes ou inconscientes, de leurs auteurs. Elle avait déjà adopté la même démarche dans son article publié en 2018, « Le mythe de la tamazighisation… » (cf. Timsal n Tamazight, no 9, CNPLET, Alger) et souligne elle‑même que son ouvrage « s’inscrit dans la continuité de [ses] travaux sur les langues en Algérie et au Maghreb » (p. 17) qui décrivent « la complexité des situations, des pratiques et des représentations sociolinguistiques ». Pour cela, elle se livre à une véritable enquête, documentaire d’abord (15 pages de bibliographie) et interdisciplinaire, où la linguistique côtoie l’histoire, l’anthropologie, la sociologie ou la linguistique. Puis, elle va à la recherche de toute trace des langues en usage au cours des siècles sur le territoire actuellement algérien : stèles historiques, inscriptions de cimetières, témoignages, travail sur les toponymes, les noms propres, récits historiques ou littéraires, étude des alphabets et des écritures, traces musicales, etc. De ce puzzle pluriel, elle tire des résultats étonnants qui nous sortent de l’enlisement simplificateur, trop répété et limité dans le temps, des berbères / arabes / français, des « stéréotypes et raccourcis », pour nous donner à voir une diversité réjouissante depuis le paléolithique (p. 23) où s’enracine son premier chapitre.
3Des Berbères évoqués dans les textes égyptiens, en passant par la langue et l’alphabet lybiques (p. 35 et suiv.) des siècles avant J.‑C., puis le punique dans ses rencontres avec le grec et la latin, Chachou nous entraine peu à peu vers les parlers pré‑hilalien et hilalien qui seraient le berceau de l’arabe maghrébin (p. 107). Nous la suivons dans la complexité des luttes, mélanges, des dominations linguistiques et/ou militaires qui animent le Maghreb et ses environs depuis que des populations s’y succèdent : elle s’attarde sur la phase d’arabisation (pages 107 et suiv.), évoque l’arrivée de langues et populations non natives à partir du xve siècle de notre ère (dont les Turcs), qui déstabilisent la région pour arriver à la lingua franca méditerranéenne (p. 127), véhiculaire et décrite, suivant Jocelyne Dakhlia, comme un « mixe de plusieurs langues romanes » (p. 131). Sa dévalorisation initie celle de tous les parlers « mélangés » ou composites, sabirs, patois et autres, et nous mène à (ou explique ?) l’arrivée du français colonisateur et de son prestige ambigu. Le chapitre qui lui est consacré met en valeur, dans ses variétés, son double statut de langue des contre-pouvoirs politiques et de l’ascension sociale et pose des questions actuelles : l’Algérie va‑t‑elle vers un « plurilinguisme positif » (p. 148) ? Quelles devraient ou pourraient être les « langues de l’école » (p. 147 et suiv.) ? La sociolinguiste souhaite surtout qu’on « en finisse avec les pièges de la diglossie » (p. 149) pour aller vers une « décolonisation des savoirs » (p. 151 et suiv.). Gageons que son ouvrage et ses travaux en général vont dans ce sens et que les savoirs mis au jour aideront peut‑être à éviter de futures aliénations.
4Louis-Jean Calvet souligne dans sa préface combien le « roman national » (p. 11) construit précédemment en Algérie et notre discipline, la sociolinguistique, ont à gagner dans la lecture de cette étude sérieuse et documentée. Car elle a « l’immense mérite d’ouvrir un débat qui ne concerne pas que son pays » (p. 15). Ce livre est donc utile, non seulement à celles et ceux qui veulent s’éloigner du « roman national » idéologique de l’Algérie pour construire une histoire basée sur des « sources indiscutables » (Calvet), mais aussi à tous les chercheur·e·s, dans quelque contexte que ce soit, se méfiant de démarches relevant davantage d’un nouveau « savoir colonial » insidieux que de dialogues scientifiques féconds.
References
Electronic reference
Marielle Rispail, “Chachou Ibtissem, Introduction à l’histoire des langues en Algérie”, Lidil [Online], 69 | 2024, Online since 01 May 2024, connection on 10 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/12539; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.12539
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