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Notes de lecture

Béatrice Turpin, Gabriela Patiño-Lakatos et Laurence Aubry (dir.), Les discours meurtriers aujourd’hui

Peter Lang, coll. « Comparatisme & Société », no 44, 2022, 372 p.
Sílvia Melo-Pfeifer
Référence(s) :

Béatrice Turpin, Gabriela Patiño-Lakatos et Laurence Aubry (dir.), Les discours meurtriers aujourd’hui, Peter Lang, coll. « Comparatisme & Société », no 44, 2022, 372 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage est le résultat du colloque homonyme de Cerisy-la-Salle (en juillet 2018), qui a eu pour but d’analyser, à l’aide de l’analyse critique du discours et d’une perspective multi et interdisciplinaire, les discours de haine et de l’extrémisme faisant appel à la violence et à l’anéantissement de l’Autre. Les auteurs sont affiliés à la philosophie, à l’histoire — notamment des religions —, au droit, à la psychanalyse, aux sciences du langage et la linguistique, aux études littéraires, aux sciences politiques et aux sciences de la communication, parmi d’autres disciplines.

2Puisque discours et action peuvent s’entremêler, l’un menant à l’autre de façon récursive et même circulaire, les auteurs se penchent sur différentes formes d’actes de parole violents, s’appuyant sur les théories de la performativité du langage. Selon les auteurs, les actes de parole violents renferment un potentiel d’accomplissement d’une action violente, contenant une valeur illocutoire et perlocutoire — et ceci sans entrer dans la violence symbolique —, si l’on prend en compte les théories d’Austin, dans son ouvrage de référence de 1962 How to Do Things with Words.

3Que ce soit intentionnel ou non, les différents chapitres rappellent à l’esprit une intertextualité : celle des identités meurtrières, par la plume d’Amin Maalouf, en 1998. Dans ce livre, Maalouf explique que ce n’est pas la différence qui fait qu’une identité devient dangereuse et meurtrière, mais l’auto-réduction — ou une réduction imposée — à des aspects spécifiques de l’identité, que ce soit la race, la religion, la langue ou un autre. Cette idée peut, en effet, être transposée vers cet ouvrage dirigé par Béatrice Turpin, Gabriela Patiño-Lakatos et Laurence Aubry, puisqu’il inclut des chapitres traitant de différents traits identitaires qui déclenchent des passions violentes ancrées sur des aspects identitaires ressentis socialement comme saillants, irréconciliables et absolus.

4L’élément déclencheur de discours de haine le plus présent dans les chapitres constituant cet ouvrage est la religion, surtout dans les parties 1, « Discours meurtriers et djihadisme contemporain », et 2, « Réponses institutionnelles et contre-discours ». Toutefois, même si le discours violent à nature religieuse/djihadiste est le domaine le plus présent, d’autres idéologies sont appelées à l’analyse, par la comparaison des mécanismes de manipulation, la construction des arguments et des justifications de l’appel à la violence. C’est ainsi que les discours de l’extrême droite actuelle ou du nazisme, par exemple, viennent enrichir les analyses, donnant à voir les traits de famille — et, malheureusement, la pérennité — de ces discours. La partie 3, « Discours meurtriers, violences et constructions identitaires », diversifie les contextes et les discours meurtriers analysés, montrant les transversalités, voire le dialogisme et l’intertextualité, qui traversent ces discours, au‑delà même des idéologies, des contextes géopolitiques et des langues considérés par les analystes. Dans cette troisième partie, c’est le langage du IIIe Reich en Allemagne qui prend plus de relevance, à la lumière de la tradition analytique de Klemperer, l’un des auteurs inspirant cet ouvrage. Cette partie est riche en analyse non simplement linguistique et discursive mais aussi multimodale, illustrant à quel point d’autres ressources sémiotiques participent activement à la co‑construction et circulation — également à la propagation dite « virale » — des discours de haine.

5Si plusieurs auteurs analysent la « “contamination” de la langue par l’idéologie et son emprise sur les esprits » (p. 14), dans le sens de déchiffrer le langage de l’extrémisme — et plus fréquemment, l’extrémisme religieux —, d’autres s’appliquent à démontrer la difficulté à distinguer les discours meurtriers du contre-discours et du discours dit de résistance. Les uns et les autres déploient de la violence verbale pouvant mener à la performativité, le passage à l’acte violent.

6En résumé, il s’agit d’un ouvrage de référence dans le domaine de l’analyse des discours de haine, et il est possible de transférer nombre des méthodologies d’analyse, de constitution de corpus, de réflexions théoriques et/ou de résultats empiriques au domaine d’autres discours, genres et contextes géopolitiques, idéologiques, linguistiques et culturels. En raison de l’actualité du sujet et de l’inquiétude croissante suscitée par la diffusion de fake news contre les minorités ou les représentants d’idéologies concurrentes — en plus des fake news sur le changement climatique, les conflits internationaux et d’autres questions actuelles —, ce livre intéressera tous les chercheurs et lecteurs désireux de comprendre la structure des discours (multimodaux) manipulateurs et les stratégies de manipulation médiatisées par le langage (sélection lexicale, structures syntaxiques, etc.).

7À mon avis, et en raison de ma propre formation professionnelle, il ne manque à cet ouvrage qu’une approche pédagogique et didactique de ce type de discours pour tenter de rendre les citoyens, à commencer par ceux qui fréquentent encore l’école, plus conscients des mécanismes de manipulation. La capacité à déconstruire et à décortiquer ces discours devrait faire partie de la littéracie médiatique et digitale du citoyen, le rendant plus résistant face à l’émergence de nouveaux thèmes clivants — comme furent la pandémie Covid et les vaccins, par exemple —, de nouvelles formes de discours meurtriers et de leur circulation et production (notamment l’intelligence artificielle).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sílvia Melo-Pfeifer, « Béatrice Turpin, Gabriela Patiño-Lakatos et Laurence Aubry (dir.), Les discours meurtriers aujourd’hui »Lidil [En ligne], 69 | 2024, mis en ligne le 01 mai 2024, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/12504 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.12504

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