Enseigner avec l’Approche neurolinguistique. Quel apport pour l’apprentissage des langues ?
Leila Messaoudi, Les technolectes : des traits identificatoires aux types savants et ordinaires en contexte plurilingue
Leila Messaoudi, Les technolectes : des traits identificatoires aux types savants et ordinaires en contexte plurilingue, préface de Pierre Lerat, Rabat, Imprimerie Rabatnet, 2023, 193 p.
Full text
1L’ouvrage semble modeste : 193 pages, titre en minuscules sur fond uniforme, nom de l’auteure en petits caractères en haut de la couverture, sans compter l’expression « elle a dirigé plusieurs thèses » en quatrième de couverture, pour qualifier une des plus grandes sociolinguistes et directrices de recherche du Maroc. Mais le contenu rassemble le travail dynamique et novateur de toute une vie, mis avec générosité à la portée des « jeunes chercheurs » et de ce ceux « qui privilégient la recherche de terrain ». Tout est dit dans ce grand écart à la fois éthique et méthodologique.
2Le vocable volontairement humble de « technolectes » dont il est question, choisi parmi d’autres possibles, désigne en fait une reconnaissance de la variation linguistique sous toutes ses formes, étudiée avec minutie dans des contextes professionnels ou sociaux variés. La page 93 en résume l’essentiel : « Les technolectes sont conçus comme des ensembles langagiers spécifiques, propres à des domaines qui renvoient aux sphères de l’activité humaine. Ils peuvent désigner une situation ordinaire de la vie quotidienne ou spécialisée, dans un laboratoire, une salle de cours, un atelier de mécanique automobile, une clinique, un tribunal, etc. » Cet extrait souligne l’aspect éminemment socio-politique du travail de Leila Messaoudi, et sa volonté de donner à chaque situation sociale et à ses interlocuteurs l’attention et la dignité qu’ils méritent. Elle s’en explique en interdisant à la posture scientifique toute hiérarchisation entre « langues savantes ou ordinaires » et en décelant dans chacune des variétés étudiées une faculté de création et d’adéquation aux besoins de communication observés. Car le technolecte n’est pas une « langue spécialisée » ou un jargon, mais bien une adaptation de la « langue générale » à des circonstances précises partagées. Dans cette optique, il est adaptable, mouvant et dynamique (cf. p. 69) dans la mesure où il adopte les modalités écrite et orale et peut témoigner sans complexe de la rencontre d’autres langues. Le technolecte s’inscrit donc dans le paradigme du plurilinguisme, comme le stipule le sous‑titre de l’ouvrage.
3Peaufinée par l’auteure au fil des années, la notion a émergé puis s’est enrichie suivant des enquêtes de terrain fines et qu’on devine passionnées : les exemples qu’elle en tire émaillent le texte et mettent au même plan des « activités humaines » telles qu’un atelier de menuiserie ou un cabinet dentaire (p. 74). On comprend par ce qui précède (trop court pour rendre compte de toute la richesse de l’ouvrage) que l’ouvrage s’appuie sur une construction rigoureuse et argumentée. La première partie (p. 21‑87) a un but définitoire et part d’un historique détaillé où l’auteure situe ses recherches et choix terminologiques dans la lignée de Ladmiral et Wandruzka qui auraient utilisé le terme pour la première fois en 1972 jusqu’à la différenciation utile avec des termes proches (argot, jargon, etc.). On en retiendra particulièrement deux passages éclairants : la différence entre technolecte et sociolecte (« système linguistique d’un groupe social » d’après Bavoux) qui met l’accent, dans le premier cas, sur l’activité sociale plus que sur le groupe humain qui l’exerce ; et le choix du mot « domaine », longuement explicité pour le distinguer de discipline, secteur ou champ, qui débouche sur la remise en question de nos disciplines académiques et de leur découpage.
4La deuxième partie de l’ouvrage (p. 93‑127) fait la part belle au versant linguistique des technolectes : catégories traditionnelles s’y conjuguent avec ce que Messaoudi appelle des « procédés formels » ou « non formels », construisant un système complet d’observation et de description, à la fois outil et objet d’étude. C’est le centre de l’ouvrage, démontrant si besoin était, combien un socle linguistique et même grammatical solide est utile, voire indispensable, pour qui prétend étudier des faits sociolinguistiques. Truffée d’exemples convaincants, elle est d’un côté une démonstration de la façon dont travaille la chercheuse (grilles d’analyse comprises), guidée de question en question (p. 129 par exemple) sur un chemin jamais balisé d’avance, et de l’autre une pépinière d’interrogations nouvelles pour les recherches technolectales.
5On termine avec une troisième partie (p. 139‑164), plus rapide, qui insiste, avec la conclusion générale, sur les perspectives ouvertes par la réflexion technolectale : exemples de 3 enquêtes menées récemment, utilité théorique et concrète du concept (pour les usagers, les formateurs, les enseignants, les chercheurs), suggestion de recherches futures (exploiter la part interactionnelle des technolectes). Pour « clore l’ouvrage sans clôturer la réflexion » pour reprendre les mots de Messaoudi, on peut insister, grâce aux pratiques plurilingues, sur l’intérêt de prendre en compte les technolectes « ordinaires », souvent exprimés en vernaculaire (au Maroc arabe dialectal, variétés d’amazighe, etc.) pour les préserver, voire les promouvoir, et répondre par là aux « besoins des populations » qui en font usage et, entre autres, à la « connaissance des savoirs paysans » ou des « métiers traditionnels » — sans oublier le e‑learning. Aider à l’insertion des jeunes dans tel ou tel domaine professionnel de leur choix est un des prolongements engagés par le processus technolectal.
References
Electronic reference
Marielle Rispail, “Leila Messaoudi, Les technolectes : des traits identificatoires aux types savants et ordinaires en contexte plurilingue”, Lidil [Online], 68 | 2023, Online since 31 October 2023, connection on 09 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/12069; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.12069
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