Véronique Lemoine-Bresson et Virginie Trémion, Les cultures à l’école
Véronique Lemoine-Bresson et Virginie Trémion, Les cultures à l’école, Paris, Retz, coll. « Mythes et réalités », 2022, 160 p.
Full text
1Comme il est d’usage dans cette collection dirigée par Tricot (professeur de psychologie cognitive), l’ouvrage s’intéresse aux mythes liés à un thème. Les auteures, Lemoine-Bresson et Trémion, maîtresses de conférences en didactique des langues et des cultures, se penchent ici sur les « cultures à l’école », à travers 8 questions, dans un livre de 160 pages.
2Les mythes (aux titres parfois humoristiques tel « Avec Diego, on apprend le vrai espagnol ») sont analysés un par un, en suivant un schéma en 4 étapes (introduction, bilan des travaux scientifiques, exemples, conclusion/synthèse). À la fin du livre, une bibliographie (11 pages de travaux majoritairement en français et en anglais) permet d’approfondir les éléments évoqués dans le texte.
3Les auteures, par le choix du mot « cultures » au pluriel dans plusieurs chapitres, rejettent déterminisme et culturalisme, et se situent dans une logique où les cultures sont des réalités ethnologiques complexes. Ainsi s’interrogent‑elles sur la notion de tolérance (mythe 1), de comparaison (mythe 3), de compréhension grâce au voyage scolaire (mythe 5) et des « festivités à teneur exotique ou folklorique » (mythe 7). Dans tous ces cas, elles invitent à relativiser les concepts et à réfléchir aux moyens didactiques et pédagogiques pour questionner les représentations à l’œuvre. Il s’agit de passer « d’un discours idyllique à un discours critique » (p. 25), c’est-à-dire réfléchi et réflexif, qui implique tant l’enseignant que les apprenants. La conception interculturelle qui est développée par les chercheuses se place du côté de l’altérité, du sujet pluriel, ce qui implique de penser les relations en termes contradictoires et complexes. Il y a aussi une dimension dynamique à prendre en compte : « le groupe est le résultat d’interactions sociales et d’interdépendances » (p. 54), écrivent‑elles.
4Trois autres chapitres portent sur des sujets qui sont au cœur des théories et pratiques de classe. Le premier (mythe 2) met en avant le plurilinguisme et interroge « la classe comme une entité monolingue et monoculturelle [qui] repose sur une conception de l’être humain comme archétype d’une seule langue et d’une seule culture » (p. 39). Il invite à passer à une « éducation aux langues et aux cultures » (p. 39), en se référant notamment aux travaux du CARAP (cadre de référence pour les approches plurielles), mais en laissant de côté les obstacles — pédagogiques, institutionnels, politiques, organisationnels, etc. — à ces approches. Le second (mythe 4) porte sur l’usage du stéréotype en classe, sur sa « fonction dynamique ». Il invite les lecteurs à se méfier du « phénomène d’essentialisation » (p. 73) et à ne pas tomber dans « la posture morale “les stéréotypes, c’est mal !” » (p. 74), qui est peu propice à un travail de réflexion en classe. Le troisième (mythe 6) étudie le recours au numérique comme fenêtre sur le monde car il est « aujourd’hui omniprésent à l’école » (p. 90), même s’il renvoie pourtant à des questionnements assez anciens en didactique des langues et des cultures. Les travaux cités poussent à relativiser des dispositifs souvent mis en avant par le ministère ou les corps d’inspection, tels l’e‑Twinning, la mobilité virtuelle. En effet, ils ne doivent pas occulter la possible confrontation avec l’Autre : « le contact provoque des tensions, des ruptures, des désaccords », rappellent les chercheuses (p. 101).
5Enfin, le dernier chapitre (mythe 8) interroge la notion de « diversité culturelle » (qui transcende peut‑être les autres), en expliquant qu’elle « est éminemment idéologique et politique » (p. 122). Après avoir rappelé les limites de l’opposition interculturalisme/multiculturalisme et égalité/diversité, les auteures font référence aux travaux d’Ogay et Edelmann (2011) qui plaident pour que les deux valeurs soient prises « comme deux pôles dans une relation de tension […] positive » afin de chercher un « équilibre » (p. 127). Elles en citent aussi d’autres qui remettent en cause la notion même de diversité. Elles évoquent enfin le fait que « l’enseignant peut également s’interroger sur son propre rapport à la question de la diversité et mesurer son degré d’attirance ou de repoussement des élèves aux cultures différentes » (p. 137).
6Cela nous permet de souligner qu’un neuvième mythe aurait pu être traité : celui des cultures de l’enseignant (personnelle, professionnelle, individuelle, commune, respectée et/ou questionnée, etc.) qui entre forcément « en interaction » avec les cultures des apprenants, même si d’aucuns diront que cette culture est celle qui constitue le fil conducteur de l’ouvrage, toutes les questions soulevées par chaque mythe invitant de fait à la réflexion sur la pratique enseignante. Les cultures régionales auraient également pu trouver leur place dans cet ouvrage, car elles posent des questions à la fois communes et différentes à celles soulevées par les cultures étrangères.
7Même s’ils ne sont pas explicitement destinataires de ce livre (écrit dans un style accessible et clair), les enseignants de langues vivantes étrangères trouveront de nombreuses références à leur quotidien professionnel, y compris aux injonctions paradoxales qui leur sont faites, par exemple, celle décrite par Auger et Zoïa (2020) qui pointent la demande contradictoire d’« accueillir et ignorer la diversité linguistique et culturelle » (p. 119). Ils trouveront également des outils pour relativiser certaines recommandations pédagogiques actuelles et des pistes de réflexion sur leurs pratiques car, comme les auteures l’écrivent dans la conclusion, l’objectif de cet ouvrage est de « nous interroger sur nos propres représentations », « sortir de la culpabilisation à avoir des stéréotypes sur autrui », construire « une école accueillante pour les cultures » (p. 141‑142). Or, cela ne peut effectivement pas se faire sans déconstruire quelques idées reçues et diffusées, tant dans l’opinion qu’à l’École.
References
Electronic reference
Marc Rollin, “Véronique Lemoine-Bresson et Virginie Trémion, Les cultures à l’école”, Lidil [Online], 67 | 2023, Online since 24 April 2023, connection on 04 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/11485; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.11485
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