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Notes de lecture

Cyril Trimaille, Christophe Pereira, Karima Ziamari et Médéric Gasquet-Cyrus, Sociolinguistique des pratiques langagières de jeunes. Faire genre, faire style, faire groupe autour de la Méditerranée

Grenoble, UGA Éditions, 2020, 218 p.
Gudrun Ledegen
Référence(s) :

Cyril Trimaille, Christophe Pereira, Karima Ziamari et Médéric Gasquet-Cyrus, Sociolinguistique des pratiques langagières de jeunes. Faire genre, faire style, faire groupe autour de la Méditerranée, Grenoble, UGA Éditions, 2020, 218 p.

Texte intégral

1L’ouvrage porte sur divers aspects des usages juvéniles qui sont analysés linguistiquement et sociolinguistiquement ; il réunit des chercheures et chercheurs avec des ancrages disciplinaires complémentaires — sociolinguistique, dialectologie arabe et anthropologie linguistique — sur les terrains du Maroc, de la Libye et de la France approchés de façon comparative et contrastée : les contextes sociaux et idéologiques y produisent des positionnements et des identités différents, en particulier en ce qui concerne les relations de genre.

2L’ouvrage est organisé en une introduction par Cyril Trimaille, et quatre chapitres : le premier intitulé Matériaux d’enquêtes autour des « usages jeunes » dans quatre villes marocaines. Casablanca, Meknès, Tétouan, Marrakech, coécrit par Karima Ziamari, Dominique Caubet, Catherine Miller et Angeles Vicente ; le deuxième portant comme titre La construction socio-langagière du genre : jeunes hommes libyens, jeunes femmes marocaines et rapport à la masculinité, cosigné par Claudine Moïse, Christophe Pereira, Angeles Vicente et Karima Ziamari ; le troisième par Cécile Evers, intitulé Parler « payot » vs « castellanois ». Pratiques vernaculaires, insultes de genre et contrôle social entre jeunes des quartiers nord de Marseille et enfin, le quatrième au titre « C’est celui qui le dit qui l’est ». Interactions adolescentes et expression de soi, sous les plumes de Laurence Buson, Claudine Moïse et Cyril Trimaille. Les analyses sont pour les trois premiers chapitres menés au prisme du genre, donnant une intéressante comparaison entre les terrains et les études, d’autant que la majorité des corpus oraux (et écrits numériques pour le chapitre 1) ont été obtenus dans des contextes de proximité ou d’interactions assez libres.

3Le chapitre 1 présente donc des pratiques de jeunes au Maroc des années 2000 dans quatre villes. Les auteurs étudient un grand nombre d’aspects linguistiques (phonétique, lexique, syntaxe, pragmatique et contacts de langue avec les dialectes locaux et l’espagnol au nord) : ainsi, le fort intéressant terme bogos, du français beau gosse, « un beau mec », qui se déploie au féminin mais aussi sous forme de verbe, ou encore l’instructive étude des jeux de rime attestant d’une grande habileté verbale, laquelle s’inscrit dans la tradition orale très ancrée dans la société marocaine. Le point 4 réunit des remarques sociolinguistiques fort judicieuses sur les traits exposés auparavant, qui confèrent un caractère « viril », « rugueux » à l’« accent jeune », aussi bien chez les garçons que chez les filles. À noter, la difficile distinction entre « parler populaire » et « parler jeune » pointée ici, qui sera travaillée plus en avant dans le chapitre 3.

4Le deuxième chapitre ouvre sur un état de la littérature concernant les études en sciences du langage concernant le masculin en passant en revue les études féministes et interactionnelles ; il étudie à l’aune de ces approches les pratiques de jeunes hommes libyens et de jeunes femmes marocaines. Les traits linguistiques étudiés reprennent ceux du chapitre 1 mais sont ici examinés à l’aune du genre : révélant « une identité contrainte par une société traditionnelle, et un manque de liberté sexuelle » (p. 114), certains jeunes hommes libyens, en employant un grand nombre de mots tabous (sexuels et religieux) et d’obscénités, afin de parler de manière virile. De façon parallèle, certaines jeunes femmes marocaines, transgressant les normes attendues, s’approprient cette même catégorie pour sortir des assignations attendues de la féminité, dans un usage transgressif d’émancipation : elles reprennent les traits de prononciation « rudes », ou utilisent le genre masculin pour désigner des femmes, participant ainsi « à la reproduction et au maintien du statut de la langue des hommes en tant que langue dominante » (p. 115). Ce dernier trait est toutefois aussi attesté en France et en Belgique francophone, comme le montre la recherche d’Anne Dister et de Sonia Branca-Rosoff, Le masculin et le féminin dans la désignation des référents humains (colloque d’hommage à Claire Blanche-Benveniste à Nancy en octobre 2021).

5Le troisième chapitre, sous la plume de Cécile Evers, présente la recherche ethnographique qu’elle a menée en 2012‑2013 dans les cités de la Castellane et de la Bricarde, proches de Marseille : elle concerne l’utilisation de la langue par les jeunes pour se positionner en matière de classe sociale, de genre, de sexualité et d’ethnicité. Après un état de la littérature présentant concepts et notions de façon très claire et vaste, l’auteure étudie différents phénomènes de crossing, jouant sur les identités ethniques d’une part, autour du parler « castellanois ». L’auteure travaille par le menu le parallèle entre cette « dureté » performée et « les contrastes symboliques qui existent depuis longtemps au sein de la classe laborieuse française (Bourdieu, 1977) ». D’autre part, elle étudie un deuxième cas de crossing avec des pratiques sollicitant le français plus standard (« payot ») : ces dernières se révèlent associées à des stéréotypes rejetés, tout en pouvant être adoptés par les jeunes de façon stratégique.

6Le dernier chapitre présente une analyse micro-sociolinguistique de divers procédés discursifs et interactionnels à l’œuvre dans les pratiques langagières de jeunes « lambda ». Les éléments de variation attestés (niveaux phonétique et discursif) relèvent avant tout des caractéristiques des usages oraux polygérés, en proximité sociale. L’étude porte sur la fin de la discussion entre trois adolescentes de 4e et un assistant d’éducation (y sont analysées une conversation, une narration et une stylisation parodique), et identifie quelques éléments potentiellement caractéristiques des interactions adolescentes.

7L’ouvrage est complété de plusieurs outils facilitant sa consultation : des annexes réunissant la table des conventions de transcription communes, les transcriptions des trois sous-corpus et des tableaux du chapitre 4 ; enfin une riche bibliographie commune de 297 titres et une table des matières détaillée. La quatrième de couverture résume les caractéristiques des usages sociolinguistiques des jeunes examinés ici sous les termes « expressivité » et « rudesse », qui sont certes le fil rouge qui traverse les trois premiers chapitres, mais les leçons à tirer de cet ouvrage débordent largement de ces constats : il constitue une description intéressante et vaste de terrains non explorés à ce jour, met à distance critique la notion de « parlers jeunes » et du genre, par d’amples états de la littérature très instructifs, ouvre sur des considérations sociologiques incontournables dans l’étude des pratiques indispensablement situées, et repositionne les pratiques de jeunes dans leurs répertoires divers qui s’inscrivent de façon partagée dans une pratique « ordinaire », élément qu’on a pu perdre de vue auparavant dans la recherche des particularismes. Un ouvrage à mettre dans toutes les mains sociolinguistiques.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gudrun Ledegen, « Cyril Trimaille, Christophe Pereira, Karima Ziamari et Médéric Gasquet-Cyrus, Sociolinguistique des pratiques langagières de jeunes. Faire genre, faire style, faire groupe autour de la Méditerranée »Lidil [En ligne], 67 | 2023, mis en ligne le 24 avril 2023, consulté le 04 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/11449 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.11449

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Auteur

Gudrun Ledegen

Université Rennes 2, PREFICS

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