1Les facteurs temporels ont été largement étudiés au siècle dernier avec, tout d’abord, de nombreuses recherches portant sur l’existence ou non d’un âge critique pour l’apprentissage d’une langue étrangère (voir Birdsong, 2018 pour une synthèse). D’autres travaux se sont intéressés au cheminement de l’apprenant, et plus particulièrement à son rythme d’appropriation de structures présentées pendant des formations en langues (Larsen-Freeman & Cameron, 2008 ; Serrano, 2011). Malheureusement, toutes ces études pénètrent assez peu dans la salle de classe et les programmes de formation restent calqués sur des référentiels souvent rigides qui anticipent la plupart du temps le développement linguistique de manière linéaire.
2Notre propos sera d’analyser les rythmes d’appropriation d’adultes migrants inscrits dans une formation à visée professionnelle qui répondait à un appel d’offre calé sur un référentiel institutionnel et de montrer les décalages entre le prescrit et l’acquis.
3Tout d’abord, les référentiels institutionnels comme le Cadre européen commun de référence pour les langues (Conseil de l’Europe, 2001, 2018) ou le Guide des compétences de l’American Council for the Teaching of Foreign Languages (ACTFL, 2012) ont pour objectif principal d’organiser les formations et les certifications en langues étrangères. Bien que ces référentiels se présentent parfois comme non normatifs (Coste, 2006), leur fonction principale est de comparer la performance d’un apprenant à une norme partagée (Lefranc, 2008).
4Des prescriptions temporelles peuvent être couplées aux différents référentiels. Ainsi, pour passer d’un niveau à un autre, un nombre d’heures est indiqué. Deux types de progression sont envisagés, linéaires ou sous forme de courbes de croissance. Par exemple, pour l’Institut international d’études françaises de Strasbourg (IIEF, 2021), chaque palier se franchit en 204 heures de formation, à savoir un semestre (12 semaines à raison de 17 heures de cours par semaine ; voir ADCUEFE/CampusFLE, 2021), alors que pour France Education International (FEI) (Crea-langues, 2021) et Cambridge English Assessment (2021), le développement linguistique est sous-tendu par deux courbes (rythme lent/rythme rapide) avec un nombre d’heures nécessaire de plus en plus important pour passer d’un palier à un autre.
Figure 1. – Nombre d’heures cumulatives pour atteindre les différents niveaux du CECRL.
5De manière générale, le lien entre développement linguistique et proposition horaire dans ces référentiels n’a pas fait l’objet de recherche précise (Véronique, 2005), mais dépend plutôt d’intuitions institutionnelles (Eaton, 2012) et plus largement, concernant les centres de langues, de considérations mercantiles (Huver & Springer, 2011). Cependant, des recherches sur différents programmes de formation donnent quelques indications sur les rythmes d’apprentissage en milieu formel. Nous nous intéresserons ici à deux facteurs, à savoir, l’intensité du programme de formation et le niveau de départ des apprenants.
6La nature du programme de formation (extensif/intensif) semble jouer un rôle important dans la rapidité d’appropriation des compétences linguistiques. Dès les années 1940, dans le cadre des programmes de langues intensifs de l’Armée américaine, Agard et coll. (1945) avaient conclu qu’après une formation d’une durée de 9 mois à raison de 16 heures par semaine, les stagiaires inscrits pouvaient interagir oralement sur de nombreux sujets ainsi que lire et écrire correctement, ce qui dépassait largement les résultats de cours traditionnels (quelques heures par semaine). La méthode intensive était née. Mise à l’essai dans quelques Colleges aux États‑Unis pendant les semestres d’été dès les années 1950, les cours intensifs de langue ont pu démontrer qu’ils étaient aussi performants que les cours traditionnels se déroulant sur plusieurs semestres (Williamsen, 1968) ou même supérieurs (+25 % au Test de langue de Princeton) (Frank, 1972). Certains aspects semblaient de plus être favorisés comme le développement de la grammaire (Frank, 1972 ; Schneider, 1977) et la compréhension écrite (Peters, 2000).
7Au Canada, les formations intensives en langues dans les écoles primaires ont fait leur apparition dès 1975 lorsque Billy (1980) propose dans une école anglaise de Montréal un enseignement intensif où le nombre d’heures de français est augmenté pendant une année pour deux groupes d’enfants de 5 et 11 ans. Des comparaisons avec le programme d’immersion, qui offre une instruction en français uniquement pour toutes les disciplines, montrent que le programme intensif, avec 10 fois moins d’heures qu’en immersion, produit un résultat similaire pour la compréhension orale ; la formation intensive révèle aussi des productions orales supérieures en termes de complexité linguistique (Billy, 1980). Des résultats analogues ont été partagés par Lightbown et Spada (1994) qui avaient mis en place un programme comparable pour l’enseignement intensif de l’anglais à Montréal dans les années 1990 : pour un même nombre d’heures d’enseignement, les élèves du programme intensif étaient meilleurs en compréhension et en production orales que les élèves plus âgés ayant suivi le programme traditionnel. La compréhension écrite était aussi plus développée. S’appuyant sur ces résultats de recherche, Germain et Netten (2005) ont développé, fin des années 1990, un programme de français intensif pendant lequel les heures d’enseignement sont « massées » sur un semestre en éliminant la quasi-totalité des autres matières à enseigner. Pour un même nombre d’heures d’enseignement (300 heures), Netten et Germain (2009) ont pu conclure que le groupe d’élèves de 11 ans développait en un an des compétences en communication spontanée de niveau 14 [A2.1] (Brunswick Middle School Scale) alors que les élèves en cours traditionnels stagnaient au niveau 11.6 [A0].
8En Espagne, Serrano (2011) a montré que l’intensité, à savoir la concentration des heures d’enseignement sur une période de quelques semaines, était plus particulièrement bénéfique pour les niveaux intermédiaires dans le cadre d’une formation en anglais : les compétences de compréhension orale, en grammaire et en vocabulaire étaient plus développées que pour les groupes en cours traditionnels. Cependant, la progression la plus spectaculaire était en production orale. Ainsi, l’intensité semble accélérer le rythme d’appropriation d’une langue étrangère, surtout en ce qui a trait aux compétences de compréhension, de production orale, en grammaire et en vocabulaire.
9Le second facteur pour lequel les recherches ont pu donner quelques orientations concerne les rythmes d’appropriation et le niveau de départ des apprenants. Gardner et coll. (1977) avaient noté que pour un même nombre d’heures, les progrès en production orale étaient plus importants pour les élèves inscrits dans les cours de langues de niveau débutant que pour les élèves de niveau intermédiaire ou avancé. Ces conclusions rejoignent celles de Brecht et coll. (1995) en contexte d’internationalisation : les étudiants américains inscrits en Russie dans des cours de russe de niveau avancé progressent moins, pour un même nombre d’heures, que les étudiants arrivant avec de plus petits niveaux. Freed (1990), Lapkin et coll. (1995), Milton et Meara (1995) remarquent aussi que ce sont les niveaux les moins avancés qui bénéficient le plus des programmes d’internationalisation pour un même temps d’immersion. Cummins avait déjà noté en 1981 que le rythme d’acquisition ralentissait pour les niveaux les plus avancés et que, s’il fallait environ 2 ans pour que les enfants allophones maitrisent la communication en face-à-face, il fallait compter plutôt autour de 5 à 7 ans pour que ces derniers parviennent à communiquer dans des contextes plus abstraits comme leurs pairs natifs du même âge. Des recherches plus récentes confirment ces observations (Thomas & Collier, 2002 ; Mendonça Dias, 2012). Ainsi, le rythme d’appropriation semble ralentir à mesure que l’apprenant progresse de niveau en niveau ; la production orale semble se développer plus rapidement pour les niveaux débutants.
10Comme nous avons pu le voir, les rythmes d’appropriation relèvent de considérations institutionnelles et ne semblent pas retenir certains facteurs qui ont été étudiés dans la littérature scientifique comme l’intensité et le niveau de départ des apprenants. Nous avons donc mené une recherche d’ordre descriptif avec une collecte de données quantitatives afin de mieux comprendre les rythmes d’appropriation dans un contexte où les prescriptions horaires sont très fortes, celui de la formation linguistique de demandeurs d’emploi allophones. Les questions étaient les suivantes :
Question 1 : À quel rythme se développent les compétences linguistiques (compréhension/production ; oral/écrit) dans une formation intensive à visée professionnelle pour adultes migrants ?
Question 2 : Pour un nombre d’heures fixe de formation (448 heures), quels sont les écarts qui existent dans le développement des compétences linguistiques par rapport aux attentes institutionnelles (référentiels) ?
11Dans le cadre du plan « 500 000 formations pour un million de chômeurs », le Campus de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Strasbourg a été chargé d’assurer 27 actions de formation Français langue étrangère (FLE) multi sectoriel pour le compte de Pôle Emploi, chacune prévoyant 448 heures de cours en centre de langues. Les formations se sont déroulées sur 16 semaines à raison de 28 heures d’enseignement par semaine. Des groupes de niveau (A0 à B1/B2) de 8 à 16 personnes ont été constitués à partir des candidats proposés par les six agences Pôle Emploi de Strasbourg. L’approche pédagogique intensive était organisée autour de tâches en lien avec les situations de la vie quotidienne, sociale ou professionnelle. Il était attendu par le commanditaire Pôle Emploi que les stagiaires puissent postuler en fin de formation à un emploi en adéquation avec le projet professionnel développé tout au long du cursus. Afin de vérifier les acquis linguistiques, le Test de connaissance de français (TCF) était imposé en fin de contrat, la CCI ayant l’agrément pour ce test qui pouvait aussi être utilisé à des fins d’acquisition de la nationalité pour les migrants avec des titres de séjours temporaires.
12Le public cible était des demandeurs d’emploi n’ayant pas le français pour langue maternelle et dont le niveau était insuffisant pour accéder à un emploi ou à une formation. La sélection des candidats s’est faite au terme d’une longue série de réunions d’information collectives et d’entretiens individuels. Le seul prérequis imposé était que les personnes aient été alphabétisées dans leur langue d’origine. Au terme de la formation, 292 stagiaires ont passé le Test de connaissance de français (TCF), ce groupe constituant notre sujet d’étude.
13De manière générale, la plupart des stagiaires étaient sur le territoire depuis quelques années, voire quelques mois (M = 2014). Certains s’étaient acquittés de leur obligation de formation en français auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, à savoir au maximum 120 heures pour atteindre le niveau A1. Pour d’autres, c’était une première formation collective.
14La majorité des stagiaires étaient issus de pays asiatiques (58 % : Asie ex‑URSS, Syrie, Irak, Afghanistan, Turquie, Indochine) ; d’autres venaient d’Europe (28 % : Europe ex‑URSS, adhérents UE post 2000) ou d’Afrique (13 % : surtout de pays hors Maghreb) ; quelques‑uns (1 %) arrivaient des Amériques. La moyenne d’âge était de 38 ans avec un écart type de 10.
15Comme nous l’avons énoncé ci‑haut, des entretiens individuels (test de placement) ont eu lieu en début de formation afin d’évaluer le profil linguistique des prétendants à la formation, mais aussi pour déterminer les motivations pour l’accès à l’emploi ou à une formation professionnelle à l’issue de la formation linguistique. À l’issue de cet entretien, un niveau général était déterminé, principalement à partir des résultats de l’oral, permettant ainsi d’inscrire le futur stagiaire dans un groupe de niveau. Sur les 292 stagiaires ayant terminé la formation, 78 avaient été identifiés comme ayant un niveau A0, 98 avaient acquis le niveau A1, 79 étaient de niveau A2 et 37 ont commencé la formation avec au moins un niveau B1.
Figure 2. – Répartition des niveaux en début de formation (test de placement).
- 1 QCM = questions à choix multiples.
16En fin de formation, les stagiaires étaient obligés de se soumettre aux épreuves du Test de connaissance du français (TCF) organisé par France Education International. Les modules obligatoires étaient les épreuves collectives de compréhension orale (CO = 29 QCM)1, de compréhension écrite (CE = 29 QCM), de structures de la langue (SL = 18 QCM) et l’épreuve individuelle d’expression orale (EO = 3 épreuves avec un examinateur). L’épreuve d’expression écrite (EE) n’a été proposée qu’aux personnes avec au moins un niveau A2 en début de formation.
Tableau 1. – Notation TCF.
Niveau
|
A0
|
A1
|
A2
|
B1
|
B2
|
C1
|
C2
|
Épreuve collective
|
0‑99
|
100‑199
|
200‑299
|
300‑399
|
400‑499
|
500‑599
|
600‑699
|
Épreuve individuelle
|
0
|
1
|
2‑5
|
6‑9
|
10‑13
|
14‑17
|
18‑20
|
17Afin de répondre aux questions de recherche initiales, des analyses statistiques ont été menées à partir de données collectées sur le groupe ayant suivi l’intégralité de la formation et ayant passé le TCF (N = 292). Nous avons ensuite procédé à des analyses statistiques descriptives concernant les progressions des différents groupes de niveaux. Nous avons choisi de garder le découpage des groupes déterminé lors des tests de placement (A0, A1.1, A2.2, A1, A1/A2, etc.), car il nous semblait important d’analyser les résultats en termes de progression par groupe en préservant l’impact éventuel de la dynamique de groupe développée sur près de 450 heures de formation.
- 2 L’échelle pour la CO, CE, SL (de 0 à 699) étant différente de l’échelle pour l’EO et l’EE (de 0 à 2 (...)
18Nous présentons dans un premier temps, les résultats globaux concernant les acquis linguistiques tels que mesurés par le TCF et ses composantes (compréhensions orale et écrite, structures de la langue, expressions orale et écrite)2 lors des examens de fin de session.
Figure 3. – Distribution des scores finaux.
19De manière générale, nous pouvons observer une certaine homogénéité dans les résultats entre les compétences de réception (CO/CE) et la maitrise des structures linguistiques, l’écart moyen entre ces compétences étant de 10,67 points. Le résultat général du TCF est un algorithme basé sur ces trois compétences et reflète lui aussi une dispersion réduite par rapport à ces dernières. En revanche, on note un décrochage entre ces quatre mesures et l’expression orale qui se situe en moyenne 74 points en dessous du score général du TCF. Cependant, si l’écart peut aller jusqu’à -121 points pour le niveau A0, il se réduit pour les groupes ayant commencé avec un niveau plus élevé (seulement -21 points pour le niveau B1/B2). Le décrochage est aussi très marqué entre le niveau global du TCF (et donc des compétences de réception) et l’expression écrite avec des scores en moyenne 128 points en dessous des résultats du TCF. Contrairement à l’expression orale, les écarts en production écrite se creusent pour les groupes ayant des niveaux de départ plus élevés (-144 points pour le groupe B1/B2). Il semble donc que le rythme d’acquisition n’est pas le même pour ce qui est des compétences de réception qui se développent de manière homogène et supérieure par rapport aux compétences d’expression orale (difficulté accrue pour les niveaux débutants) et d’expression écrite (en stagnation pour les niveaux plus élevés).
- 3 Moyenne des attentes par rapport au référentiel combiné France Education International et Cambridge (...)
20Comme nous avons pu l’expliciter ci‑haut, les institutions éducatives internationales, nationales ou locales découpent le développement des compétences linguistiques selon des niveaux (A1, A2, etc.) et l’assortissent de prescriptions temporelles. Avec un total de 448 heures de formation, les niveaux suivants étaient anticipés3 :
Tableau 2. – Attentes institutionnelles pour les progressions.
Niveau de départ
|
Niveau anticipé après 448 heures de formation
|
A0
|
B1
|
A1
|
B1.2
|
A2
|
B2
|
B1
|
B2.2
|
B2
|
C1.1
|
21Or, la figure suivante montre une autre réalité :
Figure 4. – Niveau de départ et attente temporelle institutionnelle (fin de formation).
22Aucun des groupes n’atteint les prescriptions institutionnelles des référentiels liant développement linguistique et durée de formation. Si le groupe A0 progresse de façon très significative (+2,5 niveaux), il n’accède toujours pas au niveau seuil anticipé qui aurait pu lui permettre une entrée plus sereine sur le marché du travail. Avec une moyenne de 291 points au TCF, les groupes A1 n’arrivent pas non plus au seuil fatidique des 300 points (B1). Les groupes A2 se situent au‑dessus du niveau B1 (331 points), mais largement en dessous du niveau B2 (400 points) anticipé. Finalement, les progrès sont très faibles concernant les groupes B1/B2 qui obtiennent une moyenne de 347 points (B1.1), alors que les attentes institutionnelles se situent plutôt autour de B2.2 voire C1.1 (450 points).
23Une analyse plus fine du développement des différentes compétences linguistiques révèle aussi des disparités.
Figure 5. – Écarts des compétences par rapport aux attentes institutionnelles.
24En premier lieu, on note qu’à mesure que les niveaux de départ augmentent, les écarts se creusent par rapport aux attentes institutionnelles. Toutefois, les proportions ne sont pas les mêmes. Ainsi, pour le développement des compétences de réception (CO et CE), les écarts sont contenus et dépassent une seule fois 100 points, c’est-à-dire un palier par rapport à ce qui est attendu en termes de progression. On remarquera, aussi, que les stagiaires s’écartent relativement peu des attentes en ce qui concerne le développement des connaissances de structures linguistiques (SL) qui se situe aux alentours d’un demi-niveau. Pour ce qui est du développement de l’expression orale, les écarts se situent de manière homogène pour tous les niveaux autour de 150 points. Finalement, concernant le développement de l’expression écrite, l’écart est substantiel (2 paliers) attestant d’une difficulté pendant la formation à résorber des lacunes importantes existantes dès le départ.
25Les analyses descriptives confirment qu’il existe des rythmes d’appropriation différents selon les compétences langagières. En fin de formation, les stagiaires ont développé des compétences réceptives plus élevées que les compétences expressives. Dans le cadre des formations intensives, Billy (1980), Lightbown et Spada (1994) et Peters (2000) avaient déjà noté que la compréhension orale et la compréhension écrite étaient particulièrement favorisées dans ce contexte. Toutefois, cette condition d’enseignement soutient aussi le développement de la production orale, notamment pour les niveaux débutants et intermédiaire (Billy, 1980 ; Netten & Germain, 2009 ; Serrano, 2011). Or, dans le cadre de la formation intensive pour demandeurs d’emploi, le développement de la production orale est très largement ralenti. Ceci est peut‑être expliqué par une méthodologie d’enseignement centrée sur la réception et les structures de langue.
26Pour ce qui est de l’expression écrite, le décalage avec les autres compétences est flagrant surtout pour les niveaux les plus avancés. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Serrano (2011) avait remarqué que l’intensité n’était peut‑être pas la modalité la plus intéressante pour développer la production écrite chez les apprenants avancés, car cette compétence nécessite un espacement entre les temps d’enseignement. Une seconde explication pourrait venir d’un découplage dans l’enseignement de l’oral et de l’écrit. En effet, les enseignants mettent souvent l’accent sur l’une ou l’autre des compétences orale et écrite, alors qu’elles peuvent être abordées de manière plus harmonieuse (voir Germain & Netten, 2005 — boucle de la littéracie : Oral – Lecture – Écriture – Oral). Finalement, de manière générale, il apparait que les rythmes d’appropriation ralentissent à mesure que les niveaux de départ augmentent. Ceci confirme les travaux de Gardner et coll. (1977), Brecht et coll. (1995), Freed (1990), Lapkin et coll. (1995), Milton et Meara (1995) et Cummins (1981).
27Les référentiels institutionnels suggèrent que le développement des compétences linguistiques se fait selon une corrélation horaire linéaire ou selon des courbes de croissance alliant rythme lent ou rapide. Les formations intensives ont montré qu’elles pouvaient accélérer le rythme d’acquisition pour un même nombre d’heures (Billy, 1980 ; Netten & Germain, 2009 ; Serrano, 2011). Ainsi, il était attendu que les adultes en formation intensive à visée professionnelle surpassent les expectatives institutionnelles calquées sur le rythme rapide. Or, aucun niveau n’atteint les objectifs moyens fixés par les référentiels. Si le niveau A0 est assez proche de ce qui était espéré, le décrochage est plus important pour les niveaux plus élevés (-1 niveau pour B1/B2). Ainsi, il parait judicieux de réfléchir à un aménagement de la formation afin d’augmenter le nombre d’heures pour les niveaux débutants (A0 et A1) qui semblent bénéficier du format intensif mais peinent à atteindre le niveau seuil recherché. En revanche, il pourrait être opportun pour les niveaux plus avancés (A2 et B1/B2) de proposer des temps en immersion professionnelle afin d’alterner enseignement formel de la langue et enseignement professionnel en langue cible : les interactions soutenues avec des locuteurs natifs professionnels pourraient permettre de dépasser les résultats mitigés de la formation intensive.
28L’ambition de notre étude était d’identifier quelques variables temporelles pour lesquelles une attention particulière pourrait être portée concernant les formations linguistiques à visée professionnelle proposées à des adultes demandeurs d’emploi. Nous avons pu mettre en exergue qu’au regard des référentiels institutionnels les rythmes d’appropriation ralentissaient pour les stagiaires qui avaient débuté avec des niveaux plus avancés. De plus, il apparait que la formation intensive a favorisé le développement des compétences de réception et de maitrise des structures linguistiques au détriment des compétences expressives. On note aussi un écart entre les attendus institutionnels et les acquis linguistiques qui se situent parfois très largement en dessous de la norme affichée.
29Comme nous l’avions énoncé dès le départ, il existe deux types de référentiel concernant le développement linguistique. Notre étude s’est centrée sur une comparaison des rythmes d’appropriation linguistique au regard des référentiels institutionnels, qui apparaissent imparfaits tant dans leurs attentes horaires disproportionnées que leur manque de flexibilité pour des publics qui ont été éloignés un temps de la culture scolaire (âge moyen = 38 ans). De plus, l’importance du test final obligatoire (TCF) semble avoir quelque peu détourné les enseignants de l’approche actionnelle pour adopter un enseignement autour des structures de la langue. Une étude s’appuyant sur des continuums langagiers aurait certainement démontré avec beaucoup plus de finesse les parcours multiples et toutes les subtilités acquises par les demandeurs d’emploi allophones pendant les sessions de formation intensive. Malheureusement, les institutions qui répondent aux appels d’offre de formation sont tenues de respecter des critères docimologiques (optimisation du couple temps de formation/acquis linguistiques) qui ne prennent pas en compte l’apprenant dans sa pluralité, notamment concernant la variation individuelle des rythmes d’acquisition.