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Notes de lecture

Bénédicte Shawky-Milcent, Nathalie Brillant Rannou, François Le Goff et Nathalie Lacelle, Autobiographies de chercheur·se·s, lecteur·rice·s, scripteur·rice·s

Les Presses de l’Écureuil, 2020, 464 p.
Chantal Dompmartin-Normand
Référence(s) :

Bénédicte Shawky-Milcent, Nathalie Brillant Rannou, François Le Goff et Nathalie Lacelle, Autobiographies de chercheur·se·s, lecteur·rice·s, scripteur·rice·s, Les Presses de l’Écureuil, 2020, 464 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif frappe d’abord par son originalité. Il rassemble 50 contributions, de longueur, de facture et de format très variés, réunis autour d’un projet, celui de rendre hommage à quatre pionniers en didactique de la littérature : J.‑F. Massol, M.‑J. Fourtanier, A. Rouxel et G. Langlade. Ces chercheur·ses, « rompus aux théories de la réception », ont à partir des années 1990 entrepris de faire valoir l’intérêt d’interroger en classe « l’expérience vécue des lecteurs », leurs travaux révélant rapidement « la puissance de la subjectivité, le fécond entrelacs entre détails de la vie ordinaire et épisodes imaginaires, émotions intenses et moteurs interprétatifs » (Rannou et coll., p. 18), à l’œuvre dans l’activité de lecture. Ce courant de recherche s’inscrit dans la promotion de démarches sensibles et de pratiques d’écritures subjectives et autobiographiques, avec d’autres courants dans diverses sciences humaines dont la didactique des langues et du plurilinguisme, qui promeut par exemple les démarches d’autobiographies langagières. Dans tous les cas, il s’agit de remettre en jeu le je dans l’écriture, qui concernerait, en didactique des langues, du français, de la littérature, à la fois les enseignés et les enseignants. Les premiers seraient invités dans le cadre scolaire à exprimer leur subjectivité et leur réflexivité dans la narration de leur expérience (de lecture, d’écriture, d’apprentissage, d’altérité, etc., à travers des journaux de toutes sortes), les seconds se prêteraient à l’exercice afin d’en éprouver les contours et goûter la substance, pour le bénéfice de leurs étudiant·es au premier chef. Pour le bénéfice aussi, de tous ceux et celles qui croient aux vertus heuristiques et herméneutiques de la narration de l’expérience et du partage de celle‑ci pour construire du parcours commun (du commun dans un monde atomisé ?) et de la (re)connaissance (dans un monde liquide ?).

2Le « sensible » était un mot-clé des XXe rencontres des chercheurs et chercheuses en didactique de la littérature à Rennes en 2019, durant lequel cet ouvrage-surprise a été remis à ces destinataires :

Longtemps refoulé de l’enseignement comme trace d’expérience subjective, et suspecté de nuire à une acquisition rationnelle des savoirs, le sensible est aujourd’hui l’objet de considération tant dans le champ scolaire que dans celui de l’espace social ; il est un levier essentiel de communication, un vecteur de vie commune et de partage, mais aussi, semble‑t‑il, de connaissance. (Texte de cadrage du colloque)

3Le recueil veut refléter « l’effervescence des débuts de la didactique de la littérature », en même temps qu’il veut rassembler des traces de l’histoire (récente) de ce courant de recherche fécond, posant des jalons mémoriels sous le signe de la gratitude envers les pionniers. Il est divisé en 7 chapitres aux titres et sous-titres évocateurs : Matières – Terres d’enfances et d’adolescences ; Jalons – Empreintes, traces et rencontres ; Passeurs – Lire et faire lire ; Cheminements – Combats en faveur du lecteur ; Parcours – Trajectoire de vie et de pensée ; Complicités – Liens et médiations ; Flâneries – Fictionnalisations et réinventions. Une postface pose, depuis 2050, un regard pseudo-rétrospectif sur la période 1980‑2020 et éclaire le lecteur sur la manière dont ce courant s’est construit en « résistant encore et toujours » à une « scientifisation » aliénante de la recherche, et une réification de la littérature. Tel un petit village vaillant, il a réussi à vivre, prospérer et à déplacer les perspectives vers l’activité du sujet-lecteur et l’importance du texte du lecteur, celui qui se tisse dans l’expérience intime et qui fonde (durablement… ou pas) le goût de lire… ou pas. Les enseignants de collège ou lycée savent à quel point cet ingrédient peut manquer.

4Dans cet ouvrage, les auteurs et autrices se livrent à un exercice introspectif qui témoigne d’une étape de maturité des notions qu’ils manipulent pour baliser le champ et irriguer la formation des enseignants. Sans pouvoir les nommer toutes, distillées au long de cet ouvrage copieux, nous évoquerons celle de bibliothèque intérieure, liée aux premiers émois de lecture, lesquels fondent sans doute les attitudes pour le devenir littéracique des sujets. La figure de passeur de lecture et de littérature apparaitra, comme figure de référence potentielle pour l’enseignant, censée étayer ses gestes professionnels. L’idée de lecture pour rien, contenant la critique de l’utilité comme seul horizon, nous fait embrayer naturellement vers l’engagement des didacticiens concernés pour le droit à la littérature pour tous côté élèves, qui passe par la reconnaissance de l’activité du lecteur comme focale, avec à l’honneur les lectures singulières. Côté formation, il s’agit de promouvoir chez l’enseignant une pratique de l’écriture de son autobiographie dans ce prisme de la rencontre avec les livres, qui l’encouragerait à s’autoriser à être lui‑même pleinement sujet-lecteur (et de facto scripteur), et peut‑être ainsi meilleur passeur.

5Cet ouvrage peut intéresser tou·tes les chercheur·es en sciences humaines, et spécifiquement en didactique. Il/elle·s puiseront dans cette approche réflexive et ses témoignages souvent touchants une motivation renouvelée pour des pratiques de narration de leur propre expérience, susceptibles de fertiliser les échanges avec leurs lecteur·rices, étudiant·es et formé·es.

6Il/elle·s se confronteraient ainsi à leurs défis personnels, souvent à l’interface tendue entre la « parole savante » que leur fonction semble exiger d’eux et d’elles et l’humilité que l’époque devrait les encourager à cultiver, en restant ancré·es dans leur expérience sensible et mouvante.

7Dans l’introduction de son texte, G. Langlade écrit :

Au‑delà, ou en deçà, de l’enrichissement ultérieur que m’a apporté la fréquentation des grands textes comme la connaissance de la littérature et de ses enjeux, subsiste, vif et frais comme au premier jour, le pur ravissement que la moindre histoire, la plus plate des fictions, la plus rebattue des intrigues est toujours capable, à mon grand désespoir critique, de susciter en moi. (p. 401)

8Ainsi me semble évoquée une ligne de crête sur laquelle peuvent ou doivent cheminer chercheurs et enseignants entre expertise critique et regard toujours neuf, éléments d’identités multiples sans doute à réconcilier dans leur ethos.

9On peut regretter que l’ouvrage soit si difficile à obtenir en version papier, pour tous ceux et celles en tous cas, chez qui l’expérience de lecture sensible est beaucoup plus marquante avec le poids du volume entre les mains… O tempora, o mores !

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Pour citer cet article

Référence électronique

Chantal Dompmartin-Normand, « Bénédicte Shawky-Milcent, Nathalie Brillant Rannou, François Le Goff et Nathalie Lacelle, Autobiographies de chercheur·se·s, lecteur·rice·s, scripteur·rice·s »Lidil [En ligne], 65 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2022, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/10190 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.10190

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Auteur

Chantal Dompmartin-Normand

Université Toulouse 2 Jean Jaurès, laboratoire CLLE

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