Julie Glickman et Thomas Verjans (dir.), Regards linguistiques sur les éditions de textes médiévaux, revue Diachroniques, no 8
Julie Glickman et Thomas Verjans (dir.), Regards linguistiques sur les éditions de textes médiévaux, revue Diachroniques, no 8, Paris, Sorbonne Université Presses, 2021, 154 p.
Texte intégral
1Ce numéro de Diachroniques rassemble cinq contributions autour d’une problématique à la fois philologique et linguistique : les éditions actuellement disponibles ne donnent pas assez d’informations sur le plan de la langue et des systèmes graphiques. Malheureusement, c’est aussi sur ces supports incomplets que sont constitués la plupart des corpus. Ils présentent des solutions pour concilier la volonté des éditeurs de faciliter l’accès aux textes et les exigences des linguistes de « saisir la langue au plus près de sa réalité historique » (p. 9).
2Le premier article, « Suivre la lettre du copiste » écrit par N. Bragantini-Maillard, s’appuie sur l’édition qu’elle prépare du manuscrit de la BnF, cote fr. 99 du Tristan en prose, copié en 1470 pour Jacques d’Armagnac. Afin de rendre compte au mieux des choix graphiques et dialectaux du copiste, elle prône l’alliance de l’édition imprimée et du numérique qui viendrait la compléter sans la remplacer. Cette édition fonctionnerait ainsi de manière « holistique », à deux niveaux, en donnant accès non seulement au texte et aux images mais aussi au paratexte et au contexte socioculturel, démarche qui intéresserait autant les linguistes que les littéraires ou les spécialistes de l’histoire de l’art ou du livre.
3Dans le deuxième article, « Pour une “troisième voie” en matière d’édition de textes d’ancien et de moyen français », L. Balon se limite à la question de l’édition papier pour laquelle il propose d’utiliser, en les affinant, les codages instaurés par N. Andrieux-Reix dans son édition du Moniage Guillaume (2003). Le but est de donner accès aux spécificités graphiques du texte : d’abord le système des abréviations pour lesquelles il suggère de mettre en italique les parties du mot ainsi restituées ; ensuite celui de la segmentation graphique des mots qu’il propose de montrer par un système de tirets simples ou doubles distinguant les mots agglutinés des mots segmentés.
4Si cet article rappelle la nécessité d’appuyer la résolution des abréviations sur des statistiques de fréquence, les solutions proposées nécessitent de garder en mémoire le système de code utilisé. L’emploi de signes proches comme le trait d’union pour indiquer l’agglutination de mots susceptibles d’être séparés (par exemple par‑tot) et le tiret long pour indiquer la présence d’un blanc (par–tot) rend difficile la distinction des phénomènes dans le cours de la lecture. La solution proposée par A. Lavrentiev, C. Guillot-Barbance et S. Heiden, dans l’article suivant au sujet des mêmes problèmes de segmentation semble plus efficace scientifiquement.
5L’article « Enjeux philologiques, linguistiques et informatiques de la philologie numérique » de ces trois chercheurs témoigne en effet de l’expérience de cette équipe pour proposer des solutions informatiques. L’angle abordé est celui de la segmentation ou de l’agglutination des mots, crucial pour la compréhension de l’évolution lexicologique mais aussi pour l’utilisation quantitative des corpus numériques qui se fondent sur un nombre de tokens, c’est-à-dire d’unités lexicales. La méthodologie appliquée dans la Base du français médiéval consiste à proposer un encodage à plusieurs niveaux, offrant à la fois un accès facile au texte et des entrées plus complexes permettant de retrouver les pratiques des scribes. Cet article fondamental initie des réflexions qui peuvent s’étendre au‑delà du Moyen Âge pour le traitement de textes de français préclassique ou classique dont la ponctuation d’époque par exemple est souvent déroutante pour le lecteur moderne tout en restant essentielle au chercheur.
6Le quatrième article, « L’activité éditoriale comme démarche de la représentation de la connaissance » de N. Mazziotta, aborde la question de la ponctuation médiévale, absente de nos lectures modernes. Cette ponctuation est malaisée à rendre, même avec des éditions informatiques, car elle pose deux questions : celle de la compréhension de phénomènes graphiques difficilement appréhendables et celle de leur restitution matérielle. Là encore, l’édition numérique permet plusieurs niveaux de lecture mais n’est pas toujours suffisante, obligeant à des allers-retours contraignants qui compliquent la réflexion.
7Le dernier article, « Lemmatisation et construction automatique de ressources lexicographiques » de S. Bazin-Tacchella et G. Souvay, ouvre moins de perspectives. Il présente le lemmatiseur LGeRM (Lemmes Graphies et Règles Morphologiques) et montre l’étendue de ses possibilités. Il commence par un historique qui rappelle son invention pour les premières versions du Dictionnaire du moyen français où il a servi à résoudre la variation graphique. C’est aujourd’hui un outil clé de l’édition de texte et de la construction de glossaires. L’article n’omet pas de souligner ses limites et la nécessité d’une vérification manuelle des occurrences, mais on notera que depuis sa rédaction, l’intégration dans l’application du parseur syntaxique TreeTagger a amélioré la reconnaissance des termes, en particulier celle des mots lexicaux. Il termine en montrant l’élargissement de l’emploi de LGeRM aux textes en ancien français et en français préclassique et classique.
8Ce numéro de Diachroniques constitue une lecture indispensable à tout chercheur envisageant une édition papier ou numérique ou constituant un corpus. Les articles abordent les problèmes complexes de la représentation de l’agglutination ou de la segmentation des unités lexicales, de la résolution des abréviations ou de la ponctuation, ainsi que de la sociolinguistique d’une œuvre. Il reste à espérer que les sites envisagés pour des éditions numériques pourront rester pérennes face aux aléas des évolutions techniques et des décideurs financiers. Il est notoire qu’il est plus facile de trouver des budgets pour créer des outils numériques que pour les entretenir.
Pour citer cet article
Référence électronique
Corinne Denoyelle, « Julie Glickman et Thomas Verjans (dir.), Regards linguistiques sur les éditions de textes médiévaux, revue Diachroniques, no 8 », Lidil [En ligne], 65 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2022, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lidil/10179 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lidil.10179
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