Fabienne Wateau, Conflitos e Água de Rega. Ensaio sobre a Organização Social no Vale de Melgaço
Texte intégral
1Cet ouvrage constitue la version portugaise de la thèse de doctorat soutenue par Fabienne Wateau à l’Université de Nanterre. Il s’agit de l’étude ethnologique d’une société rurale du Nord-Ouest du Portugal – région de l’Alto Minho –, réalisée à partir de l’observation d’une pratique estivale d’irrigation définie comme « fait social total » de par son caractère conflictuel qui mobilise tous les domaines de la vie sociale de la communauté. Grâce à cette approche, l’auteur entend mettre en évidence les principes structurants de cette société rurale montagnarde d’Europe du Sud. L’analyse s’appuie sur un matériau ethnographique rassemblé au cours d’un minutieux travail de terrain mené entre 1990 et 1995 dans douze freguesias (paroisse) du concelho de Melgaço1, et qui mêle observations des pratiques d’irrigation, recueil d’histoires villageoises et familiales, reconstitution de généalogies et données d’archives2.
2Comprendre le rôle de l’eau d’irrigation partagée en été et les conflits qu’elle engendre dans une région humide où l’agriculture tend à devenir, selon l’auteur, une coutume plus qu’une nécessité économique, a constitué la motivation initiale de ce travail. L’ouvrage s’articule en quatre chapitres. Le chapitre I offre une description de l’espace rural et de la population dans lesquels s’insèrent le groupe social des herdeiros – héritiers – et les pratiques d’irrigation étudiés. La terre, répartie en petites propriétés fragmentées, est un bien privé obtenu par héritage, achat ou usucapion3, légalement distincte de l’eau collective qui y circule. Toutefois, l’analyse de chacune des techniques de distribution de l’eau et des procédés mnémoniques utilisés pour se souvenir du « temps d’eau » montre que dans la réalité terre et eau sont liées. La société décrite, composée de cultivateurs, de propriétaires et de métayers, a connu une forte émigration dont les conséquences ont été une prééminence du nombre de femmes et une certaine homogénéisation sociale et culturelle.
3Au cours de l’hiver, ces cultivateurs ont tous accès à l’eau – água de lima – en provenance de la zone montagneuse, alimentant rivières et divers « chemins d’eau » naturels ou artificiels, à des fins d’intensification des cultures, notamment celle du maïs auquel la viticulture – non irriguée – se substitue progressivement4. À cette irrigation hivernale, non réglementée, succède une irrigation estivale – água de rega ou água de partilha – limitée aux cultures vivrières et à l’alimentation des animaux, et régie par des « droits d’eau ». Ces droits, transmis de génération en génération, créent une distinction entre les herdeiros et les autres membres de la société, distinction qui devient à cette saison le champ de réactivations de conflits.
4Le chapitre II est consacré à l’étude approfondie de trois exemples significatifs de partage de l’eau (partage en heures solaires, en fractions de temps et en quantité d’eau), et décrit remarquablement les différents procédés mnémoniques utilisés comme repères temporels et spatiaux dans la distribution de l’eau, et les instruments s’y rapportant. L’analyse des logiques de distribution de l’eau met en lumière deux principes clés de fonctionnement de la société étudiée : un principe hiérarchique, légitimé par les ancêtres, et un principe rotatoire, considéré comme essentiel et spécifique à la pratique d’irrigation dans cette société paysanne où les activités collectives et l’entraide sont réduites. Le caractère antinomique de ces deux principes permet à l’auteur d’expliquer les conflits engendrés. La tradition occupe une place centrale dans ces pratiques d’irrigation et de partage de l’eau entre héritiers, légitimant des usages qui ne répondent pas à des critères économiques d’optimisation. Le caractère oral de la tradition de l’eau, fondée sur la mémoire parfois amnésique des plus anciens, est propice à l’éclatement de conflits tant au sein des familles que dans la collectivité.
5Dans le chapitre III, Fabienne Wateau étudie la transmission de ces droits d’eau et cherche à mettre en évidence une « parenté de l’eau ». Cette réflexion est particulièrement intéressante dans la mesure où elle porte sur une région caractérisée par un partage égalitaire entre héritiers depuis la deuxième moitié du xixe siècle. Elle montre la survivance d’une pratique patrimoniale ancestrale préférentielle – o morgadio (majorat) ou o terço (un tiers des biens) – qui, dans la noblesse et la paysannerie, avantageait un des fils au sein d’une fratrie afin d’assurer la perpétuation des unités domestiques. Transposée aujourd’hui à la descendance féminine, l’analyse de cette pratique éclaire le rôle et le pouvoir de la femme, héritière des terres irriguées et des droits d’eau dans cette société matrilocale. L’étude des stratégies matrimoniales met en évidence le mariage des hommes qui héritent des terres sans eau avec ces « femmes de l’eau », « maîtresses de l’irrigation ».
6Le dernier chapitre donne trois exemples de conflits et de défis liés à l’eau, révélant leur dimension identitaire. S’appuyant sur les théories classiques des conflits sociaux, l’auteur définit la société étudiée comme « agonistique », où le conflit, élément endogène, trouve dans les divers usages de l’eau d’irrigation un espace de revendications identitaires, individuelles et collectives. L’hypothèse selon laquelle l’eau d’irrigation est un prétexte et non intrinsèquement source de conflit s’en trouve alors vérifiée. Les défis sont analysés comme des jeux, entre locaux d’une part, entre locaux et émigrants d’autre part, dont les principales finalités sont l’échange et la reproduction des principes et des valeurs structurants – rotativité, hiérarchie, équité, défis –, conduisant cette société rurale du nord-ouest du Portugal à accepter les innovations.
7L’intérêt de cette recherche réside dans le fait qu’elle interroge en profondeur les enjeux symboliques attachés à l’eau d’irrigation. Délaissant l’approche classique des sociétés hydrauliques focalisée sur les formes de contrôle de l’eau5, Fabienne Wateau se démarque d’une interprétation politique du fonctionnement de ces sociétés. Dans ce travail technique très riche, notamment en ce qui concerne la restitution des savoir-faire et des techniques relatifs aux pratiques d’irrigation, on regrette finalement l’absence de données éclairantes sur son expérience de terrain.
Notes
Pour citer ce document
Référence papier
Irène dos Santos, « Fabienne Wateau, Conflitos e Água de Rega. Ensaio sobre a Organização Social no Vale de Melgaço », L’Homme, 161 | 2002, 292-293.
Référence électronique
Irène dos Santos, « Fabienne Wateau, Conflitos e Água de Rega. Ensaio sobre a Organização Social no Vale de Melgaço », L’Homme [En ligne], 161 | janvier-mars 2002, mis en ligne le 06 juin 2007, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lhomme/8178 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lhomme.8178
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