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COMPTES RENDUS

Karin Wall, Famílias no campo. Passado e Presente em duas freguesias do Baixo Minho

Lisboa, Publicações Dom Quixote, 1998, 373 p., bibl., ill., ph. (« Portugal de Perto » 38).
Colette Callier-Boisvert
p. 788-791

Texte intégral

1L’analyse d’un aspect de l’évolution et de la transformation récente de la société portugaise, à savoir la famille paysanne, constitue l’objet de cet ouvrage issu d’une thèse de doctorat en sociologie1. Karin Wall a effectué son enquête de terrain entre 1985 et 1989 dans deux communes (freguesias) voisines du Bas-Minho (nord-ouest du Portugal). Le passé, qui est comparé au présent de l’enquête selon une approche régressive, est un passé proche qui s’étend du début du siècle aux années 60. Ces deux communes, situées à proximité de Porto et de Braga, centres urbains importants, sont densément peuplées. Les migrations intérieures et extérieures ont freiné l’accroissement de la population sans toutefois le stopper. Dans cette région rurale de petite et moyenne agriculture familiale s’est développée depuis le début du siècle une industrie textile et de confection attirée par une main-d’œuvre certes non qualifiée, mais nombreuse et bon marché. On peut parler de tissu industriel diffus puisqu’on a affaire à des unités de production de proportions modestes disséminées sur tout le territoire, avec parfois encore le travail à domicile qui coexiste ou s’articule avec une agriculture familiale modernisée, un petit commerce actif, quelques activités artisanales ou salariées.

2Karin Wall étudie tout d’abord la relation entre les transformations sociales liées à la semi-industrialisation et l’évolution interne de la famille. Est-ce la fin de la famille paysanne, ou doit-on parler d’adaptation de ses valeurs et de son comportement à une société rurale en transformation ? L’auteur analyse ensuite son vécu, et plus particulièrement celui de la famille-souche – ou système à maisons –, dominante dans la couche supérieure de cette paysannerie. Face au changement social, quelles réactions manifeste-t-elle en ce qui concerne sa dynamique et ses stratégies de succession ?

3Une première constatation s’impose, à savoir la diversité des situations familiales paysannes au milieu de ce siècle, et ce en raison de la multiplicité des positions socioprofessionnelles liées au monde agricole. Dans les deux communes de référence, on trouve côte à côte des familles de cultivateurs aisés (lavradores) – c’est-à-dire propriétaires d’une exploitation comptant plus de six hectares de bonnes terres arables –, des familles de petits et gros métayers (caseiros), propriétaires ou non, des familles de micro-paysans à temps partiel, enfin de journaliers agricoles occasionnels ou à temps plein. Ces deux dernières catégories combinent le travail dans les champs, le travail à domicile dans le textile, ou encore un petit commerce, un artisanat ou un emploi dans le bâtiment. Cette diversité est restée une constante de cette région, mais les catégories socioprofessionnelles ont changé. La plus grande partie du territoire agricole est actuellement exploitée mécaniquement par des agriculteurs moyens ou gros, propriétaires ou en partie locataires. Le reste de la terre est exploité de façon traditionnelle en activité annexe par des petits commerçants, des petits et moyens entrepreneurs et des familles ouvrières ; il s’agit de terrains de dimensions réduites pour la consommation familiale.

4L’observation est menée à deux niveaux. Dans la première partie, intitulée « La misère du passé, une vie meilleure au présent », selon les termes employés par les habitants, un « regard éloigné » présente les grandes tendances de l’évolution sociale et familiale. L’auteur procède à une analyse de la pluralité des formes familiales, ce qui lui permet de dégager les dynamiques propres aux différents milieux ruraux, paysans et non-agricoles ou pluriactifs, grâce à l’étude des trajectoires familiales et professionnelles, du traitement de l’enfant et de son éducation, des aspirations familiales à la mobilité ou à la reproduction sociale. Sur une durée de près d’un siècle, deux époques sont privilégiées pour la comparaison entre le passé et le présent : les années 30 et 40 sous le régime de l’État corporatiste, avant les mouvements migratoires intenses, et la fin des années 80, lors de l’entrée du Portugal dans la Communauté européenne, période pendant laquelle les migrations ont marqué le pas. Les données relatives à la population des deux communes sont tirées des registres paroissiaux – livres des actes (baptême, mariage, décès), rol dos confessados, c’est-à-dire la liste de tous les foyers avec identification de leurs membres à partir de sept ans, établie par le curé avant Pâques afin de contrôler le respect des obligations religieuses – et des divers recensements effectués par la municipalité ou l’État. L’auteur reconstitue la composition sociale et les structures familiales des deux communes aux deux époques considérées, puis les compare afin d’évaluer leurs transformations.

5La seconde partie est consacrée à une étude approfondie de vingt-deux familles de lavradores appartenant aux deux communes, somme toute la seule catégorie paysanne qui s’est maintenue au prix d’une série d’adaptations de la famille-souche. L’auteur s’appuie sur des histoires de vie et sur une enquête généalogique dont les résultats sont présentés dans deux séries de tableaux de « généalogies horizontales » qui mettent en évidence les mécanismes de transmission du patrimoine d’une génération à l’autre. C’est le « regard de près » qui s’interroge sur le quotidien et la vie familiale vue de l’intérieur, avec ses espaces et ses interactions domestiques. Ces familles de cultivateurs aisés développent deux logiques différentes : celle de la casa, autosuffisante jusqu’aux années 60, reposant sur la mise en valeur de terres de polyculture et d’élevage par les membres de la famille assistés d’une domesticité et de journaliers occasionnels, et, de nos jours, une logique de petite entreprise familiale centrée sur la production laitière mécanisée, peu exigeante en main-d’œuvre et axée sur la rentabilité.

6Le fait d’avoir établi la comparaison sur un temps court offre à l’auteur un double avantage : d’une part, elle bénéficie de données statistiques relativement sûres (ce qui est loin d’être le cas au Portugal quand on remonte dans le temps…) ; d’autre part, elle a accès à la mémoire de la population, ce dont elle ne se prive pas, l’analyse, étayée par de très nombreuses études de cas, progressant pas à pas. Certes, le texte y gagne en vivacité, mais l’accumulation de détails et de répétitions inévitables finissent par lasser l’attention du lecteur et nuisent à la clarté de l’exposé… L’inconvénient d’une temporalité courte est qu’elle nous prive de données historiques sur les mécanismes de constitution des casas dans cette région, dont les dimensions, rappelons-le, sont très modestes par rapport à celles d’autres pays d’Europe occidentale. A-t-on affaire à une concentration de micro-propriétés ou au démembrement de grandes propriétés nobiliaires et de biens d’Église ?

7Ce travail s’inscrit donc dans la problématique de la sociologie de la famille et de son évolution récente. Il apporte aussi un nouvel éclairage sur la famille-souche ou système à maisons en Europe occidentale. L’analyse de l’évolution de ce type de famille et celle de la diversité des formes familiales en milieu paysan en constituent les points forts. En ce qui concerne les stratégies déployées pour garantir la transmission du patrimoine, on passe d’une succession privilégiant un seul héritier, formé par un dur apprentissage du travail dans le respect des intérêts collectifs de la casa, à une succession où le chef de famille cherche à stimuler chez un de ses descendants direct ou collatéral la vocation agricole en lui cédant une part des responsabilités, et où la négociation assouplit les relations entre les membres de la famille. À noter toutefois que les cohéritiers ne sont pas écartés de la transmission et reçoivent leur quote-part ou une soulte en guise de dédommagement à leur renonciation au foncier. Par ailleurs, l’auteur montre que la famille-souche était minoritaire dans cette région où dominait et domine encore la famille nucléaire, laquelle n’a pas été introduite par la société industrielle et urbaine. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de changement dans ses relations internes ou dans les dimensions et les structures du groupe domestique. Ce dernier s’est réduit dans tous les milieux en raison du fléchissement du taux de naissance, de la diminution du nombre des familles nombreuses et des domestiques, voire la disparition de ces derniers.

8Quant à la diversité des formes familiales constatée au cours de l’enquête, il faut signaler que la famille complexe n’est pas seulement présente sous forme de famille-souche patrilocale dans la couche des cultivateurs aisés. Elle existe aussi sous la forme de famille élargie en direction des ascendants ou des collatéraux, et de famille multiple (deux familles monoparentales sous le même toit), avec des variantes particulières à chaque cas, chez les journaliers d’autrefois et, aujourd’hui, chez les paysans à temps partiel et les familles ouvrières. Par ailleurs, même s’il n’y a enracinement au fil des générations que pour une petite minorité – en dépit de la dévalorisation actuelle du travail agricole –, le lien à la terre, fût-elle réduite aux dimensions d’un potager, demeure une constante chez ces familles du Bas-Minho. En outre, l’amélioration générale des conditions de vie, les idées d’égalité et de promotion sociale par l’éducation et l’initiative individuelle n’ont pas fait disparaître l’idéologie de l’entraide, ni l’éthique du travail familial, c’est-à-dire la mise en commun des efforts et des revenus. D’où la persistance de la famille complexe. Si, dans cette société rurale, l’organisation domestique a été favorable à l’implantation d’une industrie exigeant une main-d’œuvre abondante, non qualifiée et bon marché, cette forme de semi-industrialisation n’a supprimé ni la pluriactivité ni l’interdépendance des familles nucléaires.

9Bien d’autres questions sont traitées ici, notamment le changement de signifi-cation de la dette morale entre généra-tions et entre catégories sociales, les variations de l’échange intra- et extra-familial, la place de l’enfant et l’évolution de la pédagogie au sein de la famille, l’influence de l’Église et de l’État sur les structures familiales.

10On dispose, avec cet ouvrage, d’une nouvelle contribution solide à l’histoire de la famille paysanne au xxe siècle en Europe occidentale.

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Notes

1 Karin Wall, La fabrication de la vie familiale. Changement social et dynamique familiale chez les paysans du Bas-Minho. Thèse de doctorat, Genève, Université de Genève.
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Pour citer ce document

Référence papier

Colette Callier-Boisvert, « Karin Wall, Famílias no campo. Passado e Presente em duas freguesias do Baixo Minho »L’Homme, 154-155 | 2000, 788-791.

Référence électronique

Colette Callier-Boisvert, « Karin Wall, Famílias no campo. Passado e Presente em duas freguesias do Baixo Minho »L’Homme [En ligne], 154-155 | avril-septembre 2000, mis en ligne le 28 novembre 2006, consulté le 14 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lhomme/2742 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lhomme.2742

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Auteur

Colette Callier-Boisvert

EHESS, Centre d’études portugaises, Paris.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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