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Comptes rendus
Asie

Partha Chatterjee, A Princely Impostor ? The Kumar of Bhawal and the Secret History of Indian Nationalism

New Delhi, Permanent Black, 2002, xvi + 429 p., bibl., index, ill., cartes
Catherine Clémentin-Ojha
p. 373-378

Texte intégral

1Il arrive en Inde de croiser sur la route quelque ascète hirsute et ceint d’un simple pagne dont on murmure qu’il était autrefois juge, inspecteur de police, professeur d’université ou ingénieur. Comme l’homme possède de belles manières et s’exprime dans l’anglais le plus châtié, on n’hésite pas à le croire et on fait bien. Dans l’Inde hindoue moderne, embrasser la carrière monastique, le moment de la retraite venu, demeure en effet un modèle de vie insurpassable puisque fidèle au vieux schéma brahmanique qui divise la vie humaine idéale en quatre quarts égaux et consacre le dernier à la poursuite de la délivrance loin de tout souci mondain. En théorie, c’est-à-dire dans le droit religieux traditionnel (dharmashastra), un tel choix signifie pourtant une rupture des plus radicales avec le passé. C’est que celui qui, de son plein gré – la clause est importante –, a prononcé rituellement les vœux du sannyasa pour devenir renonçant (sannyasi) abandonne définitivement ses biens et son héritage1, il est tout bonnement mort au monde. Aussi est-il supposé ni reprendre sa place parmi les siens ni dévoiler à quiconque son identité antérieure. Mais le fait que des personnes autrefois éminentes puissent parfois se cacher sous l’apparence d’un ascète encourage à extrapoler que tout ascète est quelqu’un d’important. C’est pourquoi l’Inde est pleine de révélations étranges qui démentent les principes du droit religieux. Ainsi, dans les années 1980, le bruit se répandit qu’un renonçant dont personne ne connaissait l’origine ou l’identité n’était autre que Subhas Chandra Bose. La rumeur gagna du terrain et donna lieu dans la presse à quelques débats d’autant plus surréalistes que le célèbre nationaliste bengali était officiellement mort en 1944. Or, pour les plus anciens, ce fait divers et la passion qu’il déclenchait avaient un air de déjà vu et rappelaient même des moments historiques exaltants. Dans les premières décennies du siècle, en effet, en pleine lutte nationaliste, le Bengale avait connu, avec la réapparition du kumar (prince) de Bhawal, une affaire similaire qui, quoique beaucoup plus sensationnelle encore, avait été pareillement l’enjeu de forces politiques opposées. Comme le montre Partha Chatterjee, qui lui consacre pour la première fois une étude scientifique, le caractère exceptionnel de cette affaire tint à ce que ses protagonistes s’affrontèrent lors d’un procès d’une longueur démesurée qui se déroula à Calcutta dans les années les plus décisives du mouvement anticolonialiste indien. Par un de ces hasards qui réjouissent l’historien, (le vrai) Subhas Chandra Bose, fasciné comme les autres Bengalis par les événements de Bhawal, avait à l’époque du jugement du procès trouvé les mots justes pour le qualifier, lorsqu’en août 1936 il avait écrit à Émilie Schenkl (sa future épouse) : « on peut vraiment dire que la vérité est plus étrange que la fiction » (p. 272).

2L’histoire que raconte Partha Chatterjee dans cet ouvrage important et stimulant est bien parmi les plus intrigantes qui fut. Qu’on en juge. En 1921, apparut soudain à Dhaka (l’actuelle capitale du Bangladesh) un ascète qui ressemblait de manière frappante à un jeune aristocrate mort brutalement à Darjeeling en 1909. Dans les années qui suivirent, une bonne partie de l’opinion publique bengalie, l’élite de Calcutta en tête, allait se dire convaincue de son identité, tandis que pour sa part le gouvernement britannique ne cesserait de dénoncer l’ascète comme un imposteur et de s’emporter contre la fâcheuse propension des Indiens à croire aux histoires les plus invraisemblables. Au début du xxe siècle, Bhawal, le principal théâtre de ce fait divers rocambolesque, était l’un des plus riches États (zamindari) de la province du Bengale britannique. Le zamindar, auquel on donnait du roi (raja), était hindou, tandis que la plupart de ses tenanciers étaient musulmans – situation alors commune au Bengale oriental – ; il avait pour charge de collecter l’impôt (par le truchement d’une série hiérarchisée d’intermédiaires qui en tiraient leurs propres bénéfices) et d’en reverser une partie au gouvernement britannique. Depuis la seconde moitié du xixe siècle, ce dernier veillait à ce que les États du Bengale fussent bien administrés car les impôts levés sur les zamindari constituaient une part importante de ses revenus. Or, les zamindars s’avérant souvent de piètres administrateurs, les Britanniques avaient mis en œuvre une politique de contrôle financier, soit en imposant la présence d’un administrateur professionnel, soit en plaçant les domaines sous le contrôle direct du Court of Wards. Un État passait quasi automatiquement sous la tutelle de ce dernier lorsque son propriétaire légitime mourait sans héritier ou en laissant un fils mineur.

3C’est justement ce qui s’était passé à Bhawal en 1901, quand, le raja décédé, sa veuve s’était montrée incapable (aux yeux des Britanniques) d’administrer correctement son État au nom des trois kumar, ses fils mineurs. Cette mainmise avait été vivement critiquée par la presse nationaliste. En 1905, les fils du raja avaient été déclarés les propriétaires collectifs de Bhawal, et chacun autorisé à percevoir un tiers de ses revenus. Mais quelques années plus tard, à la suite des décès successifs des deux fils aînés (car cette histoire abonde comme il se doit en morts aussi soudaines qu’inexpliquées), les Britanniques avaient de nouveau placé Bhawal sous le contrôle du Court of Wards. En 1913, le troisième et dernier fils étant mort à son tour (!), le gouvernement britannique administra le plus important État hindou du Bengale oriental au nom de trois jeunes veuves.

4Telle était la situation lorsqu’en janvier 1921, douze ans après le décès du deuxième kumar, un ascète présentant une étonnante ressemblance avec lui fut donc découvert à Dhaka. L’homme, qui ne parlait pas bengali (selon certains il était originaire du Penjab), fut pourtant immédiatement reconnu par divers proches et familiers du défunt, au nombre desquels se trouvaient sa sœur – personnage remarquable – et l’aînée de ses belles-sœurs. Toutefois, sa veuve – autre forte personnalité – et sa plus jeune belle-sœur le dénoncèrent comme un imposteur. En 1919, cette dernière avait adopté un fils et cette adoption avait créé au sein de la famille de Bhawal une scission que l’arrivée soudaine de l’ascète contribua à renforcer : lors du procès, les autorités du Court of Wards soupçonneront certains membres de la famille de reconnaître le second kumar dans l’ascète du seul fait qu’ils étaient farouchement opposés à cette adoption. Peu de temps après son apparition, ce dernier déclara formellement être le second kumar. En 1924, il quitta ses vêtements monastiques, coupa ses longs cheveux ; dans les années suivantes, on le vit à Calcutta, habillé comme un zamindar, conduire lui-même son tumtum (voiture à cheval) et fréquenter les cercles aristocratiques. Il parlait alors bengali mais d’une manière inhabituelle que, lors du procès, les témoins, selon qu’ils acceptaient ou non son identité de second kumar, attribuèrent pour les uns à un défaut de prononciation (résultat d’une blessure interne), pour les autres à un accent hindoustani.

5L’enthousiasme avec lequel le public bengali accepta la version de l’ascète et de ses partisans fut d’emblée un sujet d’inquiétude pour les Britanniques en ces années politiquement troubles. Mais c’est seulement à partir de 1929 qu’ils prirent la mesure du problème. À cette date, en effet, le second kumar ressuscité célébra la cérémonie de punyaha qui, en marquant le début de l’année fiscale au Bengale, est l’occasion de renouer symboliquement les liens entre le maître et ses tenanciers. Dès lors, le gouvernement britannique enregistra un important manque à gagner dans les impôts de Bhawal et entreprit d’exercer diverses pressions sur l’entourage du revenant pour mettre un terme à la « conspiration ». Il est clair que la confrontation était devenue inévitable. Son premier acte commença en 1930, lorsque l’ancien ascète entama une action judiciaire pour être légalement reconnu comme le second kumar de Bhawal. Trois années plus tard, alors que s’organisait le mouvement de la Désobéissance civile et qu’éclataient plusieurs révoltes armées, le procès le plus sensationnel de toute l’histoire légale du Bengale commença ; quand il se termina en 1946, l’Inde était à quelques mois de son indépendance (août 1947).

6On s’en doute, la reconstitution de ce procès hors normes forme la pièce maîtresse de l’ouvrage de Partha Chatterjee. À partir des archives juridiques et d’autres documents d’époque, dont un grand nombre d’inédits, ce dernier en présente les différents acteurs, dont il dresse au passage de saisissants portraits et ordonne l’immense masse de leurs témoignages pour produire deux récits distincts, quoique habilement enchevêtrés : l’un reflétant la version des faits du plaignant, l’autre celle des avocats de la défense. Considérons-les rapidement.

7Selon le plaignant, les choses s’étaient passées ainsi. En mai 1909, alors qu’il se trouvait à Darjeeling pour soigner une mauvaise syphilis (car le second kumar était un mauvais garçon), son état avait soudainement empiré et il avait perdu conscience ; il avait repris ses esprits au milieu d’un groupe d’ascètes qui l’avaient soigné ; par la suite, il avait vécu avec eux, menant à leur côté une vie de vagabondage dans une sorte d’état de torpeur ; cette situation avait duré une douzaine d’années, jusqu’au jour où, se trouvant à Dhaka, il avait été reconnu comme le second kumar ; dès lors, il avait peu à peu recouvré ses esprits. Les avocats de la défense s’acharnèrent naturellement à démontrer le caractère fallacieux de toutes ces affirmations et donc la non identité double de l’homme ; de leur côté, ceux du plaignant firent défiler à la barre un grand nombre de témoins, tous convaincus, au contraire, qu’il était bien le second kumar. Pour donner une idée de la complexité de la situation, retenons de ces échanges contradictoires les pages savoureuses consacrées à la soi-disant similarité de la couleur des yeux du second kumar et du plaignant – une couleur appelée kaā en bengali. Ce trait physique (partagé par plusieurs membres de la famille de Bhawal) devint, en effet, un signe particulier à même de résoudre l’embarrassante question de l’identité du plaignant, du fait qu’au Bengale on ne connaissait que deux types de couleur d’yeux : ceux qui n’avaient pas des yeux ordinaires (noirs) avaient des yeux kata. Mais, aussi curieux que cela paraisse, ce trait était difficile à décrire du fait même qu’il était inhabituel ! Ainsi, tous les témoins reconnurent que le kumar avait eu les yeux kaā et que ceux du plaignant l’étaient également. Pourtant nul ne put dire de quelle couleur il s’agissait exactement ; ceux qui connaissaient l’anglais donnèrent comme équivalent : brun, gris, noisette, auburn, jaune, et même bleu ! Dans cet invraisemblable imbroglio, cette question simple ne put trouver de réponse simple.

8Les avocats de la défense contre-attaquèrent en s’efforçant de contourner la question de l’identité puisqu’elle était insoluble ; ils entreprirent de démontrer leur propre version des faits, à savoir que le second kumar était bien mort à Darjeeling en 1909 et y avait bien été incinéré. Prouver ce simple point aurait suffi à lui seul à saper la position du plaignant. Mais là encore, la simplicité était trompeuse. Les événements qui s’étaient déroulés à Darjeeling en 1909 avaient été entourés de tant de mystères et comportaient tant de circonstances mal éclaircies que, pour finir, la mort du second kumar ne put être établie devant la cour avec toute la précision et la certitude requises en un tel lieu. Certes, il y avait bien eu une crémation à Darjeeling en 1909, tous les témoins convoqués s’en souvenaient, mais pour les uns, elle avait eu lieu le soir, pour les autres le lendemain matin. Les premiers soutinrent que le cadavre du kumar avait disparu sur les lieux même de la crémation et qu’on l’avait remplacé par celui d’un autre individu. Des ascètes affirmèrent pour leur part qu’une forte pluie ayant dispersé les deuilleurs, ils s’étaient approchés du corps, avaient constaté qu’il bougeait encore et avaient emporté l’homme pour le soigner. La partie adverse nia qu’il ait seulement plu cette nuit-là à Darjeeling et elle convoqua des météorologistes qui s’emmêlèrent dans leurs relevés ; au demeurant, l’incinération du kumar n’avait pu avoir lieu que le matin puisqu’il était mort vers minuit !

9Ballotté entre ces deux versions contradictoires, le lecteur, qui ne peut plus lâcher le livre, croit plusieurs fois avoir compris le fin mot de l’affaire, jusqu’à ce qu’un nouvel indice le replonge dans l’incertitude. Il ne sait ce qui est le plus extraordinaire, du caractère parfaitement invraisemblable de chacun des deux récits ou du fait qu’il se trouva une multitude de témoins, tous apparemment sincères et dignes de foi, pour les étayer l’un et l’autre. Il est d’autant plus perplexe que Partha Chatterjee construit en arrière plan de ces deux versions des faits un troisième récit, non moins maîtrisé, qui, parallèlement, lui donne à voir les dessous de l’affaire. Dans ce travail d’analyse en profondeur et reflétant un sens aigu de la nuance, l’historien met successivement au jour les querelles d’une famille richissime divisée par des affaires d’argent, les rapports hiérarchiques entre les zamindars hindous et leurs tenanciers majoritairement musulmans, les liens ambigus tissés entre les Britanniques et les zamindars, ou encore les motivations personnelles des avocats du plaignant – qui comptent parmi les leaders nationalistes les plus importants de la période. Il apporte aussi maintes informations sur la nature du pouvoir britannique au Bengale oriental dans la première moitié du xxe siècle, notamment par de riches développements sur son personnel juridique (en grande partie indigénisé) et sur les rouages complexes de sa justice à une époque où l’autorité coloniale s’érode inexorablement. De cette formidable mise en perspective, il ressort que l’opinion bengalie fut dans sa majorité favorable à la version des faits de l’ascète et que ce procès fut celui des Bengalis nationalistes contre l’Empire britannique. Témoigne d’ailleurs de la sympathie du public l’immense littérature populaire que le procès suscita : tracts, chansons, poèmes, pièces de théâtre, etc., dont Partha Chatterjee offre des échantillons révélateurs et dans lesquels il lit en filigrane l’histoire secrète du nationalisme indien.

10Alors, pour finir, le plaignant ne fut-il que le jouet d’habiles conspirateurs intéressés à récupérer une vaste fortune qui, faute d’héritier, était passée sous le contrôle du Court of Wards ? Ou était-il bien le second fils du raja de Bhawal ? Oui, certes, il l’était, répondit le remarquable juge indien lors du jugement qui fut prononcé le 24 août 1936 (et confirmé à deux reprises ultérieurement, d’abord par un autre juge indien, puis finalement par un juge britannique). Rien n’est moins sûr, déclare de son côté Partha Chatterjee, qui du reste a prévenu son lecteur dès l’introduction (p. xii) que quatre années de fréquentation assidue des sources originales du procès ne lui ont pas permis de répondre avec certitude à la question. Si l’historien prend ainsi ses distances par rapport au résultat du procès, c’est que, s’interrogeant sur les conditions politiques dans lesquelles la vérité fut produite, il estime que le jugement fut avant tout le fruit de son contexte historique. Certes, les Britanniques auraient été désireux, du moins initialement, de trouver le biais légal pour garder les tenanciers de Bhawal sous leur contrôle et exercèrent maintes pressions sur les témoins favorables au plaignant pour qu’ils se taisent. Dans le même temps, ils ne pouvaient se permettre de perdre le soutien des zamindars alors que l’agitation nationaliste gagnait les classes moyennes des villes. En fait, et c’est là la thèse sous-jacente du livre, le procès se déroula dans ces années où le pouvoir colonial prit de plus en plus conscience qu’il était préférable de laisser la gestion des affaires indiennes aux Indiens eux-mêmes. C’est pourquoi il offrit l’occasion aux juges et aux avocats indiens qui y siégèrent de se poser comme des interprètes de l’affaire de Bhawal plus légitimes car plus autorisés que leurs confrères et homologues britanniques ; de faire valoir, en sorte, que tout en étant aussi compétents qu’eux dans le domaine technique de la loi, ils étaient beaucoup mieux équipés pour comprendre la mentalité et les pratiques culturelles de leurs propres compatriotes. Avant même le transfert du pouvoir en 1947, le nationalisme avait déjà grignoté une bonne partie de l’appareil judiciaire.

11Une seule réserve à ce livre passionnant concerne le traitement de l’identité sociale du plaignant. La question de la définition de ce qui constitue l’identité d’une personne fut sous-jacente à tout le procès. Afin d’éclairer les débats qu’elle suscita, Partha Chatterjee convoque les théories occidentales et indiennes de la perception, de la mémoire, mais ne réussit pas à convaincre de l’utilité d’un bagage aussi savant qu’écrasant pour comprendre les modes de raisonnement et d’argumentation auxquels les différents acteurs du procès eurent recours. Par contre, il omet de donner sur l’identité sociale du plaignant des précisions indispensables à l’intelligibilité du jugement de 1936. Car ce dernier ne se contenta pas de donner raison au plaignant. Il établit en outre qu’il n’y avait aucun empêchement majeur à ce que celui-ci recouvre ses droits de propriété en vertu du raisonnement suivant : certes, l’homme avait mené pendant plusieurs années la vie d’un ascète, mais n’ayant jamais renoncé au monde de son plein gré, il pouvait légitimement recouvrer ses droits de propriété (p. 271). Or, à aucun moment il n’est fait mention dans l’ouvrage des implications juridiques du renoncement au monde au sens strict du terme, c’est-à-dire comme résultant d’un rite spécifique (sannyasa) et volontaire. En outre, faute de prêter une plus grande attention à la terminologie du monachisme hindou, Partha Chatterjee désigne systématiquement le plaignant comme un sannyasi alors qu’il n’appartenait justement pas à un ordre de renonçants. Aussi son lecteur, déjà étourdi par l’avalanche de témoignages contradictoires, ne peut qu’être perplexe lorsqu’il apprend que le plaignant était un ascète de l’ordre des udasin (p. 150) ! Autant il était naturel de la part des témoins à charge et à décharge d’appeler sannyasi tout type d’ascète (car ils ne saisissaient pas davantage que les hindous d’aujourd’hui les différences de statuts entre les divers ordres monastiques), autant cette confusion est regrettable de la part de l’analyste puisque, pour finir, elle entrave la compréhension de la portée du jugement. Insistons, ce que ce dernier établit, ce n’est pas seulement que le second kumar avait survécu à l’épisode de Darjeeling, qu’il n’était donc pas mort physiquement, mais aussi que, n’ayant jamais embrassé la condition de renonçant, qui selon la loi hindoue équivaut à une mort civile, il n’était pas non plus mort symboliquement.

12Il n’empêche que, dix ans plus tard, d’aucuns allaient avoir le loisir de s’interroger sur l’étrange faculté des symboles à laisser leur marque jusque dans le monde physique. En juillet 1946, la justice britannique conclut définitivement à l’identité double de l’homme. Le surlendemain du verdict final qui mit tout le Bengale en liesse, le second kumar, rétabli dans son nom et dans ses droits, alla rendre grâce à la déesse Kali, incarnation des forces de destruction ; il fut pris d’un malaise cardiaque au temple, deux jours plus tard, il était mort et bien mort. La déesse avait-elle décidé de châtier l’imposteur que la justice des hommes avait épargné… ? Ce ne fut là que le dernier coup de théâtre d’une affaire riche en coïncidences, hasards inexpliqués, bizarreries et mystérieuses disparitions. Bref, d’une histoire aussi invraisemblable qu’un scénario de Bollywood (et qui du reste a été portée à l’écran), mais qui fut pourtant le reflet des aspirations populaires et de l’opposition au pouvoir britannique à l’une des époques les plus cruciales de l’histoire du Bengale moderne.

131.

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Notes

1 Pandurang Vaman Kane, History of Dharmasastra (Ancient and Medieval Religious and Civil Law), Poona, Bhandarkar Oriental Research Institute, 1941, II (2) : 951-952.
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Pour citer ce document

Référence papier

Catherine Clémentin-Ojha, « Partha Chatterjee, A Princely Impostor ? The Kumar of Bhawal and the Secret History of Indian Nationalism »L’Homme, 167-168 | 2003, 373-378.

Référence électronique

Catherine Clémentin-Ojha, « Partha Chatterjee, A Princely Impostor ? The Kumar of Bhawal and the Secret History of Indian Nationalism »L’Homme [En ligne], 167-168 | 2003, mis en ligne le 11 septembre 2008, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lhomme/19692 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lhomme.19692

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Auteur

Catherine Clémentin-Ojha

EHESS, Centre d'études de l'Inde et de l'Asie du Sud, Paris.

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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