Présentation
Texte intégral
1Les textes qui suivent sont exemplaires de l’interdisciplinarité que l’Équipe de Recherche en Anthropologie et en Sociologie de l’Expertise s’efforce, depuis sa création, de promouvoir. Les recherches empiriques présentées se caractérisent, en deça de la diversité des thèmes étudiés et des appartenances disciplinaires — sociologie ou ethnologie —, par le souci commun à tous leurs auteurs de privilégier, en s’appuyant, sur l’enquête ethnographique, le point de vue d’une sociologie pragmatique. L’attention portée au rôle des objets dans la communication personnelle ou professionnelle, l’étude attentive des interactions dont ces objets sont l’occasion, le repérage des outils cognitifs utilisés par les individus pour contrôler la qualité de leur action font l’intérêt des sept études proposées. Elles confirment ainsi l’intérêt heuristique d’une observation participante attentive à relativiser la compétence scientifique du sociologue ou de l’ethnologue et de prendre en compte la capacité des individus observés, profanes ou professionnels, à se doter d’instruments de mesure de la valeur de leur conduite.
2Chacune de ses études est donc exemplaire de l’anthropologie de l’expertise, au sens d’une attitude méthodologique et d’une posture épistémologique qui consiste, pour le chercheur, à intégrer son propre geste d’observateur dans l’observation.
3— Laurent Kasprowicz propose ainsi une autre vision de la culture cinématographique que celle qui la réduit à un stock d’informations sur les auteurs et leurs œuvres. Mine de rien, sa description ethnométhodologique des conversations sur le cinéma, réalisée à l’aide de sa propre expérience de la consommation des sorties et des nouveautés, inaugure une sociologie de l’échange cinématographique systématiquement sacrifiée, en France, à l’histoire technique du cinéma et à l’économie de la production cinématographique.
4— Violette Nemessanny en choisissant le geste simple de l’énumération ethnographique des objets par lesquels l’art s’introduit dans l’espace domestique, au sens restreint de l’espace familial comme au sens élargi de l’espace local, confirme les limites d’une sociologie déterministe des pratiques culturelles. Elle rend ainsi compte de la nécessité d’intégrer dans l’observation sociologique de la culture artistique en région tant l’effet des politiques culturelles que la contribution du marché et de l’économie du don à l’évolution des conduites culturelles.
5— Sabrina Leyendecker analyse avec précision la manière dont l’enquête sociologique sur le public contribue tout à la fois à la qualification nationale et à l’inscription locale d’un objet du patrimoine culturel lorrain, la Maison de Robert de Schuman. Il s’agit d’un geste de réflexivité exemplaire qui permet de prendre conscience de l’intrication des choix techniques et des choix politiques dans la gestion de l’institution muséale comme dans la construction de l’enquête sociologique.
6— Sabrina Amadio démontre la pertinence d’une approche du secteur associatif attentive à la fonction d’expertise que ce secteur revendique dans le contexte local. Son approche restitue les différents aspects de la relation de service portée par ce secteur, à travers une analyse interactionniste du travail de normalisation des échanges au sein des quartiers difficiles. Cette forme d’analyse de la médiation sociale permet une meilleure compréhension du secteur associatif que celle proposée par une sociologie de la domination ou du contrôle, qui valorise surtout la dimension de l’égalisation des conditions des citoyens, et ne prend pas en compte les spécificités de l’action territorialisée.
7— Jérémie Sinigaglia propose une analyse sociologique d’un mouvement de revendication récent fortement médiatisé, la lutte des intermittents du spectacle contre la réforme de leur statut, en intégrant dans son observation l’usage que ces intermittents ont su faire de l’expertise et des experts. Il mobilise l’enquête ethnographique pour éclairer la manière dont les intermittents du spectacle, qui représentent une catégorie de main-d’oeuvre extrêmement hétérogène, ont réussi à dépasser leurs divergences pour s’accorder sur la défense d’une cause commune, et définir des objectifs acceptables par tous.
8— Kathleen Tamisier a choisi d’étudier le processus par lequel le surdouement d’un individu est reconnu socialement ainsi que les conséquences de cette reconnaissance sociale au sein de la sphère familiale. L’observation ethnographique des parcours des parents dont l’enfant a été diagnostiqué comme « surdoué », et de leurs stratégies pour faire face à cette situation éclaire un phénomène souvent incompris car appréhendé uniquement sous l’angle de l’expertise scientifique ou du débat idéologique. L’ambivalence inhérente à la situation et la compétence parentale nécessaire pour faire face au diagnostic d’ “anormalité” de l’enfant peuvent ainsi être prises en compte.
9Aurélie Candalot, qui prépare un doctorat d’ethnologie sur l’évolution du système
10éducatif en Mauritanie, s’efforce de préciser, sur la base d’une enquête de terrain, les enjeux politiques des nombreuses réformes linguistiques successives qu’a connu ce système éducatif. Son enquête éclaire la manière dont les différences ethniques internes à la société Mauritanienne pèsent sur la place respective accordée au Français et à l’Arabe dans l’enseignement et ont motivé tant les efforts d’arabisation que les tentatives de réduire la scission culturelle du pays résultant de la mise en place, de 1979 à 1999, de deux filières scolaires séparées.
11Jean-Marc Leveratto
12Les doctorants de philosophie sont rattachés au sein de l’ERASE à l’Equipe d’Anthropologie et de Philosophie. La plupart ont déjà publié, dans les précédents Cahiers de la Recherche, un article concernant leurs travaux. Aussi, dans ce volume, nous publions seulement les articles de deux d’entre eux : celui de Yann Porte dont la thèse est intitulée L’écriture fragmentaire de Cioran et le dépassement du nihilisme et celui de Frédéric Seyler dont la thèse est intitulée Affectivité et éthique chez Michel Henry.
13Ces deux contributions ont bien des points communs, ne serait-ce que leur perspective interdisciplinaire, puisque Yann Porte analyse une problématique qui touche aussi bien à la littérature qu’à la philosophie et que Frédéric Seyler développe une argumentation qui pose la difficile question de la médiation qui lie le sentiment de soi à l’éthique, au politique, voire à l’esthétique. Mais le parallélisme entre les deux démarches ne se limite pas à cette considération de méthode. Yann Porte et Frédéric Seyler posent, chacun à leur façon, la question de la relation du sujet à l’affectivité que M. Henry situe dans la passivité d’un souffrir dont la barbarie serait le rejet et Cioran dans la négativité d’un refus que l’écriture permet d’affronter. Chacun d’entre eux sont ainsi amené à développer une critique de la psychanalyse, l’un par le biais du refoulement, l’autre par le biais de la catharsis. Enfin, ces deux postures abruptes de la subjectivité se croisent au lieu d’une éthique fondée sur le désespoir et, on s’en doute, au lieu d’une expérience mystique qui se déploie exclusivement sur un plan d’immanence.
14Jean-Paul Resweber
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Marc Leveratto et Jean-Paul Resweber, « Présentation », Le Portique [En ligne], Cahiers de la recherche, mis en ligne le 15 avril 2006, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/765 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.765
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