Présentation
Texte intégral
1Il semble urgent aujourd’hui dans une « économie-monde » (Braudel) de conduire des analyses transversales à des champs jusque là, le plus souvent cloisonnés. Ou, pour le dire autrement, de désenchâsser des thématiques de leurs attaches « traditionnelles » en sociologie et en anthropologie. Choisir d’associer les thèmes du genre, de la ville, des migrations et du corps consiste à proposer des démarches, des lectures et des éclairages permettant de prendre la mesure des « arrangements » qu’imprime un « va et vient » entre globalisation et territorialisation, savoir global et savoir local. Les analyses féministes, par exemple, ont permis, par un double mouvement, à la fois d’invalider la démarche universalisante du citoyen abstrait et de politiser (ou de « publiciser » pour reprendre l’idée habermassienne) la sphère privée réputée féminine. De la même façon, en analysant ce qu’il appelle des « espaces (ou territoires) circulants », Alain Tarrius n’indique-t-il comment effectuer, à un autre niveau, ouvrant une voie alternative aux études sur la migration, les faisant passer de l’exclusif ou/ou d’une forme datée de migration (Sayad) à un et/et à présent observable. De manière moins récente, les travaux sur la ville ont en partie délaissé l’étude des fixations territoriales ou des appropriations de l’espace chères à Chombart de Lauwe et Ledrut pour s’attacher à décrypter les usages et les pratiques dans un espace urbain devenu dominant, accessible et ouvert. De même, les analyses des pratiques corporelles se sont démarquées d’une perspective culturaliste pour envisager les usages et les résistances dans les pays du Tiers monde et en Occident face aux politiques globales de médicalisation par exemple (D. Fassin). Emily Martin décrit par exemple aux Etats Unis les interprétations des phases du cycle de vie féminine, mettant en évidence des pratiques et des représentations négociées.
2Cet axe de travail voudrait, en s’appuyant sur les travaux de plusieurs d’entre nous, proposer une politique de recherche capable de traverser des frontières, nationales entre autres, mais aussi des champs de recherche souvent disjoints pour se saisir de l’émergence de pratiques sociales labiles, mouvantes, incertaines, voire contradictoires entre elles. Politique de recherche au sens d’un point de vue, comme les féministes anglo-saxonnes l’envisagent, lorsqu’elles parlent de « situated knowledge ». Ce point de vue nous semble être de renouer les fils, au sein d’une société aujourd’hui globalisée, mais aussi d’une société du risque (Beck), de pratiques qui se tissent à l’intersection de mondes sociaux, de manière inattendue. Relatant les trajectoires de jeunes dits « des quartiers », habituellement envisagés comme « sans avenir », Michel Peraldi met au jour, au contraire des formes de carrières, empruntant aux univers du commerce dominés par la parole donnée et la confiance, peu associées à leurs comportements habituels. La migration des femmes philippines, scolairement dotées qui traversent les mers pour venir travailler comme domestiques à Paris, si elles souffrent certes de l’exil, n’en dessine pas moins, à leurs yeux, les contours d’un projet de vie transnational que l’instrumentalisation de leur emploi subalterne permet.
3Une telle démarche souhaiterait, sur les thèmes énoncés plus haut, favoriser les connexions, les intersections ou les tangences dans l’entre deux où les situations et les pratiques, même celles qui sont le plus apparemment limpides recèlent hésitations, incohérences, voire contradictions qui coexistent. Plus largement, il s’agirait de se doter d’outils pour appréhender, des engagements subjectifs des agents sociaux tels que l’ouverture globale du monde les travers et les hante. Quelques pistes indiquent les ruptures déjà apparues et peuvent, en creux, ouvrir la voie à de nouvelles recherches : à travers ce que Saskia Sassen appelle les villes globales, se dessinent les contours d’un rapport Nord/Sud qui reconfigure les activités aux personnes en particulier, mais aussi du commerce ; les mouvements migratoires tendent à se féminiser (femmes à la valise étudiées par Peraldi, marocaines et africaines qui viennent en touristes faire leurs emplettes en France pour les revendre au pays étudiées par Sophie Bredeloup, Philippines, les Mercedes-Benz des domestiques comme elles se définissent elles-mêmes).
4La région Lorraine dotée d’une riche histoire d’immigration et d’un passé industriel omniprésent, la situation frontalière de Metz, donnent l’occasion de renouveler les regards sur les mouvements migratoires transfrontaliers, sur la mémoire différentielle des genres dans la classe ouvrière, sur les trajectoires des garçons et des filles issus de l’immigration. Elle est aussi un laboratoire pour décrypter les rencontres d’usages et de représentations du corps pour des agents sociaux puisant dans des registres et des univers multiples.
Pour citer cet article
Référence électronique
Liane Mozère, Ahmed Boubeker, Piero Galloro et Virginie Vinel, « Présentation », Le Portique [En ligne], Carnets du Genre, mis en ligne le 10 novembre 2005, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/717 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.717
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