Roland Barthes, Comment vivre ensemble, cours et séminaire au collège de France (1976-1977)
Texte intégral
1Mars 1976, sur proposition de Michel Foucault, Roland Barthes est élu au collège de France à la chaire de sémiologie littéraire. Le 12 janvier 1977, il débute son cours qu’il intitule : « Comment vivre ensemble ».
2Le parallèle est trop troublant pour ne pas le noter. En février 1975 paraît Surveiller et punir, octobre 1976, La volonté de savoir. Dans ses deux livres Michel Foucault donne une nouvelle définition du pouvoir qui relève plus de « la multiplicité des rapports de force qui sont immanents au domaine où ils s’exercent et sont constitutifs de leur organisation [...] omniprésence du pouvoir [...] il se produit à chaque instant [...] inerte [...] auto reproducteur » 1. Pouvoir qui ne peut se comprendre qu’à partir du corps à corps, pouvoir qui a la fâcheuse tendance de ne pas être localisable, pouvoir en définitive qui transiterait par le corps, qui circulerait dans le corps même des individus qu’il soumet et discipline.
3Si l’on peut parler de parallèle c’est que ce qui intéresse Roland Barthes dans son cours, c’est bien la relation, le corps à corps aurait dit Michel Foucault, de l’individu face au pouvoir.
4« Comment vivre ensemble » serait à ma connaissance la première réponse donnée à Michel Foucault et à son idée d’un pouvoir omniprésent. Cette réponse s’ordonne autour de cette question qui est à la base du développement de Roland Barthes, « À quelle distance dois-je me tenir des autres pour construire avec eux une sociabilité sans aliénation ? »
5Pour terminer sur cette idée d’une lecture en parallèle des textes de Michel Foucault et de Barthes, on peut noter que Foucault tenta lui aussi de résoudre cette question en mettant en place lui aussi une esthétique de l’existence qui aurait dû servir à « nous libérer nous de l’État et du type d’individualisation qui s’y rattache» 2. Voir à ce sujet ses derniers écrits et en particulier les deux derniers tomes de l’Histoire de la sexualité ou l’on voit très bien comment il essaie de mettre au point « avec le corps, ses éléments, ses surfaces, ses volumes, ses épaisseurs, un érotisme non disciplinaire » 3.
6Cette distance passe pour Roland Barthes par la préservation de son rythme, par ce qu’il appelle une idiorythmie. Le pouvoir imposerait avant tout un rythme, rythme de vie, rythme de temps, « la subtilité du pouvoir passe par la dysrythmie, l’hétérorythmie » 4.
7Ce fantasme de vie qui permettrait à chacun de vivre selon un rythme, une souplesse, une mobilité qui lui serait propre a donné lieu à deux types d’existence, deux types de vie extrême. Le premier relèverait de la solitude, le second des grands agglomérats hostiles à l’idiorythmie, c’est-à-dire, pour Barthes, les phalanstères, les couvents, mais aussi par extension ceux que Foucault a introduit dans sa définition du pouvoir, à savoir les asiles, les prisons, les hôpitaux mais aussi les grandes usines ou les collèges.
8Le but est pour Barthes, à partir de ces deux types de vie extrême, de découvrir la possibilité d’un style de vie, un art de vivre, médian ou des groupements d’individus pourraient vivre ensemble sans exclure la possibilité d’une liberté individuelle qui ne les marginaliserait pas.
9La lecture de ce cours montre aussi visuellement la technique de travail élaboré par Roland Barthes. Il suit l’idée d’une Paideia et non d’une méthode ou d’une définition qui l’obligerait à avoir circonscrit son objet, « je n’ai pas [dit-il en suspens] une philosophie du vivre ensemble » 5. Il s’agit bien d’une méthode qui montre plutôt qu’elle n’essaie de démontrer, rappelle Claude Coste dans sa préface bien argumentée, qui permet aussi à son lecteur de mieux comprendre la situation de ce cours dans l’ensemble du travail volumineux de Roland Barthes. Ce cours révolutionne l’approche de l’objet, dans le sens où Barthes tente d’adopter une présentation particulière basée sur une juxtaposition qui passe par un traitement alphabétique des thèmes choisis. Cette méthode devient même visuelle en permettant au lecteur de juxtaposer selon son vouloir les nombreuses digressions qui ont permis à Barthes de constituer par touches successives ce fantasme de l’idiorythmie.
10L’autre événement de cette nouvelle parution est d’ordre plus nostalgique puisque l’on peut se procurer l’enregistrement auditif de ce cours, soit quatorze heures d’écoute. La nostalgie est bien celle de la voix si caractéristique de Barthes qui, comme le rappelle Julia Kristeva, dans un article déjà ancien, « confère à sa communication immédiate [...] malgré la distance, la force d’un contact physique» 6. Il existe d’ailleurs la même possibilité pour son deuxième cours intitulé « Le Neutre », cours de 1977-1978 qui est paru en même temps que « Comment vivre ensemble ». L’on ne peut pourtant que regretter, pour respecter cette sollicitation nostalgique, que les enregistrements des cours de Michel Foucault au collège de France ou ceux de Paul Veyne, mais aussi ceux de Gilles Deleuze à Vincennes par exemple, ne soient toujours pas disponibles pour le grand public.
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-François Bert, « Roland Barthes, Comment vivre ensemble, cours et séminaire au collège de France (1976-1977) », Le Portique [En ligne], 10 | 2002, mis en ligne le 17 juin 2005, consulté le 03 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/673 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.673
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page