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AccueilNumérosCahiers du Portique n°15Ne pas savoir qu’on sait

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Ne pas savoir qu’on sait

« Le secret du philosophe »
Gérard Bensussan
p. 165-175

Texte intégral

Pour Joëlle Strauser

1La philosophie, dans son histoire et ses tendances dominantes, est animée par un socratisme foncier, lequel s’atteste dans le nom même qu’elle porte et traverse aussi bien l’égologie cartésienne, la Selbstbewusstsein hégélienne ou encore l’intentionnalité husserlienne, toutes variations différentielles autour de la réflexivité ou de l’autoréflexivité. Pour dire les choses de façon massive, dont je n’ignore nullement qu’il faudrait les exposer en détail, ce qui porte la philo-sophie, c’est bien le savoir d’un non-savoir qui meut, dans la puissante dynamique d’une feinte humilité, toute la maïeutique socratique et, au-delà, tout l’effort de pensée de notre tradition.

2Pourtant, comme toute tradition, cette dernière porte en ses flancs une contre-tradition, et le socratisme un contre-socratisme. Poser comme un principe, c’est-à-dire comme un commencement et un commandement, qu’en tout état de cause, et même si je ne sais rien, le dernier mot revient tout de même au premier, et que je sais que je ne sais rien, c’est évidemment assurer le prestige d’un savoir qui l’emportera toujours sur le non-savoir qu’il régit, comme en une partie d’échecs jouée d’avance en raison de l’inégalité patente des partenaires. Le socratisme relève l’ignorance et ignore les failles.

  • 1 . La même chose vaut en effet pour l’« expérience » du rêve. Je me permets de renvoyer ici à « Le r (...)

3À rebours, la position d’un contre-socratisme, lequel a aussi quelques titres à faire valoir, tient un vrai paradoxe, à savoir qu’on sait et qu’on en sait toujours plus qu’on croit (ne pas savoir). Mais ce savoir, c’est le moindre de ses paradoxes, s’évase et s’ouvre vers le primat d’un non-savoir, soit sur une terra incognita dont l’exploration ne finira jamais. Si le savoir socratique, le savoir d’un non-savoir, assure ultimement la toute-puissance de la dialectique et l’emprise circulaire du Concept, ne pas savoir qu’on sait, voire ce qu’on sait, procède d’un effet de dépossession du sujet sachant débordé par l’énigme de quelque chose qu’il « sait » malgré lui, à l’insu de sa conscience réflexive et du programme auquel elle l’assigne. Cette dépossession figure une sorte de subjectivation par dessaisissement, dont l’« expérience » amoureuse, notamment mais pas seulement 1, témoigne à souhait. Les guillemets qui encadrent le mot « expérience », je ne fais que l’indiquer en passant pour des raisons de clarté, ont pour but de rendre simplement attentif au paradoxe d’une expérience qui ne se constituerait jamais par l’appropriation ou la réappropriation d’une extériorité radicale qui l’aurait au préalable aliénée. Cette dépossession, ce que Levinas a appelé « expérience hétéronome », peut être dite au moyen d’une formule de Montaigne, qui en consigne les « expériences » les plus diverses, justement : « je m’échappe » (Essais, I, XX). L’expression est évidemment à entendre comme « mon je m’échappe » et non pas comme la première personne du singulier du verbe réflexif « s’échapper », ce qui serait quasiment une contradictio in adjecto. S’échapper au sens de prendre la fuite signifierait précisément se sauver, se sauvegarder, se préserver, c’est-à-dire sauver son je.

  • 2 . Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 74.
  • 3 . Ibid., p. 87.
  • 4 . Ibid., p. 89-90 (c’est moi qui souligne).

4Le « je m’échappe » montaignien peut être considéré comme une donnée de structure, le contre-socratisme que j’évoquais en commençant : je ne sais pas que je sais, je ne sais pas ce que je sais, et même je ne veux rien savoir car j’en sais déjà trop, selon Freud en tout cas. Telle est, d’après lui, la position du dormeur par rapport au monde extérieur : « le sommeil est un état dans lequel le dormeur ne veut rien savoir du monde extérieur » 2. Mais ce ne-rien-vouloir-savoir renvoie spéculairement, et plus profondément, à un véritable « savoir nescient », selon l’expression de Schelling sur laquelle je vais revenir. « Le rêveur sait ce que son rêve signifie mais, ne sachant pas qu’il le sait, il croit l’ignorer » 3. Ce propos renvoie remarquablement à la structure contre-socratique en son plein régime d’effectivité. Il excède évidemment le simple exemple du rêve – et son efficace vaut aussi et joue activement dans l’état de veille dont il atteste bien plutôt la dimension continûment inconsciente. Dans cette même page de l’Introduction à la psychanalyse, Freud l’affirme sans hésiter : « quelqu’un croit ne rien savoir d’événements dont il porte cependant en lui le souvenir ». Chaque sujet se tient ainsi dans un état de « connaissance inaccessible » à soi du soi 4. C’est cela l’inconscient, le rêve en étant, on le sait, la voie royale d’exploration ainsi que tout ce qui y est associé, les actes manqués, les lapsus, l’oubli des noms propres, les déhiscences de la langue – autant de troubles qui sont des troubles du savoir.

5Ceux-ci ne sont pas simplement tributaires d’une analyse, d’un déchiffrement symptômal, d’une cure et d’un retour à la norme, soit d’un savoir du trouble en acte. Ils signifient en profondeur et manifestent quelque chose du savoir lui-même, et de sa verbalité, de ce que l’on dit quand on dit « je sais » ou bien « je ne sais pas ». Ceci est un premier résultat qu’autorise la structure contre-socratique : savoir n’est pas qu’un substantif et un ensemble de contenus substantiels, savoir est un verbe toujours conjugué, l’organisation structurée d’un rapport entre un sujet qui parle (« je ne sais pas »), un « objet » énigmatique et incertain (« ce que je sais ») et une ligne d’« échappée » qui les relie.

  • 5 . Schelling écrit bewusstlos là où Freud dit unbewusst, ce qui renvoie à une très profonde différen (...)

6C’est cette même ligne que Schelling détermine, lui, comme savoir nescient. Une activité inconsciente 5 supporterait en entier le je, le sujet sachant, explique-t-il. Ce je censé savoir dans la lumière de la raison ne serait rien d’autre qu’une méprise subjective du savoir, l’effet d’une activité inconsciente qui le dépasserait infiniment tout en le structurant en profondeur. Si le je s’échappe, il n’est nullement exclu qu’il reprenne ou retrouve la productivité infinie de cette échappée dont il n’est qu’un produit passager dans le mouvement d’une subjectivité bien plus vaste, bien plus océanique, que celle d’un « sujet », ego cogito.

  • 6 . Les Âges du monde, PUF, « Épiméthée », trad. P. David, Paris, p. 13 ou encore p. 136 (j’indique d (...)
  • 7 . Borgès a écrit à mon avis le poème de ce dédoublement, La Sentinelle, « La lumière entre et je m’ (...)

7Dans ce savoir nescient, Schelling discerne même le « véritable secret du philosophe »6, par un retournement remarquable de la tradition, sa subversion surdéterminée. Reprenant du Sophiste ou encore du Théétète la figure convenue de l’entretien de « l’âme » avec elle-même, il en corrige la forme de pure clôture autorepliée et y voit au contraire une intimité schizée, une « séparation », un « dédoublement de nous-mêmes », le « secret commerce entre deux êtres » en nous – l’un qui ne sait pas et pose ses questions et l’autre qui sait et qui répond 7. Ainsi le dialogue intérieur et silencieux avec moi-même finit par opérer non plus comme autarcie de l’intériorité, que Schelling a toujours tenue en forte méfiance, mais comme principe d’hétéronomie, lequel atteste tout bonnement la temporalisation du temps dans le sujet humain.

8Les « deux êtres » qui séparent et animent le « secret commerce » qui nous « dédouble » sont en effet rapportés par Schelling à des forces temporalisées agissantes à l’insu du sujet dans le sujet. Ces forces sont au nombre de deux : l’une sachante, l’autre nesciente, l’une supérieure, l’autre inférieure, l’une limpide, l’autre obscure et aspirant à la clarté, l’une archaïque, l’autre « éternellement jeune », l’une répondant incessamment aux questions de l’autre. Se met ainsi en place un véritable récit, et l’ambition (avortée) d’une philosophie « narrative », une exposition racontée du jeu, des correspondances et des dissonances dans quoi entrent les deux forces. Si la première retient et enveloppe en elle « le trésor » du temps, l’autre en « témoigne » et y « assentit », elle parle et « éveille » ce que la première « garde », comme une « sentinelle », elle qui « reste muette et ne peut exprimer » ce que l’autre porte, à savoir « le pressentiment et la nostalgie de la connaissance » (136). Un insondable repose donc en l’homme, à l’état scellé, un oracle enfoui et muet, où sommeillent les archétypes des choses. Le savoir nescient n’est rien d’autre que le fluide qui va de ce dépôt archétypal à l’effort de savoir qui, certes, le vise, mais selon un inévitable recouvrement, une oblitération, qui sont l’effet quasi-nécessaire du temps et de sa temporalisation dans le savoir. Le nescient, c’est le temps en effet, alors que l’inconscient, lui, ignore le temps, comme on sait. Il y a là une différence, notable et très intéressante, entre le « sans-conscience » schellingien et « l’in-conscient » freudien. Le premier structure tout processus de « savoir » depuis un « sans » savoir. Il ne relève pas d’une ruse ou d’un calcul par où, dans un « système » organisé polairement (Cs/Ics, comme écrit Freud), l’inconscient se joue en quelque façon de la conscience et du conscient, c’est-à-dire d’un savoir. La proximité entre Schelling et Freud est certaine mais elle recouvre deux modes très différents du ne-pas-savoir qu’on sait.

9Le second effet remarquable du contre-socratisme tel que j’en engage ici la réflexion concerne en effet la question de la temporalisation. Le ne-pas-savoir qu’on sait, et le « refoulement » de forces qu’il atteste (Schelling dit Verdrängung ou Zurückdrängung), sont des dispositions où se structure le temps sur le mode de l’échappement.

  • 8 . Traduction approximative du Gemüth selon le nom que donne Schelling à l’une des deux forces de te (...)

10Le passé est en effet l’assiette du présent, une strate de notre conscience intime du temps que le présent recouvre et refoule. Sous cet aspect, comme le montre également Rosenzweig, tout savoir est savoir du passé, nécessairement, savoir d’objets déjà-là, savoir d’un monde que je « pré-trouve », comme dit l’allemand. Mais, parce qu’il déborde toujours en profondeur le savoir qui le cerne, le passé constitue pour nous tous plus qu’un objet de savoir. Il se tient en nous comme une « très ancienne composante de (notre) être », mutique et déposée pour toujours comme « principe du temps primitif », force de reliaison à « un passé insondable » susceptible d’être éveillé et revivifié (222). Cette force se stratifie dans la temporalité vivante de l’homme comme un « témoin du passé » (223), « oublié » mais non point « éteint », enfoui et « obscur » mais « encore en vie », « endormi » mais toujours rappelable à la conscience et à la présence – ce qu’attestent tout particulièrement les sensations de déjà-éprouvé : « lorsque le cœur8 s’anime, les temps les plus éloignés deviennent |à l’homme] merveilleusement vivants. Combien de fois nous arrive-t-il de croire, dans un moment présent, reconnaître soudain un moment qui vient d’être vécu, qui a déjà été » (223). Ou encore, dans la version de 1813 des Âges du monde : « dans quelles merveilleuses correspondances, dans quels intimes nœuds de relations [l’homme] ne se voit-il pas souvent transposé par ce lien intime, lorsqu’un instant présent lui semble s’être déjà produit il y a fort longtemps ou quand il a l’impression d’avoir été témoin d’un événement ayant eu lieu dans un lointain passé ! » (134). Toutefois, la masse mémorielle immémoriale que recèle le cœur de l’homme demeure close sur elle-même, comme un « trésor » à jamais scellé, disparu (223). Pour que le témoin témoigne, il y faut une autre force, capable de révoquer ce qu’elle a elle-même produit, le refoulement, et d’invoquer ou de faire mémoire de l’insondable passé, de sa « réserve » et de sa ressource. Cette autre force, « l’esprit », vient après lui, elle inter-vient en refoulant le plus ancien, le lien temporel intime qui relie au plus primitif et au plus reculé. Tel est le sens du « secret commerce » : une constitution entièrement temporalisée de l’homme par l’effet d’une dynamique continuée et agonistique où sont engagés et co-impliqués « un être obscur » cerné par un « je sais » et « un être conscient » (224) engagé dans un « je ne sais pas ».

11Ce que les Âges du monde nomment avec insistance « secret commerce » de la subjectivité temporalisée désigne le rapport contre-socratique du « ne-pas-savoir » à l’obscurité étincelante de ce qu’on sait très bien depuis toujours, ce qui par ailleurs forme « le secret du philosophe ». Ce rapport ne prend sens qu’à condition de ne pas accorder les mêmes coefficients de signification aux deux usages du verbe savoir. Le savoir socratique, homogène au non-savoir, s’autorise de ce qu’il abolit dans son auto-affirmation, ce non-savoir transfiguré, de même sens et de même nature que lui, et par conséquent convertible par et dans un savoir qui se restaure d’une dépouille et se nourrit de ses restes. Comme l’indique très bien la topologie schellingienne, ne pas savoir que l’on sait établit en revanche un rapport différentiel entre une ignorance actuelle, ou présente, et un substrat enfoui qui se sait lui-même sans que je le sache en quelque sorte. Cette différence est la différence du temps se temporalisant.

12Elle oblige à penser autrement la pensée, dans une extension plus ample que l’arc du seul logos, non seulement plongée dans le temps, mais reliaison à « la nuit des temps ». Nous pouvons bien être « assurés » du savoir que nous prenons de nous-mêmes, du monde et des autres hommes, nous pouvons bien tester continûment cette assurance, et à bon droit – mais pas jusqu’au point où nous cesserions d’expérimenter les « mondes » du nescient ou de l’inconscient, le souvenir, le rêve, les impressions de déjà-vécu, comme des mondes réels. À la thèse qu’il n’y aurait de philosophie que comme exigence d’une manifestation totale de soi par soi, hors toute échappée, la persistance et l’insistance d’un immémorial en nous, et latent et manifeste, apportent un démenti continu. Cette prégnance durable constitue à certains égards l’indice de la « fausseté » de certaines vérités trop éclatantes et de la vérité d’une obscurité qui ne demande qu’à s’articuler en clarté. Comment, à ce titre, ne pas y discerner des questions philosophiques de première grandeur ? Par la grâce ou la violence de leur vérité, les événements qu’on sait sans jamais les savoir, comme en une prémonition interminable, détiennent une effectivité qui précèdera toujours leur possibilité. Ils brisent les simulacres d’une raison exclusive qui explique le concept par le recours autocentré à un autre concept, dans le milieu homogène du « savoir qu’on ne sait pas », articulation linéaire du pôle positif et du pôle négatif d’un même élément. Ils interrompent les règles de l’autoconservation et de la préservation de soi, les continuités historiques, les assurances du logos reliant entre elles des représentations.

  • 9 . Introduction à la psychanalyse, éd. cit., p. 71.
  • 10 . Ibid., p. 72.
  • 11 . « Le rêve, l’amour »…, éd. cit.

13« Je ne sais pas que je sais » relie deux moments hétérogènes, c’est-à-dire hétérogénéisés par le temps et les profondeurs stratifiées qu’il dépose, le temps d’une ignorance avouée et le temps d’une remémoration active mais partielle. Mais cette hétérogénéité temporelle n’affecte pas seulement le « savoir » en en verbalisant les flux, en le différenciant. C’est aussi le je du « je sais » et du « je ne sais pas » qui s’en trouve dédoublé, on l’a vu, c’est-à-dire troublé dans sa vérité – c’est là le troisième point d’aspérité montré par « le secret du philosophe ». Pour établir l’hypothèse de l’inconscient, Freud en passe d’ailleurs par la figure provisoire des deux « personnes » ou des deux « consciences » : « tous les actes et toutes les manifestations que je remarque en moi et que je ne sais pas relier au reste de ma vie psychique doivent être jugés comme s’ils appartenaient à une autre personne »9. Cet autre en moi, la sentinelle de Borgès, prendrait les contours d’une « conscience inconsciente »10. Il faut à l’homme « disposer d’un autre que soi » selon les Âges (13), d’un « organe où il puisse lui-même se contempler, s’exprimer et accéder à sa propre compréhension » (135). Le je du « je ne sais pas » est donc un Autre que le je de la suite de la phrase, « …que je sais ». Le je du « je ne sais pas que je sais », comme le je du « je rêve » ou du « je t’aime », je l’ai montré ailleurs11, ne peut avoir la même teneur que celui du « je pars en voyage » ou « j’écris un texte sur le je ne sais pas que… ». C’est un je précédé par le préalable d’un immémorial qui est là bien avant lui et son non-savoir. Je ne peux dire « je ne sais pas que je sais » que parce que m’a déjà saisi l’intuition, ni tout à fait sensible ni tout à fait intellectuelle, que j’ai rapport à ce qui m’échappe.

14Cette échappée du je qui, déplacé de soi, n’est plus je, manifeste à quel point le je est toujours déjà loin de lui-même. Ce lointain n’est évidemment pas une affaire de distance, de mesure, de métrique ou d’approche topologique. Ce n’est pas ce très-loin-de-lui-même du je qui serait inatteignable. En effet, il se manifeste comme tel. En quelque façon c’est nous-mêmes, ce « je m’échappe », c’est la jointure de nous-mêmes avec nous-mêmes dans l’échappée. Être très loin de soi-même, paradoxalement, c’est aussi pour le je qui s’échappe une façon de s’avancer depuis ce lointain et d’entrer dans une certaine proximité à soi, opaque peut-être mais d’une sienne opacité.

15Si le lointain du je ne se mesure pas selon l’ordre d’une distance qu’il pourrait toujours progressivement réduire, c’est parce qu’il y va en vérité de sa vérité loin de soi. Il y va d’une expérience de la vérité comme vérité d’une expérience de la perte et de l’échappée. Une distance se mesure par un système métrique. Une vérité, lorsqu’elle est vérité du soi, ne se mesure guère.

  • 12 . Introduction à la psychanalyse, éd. cit., p. 76.

16Elle a à se « traduire en paroles » nous dit si justement Freud12. La formule contre-socratique laisse ainsi entrevoir l’image de ce dont il n’existe pas d’image et qu’il faut donc « traduire en paroles ». Elle signifie un secret de la vérité qui est aussi bien un secret de la vie et du monde, lequel, bien sûr, et les philosophes le savent bien, vaut exemplairement la peine d’être pensé. Voilà ce qui constitue une épreuve singulière et unique, et voilà pourquoi le « ne-pas-savoir-que-l’on sait » se présente à nous comme une limite implacable de l’exercice serein du philosopher. Mais en même temps, et pour les mêmes raisons qui commandent l’extrême intérêt de la question, on peut aussi penser que se tiennent là les sources vives – et les plus celées – de la philosophie, en tant qu’elles s’échappent, en tant qu’elles sont perte, et qu’elles mettent ainsi tout logos à la torture.

17Mais, à vrai dire, ce secret, comme tous les vrais secrets, les plus secrets des secrets, est partagé par tous, et par le philosophe aussi quoi qu’il dise, mais un peu moins pourtant que par les autres hommes.

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Notes

1 . La même chose vaut en effet pour l’« expérience » du rêve. Je me permets de renvoyer ici à « Le rêve l’amour » in Ostium, Casopis, 3/2016, 12 ou www.ostium.sk/le-rêve-lamour

2 . Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 74.

3 . Ibid., p. 87.

4 . Ibid., p. 89-90 (c’est moi qui souligne).

5 . Schelling écrit bewusstlos là où Freud dit unbewusst, ce qui renvoie à une très profonde différence entre les deux qui s’éclairera par la suite.

6 . Les Âges du monde, PUF, « Épiméthée », trad. P. David, Paris, p. 13 ou encore p. 136 (j’indique dans la suite du texte, entre parenthèses, la pagination dans cette édition française).

7 . Borgès a écrit à mon avis le poème de ce dédoublement, La Sentinelle, « La lumière entre et je m’éveille, il est là…dans l’ombre prochaine de l’autre royaume, je serai là, à m’attendre », L’Or des tigres, Paris, Gallimard, 1976, p. 194-195.

8 . Traduction approximative du Gemüth selon le nom que donne Schelling à l’une des deux forces de temporalisation (Geist, esprit, pour l’autre). Pour plus de précisions, je renvoie à Les Âges du monde de Schelling. Une traduction de l’absolu, Paris, Vrin, 2016.

9 . Introduction à la psychanalyse, éd. cit., p. 71.

10 . Ibid., p. 72.

11 . « Le rêve, l’amour »…, éd. cit.

12 . Introduction à la psychanalyse, éd. cit., p. 76.

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Pour citer cet article

Référence papier

Gérard Bensussan, « Ne pas savoir qu’on sait »Le Portique, Cahiers du Portique n°15 | 2018, 165-175.

Référence électronique

Gérard Bensussan, « Ne pas savoir qu’on sait »Le Portique [En ligne], Cahiers du Portique n°15 | 2018, document 8, mis en ligne le 30 mars 2022, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/4160 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.4160

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