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HomeNumérosCahiers du Portique n°15Socrate encyclopédiste et Diderot...

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  • 1 Cette communication est évidemment dédiée à mon amie Joëlle. Ce petit texte constitue à sa manière, (...)

« Ah ! Socrate ! je te ressemble peu ;
mais du moins tu me fais pleurer d’admiration et de joie ».

Diderot, « Socratique », Encyclopédie, XV.

  • 2 . Nous reprenons ici la formule, consacrée par l’usage, qui réfère le plus souvent à un passage fam (...)
  • 3 . Socrate ne pouvait connaître Pyrrhon d’Elis né plus de trois décennies après l’exécution du maîtr (...)

1À peine commence-t-on à réfléchir au lien entre philosophie et non-savoir que surgit le personnage emblématique de Socrate, à la fois figure tutélaire de la philosophie occidentale et apologiste du non-savoir. Le maître de Platon, en effet, est à l’origine de toutes les conceptions ultérieures de la « docte ignorance », ce savoir si ténu qu’il réside tout entier dans la connaissance de sa propre inscience : « je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien », répète à l’envi Socrate 2. Par conséquent, si on imaginait un spectre figurant les différents états de la présomption de connaître, le savoir socratique représenterait assurément le second plus bas degré de cette échelle, juste au-dessus du pyrrhonisme avec lequel il ne saurait être confondu 3.

  • 4 . Pour plus de précisions sur le rôle précis de Diderot dans l’entreprise de l’Encyclopédie, voir l (...)
  • 5 . Platon, Hippias mineur, 368b, Œuvres complètes, t. I, trad. L. Robin, Paris, Gallimard, 1950, p. (...)

2À l’autre bout de ce même spectre, au plus haut de l’échelle, apparaîtrait alors sans nul doute le savoir encyclopédique. De fait, le personnage qui paraît d’abord s’opposer à Socrate de façon antithétique, plus encore que le sophiste, est bien l’encyclopédiste des Lumières, a fortiori le premier d’entre eux, celui qui en exprime la quintessence : Diderot. Celui que ses contemporains nommaient « le philosophe » a été, faut-il le rappeler, le principal concepteur de l’Encyclo­pédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, publiée de 1751 à 1772, en dix-sept volumes de textes et onze volumes de planches. Non seulement Diderot en fut l’éditeur qui organisa le travail de 160 collaborateurs et corrigea près de 72000 articles pendant vingt-cinq années, mais il en fut tout aussi un contributeur prolixe qui rédigea environ 5000 articles traitant de tous les domaines, de la fiscalité à la mode, de la botanique à la métaphysique, de la religion à la géographie, de la grammaire à la politique 4. De sorte que si Socrate avait pu rencontrer Diderot, il n’aurait pas manqué de lui déclarer, plus encore qu’à Hippias : « tu es, entre tous les hommes, le plus savant dans les disciplines les plus nombreuses » 5.

  • 6 . Platon, Apologie de Socrate, 19d, 33a. La mission assignée à Socrate par la « divinité » auprès d (...)
  • 7 . Voir, principalement, Jean-Marie Dolle, Diderot, Politique et éducation, Paris, PUF, 1973 ; Sophi (...)
  • 8 . Les œuvres complètes chez Hermann, en parution depuis 1975, sont constituées de 33 volumes, sans (...)
  • 9 . Diderot, Socratique, ou Histoire de la philosophie de Socrate, (Hist. de la Philos.), Enc. XV, 26 (...)

3Socrate d’un côté, Diderot de l’autre. Tout, ou presque, semble les opposer. Le premier ne cesse de répéter qu’il ne sait rien en dehors du savoir de sa propre ignorance, se défend de n’avoir jamais rien enseigné 6 et n’a laissé aucune œuvre écrite à la postérité. À l’inverse, le second semble tout savoir sur tout, a eu l’obsession sa vie durant de la pédagogie 7 et rédige une œuvre monumentale qui porte sur tous les arts et toutes les sciences 8. On s’imagine alors comprendre l’apostrophe de Diderot au maître de Platon : « Ah ! Socrate ! je te ressemble peu… » 9. Cependant, ces deux figures ne sont peut-être pas si antithétiques que le laisse accroire cette première approche. Tout au contraire, le chemin emprunté par le docte ignorant finit, contre toute attente, par rejoindre celui de l’encyclopédiste omniscient. Il n’y a évidemment pas identité entre les « doctrines » des deux philosophes, mais il y a certainement, entre eux, partage d’une certaine manière de connaître et conception commune de la quête philosophique.

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  • 10 . Voir la belle analyse de Bernard Groethuysen, Anthropologie philosophique, Paris, Gallimard, 1953 (...)
  • 11 . Aristote, Poétique, I, 1447a28-b13.
  • 12 . Outre ceux de Platon, les dialogues socratiques qui nous sont parvenus sont notamment ceux d’Anti (...)
  • 13 . Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie ?, chap. 3, Paris, Éditions de Minuit, 1991.
  • 14 . La thèse autrefois soutenue par Burnet et Taylor de l’identité dogmatique entre le Socrate histor (...)

5Socrate est un personnage au caractère complexe, incertain et en même énigmatique 10. Il ne serait d’ailleurs pas faux d’affirmer, avec un brin d’humour, que nous savons de façon certaine une seule chose sur Socrate, c’est que nous ne savons pas grand chose de lui. Plus sérieusement, ce contemporain de Périclès est pour une large part inconnu des historiens, à quelques éléments biographiques près. De fait, le Socrate que nous a légué la tradition est un personnage reconstruit ou inventé par des textes déjà présentés par Aristote comme un véritable genre littéraire : le logos sokratikos 11. Bien plus, parmi les « dialogues socratiques » qui nous sont parvenus 12, ceux de Platon ont forgé un Socrate fort proche de ce que Deleuze nomme un « personnage conceptuel » 13, à l’instar du Zarathoustra de Nietzsche ou du Dom Juan de Kierkegaard 14.

  • 15 . John Cooper, « Socrate et la philosophie comme manière de vivre », trad. Olivier Renaut, Études p (...)

6Or que dit ce personnage de lui-même, c’est-à-dire, au fond, du philosophe 15 ? Qu’il ne sait qu’une seule chose, c’est qu’il ne sait rien. Soit. Toutefois, par cet aveu d’ignorance Socrate cherche surtout à affirmer, de manière un peu moins « docte », que le philosophos n’est jamais un sophos. Surtout, cet adage ne doit en aucun cas être dissocié de deux injonctions qui le tempèrent et avec lesquelles il forme un triptyque conceptuel qui livre le sens authentique de la docte ignorance socratique.

  • 16 . Voir Charmide 165a, Alcibiade 124b, Protagoras 343a, Apologie de Socrate 124b, Philèbe 19c et 48c (...)
  • 17 . Montaigne, Les Essais, liv. III, ch. 13, P. Villey (éd.), Paris, PUF, Quadrige, 2004, p. 1075.
  • 18 . Jean Brun, Socrate, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 6e éd., 1978, p. 63-80.

7La première injonction réside dans la non moins célèbre formule reprise par Socrate d’une inscription au temple de Delphes : gnothi seauton, « connais-toi toi-même » 16. Il est regrettable que les deux sentences les plus fameuses de la pensée socratique soient si souvent expliquées indépendamment l’une de l’autre. En vérité, elles sont indissociables. D’une part, l’« ordonnance de se connaître », comme dit Montaigne 17, loin d’être en contradiction avec l’aveu d’igno­rance, constitue un appel à le dépasser ou à le transgresser à mesure qu’il s’impose continument tout au long de la quête philosophique. D’autre part, cette impérieuse exigence de se connaître soi-même, absolument distincte de la vaine entreprise introspective, n’est rien moins que l’exigence de savoir ce qu’est l’homme 18. Aussi le « connais-toi toi-même » socratique, de quelque manière qu’on voudra l’interpréter, confine à la ferme résolution à ne pas se satisfaire du « je sais que je ne sais rien ».

  • 19 . Voir, par exemple, Platon, Apologie de Socrate 29 e.

8La seconde injonction, moins remarquée car non soutenue par la puissance d’une formule péremptoire, réside dans l’impératif de satisfaire au désir de vérité, désir insatiable rapporté partout dans l’œuvre de Platon 19. Ce désir inextinguible de savoir ou, ce qui est le même pour Socrate, de savoir le vrai, associé au virulent refus de tout pyrrhonisme, suffit à mettre en perspective l’aveu d’ignorance et à soupçonner que la pleine signification de cet aveu est à découvrir hors de lui-même.

9De fait, le triptyque conceptuel formé par la docte ignorance, le gnothi seauton et la volonté de savoir doit être rapporté à son tour, sous peine de méprise, au caractère essentiel du discours socratique : l’ironie. Chez Socrate, l’ironie désigne l’art de questionner, c’est-à-dire de « remettre en question », au sens exact et premier du terme, toute affirmation par le remarquable moyen du dialogue. Il s’agit, par le jeu très réglé des questions et des réponses, d’interroger les « opinions » (doxaï), préjugés ou certitudes dogmatiques, tout prétendu savoir, au fond, qui n’a pas été soumis à l’examen dialectique. Toutefois, l’ironie socratique est de surcroît une stratégie discursive qui s’ajoute au questionnement dialogique des assertions examinées. Plus concrètement, en effet, face à un interlocuteur, en quoi consiste l’ironie de Socrate ? Principalement à simuler l’ignorance. Il s’agit pour le dialecticien de tenir le rôle de l’interrogateur candide face à l’expert que revendique être son interlocuteur. « Je ne demande qu’à apprendre de toi ce qu’est la vertu, déclare en substance Socrate à Ménon, car pour ma part, je n’en sais rien : enseigne-moi, toi qui sais ». Tel est le discours du vieil homme expérimenté qui se présente auprès de tous ses interlocuteurs comme un éternel novice et qui prétend ne rien chercher d’autre qu’à apprendre d’eux.

  • 20 . Platon, Le Banquet, 221a-222c.
  • 21 . Voir, par exemple, Platon, Apologie de Socrate, 21a.
  • 22 . Platon, Ménon, 80 ad.

10Or il s’agit évidemment d’une feinte, et même d’une triple feinte, tant Socrate est l’homme de la feinte, comme le remarque Alcibiade dans Le Banquet 20. Premièrement, Socrate simule l’ignorance lors même qu’il dispose d’un arsenal argumentatif et d’une culture considérables, ce que nul n’ignore à Athènes 21. Deuxièmement, Socrate fait mine de croire au savoir de son interlocuteur alors qu’il n’en est évidemment rien, bien au contraire. Il suffit de se souvenir, par exemple, de ce qu’il pense réellement des sophistes et de ce qu’il en dit : la lecture des échanges avec Gorgias, Hippias ou Protagoras prend alors une teneur différente, si l’on garde en mémoire que Socrate feint de croire aux compétences de ses interlocuteurs. Troisièmement et surtout, le dialecticien, par mille manigances oratoires, fait tout pour renforcer la croyance de son interlocuteur au savoir auquel il prétend. Socrate contribue ainsi à l’illusion de savoir de son interlocuteur jusqu’au cruel moment de déniaisement au cours duquel la prétendue connaissance apparaît enfin pour ce qu’elle est : un simulacre de vérité. Autrement dit, Socrate n’est pas seulement un « poisson torpille » qui engourdit le pêcheur imprudent qui le touche, pour reprendre la célèbre comparaison de Ménon 22, mais bien un poisson rusé qui intrigue contre le pêcheur en lui faisant croire qu’il est doué pour la pêche !

  • 23 . Montaigne, Les Essais, III, 13, éd. cit., p. 1065.
  • 24 . On pourrait même dire que la « subtilité » se complique encore si l’on prend en considération que (...)
  • 25 . Selon Socrate, le philosophe est par nature un être intermédiaire, entre savoir et ignorance, ce (...)

11Or en vue de quoi Socrate procède-t-il de la sorte ? Pourquoi un tel stratagème rhétorique ? Pourquoi ce long détour démonstratif ? À cause de ce que Montaigne nomme joliment la « platonique subtilité » 23 et qui tient dans une conviction épistémologique décisive : ceux qui savent n’ont pas à chercher à savoir et ceux qui ignorent ne savent pas même ce qu’il conviendrait de chercher 24. Les premiers sont des « sages » et les seconds des « ignorants », leur seul point commun résidant dans le fait qu’ils sont tous condamnés à demeurer dans leur état respectif : la sagesse et l’ignorance sont deux mondes où l’inertie est complète et définitive. Il importe donc, pour Socrate, de conduire son interlocuteur en premier lieu à la conscience de sa propre ignorance, c’est-à-dire à la fragilité, voire à la nocivité de son pseudo savoir. Ainsi celui qui clame partout ne rien savoir s’avère l’indispensable médium 25 grâce auquel l’ignorance est mise à nu et l’habile orateur par lequel les pédants se révèlent à eux-mêmes dans toute leur vacuité. Bien entendu, ce déniaisement n’est qu’une étape transitoire d’un long processus dialectique dont le terme ultime est l’accès aux vérités essentielles, autrement dit à la science.

  • 26 . Montaigne, Les Essais, éd. cit., liv. III, chap. 13.
  • 27 . Platon, Gorgias, 481d. Au demeurant, l’amour de la vérité, chez Socrate, est indissolublement lié (...)

12Par conséquent, Socrate, loin de se contenter de ne rien savoir, cherche au contraire à tout connaître. Montaigne, dans le chapitre qui prend le maître de Platon comme fil directeur, ne dit pas autre chose lorsqu’il initie son propos par ces deux phrases : « Il n’est pas de désir plus naturel que le désir de connaissance. Nous essayons tous les moyens qui nous y peuvent mener » 26. L’aveu d’ignorance socratique constitue l’un de ces « moyens » et le lecteur des dialogues platoniciens ne doit pas être, à son tour, la dupe du philosophe au visage de silène : ce moyen conspire à satisfaire la « volonté de savoir ». Paradoxalement, c’est peut-être un texte de Nietzsche, adversaire déclaré de Socrate, qui rend le mieux compte de la « passion » ou de « l’instinct » qui anime le père de la philosophie occidentale et, du point de vue de Nietzsche, toute civilisation. Au reste, Socrate ne se présente-t-il pas lui-même comme un amant de la vérité tout autant que d’Alcibiade 27 ? Dans un passage superbe d’Aurore, Nietzsche affirme que l’« instinct de connaissance » est la seule « nouvelle passion » de l’homme civilisé, une passion ignorée dans l’état de barbarie.

  • 28 . Nietzsche, Aurore, Livre cinquième, § 429, Œuvres philosophiques complètes, t. IV, éd. G. Colli e (...)

Pourquoi redoutons-nous et détestons-nous un retour possible de la barbarie ? Parce qu’elle rendrait tous les hommes plus malheureux qu’ils ne sont ? Pas du tout ! En tout temps les barbares ont été plus heureux : ne nous illusionnons pas ! Mais notre instinct de connaissance est trop puissant pour que nous puissions encore apprécier un bonheur sans connaissance, ou le bonheur d’une illusion forte et solide ; nous souffrons à la seule idée d’un tel état ! L’inquiétude de la découverte, de la solution devinée, est devenue pour nous aussi séduisante et aussi indispensable que son amour malheureux pour l’amant qui ne l’échangerait à aucun prix contre l’état d’indifférence ; – peut-être même sommes-nous, à notre façon, des amants malheureux ! La connaissance s’est transformée chez nous en une passion qui ne redoute aucun sacrifice et ne craint rien, au fond, sinon sa propre extinction ; nous croyons sincèrement que toute l’humanité, soumise à l’oppression et aux douleurs de cette passion, devrait se sentir plus noble et plus confiante qu’auparavant, alors qu’elle n’avait pas encore surmonté son envie pour ce bien-être grossier qui accompagne la barbarie. Peut-être même l’humanité périra-t-elle à cause de cette passion de connaissance – mais cette pensée aussi n’a aucun pouvoir sur nous 28.

  • 29 . Alain, Propos, 20 avril 1927, in Propos, t. II, Paris, Gallimard, 1970, p. 683.

13En somme, sous l’apparence d’un Socrate qui affirmait ne rien savoir, nous découvrons un « Socrate qui savait tout » 29. C’est aussi que le tout de la science tient presque intégralement dans la connaissance de deux principes indissociables. D’une part, il existe une injonction impérieuse et indestructible, divine ou naturelle peu importe, qui pousse l’esprit à vouloir connaître la vérité. D’autre part, le savoir véritable se construit lui-même et cette élaboration suppose le doute, ce doute spécifiquement philosophique qui récuse l’in­certitude. Alain le dit magnifiquement au moment où il convoque le personnage de Socrate en des termes que Diderot n’aurait pas désapprouvés.

  • 30 . Alain, Propos, 20 octobre 1931, ibid., p. 1043.

La vraie intelligence est celle qui règle l’intelligence. Et comment, sinon par un doute assuré ? Tout progrès est fils du doute. Nous entendons cela très mal, confondant l’incertitude et le doute. Et l’incertitude vient d’une croyance qui ne réussit pas, comme nous voyons le chien qui n’a pas trouvé le lièvre au buisson. Mais le vrai doute est assuré de quelque chose, à savoir que l’idée est fausse dès qu’on la prend pour suffisante 30.

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  • 31 . Diderot, « Encyclopédie », (Philosoph.), Enc. V, 635a-648b.

15Tout semble d’abord opposer le savoir dialectique et le savoir encyclopédique : le premier est conçu chez Platon comme un savoir à la fois vertical (ascendant et descendant) et horizontal (dialogique), tandis que le second s’affirme d’emblée, comme le dit assez l’étymologie, circulaire. La connaissance encyclopédique renvoie d’abord à une enkuklios paideia, selon la formule qu’on rapporte à Plutarque, une « éducation circulaire », comprenons une éducation qui « fait le tour » des savoirs. Une éducation encyclopédique désigne ainsi l’ensemble des savoirs nécessaires à une éducation pleinement aboutie ou achevée. Or le sens que Diderot donne à la connaissance encyclopédique déborde de beaucoup la définition traditionnelle, comme le montre l’article « Encyclopédie », paru en 1755, dans le tome V de l’Encyclopédie 31. Le début de l’article paraît certes s’inspirer de la définition classique d’une encyclopédie mais c’est pour en infléchir immédiatement la portée générale.

… Le but d’une Encyclopédie est de rassembler les connoissances éparses sur la surface de la terre ; d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, & de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siecles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siecles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même tems plus vertueux & plus heureux, & que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain.

16Autrement dit, Diderot prévient son lecteur qu’une encyclopédie n’est pas un simple thesaurus : il ne s’agit en rien, dans le savoir encyclopédique, d’amasser ou d’empiler le plus de connaissances possibles dans tous les domaines. Bien plutôt, il convient, outre cette thésaurisation savante, d’une part, d’en proposer la synthèse ou la liaison qui saura constituer cette somme en un « système général » et, d’autre part, d’en assurer la transmission aux contemporains comme aux générations futures. Rassembler les connaissances, les présenter en une totalité organique et les transmettre aux contemporains comme à la postérité, constituent ainsi les trois premiers caractères fondamentaux du savoir encyclopédique. Il faut toutefois en ajouter encore trois autres, tout aussi décisifs.

  • 32 . Initialement, l’Encyclopédie de Diderot n’aurait dû être qu’une traduction de celle de Chambers. (...)

17Premièrement, le savoir encyclopédique est nécessairement élaboré de manière collective. À la différence de la grande encyclopédie de référence jusqu’alors, la Cyclopaedia de l’érudit anglais Ephraïm Chambers, le savoir encyclopédique ne peut être le fait d’un seul homme 32.

  • 33 . Diderot, « Encyclopédie », (Philosoph.), Enc. V, 635b.

Quand on vient a considérer la matiere immense d’une Encyclopédie, la seule chose qu’on apperçoive distinctement, c’est que ce ne peut être l’ouvrage d’un seul homme. Et comment un seul homme, dans le court espace de sa vie, réussiroit-il à connoître & à développer le systeme universel de la nature & de l’art ? 33

18Deuxièmement, le savoir encyclopédique est nécessairement critique, et ce jusqu’à l’audace et l’impertinence : il importe d’en finir avec la servilité révérencieuse au profit de la tradition et au détriment du progrès de la vérité.

  • 34 . Ibid., 644a.

J’ai dit qu’il n’appartenoit qu’à un siecle philosophe, de tenter une Encyclopédie ; & je l’ai dit, parce que cet ouvrage demande par-tout plus de hardiesse dans l’esprit, qu’on n’en a communément dans les siecles pusillanimes du goût. Il faut tout examiner, tout remuer sans exception & sans ménagement: oser voir, ainsi que nous commençons à nous en convaincre, qu’il en est presque des genres de littérature, ainsi que de la compilation générale des lois, & de la premiere formation des villes ; que c’est à un hasard singulier, à une circonstance bisarre, quelquefois à un essor du génie, qu’ils ont dû leur naissance; que ceux qui sont venus après les premiers inventeurs, n’ont été, pour la plûpart, que leurs esclaves ; que des productions qu’on devoit regarder comme le premier degré, prises aveuglément pour le dernier terme, au lieu d’avancer un art à sa perfection, n’ont servi qu’à le retarder, en réduisant les autres hommes à la condition servile d’imitateurs ; qu’aussi-tôt qu’un nom fut donné à une composition d’un caractere particulier, il fallut modeler rigoureusement sur cette esquisse, toutes celles qui se firent ; que s’il parut de tems en tems un homme d’un génie hardi & original, qui, fatigué du joug reçû, osa le secoüer, s’éloigner de la route commune, & enfanter quelqu’ouvrage auquel le nom donné & les lois prescrites ne furent point exactement applicables, il tomba dans l’oubli, & y resta très-long-tems. Il faut fouler aux piés toutes ces vieilles puérilités ; renverser les barrieres que la raison n’aura point posées … 34.

19Enfin le savoir encyclopédique vise explicitement à « changer la façon commune de penser » et, au-delà, à améliorer la société française, dans toutes ses dimensions, en particulier politique, morale et économique. Il s’agit bien de « détromper les hommes ». Alors qu’il évoque l’importance du dispositif éditorial des renvois au sein de l’ouvrage encyclopédique, Diderot prend soin de préciser en toute clarté :

  • 35 . Diderot, « Encyclopédie », (Philosoph.), Enc. V, 642a.

L’ouvrage entier en recevroit une force interne & une utilité secrete, dont les effets sourds seroient nécessairement sensibles avec le tems. Toutes les fois, par exemple, qu’un préjugé national mériteroit du respect, il faudroit à son article particulier l’exposer respectueusement, & avec tout son cortege de vraissemblance & de séduction ; mais renverser l’édifice de fange, dissiper un vain amas de poussiere, en renvoyant aux articles où des principes solides servent de base aux vérités opposées. Cette maniere de détromper les hommes opere très promptement sur les bons esprits, & elle opere infailliblement & sans aucune fâcheuse conséquence, secretement & sans éclat, sur tous les esprits. C’est l’art de déduire tacitement les conséquences les plus fortes. Si ces renvois de confirmation & de réfutation sont prévus de loin, & préparés avec adresse, ils donneront à une Encyclopédie le caractere que doit avoir un bon dictionnaire ; ce caractere est de changer la façon commune de penser 35.

  • 36 . « La sotte vanité qui nous fait souhaiter d’être estimés savants », « Philosophie », Enc. XII, 51 (...)
  • 37 . Le savoir dogmatique est, pour Diderot, un obstacle à la recherche de la vérité, bien plus que l’ (...)
  • 38 . « Deux obstacles principaux ont retardé long-tems les progres de la Philosophie, l’autorité & l’e (...)
  • 39 . Diderot, « Éclectisme », Hist. de la Philosophie anc. & mod., Enc. II, 270a-293b. Voir Paolo Casi (...)

20L’ensemble de cet article crucial, comme nombre d’écrits de Diderot sur la question du savoir, rejette de façon virulente, à la fois, toute pansophie 36, toute doxographie 37, tout esprit de système, tout argument d’autorité 38 et, enfin, tout dogmatisme puisque la philosophie se ramène, au bout du compte, à l’« éclectisme », d’abord défini comme un anti-dogmatisme 39.

  • 40 . « Philosophie », Enc. XII, 514a.
  • 41 . Ibid.
  • 42 . Ibid. On songe à Montaigne : « Il y a plus affaire à interpréter les interprétations qu’à interpr (...)

21Le savoir encyclopédique véritable ne peut ainsi se comprendre, selon Diderot, qu’à partir de ce que l’auteur de « Philosophie » nomme « la saine notion de la philosophie » 40. Or, précisément, dans le portrait que ce texte brosse du philosophe authentique, il est facile de reconnaître celui de Socrate. L’auteur insiste en effet sur deux aspects majeurs du philosophe qui peuvent être rapportés autant à Diderot qu’à Socrate. D’une part, l’humilité et l’honnêteté intellectuelles qui sont comme l’envers de la difficulté d’accès à la vérité : « il aime beaucoup mieux faire l’aveu de son ignorance, toutes les fois que le raisonnement et l’expérience ne sauraient le conduire à la véritable raison des choses » 41. D’autre part, la discrimination radicale entre l’érudition et la philosophie : « être philosophe, ce n’est pas simplement avoir beaucoup vu et beaucoup lu, ce n’est pas posséder l’histoire de la philosophie, des sciences et des arts, tout cela ne forme souvent qu’un chaos indigeste » 42.

  • 43 . « Le scepticisme est donc le premier pas vers la vérité. Il doit être général car il en est la pi (...)
  • 44 . Diderot, Pensées sur l’interprétation de la nature, § 40, éd. cit. p. 582. Il ajoute : « Si nous (...)
  • 45 . « Il faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie afin de lui procurer ses entrées. J’aime (...)

22On est ici bien près de Socrate. Encore pourrait-on ajouter la tentation du scepticisme auquel Diderot ne cède jamais mais qu’il tient pour une condition de possibilité de l’accès au vrai 43, sa volonté de « rendre la philosophie populaire » 44 ou sa conception d’une sagesse qui laisse place à la rêverie, à la conjecture et à la fable 45.

23Il est toutefois un point où la convergence de la docte ignorance socratique et du savoir encyclopédique diderotien est flagrante. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’avertis­sement que Diderot adresse aux jeunes gens qui ont en main son Interprétation de la nature parue en 1753, c’est-à-dire au plus fort de l’entreprise encyclopédique.

  • 46 . Diderot, Pensées sur l’interprétation de la nature, éd. cit., p. 559.

Jeune homme, prends et lis. Si tu peux aller jusqu’à la fin de cet ouvrage, tu ne seras pas incapable d’en entendre un meilleur. Comme je me suis moins proposé de t’instruire que de t’exercer, il m’importe peu que tu adoptes mes idées ou que tu les rejettes, pourvu qu’elles emploient toute ton attention. Un plus habile t’apprendra à connaître les forces de la nature ; il me suffira de t’avoir fait essayer les tiennes. Adieu 46.

24« Je me suis moins proposé de t’instruire que de t’exercer » annonce Diderot à son lecteur en préliminaire d’un ouvrage qui prétend renouveler la philosophie naturelle et que nombre de commentateurs ont considéré comme le Discours de la méthode des sciences expérimentales de la seconde moitié du xviiie siècle. Comment comprendre ce paradoxe ? En restituant le sens précis que Diderot donne au verbe pronominal « s’instruire ».

25Premièrement, pour Diderot, dans la continuité de Bacon, s’instruire vraiment, c’est toujours travailler à réformer son esprit. En effet, le concept baconien d’instruction inclut analytiquement celui de la réforme du savoir mais, tout autant, de ses modes de constitution. Par où Bacon établit la cruciale distinction entre l’instruit et l’ignorant.

  • 47 . Francis Bacon, Des progrès et de la promotion des savoirs, 1605, traduction de Michèle le Doeuff, (...)

… le savoir dispose la constitution de l’esprit à ne pas se fixer ou s’installer dans ses propres défauts. Il la rend capable et même susceptible de grandir et de se réformer. L’ignorant ne sait pas ce que c’est que descendre en soi-même, ni de se demander des comptes. Il ne connaît pas non plus le plaisir de cette suavissima vita, indies sentire si meliorem …. Il apprendra sans doute à montrer à plein ses bons côtés, à s’en servir habilement, mais non à les augmenter : ses fautes, il apprendra à les cacher, à les colorer, mais non à les corriger. Il sera comme le mauvais faucheur, qui continue toujours à faucher, mais n’aiguise pas sa faux. Il en va tout autrement de l’homme instruit, qui toujours entremêle à l’emploi de son esprit sa correction et son amélioration 47.

26Deuxièmement, l’instruction véritable est un mode d’édu­cation qui ne peut provenir que de soi. Un petit article rédigé par Diderot l’affirme avec force.

  • 48 . Diderot, * APPRENDRE, étudier, s’instruire. (Grammaire), Enc., I, p. 555.

Étudier, c’est travailler à devenir savant. Apprendre, c’est réussir. On étudie pour apprendre, & l’on apprend à force d’étudier. On ne peut etudier qu’une chose à-la-fois : mais on peut, dit M. l’Abbé Girard, en apprendre plusieurs ; ce qui métaphysiquement pris n’est pas vrai : plus on apprend, plus on sait ; plus on étudie, plus on se fatigue. C’est avoir bien étudié que d’avoir appris à douter. Il y a des choses qu’on apprend sans les étudier, & d’autres qu’on étudie sans les apprendre. Les plus savans ne sont pas ceux qui ont le plus étudié, mais ceux qui ont le plus appris. On apprend d’un maître ; on s’instruit par soi-même. On apprend quelquefois ce qu’on ne voudroit pas savoir : mais on veut toûjours savoir les choses dont on s’instruit. On apprend les nouvelles publiques ; on s’instruit de ce qui se passe dans le cabinet. On apprend en écoutant ; on s’instruit en interrogeant 48.

27Le commentaire complet de la danse un peu tourbillonnante dans laquelle Diderot nous entraîne dans ce texte n’est pas envisageable dans cette communication mais, outre le trait d’humour précisant que « plus on étudie, plus on se fatigue », retenons seulement ici deux assertions éminemment socratiques. En premier lieu, apprendre est certes la finalité des études, mais on n’apprend qu’à force d’étudier, c’est-à-dire par l’exercice répété, par l’ascèse philosophique, par le labeur heuristique. En second lieu, plus on étudie, plus on apprend, et plus on apprend plus on sait, soutient Diderot, avant d’ajouter sans la moindre transition : « c’est avoir bien étudié que d’avoir appris à douter ». D’où l’on peut assurément conclure de la série complète de ces propositions que, plus on a douté, plus on sait, comprenons : mieux on sait ce que l’on sait. C’est pourquoi « on s’instruit par soi-même » et « en interrogeant », tandis qu’« on apprend d’un maître » et « en écoutant ». En conséquence de quoi les « savants » ne sont pas ceux qui ont le plus étudié, même s’ils sont ceux qui ont le plus appris. On croirait ici entendre Socrate dans Phédon quand il évoque les physiologoï qu’il avait suivis dans sa jeunesse et qui l’ont déçu par leurs certitudes en définitive si fragiles. Nous sommes cette fois revenus à Socrate en partant de Diderot, comme nous étions arrivés, plus haut, à Diderot en suivant Socrate.

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  • 49 . R. Trousson, « Socrate », R. Mortier et R. Trousson, Dictionnaire de Diderot, Paris, Champion, 19 (...)
  • 50 . Jean Seznec, « Le Socrate imaginaire », Essais sur Diderot et l’Antiquité, Oxford, Clarendon, 195 (...)
  • 51 . Voltaire, Lettre à Raynal, 30 juillet 1749, Œuvres complètes, L. Moland (éd.), Paris, Garnier, 18 (...)
  • 52 . Sur l’admiration que Diderot voue à l’exemplarité de la vertu de Socrate et au message que son ex (...)

29Raymond Trousson rappelle que, « sa vie durant, Diderot s’est identifié à Socrate » 49, quand bien même il s’agirait d’un « Socrate imaginaire » 50. Et l’expérience de l’emprison­nement pour délit d’opinion, en 1749, au donjon de Vincennes, n’est pas pour rien dans cette comparaison. Au reste, à peine incarcéré, l’auteur de la Lettre sur les aveugles n’entreprend-il pas la traduction clandestine de l’Apologie de Socrate ? Et les contemporains ne perçoivent-ils pas eux-mêmes le rapprochement entre les deux philosophes au point que Voltaire nomme le condamné de Vincennes « Socrate Diderot » 51 ? Toutefois, le rapprochement entre les deux penseurs déborde la seule vénération que le philosophe des Lumières éprouvait pour le saint laïc qu’il voyait dans le vieil Athénien, pour cet homme héroïque dont la vie entière fut vouée à la vertu 52. L’identification morale et psychologique, en effet, ne doit pas occulter le rapprochement gnoséologique et épistémique. Car c’est bien la même conception de la philosophie, de la connaissance, de la recherche et de la vérité qui se dit, in fine, au travers de la docte ignorance et du savoir encyclopédique. Cette conception s’incarne à l’évidence dans la forme dialogique de leur pensée qui se révèle dans les productions philosophiques de Platon et de Diderot, mais aussi, s’agissant de ce dernier et de Socrate, dans leur passion pour la conversation. Au fond, ce qui relie fondamentalement des esprits comme Socrate et Diderot, c’est la forme dialogique du savoir. Entendu dans son acquisition, sa constitution, sa diffusion, son progrès et sa réforme, le savoir est perçu par les deux penseurs comme inséparable de l’art de converser.

  • 53 . Voir Bernard Groethuysen, Philosophie de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1956, p. 97-9 (...)
  • 54 . Diderot, Le Rêve de D’Alembert, Œuvres, éd. cit, t. I, p. 656. Voir aussi sa lettre à Sophie du 2 (...)

30Certes, on sait combien la conversation était du goût des Lumières 53. Toutefois, chez Diderot et quelques autres de son siècle, la conversation est davantage qu’un exercice mondain, qu’une pratique de la sociabilité savante ou qu’une virtuosité spirituelle : elle est un exercice philosophique aux enjeux considérables, une autre manière de chercher et de connaître la vérité. Elle permet toutes les audaces, toute les conjectures, toutes les expériences de pensées et, dès lors, toutes les découvertes les plus improbables. Lorsque Bordeu paraît s’effrayer des conséquences auxquelles sa conversation avec Mademoiselle de l’Espinasse aboutit, la jeune femme rétorque au médecin : « Qu’importe ? nous ne composons pas. Nous causons » 54. Au demeurant, l’enjeu n’est pas seulement de connaissance : il est surtout question, à nouveau, de barbarie et de civilisation, ainsi que Hume, proche en cela de Diderot, l’a soutenu.

  • 55 . David Hume, Of Essay-Writing,1742, Essays, Moral and Political, Edinburgh, R. Fleming A. Alison, (...)

… le savoir a été tout autant le grand perdant à rester confiné dans de petits groupes et dans les universités, et à être séparé du monde et de la bonne compagnie. De cette manière, toute parcelle de ce que nous appelons les « Belles-Lettres » est devenue entièrement barbare, en n’étant cultivée que par des hommes dépourvus de toute élégance et de goût dans leur vie et leurs manières et sans cette liberté et cette facilité de pensée et d’expression que seule peut donner la conversation. La philosophie elle-même alla à sa ruine avec cette sinistre méthode d’anachorète employée pour l’étudier. Elle devint aussi chimérique dans ses conclusions qu’elle était inintelligible dans son style et dans sa façon d’être exposée. Et, en vérité, que pouvait-on bien attendre d’hommes qui ne s’appuyèrent jamais sur l’expérience dans aucun de leurs raisonnements, ou qui ne recherchèrent jamais cette expérience là où elle se trouve seulement, c’est-à-dire dans la vie de tous les jours et dans le conversation 55.

  • 56 . Ibid. p. 169.
  • 57 . « Un homme à la cour, et souvent à la ville, qui a un long manteau de soie ou de drap de Hollande (...)

31Par où l’on en revient à Joëlle qui, dans la lignée des Socrate et des Diderot, a souvent assumé la fonction, auprès de ses amis, de ses étudiants ou de ses collègues, d’un « ambassadeur arrivant du domaine du savoir vers celui de la conversation » 56. Docte depuis longtemps grâce à son art de converser, Joëlle s’est refusée à jamais devenir docteur, pour reprendre la belle distinction de La Bruyère 57.

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Notes

1 Cette communication est évidemment dédiée à mon amie Joëlle. Ce petit texte constitue à sa manière, dès son titre même, l’expression de ma plus grande gratitude pour le beau projet dont Joëlle fut l’initiatrice et la principale conceptrice : la licence en Humanités, formation universitaire inédite en Lorraine, ouverte en septembre 2013, et promise à un bel avenir.

2 . Nous reprenons ici la formule, consacrée par l’usage, qui réfère le plus souvent à un passage fameux de l’Apologie de Socrate (21d) mais qui exprime une idée énoncée dans douze dialogues différents de Platon.

3 . Socrate ne pouvait connaître Pyrrhon d’Elis né plus de trois décennies après l’exécution du maître mais tout indique qu’il n’aurait pas davantage apprécié la doctrine du sceptique qu’il ne goûtait celle de son contemporain, le cynique Antisthène.

4 . Pour plus de précisions sur le rôle précis de Diderot dans l’entreprise de l’Encyclopédie, voir l’article synthétique de Marie Leca-Tsiomis, « Diderot », sur le site : enccre.academie-science.fr. Sur la question, il importe de renvoyer également aux deux grands classiques de la critique diderotienne : Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie, Paris, A. Colin, 1962 ; Arthur M. Wilson, Diderot sa vie et son œuvre, trad. de l’anglais par G. Chahine, A. Lorenceau, A. Villelaur (1985), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2014.

5 . Platon, Hippias mineur, 368b, Œuvres complètes, t. I, trad. L. Robin, Paris, Gallimard, 1950, p. 7-8 (traduction légèrement modifiée).

6 . Platon, Apologie de Socrate, 19d, 33a. La mission assignée à Socrate par la « divinité » auprès des Athéniens (ibid. 30a) ne saurait se confondre avec un enseignement et, moins encore, avec la paideia de la Grèce classique.

7 . Voir, principalement, Jean-Marie Dolle, Diderot, Politique et éducation, Paris, PUF, 1973 ; Sophie Audidière, « Le barbare est-il heureux, ou Pourquoi une éducation publique ? », Cultura, Vol. 34, 2015, p. 59-82.

8 . Les œuvres complètes chez Hermann, en parution depuis 1975, sont constituées de 33 volumes, sans compter les 5 volumes de correspondances, ni les quelques 5000 articles rédigés pour l’Encyclopédie (seule une centaine d’entre eux a été sélectionnée par les éditions Hermann).

9 . Diderot, Socratique, ou Histoire de la philosophie de Socrate, (Hist. de la Philos.), Enc. XV, 262b.

10 . Voir la belle analyse de Bernard Groethuysen, Anthropologie philosophique, Paris, Gallimard, 1953, p. 13.

11 . Aristote, Poétique, I, 1447a28-b13.

12 . Outre ceux de Platon, les dialogues socratiques qui nous sont parvenus sont notamment ceux d’Antisthène, de Phédon, d’Eschine, de Xénophon. Voir Louis-André Dorion, « Discours historique et fiction socratique », Dialogues d’histoire ancienne, 2013, Supplément 8, p. 209-220.

13 . Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie ?, chap. 3, Paris, Éditions de Minuit, 1991.

14 . La thèse autrefois soutenue par Burnet et Taylor de l’identité dogmatique entre le Socrate historique et le Socrate platonicien paraît de moins en moins défendable, au moins depuis les travaux de Gregory Vlastos. Voir, en particulier, G. Vlastos, « The Paradox of Socrates », in G. Vlastos, (éd.) The Philosophy of Socrates, Garden City, New York, Doubleday & Anchor, 1971, p. 1-21 ; Pierre Hadot, « La figure de Socrate », Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Études augustiniennes, 1987, p. 101-141 ; G. Vlastos, « Socrate », Proceeding of the British Academy, article traduit dans Monique Canto-Sperber (dir.), Philosophie grecque, « Socrate », Paris, PUF, 1997, p. 123-144 ; L.-A. Dorion, Socrate, Paris, PUF, 2004.

15 . John Cooper, « Socrate et la philosophie comme manière de vivre », trad. Olivier Renaut, Études platoniciennes, 4, 2007, p. 297-321.

16 . Voir Charmide 165a, Alcibiade 124b, Protagoras 343a, Apologie de Socrate 124b, Philèbe 19c et 48c. Dans l’abondante littérature sur la question, voir notamment Christopher Gill, « La connaissance de soi dans l’Alcibiade de Platon », Études platoniciennes, 4, 2007, p. 153-162.

17 . Montaigne, Les Essais, liv. III, ch. 13, P. Villey (éd.), Paris, PUF, Quadrige, 2004, p. 1075.

18 . Jean Brun, Socrate, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 6e éd., 1978, p. 63-80.

19 . Voir, par exemple, Platon, Apologie de Socrate 29 e.

20 . Platon, Le Banquet, 221a-222c.

21 . Voir, par exemple, Platon, Apologie de Socrate, 21a.

22 . Platon, Ménon, 80 ad.

23 . Montaigne, Les Essais, III, 13, éd. cit., p. 1065.

24 . On pourrait même dire que la « subtilité » se complique encore si l’on prend en considération que plus personne ne se croit ignorant depuis longtemps. Ce que disait déjà Aristarque cité par Plutarque, lui-même cité par Montaigne. Autrefois, écrit Aristarque, l’humanité a eu du mal à compter sept sages dans ses rangs mais, aujourd’hui, on aurait bien du mal à trouver sept ignorants. « Aurions-nous pas plus de raisons que lui de le dire de notre temps ? » s’interroge Montaigne. Et pas plus de raisons de le dire du nôtre que de celui de Montaigne ?

25 . Selon Socrate, le philosophe est par nature un être intermédiaire, entre savoir et ignorance, ce qui apparente le philosophe au daimon, entendu comme un être qui n’est ni un homme ni un dieu mais l’inter­cesseur obligé entre les hommes et les dieux. Voir notamment Platon, Banquet 203a, 219c.

26 . Montaigne, Les Essais, éd. cit., liv. III, chap. 13.

27 . Platon, Gorgias, 481d. Au demeurant, l’amour de la vérité, chez Socrate, est indissolublement lié à la sa mise en œuvre philosophique. Comme le dit Monique Dixsaut, « Socrate amoureux de la vérité, c’est Socrate dialecticien », Le Naturel philosophe, Paris, Vrin, 1998, 3e éd. 2001, p. 184.

28 . Nietzsche, Aurore, Livre cinquième, § 429, Œuvres philosophiques complètes, t. IV, éd. G. Colli et M. Montinari, trad. de J. Hervier, Paris, Gallimard, NRF, 1980, p. 233.

29 . Alain, Propos, 20 avril 1927, in Propos, t. II, Paris, Gallimard, 1970, p. 683.

30 . Alain, Propos, 20 octobre 1931, ibid., p. 1043.

31 . Diderot, « Encyclopédie », (Philosoph.), Enc. V, 635a-648b.

32 . Initialement, l’Encyclopédie de Diderot n’aurait dû être qu’une traduction de celle de Chambers. Voir Hisashi Ida, « La Cyclopædia d’Ephraïm Chambers », Les Sources de l’Encyclopédie, http://enccre.­academie.sciences.fr (30-05-2017) ; Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, n° 37, décembre 2004, consacré à la préface de la Cyclo­pædia de Chambers ; Yoichi Sumi, « De la Cyclopædia à l’Encyclopédie : traduire et réécrire », Sciences, musiques, Lumières. Mélanges offerts à Anne-Marie Chouillet, Ulla Kölving et Irène Passeron (éd.), Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2002, p. 409-419.

33 . Diderot, « Encyclopédie », (Philosoph.), Enc. V, 635b.

34 . Ibid., 644a.

35 . Diderot, « Encyclopédie », (Philosoph.), Enc. V, 642a.

36 . « La sotte vanité qui nous fait souhaiter d’être estimés savants », « Philosophie », Enc. XII, 514a.

37 . Le savoir dogmatique est, pour Diderot, un obstacle à la recherche de la vérité, bien plus que l’ignorance. À tel point que l’absence de savoir peut devenir un avantage face à une érudition qui égare. Telle est la revanche que les femmes, écartées de la connaissance érudite dans la société d’Ancien régime, finissent par prendre sur les hommes. « Leur ignorance les dispose à recevoir promptement la vérité ; quand on la leur montre, aucune autorité ne les a subjuguées », Sur les femmes, Œuvres, t. I, L. Versini (éd.), Paris, Robert Laffont, 1994, p. 960.

38 . « Deux obstacles principaux ont retardé long-tems les progres de la Philosophie, l’autorité & l’esprit systématique », « Philosophie », Enc. XII, 514a. Rien ne permet d’attribuer cet article non signé à Diderot. Voir aussi D’Alembert, Discours préliminaire, xxi : « … la philosophie en songeant à plaire, paraît n’avoir pas oublié qu’elle est principalement faite pour instruire ; c’est par cette raison que le goût des systèmes, plus propre à flater l’imagination qu’à éclairer la raison, est aujourd’hui presqu’absolument banni des bons Ouvrages ».

39 . Diderot, « Éclectisme », Hist. de la Philosophie anc. & mod., Enc. II, 270a-293b. Voir Paolo Casini, « Diderot et le portrait du philosophe éclectique », Revue Internationale de Philosophie, vol. 38, n° 148/149, Diderot et l’Encyclopédie (1784-1984), 1984, p. 35-45.

40 . « Philosophie », Enc. XII, 514a.

41 . Ibid.

42 . Ibid. On songe à Montaigne : « Il y a plus affaire à interpréter les interprétations qu’à interpréter les choses, et plus de livres sur les livres que sur tout autre subject : nous ne faisons que nous entregloser », Les Essais, III, XIII, éd. cit., p. 1069.

43 . « Le scepticisme est donc le premier pas vers la vérité. Il doit être général car il en est la pierre de touche », Diderot, Pensées philosophiques, XXI, éd. cit., p. 26. La quête de vérité suppose pour Diderot, à la manière de Socrate déjà, d’examiner sans prévention la question traitée et, en conséquence, de douter de ce qui est prétendument connu à son propos. Diderot établit très tôt une différence de nature entre le pyrrhonien qui désespère de la vérité ou y renonce et le sceptique qui doute précisément parce qu’il est en quête de vérité. « Qu’est-ce qu’un sceptique ? C’est un philosophe qui a douté de tout ce qu’il croit, et qui croit ce qu’un usage légitime de sa raison et de ses sens lui a démontré vrai. Voulez-vous quelque chose de plus précis ? Rendez sincère le pyrrhonien, et vous aurez le sceptique », Diderot, Pensées philosophiques, XXX, éd. cit., p. 28. Voir aussi ibid. XXIV.

44 . Diderot, Pensées sur l’interprétation de la nature, § 40, éd. cit. p. 582. Il ajoute : « Si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes ».

45 . « Il faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie afin de lui procurer ses entrées. J’aime mieux qu’on dise : Mais cela n’est pas si insensé qu’on croirait bien, que de dire : Écoutez-moi, voici des choses très sages », Diderot, « Lettre à Sophie Volland du 31 août 1769 », Œuvres, éd. cit., p. 969. Socrate, tout comme Montaigne qui s’y réfère sans cesse, développe une sagesse entre rêverie et pensée comme Michel Adam l’a bien vu et comme on l’oublie parfois en raison de la césure trop marquée par la vulgate entre logos et mythos. Voir Michel Adam, « Montaigne entre la rêverie et la pensée », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, n° 3, octobre 1995, p. 241-262. Pour une remise en question de l’opposi­tion, fameuse depuis Plutarque, entre logos et mythos dont Socrate serait la source et le défenseur sans concession, voir par exemple Jacob Howland, « Raconter une histoire et philosopher : l’anneau de Gygès », in Monique Dixsaut (dir.), Études sur la République de Platon, t. 2, Paris, Vrin, 2005, p. 259-282.

46 . Diderot, Pensées sur l’interprétation de la nature, éd. cit., p. 559.

47 . Francis Bacon, Des progrès et de la promotion des savoirs, 1605, traduction de Michèle le Doeuff, Paris, Gallimard, 1991, p. 72-73.

48 . Diderot, * APPRENDRE, étudier, s’instruire. (Grammaire), Enc., I, p. 555.

49 . R. Trousson, « Socrate », R. Mortier et R. Trousson, Dictionnaire de Diderot, Paris, Champion, 1999, p. 491.

50 . Jean Seznec, « Le Socrate imaginaire », Essais sur Diderot et l’Antiquité, Oxford, Clarendon, 1957, p. 3-22.

51 . Voltaire, Lettre à Raynal, 30 juillet 1749, Œuvres complètes, L. Moland (éd.), Paris, Garnier, 1883, t. 37, p. 38.

52 . Sur l’admiration que Diderot voue à l’exemplarité de la vertu de Socrate et au message que son existence a délivré au monde voir, par exemple, la lettre à Jacob Vernes du 9 janvier 1759. Voir aussi Diderot, De la poésie dramatique, DPV, X, p. 339-341 et 412-416.

53 . Voir Bernard Groethuysen, Philosophie de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1956, p. 97-98.

54 . Diderot, Le Rêve de D’Alembert, Œuvres, éd. cit, t. I, p. 656. Voir aussi sa lettre à Sophie du 20 octobre 1760, Œuvres, éd. cit., t. V, 1997, p. 267-272.

55 . David Hume, Of Essay-Writing,1742, Essays, Moral and Political, Edinburgh, R. Fleming A. Alison, 1777, vol. II, p. 534-535, trad. R. Bouveresse, Pourquoi écrire des essais ?, Essais esthétiques, Paris, GF, 2000, p. 168.

56 . Ibid. p. 169.

57 . « Un homme à la cour, et souvent à la ville, qui a un long manteau de soie ou de drap de Hollande, une ceinture large et placée haut sur l’estomac, le soulier de maroquin, la calotte de même, d’un beau grain, un collet bien fait et bien empesé, les cheveux arrangés et le teint vermeil, qui avec cela se souvient de quelques distinctions métaphysiques, explique ce que c’est que la lumière de gloire, et sait précisément comment l’on voit Dieu, cela s’appelle un docteur. Une personne humble, qui est ensevelie dans le cabinet, qui a médité, cherché, consulté, confronté, lu ou écrit pendant toute sa vie, est un homme docte », Jean de La Bruyère, Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, « Du mérite personnel », XXVIII, 9e éd., Paris, Flammarion, 1880, p. 82.

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References

Bibliographical reference

Gilles Gourbin, “Socrate encyclopédiste et Diderot -la- torpille”Le Portique, Cahiers du Portique n°15 | 2018, 31-55.

Electronic reference

Gilles Gourbin, “Socrate encyclopédiste et Diderot -la- torpille”Le Portique [Online], Cahiers du Portique n°15 | 2018, document 3, Online since 30 March 2022, connection on 03 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/4139; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.4139

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