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Recensions
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MARONNEAU L., Essai sur la laïcité, Condition de possibilité de l’émancipation, Paris, L’Harmatan, 2018, 247 p.

Jean-Paul Resweber
p. 268-271

Texte intégral

1Dans ce livre, qui est le texte remanié d’une thèse soutenue en 2016 à l’Université de Lorraine, l’auteur n’entend pas insister sur les aspects juridiques de la laïcité, qui font de la loi de 1905 un pharmacon dont il veut développer avant tout les dimensions philosophiques et épistémologiques qui peuvent éclairer les usages qui peuvent en être faits (p. 114). Le titre de l’ouvrage est d’ailleurs suffisamment explicite, pour que le lecteur comprenne l’objectif de l’auteur que F. Fischbach exprime dans sa préface : à savoir que la laïcité n’est pas « une pensée de la répression », mais « une pensée de la résistance » et que, par voie de conséquence, elle ne peut se réaliser dans un espace social qui soit conçu en termes d’exclusion de certains individus ou encore en termes d’une tolérance entretenant entre eux une coexistence sans un partage d’intérêts communs . Car elle n’a d’autre but que de garantir les libertés individuelles et de rallier les individus à une visée universelle de partage d’intérêts communs.

2L. Maronneau reprend le terme d’émancipation (p. 161 sq.) de l’école de Frankfurt pour désigner à la fois la promotion des libertés individuelles et des libertés collectives, ces dernières s’affirmant dans la construction d’une solidarité « organique » fondée sur la coopération entre des individus libres constituant un collectif. Car l’émancipation vise à libérer les individus aliénés par des dispositifs (institutions, discours et pratiques) qui consacrent la domination passive ou active d’une catégorie ou d’une classe sociale sur une autre. C’est dire que l’auteur ne réduit pas la laïcité à une pensée de la résistance à l’endroit des seules croyances religieuses, mais à une pensée d’une résistance élargie s’opposant à toute forme d’aliénation et, finalement, revendiquée comme étant la condition de la vie sociale elle-même.

3Ainsi, selon l’auteur, le concept d’émancipation nous évite-t-il de confondre la laïcité avec le laïcisme (p. 13, 127), la sécularisation (p. 19 sq., p. 230 sq.), la tolérance ( p. 15 sq.) et même de la réduire à la seule liberté de conscience, car il induit l’ouverture d’un espace neutre, où les citoyens peuvent agir et interagir entre eux. Ainsi comprise, la laïcité est-elle « une relation d’ouverture », car elle introduit « un écart entre spatialité et localité » (p. 36) qui a profil de la chôra platonicienne, puisqu’il sépare ici pour unir ailleurs, de sorte qu’elle met à mort l’idée même d’une religion civile qui donnerait une consistance positive au lien social qui n’a pas besoin de la religion pour asseoir sa dimension spirituelle (p. 179). C’est, en effet, le désir de collaborer à une œuvre commune qui constitue le lien social. C’est bien l’agir ensemble, le faire ensemble (Tun) caractéristique de notre modernité, qui, d’une certaine façon, est le milieu de l’émergence d’une laïcité qui conditionne le vivre ensemble. C’est bien l’« agir avec », forme moderne de l’être-avec (p. 227) qui, dans la mesure où il vise la promotion des libertés individuelles et collectives, requiert la laïcité comme étant la condition même de son accomplissement. Ainsi conçue, la laïcité se présente comme un milieu métastable favorable à la recomposition de « l’entrelacs social » p. 232) et, par conséquent, offert à de nouvelles manières de collaborer entre humains.

4On pourrait croire que le lien social est seulement tissé par ces rapports qui fondés dans l’agir s’expriment dans des conflits et des réajustements continuels. Certes, on ne saurait récuser la part prise par ce processus. Mais si l’espace de la laïcité s’exprime en déployant un milieu ouvert qui par définition exige la constitution d’une marge dans l’ordre social, où les émotions et la raison peuvent composer, il est, selon l’auteur, l’expression d’une dimension trans-individuelle qui entre à la fois dans la constitution de l’individuation et, du même coup, constitue un collectif interrelationnel. L. Maronneau éclaire la laïcité avec à-propos et justesse à la lumière du modèle de l’individuation de G. Simondon (p. 139 sq.) et, par ce biais, insiste sur l’importance de l’intersubjectivité dans la constitution de la solidarité. Car l’individu est une composante résultant d’un processus dialectique qui met en mouvement la dimension d’intériorité pré-individuelle qui le caractérise en propre et la dimension d’extériorité trans-individuelle qui lui permet de s’objectiver en l’intériorisant. Ce qui signifie que le collectif est à la fois la médiation grâce à laquelle l’individu s’affirme, mais aussi l’espace-temps qui résulte de cette affirmation, car il se constitue dans la répétition d’un présent, où rayonnent le passé et l’avenir. C’est ce collectif qui est le terreau ou encore la matrice de la laïcité, car il enracine le lien social en profondeur, dans des relations constitutives de l’humain, tissées d’affects, de visées de pensée et de significations partagées.

5L’auteur appuie son argumentation sur une étude philosophique historique, où il montre que, depuis la pensée des philosophes grecs, en passant par le Moyen Âge, raison et croyance n’ont cessé de s’affronter, jusqu’à ce que, au siècle des Lumières, la raison en vienne à s’émanciper de la tutelle des croyances religieuses. Or, cet affranchissement de la raison est le signe d’une laïcité déclarée qui jusqu’ici ne parvenait pas à s’avouer comme telle, c’est-à-dire d’une laïcité qui en vient enfin à prendre en compte la puissance relationnelle dont dispose la raison pour fonder les divers liens qui relient les humains entre eux.

6Pour confirmer et étayer cette étude historique centrée sur la dialectique de la raison et des croyances, l’auteur recourt à une réflexion épistémologique sur les données de la psychologie sociale, qui révèlent que la laïcité est fondée sur une logique plus profonde que celle de la raison et des croyances : à savoir celle qui articule le singulier et l’universel. Il en vient ainsi à montrer que la laïcité est une condition de la compréhension historique de l’humain comme tel, car c’est en protégeant les singularités individuelles, qu’elle leur permet de développer la visée universelle dans laquelle s’inscrit chacune d’entre elles. Elle fait ainsi l’économie de la logique commune dans laquelle on l’enferme trop souvent : celle de la particularité des croyances et de la généralité de la religion civile ou de la raison. À la lumière de la laïcité, c’est la singularité qui fait d’emblée sens, en se posant non comme une sous-catégorie particulière d’une catégorie générale, mais bien d’emblée comme une allégorie de l’universel dont elle est une « modalité », pour user de la terminologie spinoziste.

7Ainsi la liberté de conscience se trouve-t-elle intégrée dans le concept de libre détermination de soi promue par la Réforme (Selbstestimmung) et développé par la pensée des Lumières et à nouveau intégrée dans la notion d’émancipation. L’auteur défend avec force cette position en passant du plan empirique de l’analyse, celui de l’attente d’une vie apaisée, au plan transcendantal, celui de la constitution d’un espace social de liberté, et inversement. La laïcité apparaît alors comme étant une condition indispensable au bon fonctionnement de la vie sociale, mais plus profondément comme étant indispensable à la constitution de l’individu social. Le livre de L. Maronneau défend une conception de la laïcité qui, au-delà des interprétations tronquées d’une laïcité dite négative ou positive et au-delà des querelles anecdotiques et mesquines que ces malentendus génèrent fatalement, restitue à l’être humain la verticalité symbolique de son être.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Paul Resweber, « MARONNEAU L., Essai sur la laïcité, Condition de possibilité de l’émancipation, Paris, L’Harmatan, 2018, 247 p. »Le Portique, 45-46 | 2021, 268-271.

Référence électronique

Jean-Paul Resweber, « MARONNEAU L., Essai sur la laïcité, Condition de possibilité de l’émancipation, Paris, L’Harmatan, 2018, 247 p. »Le Portique [En ligne], 45-46 | 2021, document 16, mis en ligne le 15 février 2021, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/3816 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.3816

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Jean-Paul Resweber

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