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La politique
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Pulsion de De la (non)politique chez Mamardachvili.

L’URSS et le cartésianisme
Mariam Shengelia
p. 161-185

Résumés

À travers la lecture du philosophe géorgien Merab Mamardachvili et de René Descartes, Mariam Shengelia montre les risques et les limites d’une conception de la politique centrée sur les dimensions éthiques et les formes de vie individuelles : se détourner des luttes politiques les plus concrètes, dans lesquelles des corps s’unissent et se confrontent.

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Texte intégral

1L’article ci-dessous tente de donner forme à un ensemble de questionnements qui émerge autour de la notion de politique chez Mamardachvili, afin de parvenir à problématiser son usage du terme. La question qui nous guide concerne la possibilité même de penser la politique, ou plutôt les politiques, au sein de cette philosophie, et de comprendre plus expressément quelle est la place qu’elle y occupe, quels sont ses contenus et les formes qu’elle prend. Pour ce faire, nous déploierons non seulement une analyse discursive de la philosophie de Mamardachvili, mais tenterons également d’en proposer une lecture qui ne soit pas détachée de son ancrage dans le réel, en parcourant à la fois l’histoire récente de la géopolitique géorgienne et de la littérature russe. Nous ferons également appel à la mémoire des luttes dont certaines expériences politiques nous serviront de pilier en vue de la critique à formuler à l’égard de la pensée politique de Mamardachvili. Cette critique soutiendra que l’élaboration d’une certaine idée de la politique est ici essentiellement attachée à l’expérience de Mamardachvili du totalitarisme sur le plan empirique et au cartésianisme sur le plan intellectuel, entraînant cette pensée jusqu’à une certaine forme de négation de tout agir politique.

2Mamardachvili retourne dans son pays d’origine en 1981 et il y passe les neuf dernières années de sa vie. La Géorgie, étant encore en paix hargneuse, voit se succéder un enchaînement tumultueux d’épisodes historiques : avec l’extension du Mouvement national de libération de la Géorgie, composé de plusieurs groupes dissidents, l’idée d’indépendance hante tout le pays ; une tempête s’annonce et se confirme avec la tragédie du 9 avril 1989. Comme un tournant fatal, elle aura précédé la guerre civile en décembre 1991 à Tbilisi, suivie du conflit militaire en Ossétie et de la Guerre d’Abkhazie de 1992 jusqu’en 1993. C’est à ce moment-là que Mamardachvili est à la fois actif sur le terrain académique et sur celui du politique : il donne des cours sur Proust, sur l’esthétique de la pensée, et fait l’expérience de la politique qui se révélera pour lui violente et véhémente. Il rejoint Le front populaire géorgien, le parti représentant la fraction libérale du mouvement indépendantiste, avec lequel rompra le groupe radical des nationalistes, dirigé par Zviad Gamsakhourdia, qui sera élu à la majorité absolue et deviendra le premier président de la Géorgie en 1991. Lors d’un meeting public du Front populaire géorgien, Mamardachvili déclare que « la vérité est au-dessus de la patrie » et s’oppose personnellement à Zviad Gamsakhourdia, figure idéalisée jusqu’à l’idolâtrie par une grande majorité de la population, tout en prenant le risque d’affirmer que si la Géorgie choisit Gamsakhourdia il devra aller contre son peuple1. Cette allocution marquera la rupture irrémédiable entre le philosophe et le reste du mouvement.

  • 2 Voir, notamment, les séminaires de Ghia Nodia et Levan Berdzenichvili sur Mamardachvili.

3L’intensité du conflit avec des composants radicaux du mouvement indépendantiste affecte le cheminement de la pensée de Mamardachvili et les conditions de son existence. Certains articles aux relents nationalistes et chauvinistes n’hésitent pas à le calomnier, et sa pensée ne sera réactualisée en Géorgie qu’à partir des années 2000. Dès lors, on en entend parler dans les universités ; une série de conférences s’organise dans le « Centre du libéralisme » à Tbilisi où des personnalités politiques s’emparent de lui2. La philosophie de Mamardachvili devient un pilier théorique de l’idéologie alors dominante en Géorgie, idéologie dont le nom est libéralisme sur le terrain académique et néolibéralisme dans l’économie réelle.

4Comment expliquer la réactualisation de la pensée de Mamardachvili dans ce nouveau contexte géorgien, anti-obscurantiste et pro-occidental, correspondant à l’exportation de l’idéologie néolibérale des Etats-Unis après la Révolution des roses ? S’agit-il des vices du pouvoir et de ses ritournelles habituelles, cherchant sans relâche la récupération politique des auteurs, ou bien est-ce la pensée de Mamardachvili qui se montre sujette à une interprétation légitimant l’idéologie dominante de l’époque ? C’est à partir d’une telle interrogation que nous aimerions problématiser les positions politiques de Mamardachili, en partant, dans un premier temps, de la publication géorgienne de ses cours intitulés Conversations sur la philosophie (1992) dont les citations seront ici traduites par nous-mêmes.

Le désir d’Occident et l’Histoire

  • 3 Merab Mamardachvili, Conversations sur la philosophie, Tbilisi, Sciences, 1992, p. 160 (notre tradu (...)
  • 4 Ibid.
  • 5 Ibid.

5Les cours de Mamardachvili donnés en 1990 à l’Université d’État de Tbilisi sont saturés par des interrogations politiques, tout comme le quotidien des géorgien.nes de l’époque, dans un contexte d’incertitude en attendant le terme final de la déchéance de l’Empire soviétique. Néanmoins, si Mamardachvili se permet cette plongée par la sphère politique dans une institution académique, c’est pour deux raisons : tout d’abord, parce qu’il poursuit le travail de la quête d’une pensée non conforme au régime, et ensuite, parce que « tout est politique », parce que « chaque geste spirituel, chaque démarche intérieure est également politique. La citoyenneté est un élément de ce dont je viens de parler – de la pensée, qui est dans la rue. Et notre citoyenneté est, bien sûr, politique »3. Il prend toutes les précautions pour ne pas « tomber dans la politique »4, ce dont témoigne l’accent mis sur le mot citoyenneté, un terme qui revient très souvent dans ses discours comme une notion opposée à celle de la politique brute et immédiate, la politique dans sa forme non-institutionnalisée. Il prend ainsi toutes ses distances à l’égard de la révolte politique, celles de masses insurgées avec « des poings et des mains levés »5. Comme l’élément civilisé fuit sa forme primitive, Mamardachvili évite les formes de la politique que l’on retrouve en ce moment dans les rues de Tbilisi devant le parlement – les meetings, les rassemblements, les manifestations, assourdissants et funestes.

  • 6 Sylvain Piron, L’Occupation du monde, Bruxelles, Zones Sensibles, 2018, p.109.
  • 7 Alain Badiou, Notre mal vient de plus loin (Penser les tueries du 13 novembre), Paris, Fayard, 2016
  • 8 C’est ce dont témoignent d’ailleurs les statistiques de l’Ofpra, selon lesquelles la Géorgie est le (...)

6Dérivé du mot citoyen, civis en latin, la citoyenneté implique le droit de jouir de la cité dans le sens antique du terme. Le concept de citoyenneté comme démocratie est donc une invention typique de l’Occident qui à l’Antiquité, comme depuis les Lumières, demeure le vecteur de civilité. La compréhension de la politique en termes légalistes n’est donc pas un hasard : elle correspond simplement à son sens étymologique et historique, et nous y trouvons le désir d’Occident dont fut habité Mamardachvili. Nous employons le terme d’Occident, une notion relativement vague, à la fois dans son sens géopolitique et anthropologique pour exprimer, comme le précise Sylvain Piron, « la puissance des nations européennes et leurs prolongements en Amérique et en Océanie »6. Le désir d’Occident, expression que j’emprunte à Alain Badiou7, indique le désir d’un monde à l’occidental, c’est-à-dire d’un ensemble de conditions de vie et de valeurs dont témoignent les flux migratoires venant des zones « périphériques » vers les frontières euro-atlantiques. Bien que ce terme puisse décrire un contexte géopolitique contemporain, il pointe avant tout les conditions de la production subjective de ce désir correspondant à l’hégémonie démocratique et économique de l’Occident depuis la Guerre froide et au triomphe du capitalisme mondialisé, un spectacle auquel on assiste partout depuis plus de trente ans. Façonné par un ensemble de rapports sociaux et géopolitiques, le désir d’Occident subit des mutations en fonction du travail médiatique et spectaculaire qui l’accompagne. C’est pourquoi le désir d’Occident en Géorgie post-soviétique ne nous renvoie pas aux mêmes contenus que le désir d’Occident pendant la Géorgie soviétique. Dans ce dernier cas, il se comprend plutôt comme une réaction aux politiques du Rideau de fer et à la fragmentation du monde, alimenté tout autant par la propagande néolibérale sur la liberté et l’aisance moderne. Dans le premier cas en revanche, ce désir répond à une urgence vitale, à la nécessité de survivre, non pour échapper à la guerre dans des zones dévastées du Moyen-Orient, mais à la misère, à la maladie ou à la famine8, comme le font tant d’autres, en traversant notamment la frontière maritime de la Méditerranée.

7Avant de montrer comment le désir d’Occident se manifeste dans les discours de Mamardachvili, nous aimerions donner l’exemple de l’affaire des gamin.es de l’avion afin de mieux comprendre la déclinaison d’un tel désir dans sa forme soviétique.

8C’est l’histoire du détournement de l’avion Tu-134A en 1983 par sept « terroristes antisoviétiques », incarnant la jeunesse géorgienne sous l’URSS et leur désir de l’Occident, des jeans et des Rolling Stones, un désir qui leur a été funeste. Pour se sauver des frontières de l’URSS et fuir ce qui leur y était insupportable, ces jeunes tentent de détourner un vol régional en direction de la Turquie, le pays non-socialiste le plus proche. Leur rêve ultime, voyager jusqu’aux États-Unis, tourne vite au carnage : deux d’entre eux sont morts sur place pendant la fusillade ; l’un d’eux s’est suicidé une fois avoir compris que l’avion avait atterri non pas en Turquie, mais à Tbilisi ; quatre autres ont été condamnés à mort et fusillés (dont un prêtre de l’église, bien que n’ayant pas participé au détournement, mais soupçonné de complicité) ; enfin, quinze ans d’enfermement ont été ordonnés à l’encontre de la dernière personne et, celle-ci étant enceinte, un avortement a été pratiqué par la force. Deux passagers et trois membres de l’équipage ont également été victimes de la prise d’otage ratée et de l’intervention de l’unité spéciale de Moscou demandée par le chef du parti communiste en Géorgie, Édouard Chevardnadze.

9Bien avant que la soi-disant crise migratoire n’éclate en Europe, le désir de l’Occident se montre dans les sociétés soviétiques dans sa dimension tragique, meurtrière et suicidaire. Si nous prenons l’exemple extrême des gamin.es de l’avion, ce n’est pas pour donner une image homogène d’un désir, ni pour prétendre que Mamardachvili partageait ce désir avec les jeunes antisoviet.es sous la même forme et avec la même intensité. Nous tâcherons plutôt de montrer l’étendue que peut avoir un tel désir socialement partagé, touchant des intellectuel.les aussi bien que des jeunes révolté.es, allant à la recherche de leur liberté. Il nous est important de mettre l’accent là-dessus pour comprendre la pensée de Mamardachvili, empreinte du désir de l’Occident, et par-delà, de tout un paysage social participant à sa constitution. Désarmé et raisonné, le désir de Mamardachvili reste moins offensif vis-à-vis du régime en place, mais tout aussi crédule envers l’Occident. Pour lui, l’imaginaire de l’Occident est essentiellement lié à l’antiquité et à la modernité, et son désir d’Occident est plutôt bien-pensant que subversif et fataliste :

  • 9 Merab Mamardachvili, Interview pour Le Monde, 1990, N24 in : Topologie de la conscience, Tbilisi, C (...)

« Dans les ethnies de l’espace soviétique – les ethnies qui n’ont pas pu atteindre la modernité avant la Révolution d’octobre, la société civile ne pourra pas se mettre en place, s’instaurer. La modernité est un concept qui caractérise la société de l’Europe de l’ouest à partir de la fin du 17e siècle. Depuis, les États-nations, qui avaient résolu leurs problèmes nationaux, sont rentrés dans l’ère de la modernité. (...) Chez nous, les ethnies ne sont en train d’entrer que maintenant dans la modernité, dont la caractéristique est un individu productif, indépendant et libre en termes sociaux et culturels. »9

10Comme le montre la citation ci-dessus, la fascination pour l’Occident correspond, chez Mamardachvili, à une certaine vision de l’Histoire. Nous y reconnaissons l’idée de l’Histoire linéaire, progressiste et universelle, incarnée par la figure de l’Occident, et à reproduire par celleux qui en sont en-dehors, à l’instar des copies immatures de l’original. Selon ce schéma continu de l’Histoire, les territoires soviétiques devraient nécessairement suivre le destin universel porté par le capitalisme et son sanctuaire, l’Occident, dont le point de départ se situe dans la modernité. Cette vision de l’Histoire selon laquelle l’individu de l’humanisme occidental et la figure du producteur libre du capitalisme seraient la panacée à appliquer à toute réalité écarte de la discussion toute une série de problématiques comme le colonialisme, les privilèges et les dominations, de sorte qu’aucun signe de la critique de « l’Occident » ou du « citoyen européen » ne soit présagé dans l’interview citée plus haut.

  • 10 Merab Mamardachvili, Conversations sur la philosophie, Tbilisi, Sciences, 1992, pp. 199, 205,206 (n (...)
  • 11 Ibid., p. 206.
  • 12 Ibid., p. 205.

11Au-delà de l’absence d’articulation entre l’Histoire et le pouvoir, pourtant si évidente pour lui dans le cas de l’histoire de l’URSS, la vision de l’Histoire de Mamardachvili est non seulement linéaire mais aussi figée. Dans ses cours, il emploie à plusieurs reprises des termes tels que « l’état permanent », « l’état naturel » pour souligner qu’entre le monde « occidental » et le monde « oriental » – le premier figurant le monde de « la pensée », des « rapports sociaux complexes », et le deuxième l’état « primitif », « élémentaire », « amorphe » dont le nom est le communisme – aucun passage n’est possible10. « On peut dire, que "l’Orient" – c’est l’enfance permanente de l’humanité, c’est-à-dire, son état naturel permanent. De même est permanent l’autre – l’état formel, autrement dit, l’état réflexif. Pour résumer, je dirais ainsi : quand on parle de "l’Orient" et de "l’Occident", ce n’est rien d’autre que la désignation de deux moments permanents de la condition humaine. »11 Bien que « l’Orient » et « l’Occident » ne correspondent pas ici aux « notions géographiques », comme le précise Mamardachvili12, il n’empêche que l’usage de ces couples binaires renforce le vieux clivage entre le « centre » et la « périphérie », ainsi que la supériorité normative de l’Occident. Ce qui découle de ce fameux couple Orient/Occident et que Mamardachvili lui-même soutient en associant « l’Orient » aux « forces naturelles primitives » et « l’Occident » à « l’état réflexif », donc à la « métaphysique », c’est aussi une série de disjonctions comme « nature/culture », « corps/ âme », etc. – et la logique de hiérarchisation qui les soutient. Or, ce fossé entre les deux états permanents de l’humanité – l’état d’enfance et l’état réflexif, ce dernier étant synonyme de maturité et de développement – ne peut pas être comblé car il s’agit de formes fixes sans aucun passage possible entre les deux. Il compare l’Histoire à « l’universum », dont les formes sont conçues comme statiques et fixes, sans continuité entre elles :

  • 13 Ibid., p. 191.

« L’Histoire, dirais-je, est universum, un deuxième universum. Ce qui nous entoure est l’universum : les étoiles, les montagnes, les mers, les animaux, les plantes, les humains – chacun d’eux est le résultat de l’évolution et représente une forme et un degré particulier. Par exemple, le lion est une des formes dans ce zoo divin. Dans ce sens, il est un élément du cosmos, de l’universum. Il est aussi une forme dans le sens où le lion ne peut pas devenir le lapin : il s’agit d’une forme stable, qui se répète ; généralement, la forme ne change pas. »13.

  • 14 Dominique Lambert, René Rezsohazy , Comment les pattes viennent au serpent, Paris, Flammarion, 2004 (...)
  • 15 Merab Mamardachvili, op.cit., p. 192.

12Penser l’évolution en termes statiques et définitifs suppose une certaine vision de la morphogenèse et l’embryologie, qui exclue l’idée de l’isomorphisme et de l’unité de plan de composition entre les espèces14, mais ceci mis à part, Mamardachvili attribue ce même principe essentialiste aux déterminismes géographiques et sociologiques, poursuivant ainsi l’idée des « états permanents » en termes encore plus objectifs : « disons, que le citoyen est une forme et un degré, en tant qu’œuvre de l’Histoire qui compose à côté et avec d’autres formes, l’universum. Si dans l’existence il t’arrive d’être anglais, tu seras toujours anglais – c’est-à-dire, le citoyen anglais né au cœur de Magne Carta. »15 Entre l’essentialisme – qui prive les différentes formes d’existence de toute leur élasticité et des possibilités de passage entre elles – et la vision progressiste de l’Histoire – génératrice d’un certain nombre de frustrations et de fustigations à l’égard de sa propre place dans l’Histoire – se révèle un paradoxe : comment peut-on, par exemple, nous, les soviet.es, les géorgien.nes, « les ethnies qui ne rentrent dans la modernité que maintenant », attraper le continuum de l’Histoire, s’inscrire dans l’idée du progrès et du « développement » en suivant le chemin tracé par « l’Occident » tout en étant assigné.es de manière définitive à notre état civil, « citoyen.ne géorgien.ne » gravé.e à jamais dans un vaste universum des formes fixes ?

13On ne saurait résoudre cette impasse du point de vue logique, mais nous savons – grâce à une série de flagellations intellectuelles que nous recevons sans répit, nous les homines sovetici depuis plus de trente ans, c’est-à-dire depuis la dislocation du régime soviétique, l’accélération de la désindustrialisation et l’effondrement économique en Géorgie – que nous correspondons à la définition de la partie « obscure » de l’humanité, par manque d’intellect et de responsabilité citoyenne, ainsi que de tout un ensemble de choses évoquant l’imaginaire du « bon citoyen européen ». Mamardachvili, comme beaucoup d’autres intellectuels se revendiquant de sa philosophie, emploie le terme « obscur » pour faire référence aux géorgiens16 et érige le culte de « la culture européenne » en y cherchant le salut mondial :

  • 17 Merab Mamardachvili, La responsabilité Européenne, intervention faite en 1989 à Barcelone. Voir la (...)

« Pour moi, la culture européenne est peut-être la première et la dernière réponse valable à la question : Est-ce que le changement dans le monde est possible ? Est-il possible que l’homme conditionné par des chaînes de cause à effet, par des chaînes déterministes, soit capable de se hausser, et de réaliser dans des formes concrètes un parfait infini ? »17

  • 18 Nous pensons notamment au programme de Ronald Reagan, qui à la présidence des États-Unis en 1980, m (...)

14Comment expliquer qu’une pensée libre et intransigeante comme celle de Mamardachvili, insoumise à la censure soviétique, se concilie avec une forme de conformisme à l’égard d’instances démocratiques et institutionnelles orgueilleusement incarnées par l’Europe ? Cette tendance pro-occidentale présente dans les discours de Mamardachvili sera ultérieurement exprimée en tant que choix idéologique du gouvernement de Saakachvili. Soutenu par des lobbys américains et arrivé au pouvoir en Géorgie en 2003 grâce à l’évènement impudemment appelé la Révolution des roses, Saakachvili mit le pays en voie d’américanisation18 en y intégrant toutes ses ramifications possibles : le système économique néolibéral inspiré des « Chicago Boys », l’état policier et la terreur, la protection médiatique au niveau national et international sous couvert de sa politique pro-occidentale et progressiste.

15Dénonciateur qu’il fut de toute tentative de subordination de la fluidité et de la libre circulation de la pensée, il n’est pas question d’identifier Mamardachvili à un précurseur de cette idéologie pro- occidentale et fascisante. Il s’agit, tout d’abord, de remettre en contexte le désir de l’Occident de Mamardachvili, afin de le situer dans une perspective sociale et culturelle plus large. Ensuite, nous aimerions montrer le glissement entre la projection de ses désirs subjectifs, mais essentiellement multiples, et leur récupération par la machine étatique, comme un processus complexe avec une forte influence de l’intelligentsia. Il suffit d’évoquer le nombre d’intellectuels et universitaires géorgiens ayant pris la position de locuteurs majeurs de l’idéologie du gouvernement de Saakachvili sur les terrains intellectuel et institutionnel, notamment le professeur Ghia Nodia, éditeur des séminaires de Mamardachvili en géorgien. De ce fait, malgré lui ou non, la philosophie de Mamardachvili et ses références occidentales, ainsi que son inclination pour les institutions civiles et démocratiques, ont participé au renforcement de l’idéologie libérale ou plutôt néolibérale, en Géorgie, durant toute la période du gouvernement « rose » (2003-2012) jusqu’à aujourd’hui où le refus du régime totalitaire n’a abouti qu’à la propagation d’un autre régime dont la violence systémique ne diffère du premier qu’en termes d’échelle. En effet, comme le confirme le chercheur géorgien Luka Nakhutsrichvili, l'étonnant aveuglement de Mamardachvili au sujet de l’Histoire le conduira à dresser comme alternative au socialisme soviétique le modèle libéral de la société occidentale, avide de travail et de consumérisme, encline à l’individualisme :

« Mamardachvili cherchait une sortie philosophique du socialisme soviétique tardif, en état de décomposition. Seulement, la valeur historique très limitée de cette recherche réside dans le fait que ce que Mamardachvili concevait – comme une alternative à l’encontre de

« l’impasse » soviétique, ce n’était que des vérités banales – rentrant en catimini par les coulisses, bien propres, donnant un vernis philosophique sur l’État et l’économie du néolibéralisme thatchérien alors en plein essor, que les intellectuels, les dits dissidents, avaient picoré de ce côté du Rideau de fer. »19

Histoire mineure, Utopie

16À la recherche de la sortie du totalitarisme, Mamardachvili s’engouffre dans une vision universelle de l’humanité qui va avec le concept de l’histoire continue et homogène, exprimant plutôt l’idée du progrès que celle des défaites, l’image de la civilisation plutôt que celle des barbares, le triomphe sur l’état sauvage et animal. Au même moment, une épistémologie critique de l’histoire qui, avec l’archéologie foucaldienne notamment, refuse de faire de l’histoire le continuum du progrès, met en valeur une série de concepts pour penser la discontinuité. Penser la discontinuité veut dire penser l’histoire mineure, les histoires de tristes défaites et de souffrance par l’écrasement des luttes et des émeutes, qui va avec le sentiment d’impuissance. Ici, l’Homme moderne occidental, Aryo-latin, glorieux et triomphant, est décentré et rejoint la vision anti-progressiste de Benjamin : « l’idée d’un progrès de l’espèce humaine à travers l’histoire est inséparable de celle de sa marche à travers un temps homogène et vide. La critique qui vise l’idée d’une telle marche est le fondement nécessaire de celle qui s’attaque à l’idée de progrès en général. »20

17Il s’agit, bien évidemment, d’une toute autre lecture de l’histoire, étrangère au philosophe soviétique pour qui la révolution équivaut à une histoire de la victoire d’État. Ici, ce sont les points de rupture qui sont pris en compte et ébranlent la synthèse des continuités ininterrompues de l’époque en œuvre. Le rejet d’une vision de l’histoire continue modifie par conséquent le rapport à la politique, car la révolte et la révolution ne sont plus les moments de la prise de conscience, comme le remarque Foucault ultérieurement21, mais des irruptions volcaniques dans un temps donné. Ce qui vient d’être dit est exprimé avec plus de poésie et de justesse encore chez Benjamin, dans sa 15e thèse : « la conscience de faire éclater le continu de l’histoire est propre aux classes révolutionnaires au moment de leur action. »22

18Ayant la prétention de l’accomplissement de la raison dans l’Histoire, le modèle marxiste-léniniste de la révolution, où celle-ci est réalisée grâce au travail de la prise de conscience, s’inscrit dans un système de pensée totalisante et dans une vision continue de l’histoire. Les analyses politiques de Mamardachvili étant essentiellement circonscrites par l’histoire du régime totalitaire de l’URSS, nous aimerions alors examiner s’il déplace ses interrogations sur un autre terrain que celui de l’Histoire majeure. S’intéresse-t-il à une autre histoire de la Révolution d’octobre, celle qui n’est pas un ensemble d’enchaînements ininterrompus et ascendants, aux histoires des révoltes vaincues, aux utopies qui ont été tentées, mais qui sont restées inachevées ?

  • 23 Merab Mamardachvili, Conversations sur la philosophie, Tbilisi, Sciences, 1992, p. 162.

19Lors de son séminaire à Tbilisi, Mamardachvili évoque la figure du révolutionnaire socialiste, qu’il voit comme un martyre enclin à une forte générosité pour penser le bien-être des autres : « la dite gratuité des révolutionnaires, leur enthousiasme nous indique toujours : je n’ai jamais rien voulu pour moi, je me suis sacrifié pour votre bonheur. En quoi ne serait-il pas un martyr ? »23 En effet, les soviet.es, ont souvent connu l’image du héros national, qui s’enracine dans les luttes populaires, ainsi que ce qui en dérive, à savoir le paternalisme sournois de l’avant-garde politique, la figure du leader charismatique et l’infantilisation des masses, en d’autres mots, le « penser à la place de… ». Mais à l’encontre de tout cela, ielles ont également connu, et davantage encore, les luttes singulières dans leurs surgissements, où des figures personnalisées s’abandonnent à la multiplicité impersonnelle. L’évocation de cette figure du martyre tient-elle alors à soustraire à la politique révolutionnaire cette dimension insidieuse du sacrifice, ou bien à délégitimer la lutte et l’engagement révolutionnaire, de façon générale, car le mot même de révolution relèverait du spectre du totalitarisme ? Le fait est que Mamardachvili ne critique pas seulement le régime soviétique, ni l’idée même du socialisme, il va encore plus loin en écartant la pensée utopique de son idéal philosophique :

  • 24 Ibid., p.119.

« Chaque pensée philosophique, si elle est vraiment philosophique, est une dans la mesure où elle s’oppose à la pensée quotidienne et utopique. La pensée utopique est toujours hiérarchisée et cherche à distinguer un point privilégié. Par exemple, dans la littérature russe, c’est à l’individu pauvre et simple qu’on attribue une sagesse particulière, la haute capacité d’atteindre la vérité, la haute morale, la réflexion saine et mesurée. »24

  • 25 Ibid., p.133.
  • 26 Idem.

20Situant les termes de « privilège » et de « hiérarchie » du côté de la classe défavorisée, nous éprouvons un sentiment de gêne, car l’utilisation de ce procédé tend à renverser les rôles : les qualités morales que l’on pourrait attribuer à certains groupes sociaux, aux pauvres, aux femmes ou aux personnes non-blanches, seraient ici pensées comme un privilège. Cependant, ce que Mamardachvili essaie de pointer ici, c’est ce qui découle de la distribution mécanique des qualités morales selon les données sociologiques, à savoir le mécanisme de hiérarchisation. Mais la pensée utopiste fonctionne-t-elle vraiment selon cette hiérarchisation naïve et de quelle pensée est-il question plus précisément ? Mamardachvili associe la pensée utopiste à la littérature russe, mais cette référence aurait été beaucoup trop vaste et imprécise pour en faire une analyse, s’il n’avait pas parlé de Tchernychevski dans le séminaire suivant. Cet auteur de la littérature utopique et révolutionnaire était « possédé par la pensée utopiste, par l’idée de la révolution »25. Selon Mamardachvili, la tragédie de Tchernychevski consiste dans son obstination, qui l’a accompagné jusqu’à sa mort, à vouloir découvrir le moteur perpétuel, « autrement dit, le mécanisme de la révolution, l’idée de la révolution »26. Tchernychevski ne fut pas le seul à être obsédé par la vieille idée de perpetuum mobile, et encore moins celui qui chercha dans la tekhnè un moyen possible d’émancipation sociale. Pourquoi s’indigner, plutôt que s’émerveiller face à ce désir, cet effort de persévérance qui ne l’a pas abandonné tout au long de ses trente ans d’enfermement en Sibérie ? L’utopie n’est tragique que quand elle fait obstacle à l’agir dans le présent, s’érigeant comme un exemple idéaliste, mais elle est surtout un rêve jovial qui alimente le quotidien, et comme le disent certain.es camarades fait plier le réel à la volonté.

  • 27 Nikolai Tchernychevski, Que Faire ?, Éditions des Syrtres, 2017, p. 64.

21Même si Tchernychevski est utopiste, ses personnages, eux, ne sont surtout pas « des gentils parce que pauvres ». Il décrit les personnages de son fameux roman révolutionnaire, Que Faire ?, comme des gens ordinaires qu’il aurait rencontrés dans sa vie et dont il aurait eu envie de décrire les modes de vie. Pourtant, les protagonistes du roman, même si leurs moyens de subsistance sont maigres et leurs manières de vivre plutôt rigoristes, n’appartiennent pas à la classe ouvrière à proprement parler. « Notre récit refuse de s’intéresser à des personnes en mal de nourriture »27, révèle l’auteur lui-même. Cette œuvre majeure de propagande de la littérature russe n’attribue donc pas une place privilégiée aux personnages choisis selon des critères purement sociologiques, et refuse par conséquent de jouer au misérabilisme. En revanche, ces personnages représenteraient plutôt celles et ceux qui auraient une sorte de privilège à être à la recherche de nouvelles manières de vivre, conformes à leurs préceptes éthico-politiques. À cet égard, l’auteur ajoute :

  • 28 Op. cit., p. 257.

« Je les fais agir en simples braves gens de la nouvelle génération, rien de plus. Que font-ils qui sorte de l’ordinaire ? Ils ne commettent pas de bassesses, ce ne sont pas des lâches, ils ont simplement des idées honnêtes, ils tâchent d’y conformer leurs actes, c’est tout. Ça de l’héroïsme ? Vraiment ! »28

22Loin de l’héroïsme, ces personnages ont cependant une vocation pédagogique, voire didactique. Ils appellent à propager les idées et les actes utopistes, pourtant ordinaires, parmi les gens de la société qui, selon l’auteur, sont moins qu’ordinaires, les médiocres. Si Tchernychevski n’a pas pu trouver le mécanisme de l’avènement de la révolution utopiste, ses personnages ont pu semer des graines de l’utopie dans le réel en incarnant de vraies figures historiques. Ses personnages, Rahmetov notamment, sont devenus des figures-cultes dans les milieux anarchistes russes, qui ont influencé l’imaginaire des narodniki, connus comme des « anarcho-terroristes », et ensuite celui de différent.es acteur.es de la Révolution d’octobre. C’est ici que l’utopie joue avec le réel, et la fiction – avec l’histoire.

  • 29 Nietzsche, Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1971, p.35.
  • 30 Merab Mamardachvili, op.cit., p. 119.

23Il serait possible de faire une lecture nietzschéenne de la question qui vient d’être traitée. Dans les propos de Mamardachvili, nous pouvons facilement reconnaître un appel à la volonté de puissance, à l’affirmation de soi, à l’élan anti-victimiste qui cherche à se regarder plutôt que se retourner contre les autres, en l’occurrence les oppresseurs.29 En effet, l’affirmation comme principe politique participe au « devenir-plus-fort » des sujets, et augmente la puissance d’agir avec le refus du misérabilisme. Mais sommes-nous vraiment confronté.es à une telle approche affirmative de la politique, qui incite à l’action et à l’agir, quand nous lisons la critique de Mamardachvili à propos de la pensée utopiste, ou encore, quand il discourt à propos de la « volonté » de la manière suivante : « il y a une certaine hiérarchie entre les forces techniques : par exemple, il y en a une qui a des chars, l’autre qui n’en a pas ; mais il y a toujours un point où un cœur attaque un autre cœur et gagne celui dont le cœur est plus fort. Ça aussi, c’est une loi. »30 ? De quoi s’agit-il exactement ? S’agit-il d’une forme d’encouragement pour celles et ceux, dépossédé. es de moyens, à persister dans une lutte inégale, sans armes, à l’instar d’un.e manifestant.e géorgien.ne s’attaquant à un char russe avec son bâton en bois le 9 avril 1991 (un exemple repris dans le séminaire par Mamardachvili ) ? Ou bien s’agit-il d’une forme de déni des dominations et des rapports de force, en vue du dépassement de certaines binarités les plus ténébreuses (oppresseur/opprimé, par exemple) ?

24Le seuil de basculement de l’encouragement au déni politique étant trop incertain pour être relevé, nous ne prétendrons pas ici apporter de réponse à cette question. Cependant, si une approche nietzschéenne affirmative n’est pas alimentée de réflexions sur les rapports de pouvoir, elle est vite privée de la puissance d’agir. Elle devient alors stérile du point de vue de l’effet à produire dans une réalité donnée, et ressemble plutôt à la logique de l’acquiescement chrétien, où la révolte se confond avec les actions de Lucifer, et donc du mal dans le monde. Si nous avons connu des moments où le caractère affirmatif de la volonté de puissance se déployait, c’était justement dans des moments d’utopie vécue. L’exemple de la possibilité même de faire advenir l’utopie par la volonté engagée est la mise en place du communisme libertaire par les anarchistes révolutionnaires en Espagne en 1936. L’utopie n’était pas seulement dans les lieux de travail autogérés ou dans les terres collectivisées, mais dans le quotidien, dans la rue et sur le front. Pourtant, bien que les « cœurs » des miliciens et des miliciennes libertaires furent plus fervents que jamais, le triomphe glorieux de l’utopie anarchiste se voyait sombrer dans la défaite.

  • 31 Ibid., p.203.
  • 32 Ibid., p.219.
  • 33 Ibid., p.203.

25Critiquant l’idée même du socialisme et de l’utopie, Mamardachvili s’engouffre plutôt dans une oscillation entre légitimation et délégitimation des luttes ineffables de libération. Silencieux au sujet des formes d’agir autonomes, de la réappropriation des pratiques de lutte et de la puissance insurrectionnelle propre aux opprimés, les considérations de Mamardachvili par rapport à la politique restent circonscrites à l’histoire de l’URSS, et même sur ce plan, il n’a pas distingué l’expérience du bolchevisme d’autres composantes plus trépidantes de la révolution. Ceci doit s’expliquer par le fait qu’un seul mode d’organisation collective, sociale et politique est admis par Mamardachvili : celui construit sous la forme étatique. En plus de penser l’État comme condition nécessaire d’une société – « comme il n’existe pas d’État, en tant que phénomène politique, il n’existe pas de société non plus »31 – il définit la commune comme État32, le communisme comme état primitif et « amorphe », la Révolution de 1917 comme un soulèvement « sauvage » contre la civilisation : « Après l’évènement irréversible de la genèse de la civilisation, il est impossible de retourner à l’état sauvage de manière naturelle – ceci n’est possible qu’à condition de devenir fou et décadent. Ce qui s’était passé en 1917, c’était la régression vers les couches archaïques. »33 Or, souder tous les évènements composant la révolution russe en une pièce monolithique me semble dans le meilleur cas une maladresse, et au pire la profanation de combats et de luttes précieux que l’idée de révolution a pu réunir. Il convient de rappeler ici que les premier.es à fustiger les vilenies du régime et à combattre l’autoritarisme post-révolutionnaire furent les anarchistes révolutionnaires et, de façon générale, des opposant.es militant.es. Ielles se sont fait séquestré.es et écartelé.es, les militant.es, les révolutionnaires, les ancien.es narodnikis, celleux qui étaient encore en vie et de retour de l’exil en Sibérie pour soutenir la révolution, comme Catherine Breshkovski connue sous le nom de babouchka (grand-mère), qui dut prendre à nouveau le chemin de l’exil peu de temps après la révolution ; celleux qui ont même vu leurs places, très brièvement, à l’Assemblée constituante, comme Maria Spiridonova du Parti Socialiste-Révolutionnaire, révoltée dès 1918, arrêté, internée en asile psychiatrique et exécutée vingt-quatre ans après ; et puis Fanny Kaplan, cette militante toujours oubliée du Parti Socialiste-Révolutionnaire pour qui la trahison de l’esprit révolutionnaire par le régime soviétique n’aurait pu se résoudre qu’à coups de pistolet, même au prix de sa mise à mort féroce. Cette tentative d’assassinat de Lénine et sa revendication résolue viendront déclencher la Terreur Rouge, une série d’exécutions et d’oppressions les plus atroces menées contre les esprits révoltés.

26Il y a tant d’autres militant.es, invisibles et oublié.es, premièr.es victimes du régime à cause de leur combat pour la mise à bat de systèmes et des hiérarchies, dont les noms ne seront pas énumérés ici – pas plus qu’ils ne sont prononcés dans les discours de Mamardachvili. Le souci est de savoir depuis quelle position on attaque le totalitarisme : est-ce pour préconiser l’illusion de la démocratie et de la paix occidentale, le bouclier du capitalisme en ses temps glorieux, ou bien pour combattre l’illusion bolchevique et ses dirigeants lamentables ? À aucun moment Mamardachvili ne remet en question les appareils étatiques qui vont toujours avec la question du pouvoir, qu’il s’agisse de son modèle marxiste-léniniste ou bien de son modèle de la dite démocratie. La société civile que Mamardachvili fait valoir contre le totalitarisme n’est que l’instrument de pacification des masses par les lois et les normes, par les appareils de surveillance et de contrôle, par les frontières et le salariat, derrière laquelle se dresse un ordre sanglant et un épouvantable bilan de guerres invisibles. Faisant appel à la démocratie occidentale à l’encontre du totalitarisme soviétique, Mamardachvili n’évoque pas la possibilité de la quête d’une autre forme d’organisation sociale que celle normalisée par le dispositif impérialiste et consumériste de l’Europe. Entre le régime soviétique et la démocratie occidentale, nous sommes face à une fausse dichotomie dans la mesure où les choix que les deux proposent sont à la fois tristes et déplorables. Face à cet abattement, ce ne sont que des échappées utopistes sauvages, des errements courageux débarrassés de la convenance qui continuent à fleurir, pour lesquels, malheureusement, Mamardachvili n’a pas su réserver son admiration.

Cartésianisme

27Outre son ancrage dans un contexte socio-politique soviétique, le désaveu de la politique insurrectionnelle et révolutionnaire trouve ses racines, chez Mamardachvili, dans l’aspect proprement métaphysique de sa pensée. Si nous partons d’un tel constat, c’est parce qu’outre les actualités géopolitiques locales, Mamardachvili pense la politique à travers les formes de vie. Est politique, chez Mamardachvili, ce qui concerne essentiellement la Vie, la part mystique du social et la part spirituelle de l’individu, une manière d’être au monde. Mais cette Vie, comme nous le verrons mieux au fil des pages, est une conception de la vie essentiellement individuelle et non collective, relevant plutôt de l’ordre de la pensée que de celui de l’agir corporel.

  • 34 Ibid., p. 87.

« Nous avons à entendre le moment philosophique dans le même sens que ce que les espagnols appellent «momento de verta», le moment phare de la corrida. Ce moment, nous le vivons, et ses caractéristiques sont le silence et la solitude. Il n’est possible de penser qu’en étant en retrait. »34

  • 35 Merab Mamardachvili, Méditations cartésiennes, Paris, Actes Sud, 1997, p.219.

28Ainsi, ce n’est pas seulement la solitude qui est posée comme une condition de la pensée, mais aussi la pensée comme condition d’accès à la vérité. Au-delà de cette conception purement idéale, mentale et verbale de la pensée, Mamardachvili voit la pensée comme un acte et non comme un fait. Il s’agit d’un acte vivant et affectif, qui fait équivaloir la pensée à l’être même : « puisque je pense – car c’est cela, penser, en vérité –, alors l’être existe (…). Car l’être est justement ce qui s’exprime – s’énonce, se dit – dans la pensée, uniquement dans la pensée. En tant que celle-ci est activité, état, ou acte non verbal logiquement inséparable de l’existence. »35

  • 36 Ibid., p.139.

29La pensée est donc la condition même de l’être, l’« unique » canal de son expression. Cette place privilégiée pour la pensée amorce toute une ontologie, celle du fameux « cogito, ergo sum », dont découlent des dualismes à commencer par celui du Corps et de la Pensée. Mamardachvili énonce mieux le rapport distingué de Descartes avec la pensée dans la citation qui suit : « De fait, la philosophie cartésienne est dans la note ancienne, celle de l’Antiquité, qui place avant toute chose la dignité de la pensée, la conscience qu’il ne faut pas se détourner des désirs et volontés de la pensée. »36

  • 37 René Descartes, Principes de la philosophie, Paris, Classiques Garnier, 2010, I, Ch.51- 63, p.123.

30Qu’est-ce plus précisément que cette dignité de la pensée selon Mamardachvili ? La pensée, c’est ce qui est de l’ordre des affections et des sentiments, et qui correspond au vécu de l’âme dans la pensée cartésienne. Comme nous le savons, la Pensée et l’Étendue sont des attributs, autrement dit, des essences de Dieu. Ces attributs diviseraient la substance en substance pensante et substance étendue, correspondant à ses deux modes d’expression, l’âme et le corps. L’âme est le mode de la pensée, c’est-à-dire, ce par quoi elle s’exprime. Mais qu’est-ce qu’elle exprime exactement ?37 Tout ce dont la cause, dans une chaîne infinie des causes, serait la pensée en tant qu’attribut de Dieu, et s’exprimerait comme son mode, sa forme particulière d’être. C’est ainsi que la pensée, au sens cartésien du terme, comprend non seulement l’activité logico- cérébrale, mais également toute une série d’affections correspondant aux modes de l’âme en opposition avec ceux du corps : la volonté, l’imagination, le désir, le sentiment d’amour et de mépris, etc.

  • 38 Merab Mamardachvili, op.cit., p. 381.
  • 39 Merab Mamardachvili, Conversations sur la philosophie, Tbilisi, Sciences, 1992, p. 119.
  • 40 Descartes, Les passions de l’âme I, art. 17, art. 47 in Œuvres et Lettres, Paris, Gallimard, 1953.

31Comme Descartes, Mamardachvili privilégie un attribut à l’autre. Plus précisément, comme nous le verrons à plusieurs reprises ultérieurement, Mamardachvili accorde une forme de supériorité aux affections propres à l’âme, au détriment de celles du corps. En revanche, cette perspective hiérarchique depuis laquelle sont considérés les deux attributs, ne s’applique pas aux modes de l’attribut Pensée. Mamardachvili mobilise sa pensée autour des affections de l’âme sans donc introduire une hiérarchie entre elles, ce qui lui permet de détacher le cartésianisme du jugement moral. Plus précisément, il intègre dans l’ordre de la pensée toutes ses affections sans privilégier l’une à l’autre selon des critères moraux, et fait des modes de l’âme un vrai festin des passions et des sentiments, ainsi qu’une vraie traversée du doute et du ratio. Cette démarche confirme sa conceptualisation de la notion de pensée, selon laquelle celle-ci équivaudrait à un profond sentiment du vécu, aux convulsions et aux secouements de la vie, à la Vie tout court. C’est pourquoi il s’exclame : « Les passions, il faut les vivre. »38 Mamardachvili n’est pas qu’un cartésien, il est aussi un proustien qui sait que les affections de l’âme, tel l’amour de Marcel pour Albertine, neutralisent tout un concours de circonstances comme celui de « hiérarchie entre les pauvres et les riches »39. Il n’y a donc pas de raison de s’étonner qu’un cartésien comme Mamardachvili acquiesce totalement et sans jugement à toutes les affections venant de l’âme, même les passions. Cependant, nous savons que Descartes, dans Les Passions de l’âme , introduit une hiérarchie entre deux modes de l’âme, à savoir les passions et les actions, autrement dit, entre la partie inférieure de l’âme qui est sensible et la partie supérieure qui est raisonnable40. La question se pose alors de savoir par quelle opération Mamardachvili soutient une lecture de Descartes libérée des critères moraux et, selon ses termes, de « la police de l’âme ».

  • 41 Merab Mamardachvili, Méditations cartésiennes, Actes Sud, 1997, p. 384.
  • 42 Ibid., p.385.
  • 43 René Descartes, Élisabeth à Descartes, 13 septembre 1645, in Œuvres et Lettres, Paris, Vrin, 1989, (...)
  • 44 Descartes, Les passions de l’âme, I, art. 2, in Œuvres et Lettres op.cit.

32L’argument qui vient soutenir cette démarche est celle de l’indivisibilité de l’âme que Mamardachvili emprunte directement à Descartes, et c’est cette démonstration de l’unicité quantitative de l’âme qui permet à Mamardachvili d’affirmer la distribution non-hiérarchique des affections de l’âme exposée plus haut. Selon cet argument, il n’y a qu’une seule âme, et cette âme est à la fois sensible et raisonnable : elle contient les appétits et les volontés, les actions et les passions, sans qu’elle ne soit divisée en diverses parties. Dès lors l’opposition qui scindait l’âme en deux parties, le sensitif et le raisonnable, se déplace, « le combat se situe ailleurs »41. Mamardachvili commentant cet argument de Descartes y ajoute aussitôt : « Descartes fait remarquer que l’incompréhension de ce problème vient de ce que l’on ne sait pas bien distinguer… quoi au juste ? L’âme et le corps. »42 Soucieux d’éviter toute emprise de la matière sur la pensée, Descartes oppose les fonctions provenant de l’âme à celles du corps, ces dernières étant définies comme perturbatrices de l’âme43. De ce fait, les actions du corps deviennent les passions pour l’âme44 et le combat se perpétue non pas entre les différents modes de l’âme, entre ses passions et ses actions, mais entre l’âme et le corps, la Pensée et l’Étendue :

  • 45 Descartes, Les passions de l’âme, I, art. 47, in Œuvres et Lettres, op.cit., p.718.

« L’erreur qu’on a commise en lui [à l’âme] faisant jouer divers personnages qui sont ordinairement contraires les uns aux autres ne vient que de ce qu’on n’a pas bien distingué ses fonctions d’avec celles du corps, auquel seul on doit attribuer tout ce qui peut être remarqué en nous qui répugne à notre raison ; en sorte qu’il n’y a point en ceci d’autre combat sinon que la petite glande qui est au milieu du cerveau pouvant être poussée d’un côté par l’âme et de l’autre par les esprits animaux, qui ne sont que des corps… »45

  • 46 Merab Mamardachvili, op.cit., p.384.

33À la place du combat entre la partie inférieure et la partie supérieure de l’âme, nous avons ici un combat entre la partie inférieure et la partie supérieure d’une même substance divisée en âme et corps. Or, contrairement à ce que soutient Mamardachvili – « L’homme ne lutte pas contre ses bas instincts ou ses basses pulsions »46 – ce combat dualiste n’est pas moins moraliste que le combat entre les parties de l’âme. La partie inférieure de l’âme, la passion, a été remplacée par les esprits animaux, autrement dit par le corps, et ainsi la vieille subordination du corporel au spirituel, le même schéma de hiérarchisation ne fait que se maintenir.

  • 47 Descartes à Mors, 5 février 1649, in : René Descartes, Œuvres philosophiques, Tome 3, Paris, Garnie (...)
  • 48 Merab Mamardachvili, Méditations cartésiennes, Actes Sud, 1997, p.388.

34Nous sommes ici au cœur du dualisme de la modernité qui oppose le corps à tout mode de subjectivation, en faisant de celui-ci le véritable réceptacle de la mécanisation. Il suffit de relire la définition du corps donnée par Descartes, selon laquelle il n’est qu’une machine mécanique au même titre que l’est une horloge. Cette approche conduira Descartes à définir la notion de vie selon les mêmes critères mécanistes, ou plus exactement à considérer que c’est la chaleur localisée dans le cœur qui sera le seul et l’unique principe de la vie : « je n’ôte la vie à aucun animal, ne la faisant consister que dans la chaleur du cœur. »47 Que serait donc ce corps face à l’âme, sinon le corps soumis, fragile et frénétique ? Si la hiérarchie au sein de l’âme est niée, ce n’est que pour renforcer le dualisme de l’âme et du corps qui entraîne avec lui toute une série d’autres dualismes : sensible/raisonnable, nature/culture, homme/animal, etc. Ces oppositions apparaissent même dans les propos de Mamardachvili qui, identifiant l’humain à ce qui excède l’humain, à savoir la métaphysique, le sépare de la nature : « car l’homme n’est pas engendré par la nature, il naît en permanence ou il doit naître en permanence et de manière ininterrompue dans la matrice des tautologies de l’existence, de l’entendement et de la probabilité. »48 Cette expérience de la genèse existentielle, qui tend tellement à faire de l’humain un surhumain, en lui ôtant son animalité, son inscription dans la nature, ne peut être issue que du régime dualiste, où la Pensée est reconnue comme transcendante. Après tout, comment affirmer l’absence de combat entre l’inférieur et le supérieur chez l’humain ? Ne s’agit-il pas d’une sorte de mystification du cartésianisme dans le but de maintenir l’identité et l’unicité de l’âme, supposant toujours sa supériorité au corps ? Et plus encore, comment penser la Vie, avec le cartésianisme, qui ne soit pas juste un foyer de chaleur qui dilate le sang, une simple addition de fonctions purement organiques et mécaniques exprimable en termes arithmétiques et extensibles ?

  • 49 Ibid., p.219.
  • 50 Idem.

35Comme dit précédemment, de la subordination du corps à l’âme découle une vision hiérarchique du monde qui place la pensée, en tant que privilège exclusivement humain, au sommet existentiel et ontologique49. Quant au corporel, compte tenu du fait qu’il s’agisse essentiellement de l’accomplissement des fonctions vitales et organiques, sinon de l’animation des affects animaux chez l’humain, il n’a pas le mérite d’être conceptualisé davantage chez Mamardachvili. Il consacre en revanche toute une série de développements à la notion de la pensée en tant qu’expression ultime de l’accomplissement de l’être – « l’être est précisément ce que l’on ne peut percevoir que dans la pensée, qui ne peut qu’être tel qu’il a été pensé »50 – et détermine les contenus de la politique à partir de cette sanctification de la pensée. D’où l’idée d’une part existentielle et métaphysique de la politique, couvrant la notion de vie notamment sur le plan individuel. S’il y a une forme de politique chez Mamardachvili, elle est sûrement celle qui se confond avec la dimension réflexive et mystique de la vie, excluant l’agir corporel, le bruit et l’action. Or, sans vouloir désenchanter la politique de ses formes réflexives et existentielles, et sans atténuer l’inscription d’une forme de vie dans la politique, nous soutenons que la politique est essentiellement une question de corps, ou plutôt des corps. Si politique, en tant qu’adjectif, peut être présent dans tout aspect de la vie, il faut davantage d’éléments pour qu’il se présente comme substantif. La manière de penser et de vivre est une question politique, autant qu’éthique, mais nous ne faisons pas seulement de la politique avec nos pensées, mais aussi et surtout avec nos corps. La dimension corporelle et collective est essentielle à toute possibilité de la politique, elle se fait avec l’agir des corps, la rencontre des uns avec les autres. Il ne suffit pas de formuler une critique analytique, ni une forme de verbalisation d’idées, il faut encore et surtout que les corps, qu’une multiplicité de corps se mettent en mouvement, prennent les rues, les prairies, les jardins, les espaces publics et les lieux d’enfermement, qu’ils commencent à donner forme, à façonner, collectivement, avec leurs mains, leurs estomacs, leurs yeux, leur jambes… Il faut les organes du corps pour faire du bruit, ou rester dans le silence indomptable, pour s’échapper ou rester immobile, pour prendre des risques ou se protéger. Il faut des corps entiers pour qu’ils s’affectent en sorte qu’ils puissent s’emparer des espaces, et inventer des nouvelles manières de vivre, de lutter et de résister. Il faut des corps obstinés, comme ceux des Black Panthers, pour préparer des petits déjeuners tous les matins aux enfants du quartier, pour faire naviguer des bateaux de sauvetage dans la Méditerranée, pour faire pousser des carottes dans le sol qui est aussi une Zone À Défendre, pour se défendre contre les bastions du pouvoir et prendre les armes, pour que se déploient des corps vifs et fougueux comme ceux des libertaires en Espagne, qui ont fait triompher l’utopie sur le réel.

  • 51 Merab Mamardachvili, Interview pour Le Monde, 1990, N°24 in Topologie de la conscience, Tbilisi, Ce (...)

36C’est à l’aune de ces pratiques de lutte, qui sont aussi des formes de vie, que nous cherchons la conceptualisation de la politique chez Mamardachvili qui, lui-même, en tant que philosophe, pense le mouvement indépendantiste de la Géorgie et y participe à sa manière, tout en exprimant ses critiques sur une forme de patriotisme qui peut vite se confondre avec le nationalisme fétichiste. Pourtant, son expérience de la politique est circonscrite par la pensée qui s’y rapporte, sa condition politique par son inscription dans une pensée élaborée, qui ne cherche pas vraiment à se déplacer sur le terrain de la lutte. L’intensité de la pensée, pour lui, exige une forme de purisme intellectuel dessaisi de la dimension politique au sens actif du terme, la première se rapportant à la liberté de pensée sans conditions, à un certain idéal cartésien des idées claires et distinctes, tandis que l’autre à un flux indistinct des mouvements et des bruits. Il en résulte une séparation épineuse de la philosophie et de la politique, faisant toujours l’écho à la hiérarchie cartésienne entre la pensée et le corps : « la philosophie exclut le bruit politique, elle a besoin de la solitude et du silence. »51 Cette opposition se présente comme une célébration de la raison, individuelle et muette, contre le bruit de la foule, une forme primitive et bestiale d’un corps social. Or, si l’acte de philosopher est exclu de ces moments de grands tumultes, ce n’est que pour donner la place à une autre forme de pensée et d’action. Ces pensées embryonnaires ou ces rassemblements de corps sans pensées distinctes, quoique marginalisées, trouvent toutefois leurs points d’ancrage dans la philosophie. Isoler l’acte de philosopher de ce à quoi il peut se rapporter est une manière de fragmenter l’objet de la pensée et la pensée elle-même. Dès lors, cela questionne la notion même de philosopher : est-ce l’acte intellectuel d’élaboration d’une série d’idées structurées dans un environnement aseptisé, ou bien est-ce tout un ensemble de processus comprenant l’irrépressible soulèvement de quelque chose qui vient avant l’acte même de la pensée, l’imperceptible être des choses qui communique avant tout par les affections du corps ? Encore une fois, le problème du cartésianisme vient de l’idée de la primauté de l’âme sur le corps, qui pousse le philosophe à chercher la pensée dans l’isolement, dans l’abandon des clameurs indistinctes de la révolte. Cette quiétude sans concession d’un endroit privilégié pour l’âme soustrait peut-être à la perception des corps livrés à la fougue et leur présence insistante qui menace de briser le monde beaucoup trop compact. Peut-on avoir une pensée politique, digne de ce nom, sans s’abandonner aux formes collectives et multiples, corporelles et éclatantes, à l’oubli fertile d’une pensée singulière ? Telle est la question que nous aimerions laisser en suspens à la fin de notre cheminement sur la politique dans la pensée de Mamardachvili.

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Notes

1 https://www.youtube.com/watch?v=j4P1wfohLSc (consulté le 13 juin 2020 à 21h)

2 Voir, notamment, les séminaires de Ghia Nodia et Levan Berdzenichvili sur Mamardachvili.

3 Merab Mamardachvili, Conversations sur la philosophie, Tbilisi, Sciences, 1992, p. 160 (notre traduction).

4 Ibid.

5 Ibid.

6 Sylvain Piron, L’Occupation du monde, Bruxelles, Zones Sensibles, 2018, p.109.

7 Alain Badiou, Notre mal vient de plus loin (Penser les tueries du 13 novembre), Paris, Fayard, 2016.

8 C’est ce dont témoignent d’ailleurs les statistiques de l’Ofpra, selon lesquelles la Géorgie est le troisième pays en termes de nombre de demandes d’asile.

9 Merab Mamardachvili, Interview pour Le Monde, 1990, N24 in : Topologie de la conscience, Tbilisi, Centre Biographique Géorgien, 2011, p. 252 (notre traduction).

10 Merab Mamardachvili, Conversations sur la philosophie, Tbilisi, Sciences, 1992, pp. 199, 205,206 (notre traduction).

11 Ibid., p. 206.

12 Ibid., p. 205.

13 Ibid., p. 191.

14 Dominique Lambert, René Rezsohazy , Comment les pattes viennent au serpent, Paris, Flammarion, 2004 ; Hervé Le Guyard, Geoffroy Saint-Hilaire, un naturaliste visionnaire, Belin.

15 Merab Mamardachvili, op.cit., p. 192.

16 https://www.youtube.com/watch?v=cBTY7P3YvA0 (consulté le 13 juin 2020 à 20h05).

17 Merab Mamardachvili, La responsabilité Européenne, intervention faite en 1989 à Barcelone. Voir la transcription sur : https://www.mamardashvili.com/archive/ interviews/responsibility-fr.html (Consulté le 8 juin 2020 à 18h54).

18 Nous pensons notamment au programme de Ronald Reagan, qui à la présidence des États-Unis en 1980, mit en place l’accroissement massif du budget de la défense, la réduction des taux d’imposition et des dépenses sociales.

19 https://emc.org.ge/ka/products/merab-mamardashvili-sakartvelos-alagis-dziebashi-ii (consulté le 14 juin 2020 à 18H07 ; notre traduction).

20 Walter Benjamin, Thèses sur le concept d’histoire, XIIIe thèse, https://fr.theanarchistlibrary.org/library/walter-benjamin-theses-sur-le-concept-d-histoire#toc13 (consulté sur le 14 juin 2020 à 18h09).

21 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p.22.

22 Walter Benjamin – Thèses sur le concept d’histoire, XVe thèse, https://fr.theanarchistlibrary.org/library/walter-benjamin-theses-sur-le-concept-d-histoire#toc15 (consulté sur le 14 juin 2020 à 18h10).

23 Merab Mamardachvili, Conversations sur la philosophie, Tbilisi, Sciences, 1992, p. 162.

24 Ibid., p.119.

25 Ibid., p.133.

26 Idem.

27 Nikolai Tchernychevski, Que Faire ?, Éditions des Syrtres, 2017, p. 64.

28 Op. cit., p. 257.

29 Nietzsche, Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1971, p.35.

30 Merab Mamardachvili, op.cit., p. 119.

31 Ibid., p.203.

32 Ibid., p.219.

33 Ibid., p.203.

34 Ibid., p. 87.

35 Merab Mamardachvili, Méditations cartésiennes, Paris, Actes Sud, 1997, p.219.

36 Ibid., p.139.

37 René Descartes, Principes de la philosophie, Paris, Classiques Garnier, 2010, I, Ch.51- 63, p.123.

38 Merab Mamardachvili, op.cit., p. 381.

39 Merab Mamardachvili, Conversations sur la philosophie, Tbilisi, Sciences, 1992, p. 119.

40 Descartes, Les passions de l’âme I, art. 17, art. 47 in Œuvres et Lettres, Paris, Gallimard, 1953.

41 Merab Mamardachvili, Méditations cartésiennes, Actes Sud, 1997, p. 384.

42 Ibid., p.385.

43 René Descartes, Élisabeth à Descartes, 13 septembre 1645, in Œuvres et Lettres, Paris, Vrin, 1989, p.287.

44 Descartes, Les passions de l’âme, I, art. 2, in Œuvres et Lettres op.cit.

45 Descartes, Les passions de l’âme, I, art. 47, in Œuvres et Lettres, op.cit., p.718.

46 Merab Mamardachvili, op.cit., p.384.

47 Descartes à Mors, 5 février 1649, in : René Descartes, Œuvres philosophiques, Tome 3, Paris, Garnier 2010, p.885.

48 Merab Mamardachvili, Méditations cartésiennes, Actes Sud, 1997, p.388.

49 Ibid., p.219.

50 Idem.

51 Merab Mamardachvili, Interview pour Le Monde, 1990, N°24 in Topologie de la conscience, Tbilisi, Centre Biographique Géorgien, 2011, p. 193 (notre traduction).

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Pour citer cet article

Référence papier

Mariam Shengelia, « Pulsion de De la (non)politique chez Mamardachvili. »Le Portique, 45-46 | 2021, 161-185.

Référence électronique

Mariam Shengelia, « Pulsion de De la (non)politique chez Mamardachvili. »Le Portique [En ligne], 45-46 | 2021, document 10, mis en ligne le 10 mars 2021, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/3775 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.3775

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Auteur

Mariam Shengelia

Mariam Shengelia a fait ses études dans le département de philosophie de Paris 8 entre 2014 et 2018. Elle est actuellement doctorante de philosophie à l’Université Paris-Est Créteil.

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Droits d’auteur

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