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Recensions
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LARIVIÈRE Michael, Se dire psychanalyste et croire éventuellement qu’on l’est, Éd. Liber, 2018, 136 p., ISBN : 978-2-89578-648-1

Valérie Chevassus-Marchionni
p. 317-320

Texte intégral

1Cet ouvrage de Michael Larivière, philosophe et psychanalyste, n’est pas seulement une réflexion théorique sur ce qu’est la psychanalyse aujourd’hui, ni non plus une présentation de la clinique psychanalytique telle qu’elle se pratique de nos jours.

2Il s’agit bien davantage d’un questionnement, à caractère souvent autobiographique, sur ce qui fait qu’on devient analyste, sur ce qui pousse un analysant à « passer à l’analyste » (comme dit Lacan) et à vouer sa vie à ce métier. Cette étude sincère et profonde s’attache à cerner les origines du devenir analyste, à toucher l’essence même de cette étrange profession que Freud considérait comme l’une des trois professions impossibles, gouverner et éduquer étant les deux autres.

3Cependant, dans un premier temps, ce n’est pas l’exercice de cette profession qui est présenté comme impossible, c’est le fait même de pouvoir prétendre qu’on soit psychanalyste, voire le fait même de croire qu’on l’est. Ce qui est impossible pour Michael Larivière, c’est de « se dire psychanalyste ». Impossible commence par les mêmes lettres qu’« imposture » et il faut se souvenir que son précédent opus, paru en 2010, s’intitulait Imposture ou psychanalyse ?

4Comment peut-on exercer la psychanalyse depuis presque quarante années (M. Larivière s’est installé comme psychanalyste à Strasbourg en 1981) et porter sur son travail un regard aussi désabusé ? Comment peut-on continuer d’aimer faire ce métier (comme le prouvent les confessions de M. Larivière, presque « à son corps défendant ») alors qu’on semble autant douter de son bien-fondé ?

5Ce livre est, en réalité, une remise en question de l’évidence d’une place que l’on se targue d’occuper. Etrangement, M. Larivière secoue le confort des certitudes en inventant un dialogue entre « le jeune » et « le vieux » qui pourrait rappeler la formule « la psychanalyse expliquée à ma fille » mais dont l’objectif est bien différent : il s’agit de faire bouger un « cacique » sur ses fondations afin de l’interroger de près sur sa « posture » justement, en jouant sur l’éventualité d’une imposture. Seulement, ce regard jeune auquel se soumet le vieux, c’est son propre regard. « Le jeune » est un personnage fictif destiné à ébranler « le vieux », à le faire douter, à le forcer à s’expliquer sans tricher. Ses questions sont celles que Michael Larivière se pose à lui-même pour se mettre à l’épreuve, et pour peut-être in fine avoir le droit de se dire, en toute honnêteté, psychanalyste.

6Ainsi passe-t-il au crible d’une analyse intransigeante les grandes questions qui animent le débat autour du fonctionnement de la psychanalyse, de la personne du psychanalyste, des écoles auxquelles il s’affilie, des tenants et des aboutissants de la cure analytique. Cette analyse est cependant très personnelle car indissociable de la biographie et des choix très particuliers de vie et d’être de Michael Larivière, même s’il convoque de multiples auteurs ou philosophes pour appuyer son propos.

7Un des points fondamentaux examinés est celui soulevé par la question : « Que veut-on à se vouloir psychanalyste ? » Cette question revient à plusieurs endroits du livre, comme un leitmotiv, et reçoit à chaque fois une réponse sensiblement différente, comme si le point de vue de l’auteur évoluait au fur et à mesure de sa réflexion.

8Dans le premier chapitre, intitulé « La prière de l’analyste », la réponse est presque cynique : le psychanalyste veut qu’on vienne le voir, qu’on lui parle et qu’on le paye. Cette demande précèderait celle de l’analysant et serait le symptôme de l’analyste, en d’autres termes, le psychanalyste travaillerait du fait et en fonction de sa propre pathologie. Plus encore : se dire analyste serait une manière de résister à l’inconscient, et donc à l’analyse elle-même : « Le risque est toujours là que l’on décide de faire ce métier pour mettre un terme à ce que sa propre analyse avait commencé de faire ou de laisser émerger. » (p.25) […] « il s’agit d’un passage à l’acte qui vise à éviter la mise en question de ses références narcissiques. » (p.26) Le constat est sévère et quelque peu inquiétant, mais sans doute juste car les exemples sont légion de psychanalystes « fous » (de Anna Freud à Lacan en passant par Ferenczi, Melanie Klein, Masud Khan, Winnicott et Wladimir Granoff). Mais, si l’on en croit Serge Leclaire, « le paradoxe est que les analystes les plus fous sont aussi les plus vrais. » (p. 23) Devenir psychanalyste sans avoir résolu tous ses troubles ne serait donc pas contre-indiqué ?

9Michael Larivière va encore plus loin dans ce qui apparaît par moments comme un effort de clairvoyance presque mélancoliforme : « L’analysant passe à l’acte (à l’analyste) pour composer avec la violence du désarroi dans lequel l’analyse l’avait plongé en le confrontant à la nécessité de faire le deuil de lui-même comme enfant merveilleux (Leclaire), comme majesté (Freud : His majesty the Baby), bref comme idéal. » (p. 33) Passer à l’analyste serait donc un acte hautement narcissique visant à restaurer et conserver un soi grandiose, trahissant « l’impossibilité de renoncer au désir d’être, et d’être absolument. » (ibid) M. Larivière constate de fait que dans beaucoup d’institutions analytiques, l’identification au Maître est à ce point massive qu’elle va à l’encontre de ce que doit produire une analyse : un affranchissement de toute autorité. Son amertume face à l’inféodation de certains analystes à leur Ecole le pousse alors à dire ce que doit être un analyste, et donc sans doute ce qu’il s’efforce lui-même d’être ; dans ce geste, il déloge l’analyste de sa posture (imposture ?) d’incarnation d’un moi idéal narcissique, pour en faire un disciple d’un autre idéal : celui de la psychanalyse.

10Ainsi, à partir du chapitre IV, tout se passe comme si M. Larivière reconstruisait sur des fondations plus saines l’édifice qu’il venait de mettre à mal, dans une démarche très derridienne. (ceci n’est sans doute pas un hasard puisque Derrida et Lacan sont ceux par lesquels il est arrivé à la psychanalyse. Cf p. 117) Il souligne ainsi par exemple le rôle de l’invention en psychanalyse : pour « dérégler la machine névrotique », l’analyste doit trouver, au cas par cas, une technique, une manière d’être, chaque fois différentes, qui mettent en jeu « le désir de l’analyste », trouvaille lacanienne qu’il fait sienne, mais sans faire le sacrifice de ses convictions personnelles. Ainsi se permet-il de ne pas respecter « l’un des leitmotive de la vulgate psychanalytique « moderne », à savoir que l’analyste n’aurait pas à répondre à la demande de l’analysant. […] j’estime aujourd’hui que c’est tout le contraire qui est vrai : il faut répondre. » (p. 40)

11Michael Larivière va ensuite encore plus avant dans la définition, qu’il précise de plus en plus, de sa manière d’être psychanalyste. Ainsi, dit-il, « le désir de l’analyste, c’est un désir de littérature » (ce n’est pas tout à fait, pour le coup, ce que dit Lacan…, ce serait davantage ce que pensait Freud.) Le psychanalyste est fasciné par les histoires qu’on lui raconte, il aime la mise en langage de ces grands pans d’existence, comme les romanciers.

12M. Larivière cite Pascal Quignard, Pierre Michon, Hanif Kureishi dans son roman Something to tell you, pour arriver à cette conclusion que le psychanalyste, comme chacun d’entre nous, cherche une histoire « qui l’oblige de reconnaître qu’il n’y a pas d’ailleurs ni d’échappatoire au fait de vivre. On fait l’analyste pour ça. » (p. 54)

13À la fin de l’ouvrage, bouclant la boucle de son interrogation, M. Larivière revient sur sa question centrale et lui fournit une réponse autre, plus nuancée, moins provocatrice : la prière de l’analyste devient une proposition qui ne précède pas la demande de l’analysant comme il le prétendait au départ ; c’est une proposition d’écoute et d’aide ; se dire analyste, c’est offrir ses services, proposer ce que l’on sait faire : « Celui qui se dit analyste dit à la cantonade : « Vous allez mal, venez m’en parler, je sais écouter, je sais faire avec les catastrophes ordinaires de la vie, je pense pouvoir vous aider à mieux vous arranger de vous-mêmes. » (p. 90)

14Enfin, il nous livre sa conception de l’analyse, qui dit beaucoup de ce qu’il s’est attaché à réaliser dans cet ouvrage : « L’analyse devrait […] permettre que l’on vive avec davantage d’incertitude et d’humilité. » (p. 95)

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Pour citer cet article

Référence papier

Valérie Chevassus-Marchionni, « LARIVIÈRE Michael, Se dire psychanalyste et croire éventuellement qu’on l’est, Éd. Liber, 2018, 136 p., ISBN : 978-2-89578-648-1 »Le Portique, 43-44 | 2019, 317-320.

Référence électronique

Valérie Chevassus-Marchionni, « LARIVIÈRE Michael, Se dire psychanalyste et croire éventuellement qu’on l’est, Éd. Liber, 2018, 136 p., ISBN : 978-2-89578-648-1 »Le Portique [En ligne], 43-44 | 2019, document 22, mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/3642 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.3642

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