Nathalie Sarthou-Lajus, L’Éthique de la dette, P.U.F., Questions, 1997.
Texte intégral
1Dans son livre, Nathalie Sarthou-Lajus s’emploie à dégager le sens anthropologique (philosophique, moral et tragique) de la dette. Le lecteur y trouvera des analyses fines et documentées sur l’endettement originaire du sujet, sur la temporalité close et la temporalité ouverte, sur la culpabilité qui se referme sur la mort et sur la responsabilité qui débouche sur l’espérance. À mes yeux, l’originalité de la réflexion de l’auteur ressortit à trois idées-forces qui en constituent le motif : la dépendance comme structure de la subjectivité, la conversion de la dette imaginaire en dette symbolique et l’inscription de l’éthique dans le tissu des échanges humains.
2Le sujet existe comme débiteur d’autrui : “ La subjectivité qui s’accepte débitrice dans son être consent à ne pas se considérer comme le tout de la réalité et reconnaît sa dépendance à l’endroit d’un autre ” (p. 53). Existant comme dépendante, elle parie sur l’existence de l’autre. Mais cette dépendance qui fonde la subjectivité n’est pas “ aliénation ” : elle est interdépendance et dialogue. Elle relève, en effet, non du paradigme de la logique causale, mais de celui de la filiation, en vertu duquel je puis être moi, tout en étant colonisé par autrui. C’est sur la base de ce modèle que s’éclaire la différence entre la dette imaginaire inhérente à la culpabilité et la dette symbolique révélatrice de la responsabilité. La culpabilité qui procède de la honte de soi exprime l’inadéquation du moi à un idéal inaccessible. Elle se nourrit d’un mépris à l’égard de soi-même et d’une complaisance à l’endroit de ses faiblesses. Tout autre est la responsabilité qui transforme l’idéal imaginaire du moi en un projet : “ Dans la responsabilité, c’est le sujet qui s’oblige à répondre ” (p. 126). À répondre de soi face à autrui, d’autrui face à la Loi. La dette de la culpabilité condamne le sujet à la passivité et à l’inaction. Celle de la responsabilité qui donne sens à la culpabilité témoigne de l’inquiétude du sujet face à autrui. La responsabilité surgit pour innocenter, en quelque sorte, la culpabilité.
3Si, pour Nathalie Sarthou-Lajus, l’éthique est “ éthique de la dette ” sous le double rapport de l’appartenance et de la genèse, c’est sans doute que la dette est foncièrement ambivalente : elle relève de l’échange et de la Loi, de la justice et de la responsabilité. Elle exprime, à mes yeux, le sentiment de notre double engagement dans l’ordre économique axé sur le performatif et dans l’ordre symbolique fondé sur l’impératif. C’est d’ailleurs parce que la dette symbolique opère une articulation significative de ces deux ordres qu’elle peut prétendre à fonder l’éthique. Elle situe celle-ci, d’une part, dans la dimension ouverte par le rapport créancier-débiteur, sans oublier que chacun de nous est otage d’autrui et, d’autre part, dans la dimension d’une altérité qui oblige au sacrifice de soi, sans oublier que chacun de nous est aussi un être d’échange et de besoins. J’ai apprécié l’écriture de Nathalie Sarthou-Lajus : claire, rigoureuse, parsemée de ces métaphores “ lévinassiennes ” qui témoignent de l’intrusion de l’ordre symbolique dans l’ordre économique de l’écriture.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Paul Resweber, « Nathalie Sarthou-Lajus, L’Éthique de la dette, P.U.F., Questions, 1997. », Le Portique [En ligne], 1 | 1998, mis en ligne le 15 mars 2005, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/353 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.353
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