Nippospitalité
Résumés
En avril 2017 Jean-Luc Nancy est invité à Tokyo par l’Université Keio. Lors d’une balade il chute brutalement sur une bordure de brique qui le conduit à l’hôpital. Il y retourne quelques jours après suite à des complications et y reste jusqu’à son retour en France. Ce séjour désastreux apparaît finalement comme un singulier moment d’amitié et de rupture avec l’ordinaire des visites académiques.
Texte intégral
112 avril 2017. Arrivé à Tokyo depuis huit jours pour ce qui doit être mon dernier séjour au Japon car ce voyage fatiguant n’est plus très facile pour moi. Nous sommes logés dans un appartement de la résidence d’hôtes de l’université Keio, qui m’invite. C’est très agréable, tranquille bien qu’un peu austère (le quartier de Mita n’est guère animé) et il y a toujours plaisir à habiter ailleurs que dans un hôtel : on a justement le sentiment d’habiter au sens plein. Bâtir, habiter, penser comme dit Heidegger. On a une vie domestique, on fait des courses au tout proche konbini Lawson ou bien au super marché Peacock sur le chemin duquel on trouve le temple Saio-ji . Il faut donc aussi jeter les déchets à la poubelle – ici dans des sacs de plastique déposés en tas à l’abri de filets qui les protègent contre les corbeaux. Ces oiseaux sont nombreux à Tokyo. Hélène est partie à Kyoto car il vaut mieux que je reste tranquille, ayant une légère bronchite et connaissant déjà la ville du Ryoan-ji. Il me faut donc porter un sac à la poubelle dont j’ignore encore l’emplacement (qu’Hélène a déjà repéré). Je cherche de plusieurs côtés, ayant mal compris le plan affiché à l’entrée de la résidence. Je m’impatiente un peu et quand j’ai enfin trouvé la bonne direction je presse le pas pour être vite débarrassé.
2Il y a trois jours nous avons été avec Takashi célébrer hanami non loin du palais impérial sur un chemin qui surplombe un canal. La foule était aussi dense que les fleurs sur les cerisiers. Des branches chargées de mousses roses s’inclinaient jusqu’à l’eau. Je retournerais volontiers quelque part dans cette célébration ou quelque part dans Tokyo (où nous avons aussi été voir avec Maki et Mana, au Musée d’art contemporain dans le parc d’Ueno, une exposition à laquelle j’avais été convié par la conservatrice Yuko Hasegawa ; puis au cimetière et dans le quartier Yanaka ; le lendemain nous avons passé un moment avec Harumi à un Starbucks dans Shinjuku – ou bien était-ce Shibuya ? je ne sais plus – en tout cas il y avait là, seul à une table, un vieil homme encombré de manuscrits volumineux , qui s’est présenté comme philosophe). Osamu nous a entraînés vers ce qu’il appelait le temple d’une nouvelle religion japonaise : j’ai cru que nous verrions une nouvelle « secte » évangélico- shintoïste – il s’agissait de la tour Mori, temple du capital, où surgissait un gigantesque Superman. Au sommet, à l’extérieur et dans le vent, nous avons trouvé un Lovers Sanctuary.
3Soudain mon pied droit accroche quelque chose à terre et je pars en avant de tout mon long. Plus tard je verrai que c’est une brique qui dépasse un peu, posée de travers ou bien déplacée par quelque choc, d’une bordure destinée à délimiter l’espace entre la rue et le bâtiment de la résidence (il n’y a pas de trottoir ici, ce sont de petites rues). Sans doute est-ce la première fois que je tombe ainsi en avant d’un seul coup et sans protéger ma chute avec mes bras tant je suis pris au dépourvu. Ma main droite part en l’air avec le sac d’ordures qui se crève au sol. La gauche sans doute fait de même et mon visage s’écrase sans autre façon sur le sol. Dans les deux secondes de chute je vois un ralenti parfait qui plus tard me rappellera celui de mon accident de voiture il y a presque cinquante ans. Je voyais alors ma voiture arriver dans l’arbre et le pare- brise se détacher. À présent je vois le goudron monter vers moi, je pense
4« non c’est pas vrai !. » et je frappe le sol en voyant mes lunettes sauter et lâcher leurs verres. Je saigne tout de suite assez fort.
5Je me relève, ramasse les verres de lunette (la monture est cassée) et reviens vers l’entrée de la résidence. Je vais vers la porte vitrée des bureaux où sont à la fois l’administration de la résidence et les presses de l’uni- versité Keio. Des filles s’exclament, se précipitent et m’aident à gagner l’appartement où l’une appelle l’ambulance tandis que l’autre, qui semble terrifiée, m’aide à tenir des serviettes contre mon front et mon nez.
6L’ambulance arrive vite. J’aime l’allure nette et décidée des infirmiers ou des pompiers (je ne sais plus), de leurs uniformes aux couleurs vives et de leur matériel étincelant. On me met dans l’ambulance. Takashi a été prévenu et monte avec moi. Nous voici aux urgences de l’hôpital Keio. Je suis à la fois commotionné et un peu excité par le fait même d’entrer dans un hôpital japonais. Maki, elle aussi prévenue, arrive et va faire l’interprète tandis que Takashi s’occupe des formalités. Il faut suturer une arcade sourcilière et arrêter l’hémorragie dans le nez.
7Je me dis que cela ne sera pas grand-chose. Mais je ne pense pas à préciser que je suis greffé du cœur et cet oubli me coûtera peut-être tout ce qui suivra. Car on ne prend pas les précautions qu’imposerait mon état immunitaire. On recoud mon arcade dans un espace entre deux rideaux (comme cela se pratique aussi aux États-Unis) et donc peu isolé. Maki est présente sans masque, on l’éloigne « pour prévenir les infections nosocomiales ». Pendant qu’on recoud j’avale encore pas mal du sang qui coule dans le nez. Enfin on stoppe cette hémorragie et on pose une mèche. Enfin nous quittons l’hôpital. Je demande à passer chez un opticien pour qu’il fixe mes verres sur une nouvelle monture. Chez l’opticien, retrouvant une vue normale et assistant aux échanges entre Takashi et lui, je deviens presque joyeux de cette plongée soudaine dans le Tokyo plus ordinaire et le moins touristique.
8Malgré cette euphorie je crains un peu de passer seul la nuit et l’hôpital estime que je ne dois pas le faire. Je demande à Maki de me tenir compagnie. Elle va chercher des affaires chez elle et nous rejoint à l’appartement où nous mangeons des sandwiches, ce que Maki trouve peu raisonnable – d’autant que je ne me suis pas lavé les mains dit-elle. Elle passe la nuit en amie dévouée mais non sans être – je le devine – elle aussi un peu inquiète.
9La nuit se passe bien, je sens dès le matin que pour l’essentiel c’est réglé. Mon visage est tuméfié et coloré en jaune-bistre-violet, ce dont je ne manque pas de prendre photo. Nous repassons à l’hôpital pour contrôler. Il faudra revenir à l’hôpital dans deux jours. Hélène rentre de Kyoto où Teppei et Isao l’ont guidée de temple en pavillon et jardin. Elle a aussi déjeuné avec Mariko dans un restaurant bouddhiste. Osamu vient nous voir, Takashi et Isabelle : toute une petite vie amicale dans laquelle j’ai le plaisir d’être entouré sans avoir de vrai souci médical. C’est ce que confirmera le contrôle à l’hôpital.
10Harumi nous emmène visiter le musée Ota où se trouvent de très belles estampes. Ensuite c’est encore hanami sur les deux rives d’une rivière ou d’un canal (Megurogawa ?). L’animation est encore plus foisonnante que la première fois. On se sent pris dans une euphorie singulière qui ne nous laisse pas rester spectateurs : tout le monde fête, on est dedans, on ne visite pas.
11Trois jours plus tard, le 15, nous fêtons l’anniversaire de Mana avec Maki et Harumi à Happo-en où se célèbre aussi un mariage avec une nombreuse assistance. C’est une autre animation, plus « ethnologique ». L’explication de la coiffure qui cache les cornes de la mariée projette dans un monde mythique fascinant d’étrangeté.
12Cela ne dure pas car à la maison une très forte diarrhée me saisit. On ne saura jamais d’où elle provient mais il est probable qu’elle est liée à l’hémorragie. Il faut retourner aux urgences. Et cette fois rester à l’hôpital pour y être transfusé. Je peux revenir à l’appartement 8 jours plus tard. Nous passons une journée à Asakusa avec Akiko (qui s’est mise en kimono), Ryosuke et Harumi. Comme je suis fatigué, je rentre avec Harumi pendant que Hélène fait un tour en bateau avec les autres sur la Sumida.
13À ce moment je commence mon travail universitaire en faisant une séance de séminaire avec les étudiants de Takashi. Tout se passe bien, les participants sont très présents et actifs. On se prépare au colloque
14– « la communauté de Bataille à Nancy » – qui doit être le temps fort académique. Mais autre chose se déclare : fièvre et toux assez fortes, retour à l’hôpital. Diagnostic de pneumonie par ingestion (ou inhalation, selon les versions). Hospitalisation – qui durera encore dix jours de plus, c’est-à-dire tout le temps prévu pour notre séjour et même un peu plus.
15Lorsqu’arrive le colloque, il m’est impossible d’y aller. C’est Hélène qui lit ma conférence pendant que défile sur un écran la traduction japonaise. Le voyage à Fukushima qui était prévu avec des collègues et des étudiants sera lui aussi annulé.
16Tout a basculé en s’enfonçant aussi profondément que possible dans un ordinaire thérapeutique dépourvu du pittoresque initial de l’environnement médical au parfum nippon. Plus rien du moins dans la mesure où l’hospitalisation me replace dans le contexte général de la médecine des pays développés. Examens, analyses, perfusions, contrôles, rien n’est différent. Ce qui comporte aussi l’inquiétude d’un diagnostic sévère car j’ai déjà eu des pneumonies et c’est un point faible de mon état immunitaire).
17Hélène est obligée de faire les aller-retour entre l’appartement et l’hôpital (qui est assez loin, à Shinanomachi). Un soir le chauffeur ne retrouve pas la résidence tant le quartier a une structure complexe. C’est Hélène qui finit par reconnaître l’endroit.
18Mais une autre vie s’invente. Les médecins, les infirmières et les aide-soignantes manifestent une attention toute particulière pour cet étranger. Il est à la fois difficile et amusant d’échanger par des bricolages de signes, de lambeaux d’anglais ou de recours à Google. Une infirmière invente même d’accéder à Google avec l’ordinateur placé sur la table roulante des stéthoscope, tensiomètre et autres moniteurs. Au bout de quelques jours le médecin qui m’est affectée, Lisa Watanabe (elle prononce Risa et je crois d’abord que c’est un prénom japonais), s’avère parler assez bien anglais pour que nous devenions bons amis. Elle me montrera des photos qu’elle a prises de la « Petite France » à Strasbourg.
19Cela certes ne suffit pas pour la communication nosologique ou symptomatologique. Mais les amis et amies font face. Ils arrivent avec leurs machines à traduire. Yotetsu s’y montre très ingénieux. Tatsuya, Takashi, Osamu, Ryosuke, Maki, Satochi, Masuda, Harumi, Isabelle, Teppei ainsi que Akiko, Noriko, Shigake, Yasuo et Michael le japonais d’adoption me visitent tour à tour ou bien ensemble. . Bien entendu tous n’ont pas besoin de traduire : ils, elles font autre chose de plus important, ils sont les truchements du monde extérieur, de Tokyo, du Japon, des couleurs, senteurs et dessins délicats dont je ne perçois rien (je ne me souviens même pas de ce sur quoi donne ma fenêtre, je crois que c’était un espace intérieur à l’hôpital).
20Je fais malgré tout un peu mon travail de tuteur en parlant avec Teppei de Gilson et de l’être en tant qu’acte pur… Un soir Satochi et Harumi me font longuement parler de ma vie tout en filmant… Ou je lis le mémoire de Noriko.
21Ils m’apportent des gâteaux ou des fruits confits, des soupes de nouilles, des albums d’estampes érotiques et des romans en français. Je lis l’histoire d’un missionnaire jésuite à l’époque des persécutions contre les chrétiens. Ils m’apportent des présences diverses mais toutes empreintes d’une qualité indéfinissable qui me semble bien distincte de celle des visiteurs à l’hôpital français. Peut-être est-ce moi qui ressens une grâce ou un don particulier là où, en France, je sens beaucoup plus la courtoisie de la visite, avec son fond de morosité. Ici l’existence hospitalière me paraît relever plus de l’hospitalité.
22Noriko m’apporte sa thèse, soutenue en Sorbonne, sur la correspondance entre Akitakè Torukawa, fils du dernier shogun, et le général français Léopold Villette. Découverte complète pour moi d’une histoire d’amitié insolite par les distances d’alors et par les prémices de Meiji… Akiko, elle, me montre des photos de son maître de nô et je regrette de ne pouvoir aller à son spectacle. Harumi vient avec son tricot pour me veiller. Masuda m’entretient de l’université aujourd’hui entre Europe et Japon. Takashi de la communauté et de l’amour. Je n’en finirais pas…
23Le personnel soignant s’entend à rendre tout plus aisé. On ne refoule personne même si une fois ou deux il finit par y avoir vraiment trop de monde dans la pièce. Mais Hélène s’inquiète alors plus que les infirmières. Avant de piquer pour un prélèvement ou pour une perfusion, une infirmière japonaise demande qu’on l‘excuse pour ce qu’elle va faire. Une infirmière française annonce « je pique » puis
24« ça va ? ». Je ne hiérarchise pas du tout ces manières, pas plus que les courbettes – qui semblent impliquer elles aussi une excuse – et les serrements de mains.
25Peut-être en fait suis-je moins apte à percevoir en France une hospitalité non moins hospitalière… Il reste cependant une grâce japonaise qui se reconnaît aussi hors de l’hôpital, par exemple dans le caractère peu bruyant de la ville, dans le soin apporté à présenter les objets ou à se présenter soi-même et en général dans cet art des signes purs dont le nom de Roland Barthes est devenu la signature.
26Quelques jours avant le départ me rend visite – bien sûr avec Lisa – l’état-major du service au complet, avec la médecin-chef, ses seconds et un groupe d’internes. Paroles très aimables, saluts, atmosphère joyeuse. Tout le monde se réjouit d’’avoir guéri le professeur français. J’essaie pour répondre aux saluts de m’incliner autant que je peux assis dans mon lit.
27Bien sûr jusque là je ne suis pas content de la maladie, de la longueur du traitement – Lisa me donne l’impression de ne jamais vouloir l’arrêter. Mais je suis moins morose et moins tenu à « m’occuper » qu’à l’hôpital français. Je n’ai que des chaînes japonaises à la télé, et je ne regarde vite plus rien. L’amitié se fait bien plus que ponctuelle : elle irrigue tout, elle m’entraîne en particulier dans les promenades que les unes, les uns et les autres font faire à Hélène. Qui d’ailleurs gagne une autonomie qui me surprend. En voyage elle se remet souvent à moi pour les trajets et les objectifs mais cette fois elle sait plus que jamais ce qu’elle veut faire et comment négocier ses souhaits avec les amis. Contre mon avis (je crains de manière superstitieuse qu’elle ait à son tour un accident) elle insiste pour aller à Hiroshima : c’est un devoir et elle fait avec Harumi l’aller-retour dans la journée (10 heures de train). Grâce aux amis elle aura parcouru beaucoup de lieux que j’ignore, quartiers, temples et boutiques d’où elle rapporte une quantité prodigieuse de tenugui, de cahiers et de pinceaux qui feront en France autant de cadeaux.
28Autant je suis d’habitude peu attentif à ces objets, autant cette fois il me semble comprendre qu’ils sont des recueils nécessaires du Japon en tant qu’univers de formes. Comme si cela s’imposait à moi à travers les différences formelles discrètes mais partout présentes entre l’hôpital français et le japonais. C’est une version minimale, puisque soumise à l’uniformité technique, de la différence générale du quotidien, de ses formes, allures, nuances.
29Pendant ce temps c’est l’entre-deux-tours des élections présidentielles en France. Je perçois à travers mails et whatsapp la nervosité qui gagne là-bas. J’en reste un peu distant, sans le vouloir. Certes je suis distant aussi « de l’intérieur » : l’évanouissement politique auquel correspond le phénomène Macron donne un spectacle fascinant – qui reste d’autant plus spectacle que je suis au Japon et à l’hôpital. Cela me rappelle que j’étais à l’hôpital lors de la venue d’Obama à Strasbourg. En même temps Donald Trump et Kim Jung Un se défient à qui mieux mieux pour la plus grande inquiétude des Japonais. Osamu, lui, est sur le front des manifestations contre le gouvernement de Abe mais il reconnaît que l’énergie d’opposition est faible.
30Pour moi le défi est de sortir de la pneumonie dont on n’a toujours déterminé aucun agent, bactérie ou virus. On n’en trouvera jamais. En France, la maladie reprendra trois fois jusqu’à la fin d’août. Elle disparaîtra avec des perfusions d’immunoglobuline g poursuivies jusqu’à environ un an après le retour du Japon. J’ai informé Lisa W. de ces suites, qu’elle voulait connaître. Les médecins n’excluent pas qu’un virus propre au Japon, resté non identifié, se soit introduit avec le sang inhalé. Cela me plaît assez, cette représentation de virus territoriaux sinon nationaux. Elle consonne avec les spécificités physiologiques et médicales que j’ai découvertes au Japon : certaines constantes biologiques diffèrent des nôtres, et les dosages de médicaments sont à peu près toujours inférieurs aux nôtres. Je me disputais avec Lisa sur le taux admissible d’anticoagulant. Pour finir elle m’a laissé rentrer en France avec un taux que mes médecins ici jugent inefficace – et pourtant tout s’est bien passé. Aurais-je un métabolisme nippon ?
31À la fin, l’appartement n’étant plus disponible, Hélène aidée par Michaël prend une chambre dans un hôtel proche de l’hôpital, le Tokyo Stay de Yotsuya (dont la clef-carte, gardée par mégarde mais dûment remboursée à l’hôtel, ne quitte plus mon chevet). J’y passerai les derniers jours, par un très beau temps qui nous permet de voir Fuji San depuis notre petit balcon du dixième étage. Entre lui et nous, la ville immense tachée de parcs, piquetée des grues d’innombrables chantiers. Le soir nous dînons là avec Takashi, je suis heureux de manger autre chose qu’à l’hôpital – comme partout. Pourtant ce n’était pas si mal – et surtout, détail remarquable, au petit-déjeuner j’avais le choix entre un menu japonais et un qui si je me souviens bien se nommait « continental ».
32Le dernier jour nous prenons le thé avec Maki et Mana chez Paul dans le quartier de l’hôtel : déjà un goût d’éloignement. Le soir Hélène organise pour tous avec Takashi un dîner dans un restaurant italien délicieux – dans mon souvenir c’est une cuisine italienne nippponisée de manière subtile.
33Le retour a été difficile, j’étais encore faible. Hélène redoutait tout risque de refroidissement et dans l’avion elle allait voler des couvertures en première classe (l’assurance nous avait lâchés en raison de la greffe et il avait même fallu emprunter à Yotetsu le prix des billets). À l’aéroport, Yotetsu, Takashi, Isabelle et Maki poussant mon fauteuil roulant.
34Malgré la fatigue et ce qui reste de souci même si j’ignore encore dans quel engrenage je vais être pris, il y a vite un pincement au cœur. Très vite je découvre combien ce séjour désastreux aura été une bénédiction d’amitié et de rupture avec l’ordinaire des visites académiques. J’ai le sentiment paradoxal mais fort d’avoir plus été au Japon que lors de mes séjours antérieurs, plus brefs et surtout plus tournés vers le travail et le tourisme marginal qui l’accompagne. Presque comme si j’avais été « en résidence » mais non pour écrire : pour être seulement hospité, pour être un hôte pur et simple. Rien à voir avec une opposition entre travail et loisir, au contraire une mise à l’écart de ce couple. De même, quoique de manière beaucoup plus partielle, pour le couple santé/maladie. Je n’ai pas oublié la maladie mais tout ce qui l’a entourée ainsi que la curiosité pour les traits propres à une culture aussi lointaine m’ont tourné vers autre chose. Cela ne peut être nommé que par un silence reconnaissant. Je frappe deux fois dans mes mains et je m’incline.
35Octobre 2018
Table des illustrations
Légende | Page de mon agenda avec indications de Lisa Watanabe |
---|---|
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/docannexe/image/3520/img-1.png |
Fichier | image/png, 77k |
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Luc Nancy, « Nippospitalité », Le Portique, 43-44 | 2019, 25-34.
Référence électronique
Jean-Luc Nancy, « Nippospitalité », Le Portique [En ligne], 43-44 | 2019, document 2, mis en ligne le 10 février 2020, consulté le 16 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/3520 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.3520
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page