Promesse d’une ville
Arléa, février 2012.
Full text
1Qui sait le mieux ce que signifie habiter une ville ? Habiter la singularité d’une ville ? Qui, à la différence de l’« urbain » ou de la « ville générique » s’étendant partout dans le monde, n’a son équivalent nulle part ? Comment accéder à l’essence d’une ville, cette « ubiquité d’une absence », comme l’écrit Sartre ? Peut-être celui qui y revient après l’avoir habitée longtemps et l’avoir quittée longtemps. C’est du moins ce que nous suggère Robert Scholtus dans un ouvrage très attachant, Promesse d’une ville, sur le ton de la confidence, bien qu’ouvrage totalement ouvert sur le dehors, composé de descriptions précises et sensibles de lieux que connaissent bien les habitants de Metz (puisqu’il s’agit, en l’occurrence, de cette ville). Mais ce livre ne s’adresse pas qu’aux Messins ni aux fidèles lecteurs de Robert Scholtus. Il pourra passionner les lecteurs de Benjamin, et tous ceux, nombreux, qui font de la citadinité une question cruciale. Comme Benjamin, Scholtus apprend et nous apprend à nous égarer en des « zones incertaines ». « Ne peut commencer à connaître et à aimer une ville, écrit-il, que celui qui a appris à s’égarer dans l’ennui de ses rues bruineuses... » À ce paradoxe de l’exposition de l’intime par le biais d’une exploration du dehors, s’ajoute celui d’une sensation très vive de ce qui a disparu, dénuée de toute nostalgie. C’est une promesse que dessine comme un sourire la ville d’aujourd’hui, malgré l’étendue de ce qu’il n’est pas trop exagéré de nommer une dévastation. Et celle-ci ne date pas seulement des années 1970 qui ont été bien cruelles pour Metz, comme pour beaucoup d’autres villes, mais de ce que Robert Scholtus nomme « la frénésie gothique des urbanistes du Kaiser ». L’auteur regrette la disparition du portail de Jacques-François Blondel, ce grand architecte du xviiie siècle, qui a beaucoup marqué le centre de la ville de Metz par un projet en partie réalisé, de ce que l’on nommait alors « embellissement ». Et l’évocation de son fantôme qui hante la petite rue qui porte son nom à proximité de la Cathédrale est sans doute parmi les plus belles pages de ce livre, précédant une description très juste des vieux pavés de la place de la Cathédrale qui eux ont échappé à leur remplacement par ces pavés composites fraîchement débarqués de Chine et sur lesquels on déambule par ailleurs dans la ville. Toute ville est l’« apparition d’un disparaître », comme l’écrit, cette fois-ci, Jean-Luc Nancy. Qu’on la photographie ou qu’on la décrive comme le tente avec bonheur Robert Scholtus, on ramasse des éclats, des fragments, des épiphanies. Le retour est l’occasion de pénétrer le labyrinthe de la mémoire, mais aussi de mieux recueillir ce qui surgit et ce qui vient. C’est cette superposition, cette interpénétration, cet effrangement du passé, du présent, et de ce qui s’annonce déjà, qui définit peut-être le mieux ce que signifie habiter une ville. Citons enfin cette belle définition rencontrée à un carrefour du livre : « La ville est tout ensemble abri et passage, demeure et voie, recueillement et dispersion, refuge et errance » (p. 46).
References
Electronic reference
Benoît Goetz, “Promesse d’une ville”, Le Portique [Online], 30 | 2013, document 6, Online since 11 October 2013, connection on 10 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/2663; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.2663
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