Navigation – Plan du site

AccueilNuméros30RecensionsJésus balsamique et le philosophe

Recensions
3

Jésus balsamique et le philosophe

Jean-Paul Resweber
Référence(s) :

ILV- Édition, 2012, 337 pages.

Texte intégral

1Le livre de Bernard Aubert Jésus balsamique et le philosophe s’emploie à mettre en perspective et à commenter le message d’un Jésus arraché à son aura mythique, au tour de l’expression « poétique » et à l’interprétation de la foi : d’un Jésus humain, trop humain, ou, pour reprendre le mot de Nietzsche, d’un « doux rêveur », qui défend la continence en vue du Royaume des cieux, qui substitue à l’économie réelle du travail et de la richesse l’économie de l’agapê, qui, enfin, fait de l’acceptation de la souffrance le moyen d’accéder au bonheur éternel. Mais, aux yeux de l’auteur, si un tel message n’est soumis au principe de la falsification rationnelle, il risque de ruiner la volonté éthique qui consiste à « vouloir se réaliser pleinement soi-même selon toutes ses capacités-comme le philosophe qui écrit ce livre, et …, ainsi, rechercher le bonheur » (p. 267).

2L’auteur qui proteste de son athéisme adopte une démarche honnête et rigoureuse. Il commence, en effet, par construire un « évangile balsamique » rassemblant les 260 péricopes de la synopse Benoit-Boismard qui correspondent à la vie publique de Jésus et à sa passion, en se référant scrupuleusement au jugement des exégètes qui, à partir de l’étude des sources, classent les textes en authentiques et inauthentiques ou, pour reprendre les termes de l’auteur, en « jésuaniques » et « non-jésuaniques ». Ce qu’il appelle l’« évangile balsamique » n’est autre que le corpus des textes dits « jésuaniques »qui serviront de support à son commentaire. D’abord situés dans leur contexte historique, ces derniers sont soumis à l’interprétation de la raison critique. On peut saluer la rigueur et la large documentation de l’auteur qui n’hésite pas à récuser telle assertion gratuite de M. Onfray (p. 36 s.) ou telle traduction contestable de Chouraqui (p. 289 s.) Bernard Aubert passe au crible des exigences rationnelles les péricopes qu’il a retenues et nous expose sereinement les contradictions d’un message qui, pour l’essentiel, trahit les valeurs de la vie concrète et historique, au nom de l’instauration chimérique d’un Royaume à venir.

3En lisant ces pages, on a le sentiment que l’auteur engage en contrepoint un dialogue lucide et raisonné avec lui-même et tente de penser en accord avec son athéisme. Il exprime avec droiture et clarté ce que bien d’autres se refusent à dire et à faire. Sous bien des aspects, cette critique sérieuse est inspirée de celle de Nietzsche et de Marx. Mais, sans quitter le terrain philosophique où s’est positionné l’auteur, on peut s’interroger sur les présupposés de sa démarche. B. Aubert oscille parfois entre la réalité du message à découvrir et sa teneur en vérité. La réalité concerne l’authenticité supposée des paroles, des faits et gestes rapportés à Jésus. De ce point de vue, il y a, et J. Jeremias l’a montré, les logia ou ipsissima verba « réellement » prononcés par Jésus et attestés par les évangiles, mais ces derniers ne dépassent pas la dizaine. Le philosophe doit certes en compte la réalité, si ténue soi-elle, mais ce qui importe, à ses yeux, c’est moins le donné que sa signification.

4La vérité ne relève pas du fait, du Jésus historique, mais du sens et de son témoignage. Or, ce qui donne sens à l’histoire de Jésus, c’est avant tout et surtout la résurrection, même si cet événement fait partie, comme les miracles de Jésus, des recueils ou des bréviaires anciens de récits plus ou moins merveilleux qui ont été postérieurement attribués à Jésus. B. Aubert n’intègre pas le message de la résurrection dans le corpus des textes commentés. On dira certes qu’il s’agit de légendes, mais, précisément, la légende est, selon l’étymologie, ce qui se donne à lire (legendum). Mais pour lire la légende ou pour lire le message à partir de la légende, il convient de tenir compte et de la conception de l’histoire qui était celle des évangélistes et aussi et surtout du langage évangélique qui se coule la plupart du temps dans des énoncés paradoxaux. À négliger le paradoxe qui force le langage à faire un « pas de côté » (para doxa : à côté de l’opinion), on risque de réduire le sens du message à des énoncés de bon sens. Or, le philosophe, même s’il est athée, ne peut éluder la subversion que le langage singulier du message entend opérer dans le champ de l’anthropologie. La Bible est le livre où l’homme se trouve confronté à son inhumanité : meurtres, viols, jalousie, vengeances, guerres, infidélités, viols…, mais aussi, paradoxalement, confronté à son humanité dont l’Homme Jésus se présente comme le témoin : « Voici l’homme », l’homme dans sa nudité. L’événement « jésuanique » qui s’offre à l’analyse rationnelle est, comme l’ont montré bien des penseurs « athées » comme Spinoza, Lessing, Reimarus…, porteur d’un sens indépendant de celui de l’événement « christique » qui s’impose, quant à lui, à une lecture de la légende pratiquée avec les yeux de la foi.

5Cette réserve n’entame cependant pas le mérite et la qualité scientifique d’une recherche qui entend faire la clarté sur Jésus et sur la portée de son message. Un tel parcours philosophique est dans sa radicalité même légitime et pleinement justifié. Mais, l’auteur le reconnaît (p.269), le message résiste en amont dans le souvenir du mariage célébrée au son du « Jesus bleibet meine Freude » de Bach et, en aval, dans le doute qui l’étreint : « … ai-je réussi à me libérer de ma vassalité à l’égard du Seigneur ? » C’est peut-être de cette vassalité, à laquelle s’alimentent la nostalgie du passé et la mélancolie de l’inachèvement que l’Homme Jésus est venu nous libérer, lui qui avoue, sans ironie que « son joug est doux et son fardeau léger ».

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Paul Resweber, « Jésus balsamique et le philosophe »Le Portique [En ligne], 30 | 2013, document 3, mis en ligne le 11 octobre 2013, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/2659 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.2659

Haut de page

Auteur

Jean-Paul Resweber

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search