Robert Scholtus, Une saison dans les limbes
Robert Scholtus, Une saison dans les limbes, Paris, Bayard, 2010, ISBN : 978-2-227-48213-5.
Texte intégral
1De la physiologie de l’œil, nous avons appris que l’accommodation est l’opération par laquelle le cristallin de se tend et accentue sa courbe. Cette tension modificatrice permet de maintenir l’image sur la rétine quand un objet se rapproche. C’est, en un sens, à cette opération que les textes de Robert Scholtus nous invitent. Alors que les choses, les corps, les êtres et les mondes tendent à se dissoudre dans le gris généralisé qui nous tient et nous enferme dans les non-lieux, les impasses et les zones vagues d’une modernité homogénéisante et indifférenciante, des textes disent autre choses. Robert Scholtus fait partie de ces voix qui opposent une farouche résistance aux tendances doucereusement atonisantes qui délavent insidieusement, les tons vifs et les couleurs fraîches et matinales du monde. À partir d’une méditation fine sur la figure problématique des limbes comme possible thème-paradigme de notre présent, il affirme, sans complexe, son espérance. Quelle insolence... Son écriture a quelque chose de la peinture de Filippo Lippi. Ses redoutables pinceaux excellent dans l’art de restituer une atmosphère douce et néanmoins tonique où l’on soupçonne quelque chose comme une nervosité retenue. Rien, en effet, ne semble échapper à sa capacité de traduire, dans ses nuances les plus indiscernables, le gris cendreux d’une fine poussière qui tombe sur les choses, s’insinue dans les discours, assèche les raisons et stérilise les êtres. Avec lui, nous plongeons dans les anfractuosités des grisailles ennuyeuses de nos vies. Rien ne nous est épargné. Pas même les tons artificiellement joyeux des réjouissances en boîte ou en plastique qui sont désormais notre lot. Avec ce livre nerveux, nous plongeons jusqu’au vertige où nous frôlons la rupture d’anévrisme et là, retentit, avec force son espérance : point de rupture dans l’économie générale du texte. Nous découvrons l’impatiente espérance au travail dans le discours de l’auteur. Robert Scholtus est un homme tendu. On le sent tout entier tourné vers l’attente du miracle qui dissoudra les limbes d’une « imprévisible lumière ». Il n’est pas exagéré de dire que Robert Scholtus trouve sa place dans la lignée des penseurs de l’événement. Pour lui, contre le gris, l’événement se traduira par une « imprévisible lumière » qui viendra « fracturer l’opacité limbale du monde ». À partir de ce point et, armé de cette farouche espérance, il entreprend une longue et patiente remontée. Sa capacité à accommoder lui permet de voir et de discerner le détail qui se dissimule dans le nuancier des gris. Y aura-t-il encore des couleurs pour rendre justice à nos veilles cent fois réitérées pour des nuits tant de fois rendues insipides, atones et ternes par tant de grisailles anesthésiantes ? Lui, peut soupçonner, deviner voire voir les signes, les hiéroglyphes, les lucioles naissantes ou survivantes qui signalent la lumière au-delà du gris. Contre l’anesthésie générale ambiante, ce livre, comme souvent les textes de Robert Scholtus, est un travail contre la niaiserie érigée en norme. Il invite à ouvrir l’œil. Sa quête espérante emprunte les chemins escarpés des mondes littéraire, philosophique et théologique où il n’est pas fait économie de contradictions, de tensions, de doutes qui aident à penser de façon exigeante.
2En lisant Scholtus, je n’ai pu ne pas penser à ces mots inspirés de cet autre voyant cosmique qu’est Teilhard de Chardin lorsqu’il renouvelle les dimensions du voir en une alternative effrayante de lucidité : « voir ou périr ». Mais de quel voir est-il question ? « Depuis qu’il existe, l’Homme est offert en spectacle à lui-même. En fait, depuis des dizaines de siècles, il ne regarde que lui [...]. Ne nous étonnons pas de cette lenteur dans l’éveil. Rien n’est aussi difficile à apercevoir, souvent, que ce qui devrait « nous crever les yeux ». Ne faut-il pas une éducation à l’enfant pour séparer les images qui assiègent sa rétine nouvellement ouverte. […] Si, vraiment, voir c’est être plus, regardons l’Homme et nous vivrons davantage. Et pour cela accommodons correctement nos yeux ».
Pour citer cet article
Référence électronique
Serge Mboukou, « Robert Scholtus, Une saison dans les limbes », Le Portique [En ligne], 29 | 2012, mis en ligne le 09 janvier 2013, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/2622 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.2622
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