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Recensions

Jean-Marie Delassus, Neuroscience de l’être humain. De la structure à l’existence

Paris, Encres Marines, 2012
Mathieu Chauffray
Référence(s) :

Jean-Marie Delassus, Neuroscience de l’être humain. De la structure à l’existence, Paris, Encres Marines, 2012, ISBN 2350880532, 336 pages.

Texte intégral

1Quelle est la teneur de notre vie ? Pour répondre à cette question, J.-M. Delassus est d’avis qu’il faut définir les deux termes d’un problème : l’être humain. Partir de ces réalités conjuguées lui semble en effet nécessaire afin de comprendre efficacement le sens de l’existence humaine.

2Dès la lecture de la préface et de l’introduction, le lecteur saisit que l’outil préconisé par l’auteur, par ailleurs formé au débat philosophique, sera celui d’une neuroscience teintée de psychanalyse. Afin de répondre à la question posée, seul le biais scientifique peut être emprunté. Par là il est entendu un processus cognitif assez restrictif participant d’un naturalisme au moins méthodologique. Si la philosophie a tenté de définir cette réalité qu’est l’humain, elle n’a réussi qu’à proposer des définitions décevantes pour J.-M. Delassus : décevantes car s’originant dans le concept de nature. La différence spécifique d’origine aristotélicienne sera ainsi plusieurs fois récusée dans l’ouvrage, notamment au chapitre 10 où l’idée même d’anima­lité semble remise en cause. Sans l’aide de la neuroscience, il y aurait un embarras philosophique à expliquer à la fois ce qui est et ce qui est humain.

  • 1 On pourra notamment se demander si l’être renferme les objets existants seulement, ou si les objets (...)

3De l’être, il est déclaré qu’il est un terme polysémique. On sait en effet que les traités d’ontologie ne se limitent pas à une description d’objets mais qu’ils tentent également de circonscrire des domaines. Ce qui est, est-ce seulement ce qui existe ou bien peut-on y ajouter la modalité ?1 En ce qui concerne son rapport à l’homme, qui est le centre du livre présenté ici, « l’être est une idée » (p. 30) c’est-à-dire une propriété rapportée à nous-mêmes comme aux autres étants. Un glissement sémantique permet à l’auteur de passer d’un questionnement ontologique à une interrogation de type épistémologique. L’être devient fruit de l’intellect. Dès lors, l’enjeu se déplace vers une catégorie suscitant « l’extrapolation métaphysique » (p. 39). On peut prendre pour exemples le débat classique de la théologie naturelle autour de « Celui qui est » et l’attribut d’être qui confère un pouvoir à celui qui le dispense. Pour J.-M. Delassus, l’être est un monarque dont la puissance se transmet à ceux qui l’octroient aux objets environnants. Que peut-il arriver de pire à une chose que d’être jetée dans le néant ? Mais enfin il faudra trouver une alternative à la métaphysique classique, car l’homme est.

  • 2 Jean-Marie Schaeffer, La Fin de l’exception humaine, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 2007. Cité (...)
  • 3 L’auteur cite un beau passage de Julien Green : « Simplement, j’étais, encore le je est-il de trop (...)

4S’appuyant notamment sur des travaux de Jean-Marie Schaeffer2, Delassus défend l’idée que les neurosciences apporteront la réponse désirée. Non pas en termes de nature mais plutôt en termes de structures de l’hu­main. Effectivement, si on peut faire l’expérience de l’être3, reste à opérer un passage délicat de cette expérience vers une définition. Il sera demandé au lecteur si la détermination de l’humain (comme celle de l’être en général) n’est pas une invention conceptuelle dont il faut faire l’archéologie. Mais jusqu’où aller dans la généalogie du concept ?

  • 4 P. 130.

5Pour Delassus, cela ne fait aucun doute : il faut remonter loin dans l’existence, en-deçà du choix et de la liberté sartrienne largement décrits dans l’ouvrage. Si la conscience est le moyen de contourner la détermination naturelle de notre être, elle semble trop récente dans notre vie pour en constituer l’origine. Seule la science du stade prénatal peut saisir les structures de l’homme. Plutôt que de l’ontologie, il faut par conséquent faire de la neurontologie. Aux pages 128-129 de l’ouvrage se dégage ainsi la thèse forte du livre : l’origine de l’existence humaine provient et procède d’un dispositif préalable à toute conscience. Il faut adapter Sartre. Si l’existence précède l’essence, cette dernière ne résulte pas de notre liberté ultérieure. Au contraire, elle procède « des acquis d’une existence particulière d’ordre prénatal »4.

6En définitive, la recherche engagée est une genèse de l’homme. « Quand on veut faire une statue, on cherche le marbre » affirme l’auteur de cette Neuroscience de l’être humain. Il faudra découvrir de quoi se compose un tel être : visiblement, c’est la structure du cerveau qui est visée. Mais ce qui demande à être établi, au niveau prénatal, c’est la liberté cherchée par J.-M. Delassus. À ce stade, on peut se demander si l’indétermination neuronale est forcément synonyme de possibilités en gestation.

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Notes

1 On pourra notamment se demander si l’être renferme les objets existants seulement, ou si les objets subsistants voire les objets impossibles peuvent y être inclus. Voir notamment Meinong, Théorie de l’objet et présentation personnelle, Paris, Vrin, 2000, en première édition Alexius Meinong Gesamtausgabe, éd. de Rudolf Haller, Rudolf Kindinger en collaboration avec Roderick M. Chisholm, 7 vols. Graz : Akademische Druck- u. Verlagsanstalt, 1968-1978.

2 Jean-Marie Schaeffer, La Fin de l’exception humaine, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 2007. Cité en p. 42 de l’ouvrage recensé.

3 L’auteur cite un beau passage de Julien Green : « Simplement, j’étais, encore le je est-il de trop dans cette histoire […] » in Autobiographie, Partir avant le jour (1963), Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, t. 5, 1977. p. 68 de l’ouvrage recensé.

4 P. 130.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Chauffray, « Jean-Marie Delassus, Neuroscience de l’être humain. De la structure à l’existence »Le Portique [En ligne], 29 | 2012, mis en ligne le 09 janvier 2013, consulté le 01 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/2617 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.2617

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