Christophe Laudou, La Mythologie de la parole
Texte intégral
1Comme l’indique le titre de son livre, Christophe Laudou s’emploie à définir les conditions de ce qu’il appelle la mythologie de la parole. Pour comprendre le projet qu’il poursuit, il convient de se rappeler que le muthos et le logos recouvrent un même processus d’expression, d’énonciation, voire de fabulation, dont les récits mythiques et le discours métaphysique constitueraient deux versions apparemment opposées. Ainsi, l’opposition platonicienne entre le muthos et le logos n’a-t-elle de sens que si elle est interprétée comme dérivant de la mythologie originelle de la langue qui commande, en fait, la mythologie de la raison chère à Schelling, car « quelque chose du muthos, quelque chose d’essentiel, persiste dans le logos » (p. 11). Or, ce « quelque chose d’essentiel » peut être mis en perspective si l’on croise les trois directions majeures de la réflexion contemporaine sur le langage. On peut, en effet, pour éclairer cette thèse, évoquer la distinction que fait Cassirer entre le mythe comme puissance (energeia) et le mythe comme récit (ergon), mais on peut aussi souligner que la critique des illusions du langage par la philosophie analytique nous renvoie paradoxalement à une mythologie de l’indicible. La pensée de Heidegger que l’auteur commente avec bonheur illustre tout à fait le chemin du retour au muthos oublié par le logos de la métaphysique : c’est d’ailleurs à re-déployer ce mythos originel (Sage, Geviert) que s’emploie la déconstruction de la métaphysique.
2C’est en prenant pour horizon ces divers parcours que C. Laudou dévoile la mythologie blanche immanente à l’écriture de la métaphysique et, notamment, à la philosophie de Descartes qui sert de repoussoir facile à la pensée contemporaine, puis la mythologie du sens dont s’entretient, sur le mode de la dénégation, le discours de la philosophie contemporaine (B. Parrain, Husserl, Merleau-Ponty, Derrida…), enfin la subversion que vient opérer le muthos, de façon exemplaire, dans le champ de la phénoméno-logie, dès qu’il se pose en source d’une énonciation qui ravit à la perception le privilège méthodologique qui était a priori le sien.
3Le livre de C. Laudou est une excellente introduction à l’intelligence de la philosophie contemporaine. L’opération de la fixation du sens par la métaphysique peut être comprise, dans une modernité qui souffre moins d’une perte que d’un trop-plein de sens, comme une opération de raréfaction du sens. Ainsi, la pensée contemporaine cherche-t-elle, pour réaliser cette opération, des limites : tantôt dans des critères logiques, tantôt dans le contexte circonscrit par les « formes de vie », tantôt dans le travail herméneutique qui chasse un sens pour lui substituer un autre sens... Mais, quelle que soit la solution adoptée, elle s’impose à la faveur d’une dénégation de la mythologie de la parole fabulatrice. C’est finalement à la question du statut de l’énonciation et, du même coup, à la question du sujet que nous renvoie à juste titre C. Laudou. Le chapitre qu’il consacre à l’examen de cette question est essentiel (ch. 8 : la situation de la parole p. 161-186). Si l’énonciation ne relève pas d’abord de la logique, ni même du performatif, mais si elle se trouve fondée dans l’expérience du mythos et si elle tient à « l’accroche du sujet dans la parole lors de l’exercice du discours » (p. 9), alors il est possible de la penser à partir du « parler » (Rede) ou de la « dite » (Sage) de Heidegger ou encore de l’inconscient lacanien structuré comme un langage. C. Laudou développe une thèse séduisante : le pouvoir du langage est celui de fabuler le monde.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Paul Resweber, « Christophe Laudou, La Mythologie de la parole », Le Portique [En ligne], 21 | 2008, mis en ligne le 21 août 2008, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/1943 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/leportique.1943
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