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Jean-Pierre Poulain, Sociologie de l'obésité

Marion Blatgé
Sociologie de l'obésité
Jean-Pierre Poulain, Sociologie de l'obésité, PUF, coll. « Sciences sociales et sociétés », 2009, 360 p., EAN : 9782130553137.
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Notes de la rédaction

Une réponse de l'auteur

Un auteur se réjouit toujours lorsqu'un de ses livres a suscité assez d'intérêt pour qu'un collègue lui consacre le temps de le lire et d'écrire un compte rendu de lecture. Merci à Marion Blatgé pour ses commentaires et ses analyses qui contribuent à la diffusion des idées et à leur nécessaire mise en débat. Comme son texte se termine sur des questions et que le site Liens Sociaux en offre la possibilité, il me semble nécessaire d'ajouter quelques mots qui pourraient se révéler utiles à d'éventuels lecteurs.

Questionner l'ambition d'un travail et tenter de vérifier qu'il a bien atteint l'objectif qu'il s'était assigné est une démarche légitime. Elle vaut pour un livre, un article, une thèse, un compte rendu de lecture... Ce livre est marqué par une ambition, problématique et programmatique. Il tente de montrer en quoi l'obésité est une question sociale. Ce faisant, il organise des connaissances disponibles et en apporte de nouvelles produites par l'auteur dans le cadre de plusieurs programmes de recherche. Il tente aussi de problématiser la question depuis les sciences sociales. Compte tenu de l'ampleur du problème de santé publique qu'est l'obésité, -probablement une des plus grandes épreuves de modestie scientifique qu'ait à affronter la communauté médicale -. il ne peut y avoir d'ambition à l'exhaustivité, pas même programmatique, même si sur ce plan nous espérons avoir fait des avancées et suggéré des pistes de travail pour les sciences sociales.

La seconde question de Marion Blatgé : sociologie de l'expertise ou sociologie des sciences ? Il s'agit d'une sociologie des connaissances scientifiques sur l'obésité ou dans une formulation plus actuelle, d'une sociologie des sciences de l'obésité dont l'un des horizons est une réflexion sur les rôles de la sociologie et des sociologues dans la construction et l'évaluation des politiques publiques en matière de lutte contre le développement de l'obésité.

La démarche adoptée est explicitée dans la seconde partie et s'inscrit dans la perspective du "programme contextualiste modéré" défendu par Jean Michel Berthelot dans ses derniers ouvrages (notamment le livre posthume publié récemment par les PUF sous le titre L'emprise du vrai). Elle partage avec le "programme fort" de David Bloor et Barry Barnes ou avec l'Empirical Program of Relativism de Harry Collins ou encore avec l'approche de l'école Latourienne, la volonté de ne pas en rester au projet mertonien d'analyse de l'influences extérieures au monde scientifique sur le fonctionnement de la science. Elle fait le projet "d'ouvrir la boîte noire conceptuelle" des sciences de l'obésité, pour reprendre une expression de Harry Collins. Mais notre posture accorde une place importante à l'approche épistémologique et prend quelques distances avec le relativisme radical.

Ainsi la seconde partie de sociologie de l'obésité développe-t-elle une double approche. Tout d'abord une histoire de la construction des concepts qui contribuent à rendre visible et à définir le problème de l'obésité ainsi qu'à penser des solutions techniques. Puis une analyse des controverses scientifiques qui traversent ce champ scientifique : nombres de morts attribuables à l'obésité, impact économique, influence sur l'espérance de vie. Celles-ci se posent en lieu de lecture et de compréhension des enjeux économiques, sanitaires, scientifiques, politiques qui sous-tendent l'obésité. Elles donnent à voir les acteurs et leurs logiques d'action ainsi que les intérêts qui se déploient dans l'arène sociale et politique de l'obésité. Une partie du livre certes un peu technique et qui suppose une certaine fréquentation de la "culture indigène" de l'univers scientifique considéré.

Il ne s'agit donc ni d'une relativisation du problème de l'obésité, ni de sa réduction aux influences des divers lobbies qui pèsent sur sa construction et derrière lesquelles s'abritent des intérêts économiques très importants. Ce double travail est posé comme un préalable à l'analyse des politiques publiques en matière d'obésité et à la formulation des possibles contributions des sciences sociales.

Sans doute l'impasse faite par l'auteure du compte rendu de lecture sur l'analyse des controverses ne lui a pas facilité la compréhension de la suite de l'ouvrage. Ces quelques remarques n'ont d'autres buts que d'indexer ce livre sur certains de ses arrières plans théoriques et d'inviter à sa lecture.

Jean Pierre Poulain, Certop UMR 5044, Université de Toulouse 2 CNRS

Texte intégral

1L'ambition du présent ouvrage est de formuler la question de l'obésité du point de vue des sciences sociales. Il ne se réduit pas à la recherche de réponses à des hypothèses formulées par l'épidémiologie, mais se donne pour objectif de re-problématiser la question de l'obésité d'un point de vue sociologique et anthropologique. Les dimensions sociales de la question sont donc investies dans une triple perspective ; il s'agit pour Jean-Pierre Poulain de proposer une sociologie de l'obésité, une sociologie sur l'obésité ; complétées par une sociologie de la connaissance sur l'obésité. Ce sont donc des sociologies de l'obésité que Jean-Pierre Poulain entend développer dans ce livre.

2Dans un premier temps, l'auteur propose une réflexion sur les déterminants sociaux du surpoids et de l'obésité. Ce phénomène touche de façon distincte les différentes strates de la population. Grâce aux travaux d'épidémiologie, on sait que l'obésité a progressé de manière rapide dans les sociétés développées depuis vingt ans. En outre, des sociétés en développement voient aujourd'hui cohabiter malnutrition et obésité. Enfin, la distribution de la corpulence est liée à différents déterminants sociaux. S'il y a des personnes obèses dans l'ensemble des couches de la société ; l'obésité sévère est cependant deux fois plus présente en bas qu'en haut de l'échelle sociale. La précarité et la précarisation sont présentées par Jean-Pierre Poulain comme des facteurs de causalité. L'obésité est également liée à des phénomènes de mobilité sociale. Les personnes obèses sont en effet touchées par des phénomènes de stigmatisation, qui sont sources de différentes discriminations. Cette stigmatisation est elle-même nourrie par une évolution historique des représentations liées à la corpulence ; les formes corporelles prononcées étant aujourd'hui dévalorisées.

3Dans un second temps, Jean-Pierre Poulain s'attache à décrypter la médicalisation de l'obésité et le développement de controverses scientifiques à son sujet. L'obésité est devenue une question de santé publique lorsqu'une corrélation a été révélée entre la corpulence et l'espérance de vie. Ce dévoilement, initié notamment par les compagnies d'assurances nord-américaines, en a fait un facteur de risque. L'obésité s'est vue dans un second temps qualifiée de maladie, parfois même associée à une épidémie. En présentant ces controverses scientifiques, le sociologue n'entend nullement les arbitrer, mais bien comprendre ce qui les structure, comment elles se résolvent et finalement, quelles données scientifiques sont sélectionnées pour contribuer à la vulgarisation de cette question. Un discours cohérent et audible est donc construit sur l'obésité, que le corps social s'appropriera ou non. Cette réception profane du savoir scientifique va avoir une influence sur ce même discours et sa transformation.

4Dans sa dernière partie, le sociologue entend proposer des éléments de réflexion contribuant à une politique de l'obésité. Les politiques de lutte contre le surpoids n'ont en effet pas marqué par leurs résultats probants. Ce constat d'échec invite à chercher des coupables à la situation. Deux grilles de lecture s'opposent ainsi : la dénonciation de l'industrie agroalimentaire d'un côté et des comportements individuels jugés irresponsables de l'autre. Les enseignements de différentes campagnes d'éducation sanitaire permettent de pointer les risques des politiques de prévention. Le premier d'entre eux est de produire des discours moralisateurs. Par ailleurs, dans le domaine de l'alimentation, s'appuyer sur un modèle individualiste conduirait à une impasse. Des outils de prévention sont ainsi présentés, telle une communication en matière de promotion de la santé qui prend en compte les facteurs sociaux ou encore la promotion du conseil individualisé en matière de santé.

5C'est une tentative d'analyse exhaustive de la question de l'obésité que l'ouvrage entreprend. S'il est en de nombreux points didactique - notamment dans sa première partie -, l'ouvrage pèche certainement par son ambition excessive. D'une part, parce que nombre des données présentées, notamment celles relatives à la mesure de l'obésité, mériteraient d'être plus largement explicitées. Ainsi, certains passages de la seconde partie se révèlent peu accessibles à notre sens. D'autre part, à l'issue de la lecture, nous ne sommes pas certains d'avoir saisi toute l'ampleur de cette sociologie de la connaissance sur l'obésité que propose Jean-Pierre Poulain. S'attache-t-il à une sociologie des sciences ou se situe-t-il dans l'expertise aux pouvoirs publics ?

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion Blatgé, « Jean-Pierre Poulain, Sociologie de l'obésité », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 avril 2010, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/994 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.994

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