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Thomas Fontaine, Sylvie Zaidman, Joël Clesse, Graffiti de résistants. Sur les murs du fort de Romainville 1940-1944

Emmanuelle Zolesio
Graffiti de résistants
Thomas Fontaine, Sylvie Zaidman, Joël Clesse, Graffiti de résistants. Sur les murs du fort de Romainville 1940-1944, Lyon, Éditions Libel, 2012, 160 p., ISBN : 978-2-917659-20-5.
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Texte intégral

  • 1  Clesse J., Zaidman S., La résistance en Seine Saint-Denis, Paris, Syros, 1994.
  • 2  Fontaine T. , Les oubliés de Romainville, Paris, Tallandier, 2005.

1Cet ouvrage de Thomas Fontaine, Sylvie Zaidman et Joël Clesse sur les Graffiti de résistants sur les murs du fort de Romainville (1940-1944) s’inscrit dans une connaissance approfondie des internés du fort et des mécanismes de la répression, dans la continuité de leurs travaux historiques montrant les particularités géostratégiques de cet espace pendant l’Occupation1 ou faisant une étude détaillée des internés et politiques répressives, en expliquant les trajectoires et conditions d’emprisonnement de ces détenus2.

  • 3  Pierre Carayon, Roger Chaffard, Norbert Deschaintres, Roland Gaudin, Pierre Gourdon, Isidore Harri (...)

2Site militaire allemand à l’été 1940, le fort de Romainville devient camp de détention (Haftlager) en 1940. À partir de 1943, il est le point d’aboutissement et de départ de deux réseaux ferroviaires pour le transfert des détenus vers l’Allemagne. Les auteurs soulignent que c’est probablement un des seuls sites allemands pour lequel on possède des registres intacts permettant l’étude précise des internés et des politiques allemandes. Furent emprisonnés dans ce camp d’internement 7000 hommes et femmes, dont 5300, soit les trois quarts, furent déportés. Les 11 fusillés du 20 août 19443 furent connus après la Libération de Paris.

3La première partie de l’ouvrage (« Revisiter le fort de Romainville ») consiste en une visite historique du fort et contextualise les graffiti dans leur cadre de production. Les auteurs proposent un itinéraire à l’intérieur du camp d’internement, à partir de son plan, de cartes postales et de photos de registres de détenus. Le lecteur est ainsi invité à parcourir le glacis militant ou la casemate en passant par la kommandantur. On y trouve également des données précieuses sur les flux d’arrivées et de départs d’internés. Il apparaît qu’en 1941 la population détenue était surtout composée de ressortissants de puissances ennemies au Reich, mais qu’à partir 1942 on compte plutôt des otages susceptibles d’être exécutés en cas d’attentat contre l’occupant et des personnes arrêtées en raison de leur activité jugée dangereuse. À partir 1944 on compte uniquement des femmes. Les auteurs livrent ainsi des graphiques sur les nombres de détenus arrivés chaque mois au fort, sur le nombre de détenus présents tous les mois, sur les mouvements effectifs par rapport au nombre mensuel des détenus comme sur les durées de détention des détenus.

  • 4  Par exemple pour résistant anglais Yeo-Thomas, dans son récit écrit par Bruce Marshall, 1953, p.22 (...)
  • 5  On pense aux travaux de Mickael Pollak, L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de (...)
  • 6  On pense notamment à l’analyse psychologique de Bruno Bettelheim, témoin direct des camps de dépor (...)

4Ce cadre de production des graffiti ayant été étudié, c’est aux inscriptions murales elles-mêmes que s’attache le reste de l’ouvrage, dans une seconde partie analytique intitulée « Les graffiti ». Ceux-ci sont analysés comme des « faits de résistance » (p. 39) et les auteurs établissent des comparaisons avec ce que l’on sait des inscriptions murales d’autres camps, souvent non conservées. Comme ceux de Fresnes ou de Drancy, ils constituent des traces qu’on a voulu laisser pour témoigner du sort que l’on subit. Les auteurs précisent qu’il est « inutile cependant d’en attendre ce qu’elles ne peuvent pas donner : à elles seules, elles ne fournissent qu’exceptionnellement des informations qui pourraient infléchir une interprétation historique » (p. 4). Aussi ces inscriptions murales résument-elles « humblement ce que l’on sait d’un individu » (p. 11). Elles sont d’abord un geste réalisé avec des instruments de fortune, avant de devenir cette « trace » sensible pour l’historien. Marques de soi, elles sont les traces de parcours individuels. Les auteurs relèvent plusieurs fonctions de ces graffiti, tour à tour mention de soi, « utilitaires » (calendriers, décomptes du temps), ou messages de communication. Mais le sens du message n’est pas toujours apparent, étant parfois inintelligible ou indéchiffrable. Sauf à voir le sens du graffiti déchiffré par son auteur lui-même4, celui-ci « résiste » bien souvent. Si quelques interprétations anthropologiques sont proposées, on peut regretter que les auteurs n’aient pas eu recours davantage aux disciplines comme la sociologie5 ou la psychologie6 pour essayer d’interpréter ce matériau historique et les « sens » qu’il pouvait revêtir par rapport aux expériences de l’internement et de la déportation, dont on a des témoignages directs.

5La troisième et dernière partie de l’ouvrage (« Catalogue ») est une publication de ce corpus historique que constituent les graffiti du fort de Romainville. Ce catalogue photographique fournit pour chaque inscription murale des informations sur leur(s) auteur(s) et leur date de marquage. On a là un formidable travail de reconstitution historique pour rapporter précisément une inscription à un détenu à partir des initiales laissées ou de mentions interprétables. Il apparaît ainsi pour le lecteur qu’un certain nombre de graffiti de résistants consistent à signaler leur nom et leur date de déportation, mais que l’on compte également des dessins (d’oiseaux, de visages féminins ou de femmes nues, de têtes de mort, de cuirassé ou d’avion bombardant un train), des calendriers ou des barres décomptant les jours, mais aussi des prières pieuses. Ces inscriptions ne sont pas toujours signées, et pas toujours identifiables ou déchiffrables par l’historien quelques décennies plus tard, alors que le temps a fait son œuvre sur les murs. Il n’en reste pas moins que la réalisation de ce catalogue permet de fixer ces traces avant qu’elles ne s’effacent, et qu’il répond à un enjeu mémoriel fort en pérennisant ainsi un matériau aussi sensible que fragile.

6Cet ouvrage reflète la volonté des auteurs de développer « une nouvelle dimension de l’histoire, plus attachée au sensible » (p. 151). Traces fugaces, parfois jugées indignes car minimales ou grossières, les auteurs soulignent combien elles ont été négligées jusqu’ici par les historiens. Si elles trouvent ici leurs lettres de noblesse sur un sujet on ne peut plus chargé de gravité et d’enjeux mémoriels, elles pourraient être réhabilitées également dans d’autres contextes moins légitimes. L’ouvrage fournit en tous les cas à n’en pas douter de nouvelles pistes pour l’analyse historique, en explorant la source que sont les traces « en dur » inscrites dans le bâti. Elles ne peuvent évidemment être un objet d’étude déconnectées de leur cadre de production et ne prennent tout leur sens ici qu’en ayant par ailleurs une connaissance fine de l’identité des détenus passés par la casemate n° 17. Resterait, comme le souligne Sylvie Zaidman, à explorer les dimensions graphologiques, psychologiques – ajoutons sociologiques – de chaque message.

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Notes

1  Clesse J., Zaidman S., La résistance en Seine Saint-Denis, Paris, Syros, 1994.

2  Fontaine T. , Les oubliés de Romainville, Paris, Tallandier, 2005.

3  Pierre Carayon, Roger Chaffard, Norbert Deschaintres, Roland Gaudin, Pierre Gourdon, Isidore Harris, Alphonse Mazzurana, Pierre Mongiat, Jeanne et Georges Benoît, Alfred Lamy.

4  Par exemple pour résistant anglais Yeo-Thomas, dans son récit écrit par Bruce Marshall, 1953, p.227.

5  On pense aux travaux de Mickael Pollak, L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié, 2000.

6  On pense notamment à l’analyse psychologique de Bruno Bettelheim, témoin direct des camps de déportation, dans Le cœur conscient, Paris, Hachette Littératures, 1997.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Emmanuelle Zolesio, « Thomas Fontaine, Sylvie Zaidman, Joël Clesse, Graffiti de résistants. Sur les murs du fort de Romainville 1940-1944 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 novembre 2012, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/9800 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.9800

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