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André Rivollier, Enfances difficiles, affaire d'Etat

Judit Vari

Texte intégral

  • 1  Au tribunal de l’enfance réalisé en 2008, Dans le cabinet du juge réalisé en 2009, Jeux criminels (...)
  • 2  Notamment Jacques Bourquin, ancien éducateur et historien, co-fondateur de la Revue d’Histoire de (...)

1Ce documentaire a été réalisé en 2010 par Adrien Rivollier et traite de la prise en charge de la délinquance juvénile et de la justice de mineurs en France. Il s’inscrit dans la continuité d’une série de plusieurs documentaires réalisés par le même réalisateur et consacrée aux mêmes thèmes1. Le montage allie de manière fluide images d’archives, interviews d’historiens spécialistes de la question2, interviews d’éducateurs et de responsables de structures d’accueil d’enfants placés (dans la région lyonnaise principalement), et images de scène de vie et du travail réalisé par les éducateurs et les assistantes sociales (salle de cours, assistante sociale dans une famille, interview d’un jeune placé depuis sa tendre enfance). Le rythme est assez dynamique et fait régulièrement des allers-retours entre le passé et le présent, les archives et les propos des historiens permettant de rendre compte de l’évolution dans la prise en charge actuelle des jeunes difficiles.

2Le film commence par poser une question cruciale : les dernières politiques contemporaines mises en place ces dix dernières années défendant une ligne répressive de la délinquance juvénile, sont-elles si résolument modernes et peuvent-elles réellement résoudre par l’enfermement la prise en charge de ces jeunes ? Si la réponse ne fait guère d’ambiguïté, le film permet de déconstruire certaines idées reçues comme par exemple que la délinquance juvénile concernerait des enfants et des adolescents de plus en plus jeunes. Or, comme le rappellent les historiens, cette inquiétude vis-à-vis de la jeunesse et de sa violence potentielle, a existé à partir du moment où celle-ci a été reconnue comme une catégorie d’âge particulière. La question de la responsabilité légale a toujours été au centre des débats juridiques : à partir de quel âge est-on responsable aux yeux de la loi ? Et la société peut-elle répondre de la même manière aux actes de délinquance des mineurs et des majeurs ?

3En retraçant les principales dates de l’histoire de la justice des mineurs (1810, 1889, 1945 et 2007), le film rappelle que la prise en charge par la société des jeunes considérés comme difficiles ou violents a été débattue à partir de deux positions : la première répressive (en particulier toute la première partie du XIXsiècle), la deuxième éducative. Cette dernière s’est imposée progressivement dès la fin du XIXsiècle pour finalement aboutir à l’ordonnance de 1945 qui institua la fonction de juge pour mineurs. Mais ce changement a été possible car au lendemain d’une grave crise sociale, le regard de l'opinion publique sur les jeunes change : quand la société a besoin des jeunes, la ligne éducative est privilégiée.

4Le retour à une ligne répressive avec la loi sur la récidive de 2007, disent ainsi en filigrane les historiens interviewés, est un indicateur de l’état actuel de la société. La manière dont la société décide de prendre en charge les jeunes difficiles est un signe du mal-être social, plus la société va mal, a peur et est angoissée, plus la ligne politique de prise en charge de ces jeunes sera donc tournée vers la répression.

5Ainsi, rappellent les travailleurs sociaux interviewés, les situations familiales ont profondément changé, les familles sont de plus en plus nombreuses à se retrouver dans des situations de grande précarité et elles peuvent parfois se révéler très insécurisantes voire violentes et néfastes vis-à-vis de leurs enfants. En rappelant le rôle de la famille et du milieu social, le documentaire revient ainsi sur le regard porté sur les familles par les travailleurs sociaux et le rôle du placement, comme dernière voie de recours. Ce dernier ne peut être réussi qu’à condition d’y associer les familles. Le spectateur suit alors avec intérêt le travail d’une assistance sociale qui accompagne deux enfants placés qui rentrent chez eux pour la première fois. La caméra réussit à rester alors assez discrète et les questions posées par le réalisateur demandant au père pourquoi il n’est pas allé voir ses enfants (depuis un an) au foyer où ils sont placés ou à la mère sur la manière dont elle vit ce placement, sont réalisées avec tact.

  • 3  Je n’ai pas vu les autres films.

6Ce film se révèle donc assez pédagogique : clair et fluide, en rappelant les principales dates de la justice pour mineurs et en posant le débat actuel, il peut se révéler être un bon support en formation auprès des éducateurs spécialisés notamment (ou à toute personne s’intéressant à la justice pour mineurs). Néanmoins, la réponse apportée à la question initiale ne reste hélas qu’en deçà de ce nous aurions pu attendre, mais le format de 52 min se révèle finalement bien court pour un tel sujet, et il faut sans doute garder à l’idée que ce documentaire s’inscrit dans une série3.

7Un regret notamment quant aux entretiens auprès des publics, qui sont trop peu nombreux, et qui ne sont pas suffisamment exploités, en particulier le dernier avec le jeune Stanislas qui a vécu la plus grande partie de son enfance et de son adolescence dans les institutions. Il n’apparaît qu’à la toute fin du film, venu pour confirmer en quelque sorte (sans que le spectateur n’entende la question mais puisse cependant la supposer) que les Centres Educatifs Renforcés (CER) et les Centres Educatifs Fermés (CEF) ne peuvent être une réponse adéquate à la délinquance juvénile, et ne lui auraient sans doute pas permis (s’il était passé par ces institutions) de s’en sortir. Du coup, le spectateur (et surtout la sociologue que je suis) reste quelque peu sur sa faim, car il n’apprend pas grand-chose de son histoire personnelle et de son parcours, or il aurait pu être pertinent d’avoir son point de vue sur la prise en charge qu’il a reçu.

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Notes

1  Au tribunal de l’enfance réalisé en 2008, Dans le cabinet du juge réalisé en 2009, Jeux criminels réalisés en 2011, par exemple, cf. http://www.cocottesminute.fr/personnes:adrien_rivollier?mode=popup

2  Notamment Jacques Bourquin, ancien éducateur et historien, co-fondateur de la Revue d’Histoire de l’Enfance Irrégulière (RHEI), Véronique Blanchard, historienne, responsable du centre d’exposition « Enfants en justice » à Savigny-sur-Orge.

3  Je n’ai pas vu les autres films.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Judit Vari, « André Rivollier, Enfances difficiles, affaire d'Etat », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 octobre 2012, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/9614 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.9614

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Rédacteur

Judit Vari

Maître de Conférences en Sciences de l'Education, Université de Rouen. Laboratoire CIVIIC, IUT Evreux, Dpt Carrières Sociales

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