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Christine Jakse, L'enjeu de la cotisation sociale

Benoît Ladouceur
L'enjeu de la cotisation sociale
Christine Jakse, L'enjeu de la cotisation sociale, Paris, Éditions du Croquant, 2012, ISBN : 978-2-36512-011-1.
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Texte intégral

  • 1  http://www.reseau-salariat.info/

1« Si les entreprises ne veulent plus embaucher c’est parce que les charges sont trop élevées en France ». Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? Comment la comprendre quand on sait que tous les gouvernements depuis celui de Mitterrand en 1982 ont fait en sorte de baisser le niveau de cotisations sociales pour les bas salaires, justement pour aider la création d’emplois ? C’est un des « mystères » du système français de prélèvements obligatoires. La lecture de cet ouvrage permettra d’éclairer cette épineuse question grâce notamment au recul que nous possédons aujourd’hui sur ces thématiques. Son auteure a soutenu en 2009 une thèse de sociologie et elle est membre du « Réseau salariat1 », association de défense des droits du salariat, principalement à travers le système de cotisations sociales.

2L’auteure revient dans un premier temps sur la politique de baisse des cotisations sociales patronales et de gel des salaires menée depuis trente ans en France. Elle rappelle ainsi que la part de la valeur ajoutée des sociétés non financières versée aux salariés a baissé de 8.2 points entre 1982 et 2010. Inversement, les dividendes versés aux apporteurs de capitaux ont gonflé de 6 points. Sur cette période les cotisations sociales versées par les employeurs ont bénéficié d’allègements successifs. Le chômage est une des explications de cette détérioration du partage des richesses pour les travailleurs. L’auteure pointe aussi la diffusion d’une nouvelle analyse économique : les cotisations sociales permettraient d’agir efficacement sur le comportement des entreprises. Signe de la popularité de cette analyse, les organisations syndicales, la CFDT et le CGT étudiés par Christine Jakse, ne s’y sont pas opposées, ou de façon superficielle. Outre les effets très limités de cette politique active du traitement du chômage, celle-ci laisse de côté le fait que les cotisations sociales n’ont pas été conçues pour être « au service de l’emploi, ni du capital mais de celui des salariés ». La logique qui sous-tend ces évolutions voit donc bien dans le salaire, et les « charges » un coût et rien d’autre.

  • 2  « Un impôt sur le revenu plus progressif, pour une révolution fiscale », in Problèmes économiques (...)
  • 3  Les Métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Fayard, Paris, 1995.

3Alléger les cotisations sociales implique de compenser la perte de recette par un autre prélèvement. La question de savoir comment fonctionne ce prélèvement (TVA sociale pour la droite, extension de l’assiette et du taux de la CSG à gauche) n’est pas la bonne question nous dit Christine Jakse, reprenant ici l’analyse de Landais, Piketty et Saez2. Cette fiscalisation du financement de la protection sociale laisse complètement de côté le débat de la répartition primaire de la valeur ajoutée et plus largement de la place qu’on laisse au capitalisme dans la régulation sociale. En effet, pour la sociologue, le salariat et les cotisations sociales sont des institutions opérant contre l’emprise du marché et du capital sur la vie des individus. Comme l’a montré Robert Castel3, la précarité du salariat s’est progressivement affaiblie, à mesure que la loi lui donnait un statut et des droits, assurant un niveau de rémunération indépendant des résultats de l’entreprise et garantissant une stabilité de cette rémunération dans le temps.

4Alléger les cotisations sociales est également une cause du déficit de la Sécurité Sociale. Or ce déficit est un autre moyen de faire pression sur la réduction des dépenses publiques. Parce que la dette permet aux créanciers de l’État de peser sur ses décisions en contrecarrant la démocratie, il faut selon Christine Jakse supprimer la dette et le crédit. Pour cela elle propose de créer un système basé sur le principe d’une « cotisation-investissement » qui permettrait de collecter des fonds utilisés pour satisfaire les demandes d’investissement des entreprises. Cet argent serait distribué en fonction de « critères de priorité » et les choix retenus soumis à un vote démocratique et pas seulement aux apporteurs de capitaux comme c’est le cas aujourd’hui.

  • 4  http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2011/03/07/1773-le-mythe-de-l-obsolescence-prog (...)

5L’extension croissante de la logique marchande constitue le fil conducteur de la réflexion de l’auteure. Après en avoir montré les effets sur le partage de la valeur ajoutée issue de la production, elle en montre les répercussions sur la consommation. Il y a une double aliénation des « employables », c'est-à-dire des personnes jugées aptes à travailler : ils doivent produire de façon à enrichir les capitalistes et lorsqu’ils ne produisent pas, ils « doivent » consommer. L’auteure parle d’une « professionnalisation » du consommateur. L’ouverture à la concurrence de services assurés jusqu’alors pas l’État a multiplié les choix possibles en matière de consommation, augmentant du même coup le temps passé à choisir le meilleur opérateur. Pour illustrer le caractère inéluctable de la consommation, l’auteure reprend la thèse largement médiatisée de « l’obsolescence programmée ». On pourra regretter l’usage de cet argument dont la valeur scientifique peut facilement être discutée4.

6Cet exemple fait ressortir une critique possible, plus générale, du travail de Christine Jakse à savoir la dimension peut-être trop totalisante et partisane de son analyse du capitalisme français. Sur ce point, l’analyse est plus pertinente quand la sociologue décortique l’évolution de la rémunération des salariés, des cotisations et des prestations liées que lorsqu’elle élargit son propos au fonctionnement général du marché du travail, voire du capitalisme. Certes ses positions nous semblent bien optimistes (elle souhaite par exemple une unification des régimes de Sécurité Sociale) mais après tout comme l’indique la quatrième de couverture, il s’agit de « donner aux militants une perspective réjouissante d’émancipation du marché du travail ». Le lecteur devra donc tenir compte de ce positionnement qui donne une tonalité relativement engagée et partiale aux analyses et conclusions qui y sont tenues.

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Notes

1  http://www.reseau-salariat.info/

2  « Un impôt sur le revenu plus progressif, pour une révolution fiscale », in Problèmes économiques n03039 p.23, 2012.

3  Les Métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Fayard, Paris, 1995.

4  http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2011/03/07/1773-le-mythe-de-l-obsolescence-programmee

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benoît Ladouceur, « Christine Jakse, L'enjeu de la cotisation sociale », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 17 octobre 2012, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/9534 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.9534

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