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François Buton, L'administration des faveurs. L'Etat, les sourds et les aveugles (1789-1885)

Marion Blatgé
L'administration des faveurs
François Buton, L'administration des faveurs. L'Etat, les sourds et les aveugles (1789-1885), Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2009, 333 p., EAN : 9782753508514.
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Texte intégral

  • 1 François Buton, Les corps saisis par l'État. L'éducation des sourds-muets et des aveugles au XIXe s (...)
  • 2 Cette histoire sociale n'a jamais été écrite avec une si grande précision. Dans le cas des aveugles (...)

1Issu d'une thèse de sociologie politique1, l'ouvrage de François Buton a pour ambition de dévoiler l'histoire sociale des sourds et des aveugles au cours du XIXe siècle et, par ce biais, de participer à une socio-histoire de l'État et de l'administration publique. L'ouvrage est basé sur deux interrogations distinctes. La première concerne l'opération courante d'association opérée entre les aveugles et les sourds. La seconde porte sur un événement marquant pour la communauté sourde : l'interdiction de la langue des signes, mise en œuvre, en France, à la fin du XIXe siècle. L'approche adoptée par François Buton est celle d'un recours aux sources de première main. L'enquête est basée sur le dépouillement de nombreuses archives, ce qui a permis à l'auteur de saisir cette histoire sociale avec une grande finesse. Ce point s'avère d'autant plus remarquable que cette histoire sociale n'a jamais été écrite avec exhaustivité2.

2L'auteur entend montrer que la prise en charge de ces populations se concentre à cette époque sur l'éducation, administrée comme une faveur. Autrement dit, l'instruction des sourds et des aveugles n'était en rien un droit et elle se restreignait à quelques centaines de places, au sein d'instituts spécialisés. Le livre est ainsi organisé en trois parties, qui respectent la chronologie.

3La première partie concerne la mise en place de ces faveurs réservées aux sourds et aux aveugles. Ainsi, c'est durant la période révolutionnaire que sont placées sous protection de l'État l'école des sourds-muets et l'école des aveugles-nés. Fondés respectivement par l'abée de l'Épée et par Valentin Haüy, ces établissements font la promotion d'une éducation collective à partir de méthodes adaptées. Il faut voir dans cette protection des sourds et des aveugles la consécration de ces deux hommes, reconnus comme les dépositaires de méthodes pédagogiques considérées comme universelles : l'utilisation du langage des signes à destination des sourds et l'utilisation de caractères gaufrés, lus du bout des doigts, pour les aveugles. L'éducation de ces deux catégories de population a donc été pensée conjointement au cours du XIXe siècle. Ces deux populations deviennent ainsi une catégorie de classement des pouvoirs publics au cours du siècle. Ce rapprochement sera institutionnalisé au cours du XXe siècle ; il débouchera sur la consécration de la catégorie des « déficients sensoriels ».

4La deuxième partie porte, quant à elle, sur la bureaucratisation de ces faveurs. Les deux établissements parisiens vont ainsi s'imposer comme des références en matière d'action éducative. Administrés par des philanthropes parisiens, ces établissements vont consacrer - ou non - les institutions de province. Ces institutions seront reprises en main par le pouvoir central au milieu du siècle. C'est à cette même époque qu'émerge une mobilisation autonome au sein de ces Institutions d'État. Ces deux établissements parisiens ont ainsi été le lieu de production de l'alphabet Braille et du langage des signes. C'est le principe de l'enseignement mutuel - qui promeut le recrutement des enseignants parmi les meilleurs étudiants - mais également la renommée de ces lieux qui ont permis l'émergence et la diffusion de ces deux attributs collectifs que sont ces modes de communication adaptés.

5Dans une dernière partie, François Buton s'intéresse à l'évolution de l'éducation des sourds-muets à la fin du siècle. Il détaille ainsi les effets du congrès de Milan (1880) qui a conduit à l'interdiction de l'usage de la langue des signes et a consacré la méthode oraliste. L'auteur insiste sur les différentes raisons qui ont motivé cette interdiction. Il montre ainsi qu'outre l'argument des congressistes selon lequel la langue des signes ne pourrait rendre compte des idées abstraites, c'est la volonté d'uniformiser la langue nationale qui rend impossible la diffusion de cette langue : cette dernière a suivi le même sort que les langues régionales. Le succès de cette réforme tiendrait alors à la volonté des acteurs traditionnels de conserver la spécificité irréductible de l'éducation des sourds-muets. C'est la naissance de l'éducation spéciale conçue comme un secours porté aux enfants infirmes et indigents. Les moyens et les fins sont distincts de l'éducation dite ordinaire. En ce qui concerne les sourds, l'ambition est d'oraliser et non de transmettre les connaissances. On réitère ainsi l'idée que les enfants déficients n'ont pas les mêmes droits à l'éducation, qui est uniquement conçue comme une faveur.

6François Buton interroge, par cet ouvrage ambitieux, le rôle de l'État dans la construction sociale de la catégorie des déficients sensoriels. Par ce prisme, il dévoile également comment se déploie une administration publique au cours de cette période mouvementée qu'est le XIXe siècle. Ce compte-rendu historique est d'autant plus précieux qu'il permet d'appréhender certaines questions contemporaines, telle l'éducation des jeunes sourds, encore marquée par une opposition parfois farouche entre les partisans de la langue des signes et ceux de l'oralisation. On regrettera toutefois, compte tenu de son très grand intérêt, que cet ouvrage ne soit pas d'une lecture plus accessible.

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Notes

1 François Buton, Les corps saisis par l'État. L'éducation des sourds-muets et des aveugles au XIXe siècle. Contribution à la socio-histoire de l'État (1789- 1885), doctorat de sociologie politique, EHESS, 1999.

2 Cette histoire sociale n'a jamais été écrite avec une si grande précision. Dans le cas des aveugles, on notera cependant les travaux de Zina Weygand, qui travaille sur une période très étendue. Zina Weygand, Vivre sans voir. Les aveugles dans la société française du Moyen-Âge au siècle de Louis Braille, Paris, Créaphis, 2003.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion Blatgé, « François Buton, L'administration des faveurs. L'Etat, les sourds et les aveugles (1789-1885) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 28 janvier 2010, consulté le 26 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/920 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.920

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Rédacteur

Marion Blatgé

Docteure associée à l’IDHE-Équipe G. Friedmann, ATER Université Lille 3

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